D’UNE PRISON… L’AUTRE

 

Les 16 et 17 mai 1981, lors de la réunion annuelle du groupe Pour une Intervention Communiste (revue « Jeune Taupe »), une même réaction de dégoût avait uni ceux qui allaient continuer quelques mois le groupe, face au départ burlesco-politicien des futurs membres du groupe Volonté Communiste (revue « Révolution Sociale »). La majorité des participants n’étaient pas pour autant fondamentalement opposés à leurs thèses, mis à part leurs options mégalomaniaques (un journal et un tract par mois face à la proximité de la guerre ou de la révolution,…).

 

Après quelques mois et le départ des camarades qui allaient former le groupe Guerre de Classe, le groupe dit « L’Insécurité Sociale » se formait en abandonnant progressivement la thèse d’une crise mortelle entraînant révolution ou barbarie. Tout cela nous permettait de comprendre que généralement les « crisistes » avaient besoin de justifier leur existence de « révolutionnaires » par l’existence de la crise et non par leur refus du monde de la marchandise et de l’Etat ; que leurs conceptions reposaient sur l’idée que le prolétariat ne pouvait se soulever que pour des raisons « revendicatives ». Si les « révolutionnaires » n’avaient jamais connu la faim, ni la misère « matérielle », cela supposait que les « crisistes » se considéraient comme étant d’une autre espèce que le reste du prolétariat.

 

Si l’on se reporte au n°0 de l’Insécurité Sociale, c’est beaucoup plus dans le texte « Notre Royaume était une prison » que dans les Axes de réflexion pour l’Autonomie Prolétarienne que l’on retrouve ce qui nous unissait. Si des divergences subsistaient, elles passaient au second plan devant la possibilité d’une partage et d’une réflexion commune tranchant radicalement avec ce que nous avions connu avec le groupe P.I.C. Nous découvrions qu’un groupe pouvait aussi se fonder sur certaines affinités impossibles à consigner dans les positions d’une plateforme. L’évolution collective et individuelle a été profonde durant l’existence de l’ « Insécu ». Nous avons noué ou renoué avec des réflexions occultées précédemment par nous ou par d’autres, tenté de dépasser le raisonnement à coups de slogans, de grandes formules creuses, etc. Nous avons compris que l’on ne pouvait pas démonter le discours d’un adversaire en ne s’attaquant qu’à son contenu apparent, mais d’abord à sa forme, à sa logique profonde ; que l’on ne pouvait finalement pas combattre le discours par un autre discours. Compris aussi que nos arguments, notre « intervention », ne pouvaient convaincre personne, mais plutôt aider à ce que se révèlent des idées qui étaient déjà plus ou moins présentes chez ceux à qui nous nous adressions. Les conceptions du « rôle » des révolutionnaires étaient rejetées, puisque la justification de notre existence était simplement que nous nous regroupions parce que nous pensions que ce monde était inhumain et qu’il était nécessaire de faire partager au maximum nos réflexions à ceux qui se trouvaient dans la même situation que nous. Les rencontres avec d’autres groupes  ou individus furent parfois fructueuses, nous permettant de nous rendre compte que nos interrogations se retrouvaient posées par d’autres, et donc de mieux comprendre la réalité par ces échanges.

 

A ce constat « globalement positif », vient pourtant se greffer aujourd’hui u constat d’échec. Au cours des derniers mois s’est imposé un mode de fonctionnement de l’ « Insécu », découlant de conceptions plus ou mois partagées par chacun, que l’on peut sommairement résumer ainsi : des gens se rencontrent plus ou moins formellement, font ou ne font pas des tâches en commun, le groupe devenant plus un groupe d’édition de textes qu’autre chose. Ce mode d’associations peut effectivement fonctionner quelques temps, mais ne peut être le mode d’association régulière d’un groupe. D’une part, il conduit à ce que l’ « Insécu » a vécu et que nous allons relater plus loin, d’autre part, il est le constat –en général non avoué- de divergences d’opinions entre les participants que l’on veut dépasser par des activités communes. Ceci peut paraître avoir une utilité concrètement. Mais, à un moment ou à un autre, cela empêche la clarification des uns et des autres, au profit d’affinités de plus en plus affirmées mais de moins en moins réelles, et amène ainsi à ce que nous allons évoquer à travers la critique du fonctionnement pratique du groupe.

 

Ce que devenait celui-ci, nous a amené à constater l’échec de la possibilité de mener plus longtemps une activité commune et parfois de la possibilité même de dialoguer. Il n’y a pas là vraiment lieu de s’étonner. La situation globalement défavorable à une activité de communistes favorise la stagnation des groupes existants (parfois leur déliquescence) et les évolutions divergentes de leurs membres. Dans la crise de l’ « Insécu » comme dans celle que nous avions vécu dans le groupe P.I.C., ce sont les éléments « pratiques », certaines diraient techniques, qui sont les plus visibles :

-          les tâches à accomplir ne le sont pas (le courrier n’est plus relevé, les cotisations plus payées,…) ou bien elles sont éludées ou traitées comme une corvée (diffusion de tracts par exemples).

-          Des « clans » se dessinent ; de plus en plus de discussions ont lieu en dehors des réunions, ce qui démontre bien qu’il y a des divergences qui ne peuvent pas se discuter à l’intérieur du groupe.

-          Les divergences se cristallisent sur des conceptions organisationnelles opposées, les plus faciles à saisir d’emblée.

 

C’est en particulier sur la forme des réunions que nos incompatibilités sont apparues. Certains d’entre nous ont ressenti que le groupe n’existait plus, ou de moins en moins, depuis plusieurs mois. Le regroupement d’individus ayant des positions communes et le désir de faire quelque chose ensemble avait disparu. Les affinités ne se vivaient plus. Il ne restait qu’un « café du commerce du mal de vivre » où les amateurs de ce style de rapport pouvaient balancer leur monologue, et les autres attendre impatiemment l’heure de la sortie !

 

Nous disons que le « mal de vivre », tel qu’il s’exprimait, était la manifestation de graves divergences entre nous. Nous entendions une apologie de la séparation entre les êtres, de leur atomisation. Nous voulant communistes, nous n’allions pas continuer à subir, semaine après semaine, cette emprise du monde actuel sur notre activité.

 

Le courrier qui n’était plus ramassé, les distributions de tracts perçues comme des corvées, sont aussi la démonstration de divergences sur l’activité de groupe. Nous pensons qu’il y a à la fois des désaccords importants sur notre dernière brochure « Salariat et luttes revendicatives » à l’intérieur de l’ex-groupe, et une indifférence par rapport à notre activité. L’ « ouverture » prônée par ceux que nous pensons porteurs de des désaccords et/ou de cette indifférence, nous apparaît être un refus de s’affronter à d’autres.

 

Considérant tout ce qui précède, il ne nous était plus possible d’envisager une activité de communistes dans le cadre de l’ « Insécu ».  Ceci était contradictoire avec nos perspectives :

-          L’association régulière en fonction d’accords sur des « positions communistes », et non sur un simple rejet du capitalisme et de ses institutions (syndicalisme, parlementarisme,…).

-          L’élaboration et la participation collective au fonctionnement du regroupement.

-          La répercussion, par les participants, de nos discussions à l’extérieur.

-          La recherche de la cohérence. Nous ne sommes pas forcément d’accord sur tout, mais nous faisons connaître sans demi-mesures ni réticences ce et sur quoi nous sommes d’accord.

-          L’ouverture des réunions à d’autres individus, après accord préalable de tous les membres du regroupement.

-          L’activité ponctuelle avec d’autres (groupes ou individus), en fonction d’activités précises, et de comportements et positions non-antagonistes avec les nôtres.

 

 

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