AUTOUR
DES MOUVEMENTS SOCIAUX DE L’HIVER… QUELQUES TEXTES EN VRAC
UN
MOIS DE DÉCEMBRE '95 AU PAYS DU MENSONGE DÉCONCERTANT
ATTENTION...
UN PLAN PEUT EN CACHER UN AUTRE
ÉLÉMENTS
POUR UNE CRITIQUE DU POPULISME
LE
BOLCHEVISME, STADE SUPRÊME (PROVISOIREMENT) DU POPULISME
UN
PROGRAMME POLITIQUE CRÉDIBLE POUR LA GESTION DE L'ÉTAT : LE
TRAVAIL REND LIBRE
A
LIRE... A VOIR... OU A ENTENDRE
BIENTÔT
LA CONSOMMATION FERA PARTIE DU SENS CIVIQUE (Y.R.)
Il s’agit de textes écrits ou reproduits « à chaud » durant les grèves de l’hiver dernier ou immédiatement après. Ils se retrouvent ici à l’état brut… simples témoignages de l’activité d’un moment particulier.
Texte diffusé à Paris en décembre 95.
Reproduction d’un article de Kibalchiche (Le Rétif) édité dans l’Anarchie du 20 octobre 1910
Si décembre 1995 fût un mois du réveil social, il fût également celui du mensonge et du mépris de la part des castes dirigeantes. Ceci a d'ailleurs peut-être un rapport avec cela. Mais à côté des énormités les plus flagrantes, il y eut également des mensonges plus insidieux, donc plus dangereux, proférés par les professionnels de la politique, de l'économie,... plus généralement des idéologies. C'est pourquoi, sans se faire d'illusions sur ces quelques semaines, le seul fait que nous ne sommes pas - que nous ne pouvons être - extérieurs à ce qui s'est passé (et qui se passera ?) conduit à revenir sur ces mensonges et à tenter de comprendre ce qu'ils dissimulent.
Le plan Juppé nous a
été présenté comme une simple tentative de remettre
au net les comptes de
Le première soutient que la libéralisation totale des échanges internationaux, à tous les niveaux de développement économique, social et politique, représente un bien précieux qui aura des effets bénéfiques sur la vie de l'ensemble des peuples qui participent à ce système commercial... Cette première thèse repose en fait sur des observations faites par David Ricardo (1772-1823) concernant les relations commerciales de son temps. Observations qui n'ont pas grand chose à voir avec l'économie mondiale moderne. Aujourd'hui, les effets du commerce mondialisé sur le niveau de vie dans les pays industriels sont négatifs. Le niveau de vie des Américains a baissé depuis 1980...
La seconde thèse affirme que le seul critère de décision pour les entreprises doit être le rendement des capitaux investis, et que toute autre considération fausse la rationalité économique, y compris le souci du bien-être de la population active et de la communauté dans laquelle sont plongées les entreprises... Il s'agit là aussi d'une idéologie d'autant plus pernicieuse qu'elle équivaut à préconiser la destruction du bien-être de la population actuelle au nom d'un avenir utopique.
Le plus étonnant sur la scène contemporaine, c'est que le capitalisme - tel qu'il est actuellement enseigné dans les écoles de commerce américaines et européennes et tel qu'il est pratiqué par les entreprises multinationales - se comporte de la même manière que le léninisme et le stalinisme dans la première moitié du siècle. Il sacrifie la prospérité et les moyens d'existence de millions de gens sur l'autel du bien-être promis aux générations futures. Un raisonnement non seulement contestable intellectuellement, mais aussi immoral. L'idéologie économique a transformé le capitalisme américain... en une machine destructrice d'emplois qui appauvrit la société - au bénéfice principalement d'une classe infime de dirigeants d'entreprise et d'une autre un peu plus vaste, d'investisseurs.
En 1979, le salarié américain qui n'avait pas fait d'études supérieures gagnait en moyenne 11,23 dollars l'heure. En 1993, si l'ont tient compte de l'inflation, il n'a touché que 9,92 dollars. Le salaire du PDG d'une grande entreprise américaine, qui était en moyenne 40 fois supérieur à celui d'un ouvrier il y a deux décennies, l'est aujourd'hui dans une proportion de 192 contre 1, d'après une étude citée récemment par le magazine The New Yorker portant sur 424 grandes entreprises. Les Américains ont accepté avec une docilité surprenante la baisse de leur niveau de vie au cours des quinze dernières années..."
Le fait que Juppé, de par
sa fonction, ait été mis au premier plan, ajouté à
son style personnel méprisant et hautain, a permis à nombre
d'hommes politiques de prendre leurs distances sinon avec ses perspectives
politiques du moins avec ses méthodes. De nombreux commentateurs et
certains politiciens l'ont ainsi présenté comme un homme assez
isolé dans cette affaire, qui aurait pris des décisions pour le
moins hâtives et irréfléchies. Même les adeptes du
Plan Juppé laissaient entendre qu'il n'y avait pas de raison de vouloir
tout faire à la fois et que finalement si l'on s'était
contenté de couillonner les salariés progressivement et branche
par branche le même résultat final aurait été
atteint... sans faire de vagues. Mais au fait le dit Plan Juppé est-il
réellement le plan de Juppé, ou bien celui-ci - en accord avec
ses propres conceptions - ne fait-il qu'appliquer une ligne sur laquelle
s'accordent les castes dirigeantes. Nous avons vu dans le paragraphe
précédent en quoi ce plan découlait d'une vision globale
issue en particulier de la nomenklatura eurocrate. Cette vision est d'autant
plus globale et totalitaire que les directives de la dite nomenklatura
pourraient s'élaborer tout autant à Rome qu'à Bruxelles.
L'acte fondateur du
Enfin, à la maîtrise
des nouvelles institutions démocratiques, s'est ajouté la
défense des grands intérêts économiques. L'outil le
plus remarquable fut créé par l'Opus Dei en 1983:
On voit à quel point Juppé peut se sentir soutenu dans la mise en place de son plan et plus généralement de sa politique. D'autant plus que dans son propre entourage, selon le même article, on retrouvait au sein même du gouvernement Juppé 1 (et dans ce qu'il en reste dans le gouvernement Juppé 2) "des membres de l'Opus Dei, avec Jacques Barrot (ministre du dialogue social et de la participation) et Hervé Gaymard (secrétaire d'État aux finances). Et par ses proches, tels les ministres Colette Codaccioni (solidarité entre les générations), Anne-Marie Idrac (transports), Élisabeth Dufourcq (recherche), Nicole Ameline (décentralisation) et Margie Sudre (francophonie). de même que le grand patronat, avec Michel Albert (AGF[3]), Claude Bébéar (AXA assurances), Henri Bonin (BTP Freyssinet), Didier Pineau Valenciennes (Schneider), Henri Pradier (Shell France), Louis Schweitzer (Renault), Marcel Julian (antenne 2).
Ce lobby s'est orienté, depuis le gouvernement Balladur, vers une grande offensive juridique visant à réformer les moeurs du pays. Loin d'être désuète, elle tend à subordonner les droits de l'homme aux droits de dieu. Ces attaques utilisent tout l'arsenal législatif disponible (rapports, propositions de loi,, amendements, réformes de la constitution), et son relayés sur le terrain par les puissantes associations familiales de droite et d'extrême droite, coordonnées par l'Opus Dei. Elles concernent en priorité la remise en cause du droite à l'avortement (des discriminations positives en faveur uniquement des couples mariés sont effectives de par la loi d'urgence relative à la famille) et du droit à la contraception, afin d'assurer la puissance démographique de la chrétienté, et donc l'audience du pape."
Sans vouloir tout expliquer par l'existence d'un complot fomenté au Vatican, il y a pour le moins convergence entre un programme global dont Juppé n'est que le porte parole mais qui est porté par une large part de la classe politique... pas seulement à droite... et pas seulement en France; un modèle de société préconisé par une nébuleuse de sectes grandes et petites dont une partie au moins semble tenir ses ordres de la nomenklatura vaticane (Opus Dei, nébuleuse des groupes et commandos chrétiens anti-avortement,...); et les intérêts des gros actionnaires possédant le capital des grandes entreprises comme des médias pour qui l'essentiel est de faire du fric... quel que soit le prix qu'il faut payer pour cela. Non finalement Juppé n'est pas un homme seul ... pas plus qu'il n'est le valet d'un seul maître!
Les méthodes utilisées par le pouvoir pour monter le reste de la population contre les grévistes ont été des plus classiques: tentative avortée du RPR pour constituer un mouvement "de masse" d'usagers hostiles, utilisation des médias pour mettre en avant les réflexions des mécontents... et surtout l'éternelle tarte à la crème des grévistes qui prennent les usagers en otage ! On peut toujours rétorquer que les soi-disant otages n'avaient qu'à se mettre en grève à leur tour; ce qui est vrai tout en faisant abstraction de la situation concrète: malgré l'ampleur du mouvement gréviste il n'a pas atteint une puissance permettant aux salariés du privé de le rejoindre sans risquer d'en faire finalement les frais. L'idée qui traînait un peu partout que les salariés du public faisaient aussi grève "par procuration" pour ceux du privé, si elle a joué dans la popularité du mouvement, a certainement aussi eu un effet négatif sur son hypothétique élargissement. Mais plus généralement, qui est l'otage de qui, dans une société où le simple fait de ne pas crever de faim, en se vendant à une poignée d'actionnaires, est présenté comme un cadeau fait par ceux-ci. C'est ceux-là même qui ont droit de vie ou de mort sur les hommes et les femmes qui n'ont d'autre choix que de vendre leur énergie pour survivre qui traitent de preneurs d'otages des salariés qui à leur grand regret ne se comportent pas totalement en esclaves. Vraiment, au royaume du salariat le cynisme est roi !
" ... Le Pen a déclaré à la cantonade que ses
idées ne rejoignaient pas seulement celles de Jirinovski, mais aussi
celles du camarade Lénine, qui avait appelé tous les
prolétaires à s'unir, et dont le slogan aujourd'hui serait "Patriotes de
tous les pays, unissez-vous !"..."
Iouri Krioutchov, journaliste du quotidien Kouranty (Le Carillon),
à propos de la rencontre entre Le Pen et Jirinovski , à Moscou,
le 10 février 1996 (reproduit dans Courrier International, 29
février/ mars 1996).
Pourquoi une critique du populisme ? Pourquoi même se poser la question du populisme, ce qualificatif à la mode bien que sans définition précise puisqu'il reste ignoré des dictionnaires, du moins dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui ! Certes on perçoit bien de quoi il s'agit lorsque la démagogie populiste prend la forme du discours politicien des Le Pen, Laguiller et compagnie. Mais elle prend des formes plus sournoises et bien malin celui qui peut prétendre qu'il n'y est jamais sensible et même qu'il n'en fait jamais usage. Qui n'a jamais essayé, sous prétexte de convaincre, de séduire son interlocuteur en prononçant les mots qu'il a envie d'entendre ? Qui n'a jamais relevé la justesse d'une prise de position ponctuelle, d'une analyse particulière, de telle ou telle fieffée crapule. On peut bien entendu se limiter à cette constatation. Nous avons tous nos faiblesses ! On peut à l'opposé se considérer au dessus de tout cela, tant la critique radicale[4] nous place au dessus de tout cela! En fait, il faut bien constater que cette critique bien loin de constituer un rempart absolu contre le populisme peut parfois être une faille par lequel il s'insinue. Le populisme ne nourrie en permanence de la critique de la société. Qu'on ne se trompe pas sur le sens de ce que je veux dire par là. Il ne s'agit pas de reprendre à mon compte le vieux discours sur les extrêmes qui se rejoignent, discours du conservatisme social s'il en fût. Si l'on peut par exemple comparer, voire amalgamer, stalinisme et fascisme, c'est à condition de dénoncer la supercherie consistant à les présenter comme deux extrémismes opposés alors qu'il ne s'agit que de deux variantes voisines des conceptions portant sur la gestion du capitalisme. Mais il n'en reste pas moins vrai que le populisme - en tant que fausse critique radicale de la société - s'approprie en les dénaturant de nombreux points des critiques véritables. A l'inverse, il sait se montrer souvent suffisamment séduisant pour en piéger plus d'un. De fait, pour les individus qui se posent des questions sur ce monde, il n'est pas toujours aisé de se frayer un chemin entre une idéologie populiste aux raisonnements simplistes promettant des lendemains qui chantent, et une critique radicale qui dans l'immédiat n'a guère plus à proposer qu'un surcroît de lucidité et d'exigence vis-à-vis de soi-même et des autres. Pourtant le choix de la facilité est factice et l'on serait bien en peine de dénombrer ses victimes.
A ce qui précède, s'ajoute la réflexion provoquée par le mouvement social de décembre 1995. Si ce mouvement a surpris tout le monde par son ampleur - ce qui est vrai pour tout mouvement de ce type ! - il a surtout été caractérisé par la convergence de deux phénomènes: un mécontentement profond pouvant aller jusqu'à une interrogation sur les valeurs fondatrices de la société contemporaine (soumission au marché,...) et l'absence de recette politicienne pouvant tenir lieu d'alternative. Dans un premier temps, il ne semble pas que les démagogies populistes soient parvenues à réellement tirer parti de cette situation (sinon indirectement au travers de leurs influences sur les syndicats), mais il s'agit pour elles d'un terrain fertile. C'est ce qui m'a poussé dans les temps d'incertitudes que nous traversons à rassembler des réflexions qui se veulent des jalons pour une critique du populisme. Cette critique, comme toute autre, souffre des limites propres à son auteur. Je laisse à d'autres le soin d'en débusquer les faiblesses et d'en combler les lacunes.
Ce que nous nommons aujourd'hui le populisme n'est certainement pas une invention récente. Il suffit de songer à certains aspects du Prince de Machiavel. Mais chaque époque, chaque société, produit les idéologies qui la servent. Le populisme de ce siècle ne pouvait puiser son inspiration, sa justification, que dans les couches sociales dépourvues de pouvoir sur la société et pour une large part de ses richesses, pour s'assurer de leur calme. Quitte à faire bondir certains, je pense que ce populisme contemporain se confond pour une part avec ce que l'on a nommé le "mouvement ouvrier"[5]. Une partie de ce mouvement n'a jamais caché qu'il ne s'agissait pour lui que d'obtenir certains aménagements sans remettre en cause le système social - ce qui sort de notre champ de réflexion. Les autres, qui se sont définirent parfois comme "révolutionnaires" se caractérisent par un double langage, généralement concrétisé par l'existence de deux programmes, un "minimum" et un "maximum". Avant la première guerre mondiale, ce double langage s'exprime dans la social-démocratie, regroupant en particulier (mais pas uniquement) l'aile marxiste du mouvement ouvrier. Il se retrouve également dans le syndicalisme révolutionnaire où se juxtaposent programme revendicatif minimum et appel à l'abolition du salariat[6]. Voir dans ce mouvement ouvrier une source du populisme n'implique pas de nier son hétérogénéité ni la présence d'éléments sincères. Les ruptures radicales (mais minoritaires) qui se produiront en son sein sont là pour en témoigner.
L'entrée en guerre de 1914 et les événements sociaux qui éclateront en Europe les années suivantes suffisent pour comprendre ce qui se dissimulait derrière le double langage socialiste. Cette période est d'ailleurs exemplaire par rapport à l'analyse que l'on peut faire du populisme, dans le sens où l'on y retrouve une sorte de schéma type. Résumons. Face à une crise grave, c'est-à-dire à l'ouverture d'une période où les moyens jusque là classiques de gestion du capitalisme ne suffiront visiblement plus, les populistes de la veille sont amenés à abandonner du jour au lendemain leur "programme maximum" pour assurer le sale boulot (embrigadement vers la guerre, répression sanglante,...). Ceci conduit nécessairement à des ruptures, que l'on peut subdiviser en deux catégories: i) des ruptures radicales et, parallèlement ii) une radicalisation du populisme amplifiant la confusion. Cette confusion se retrouvera particulièrement au niveau des individus, ballottés par les événements, dont l'adhésion aux ruptures radicales ou populistes sera influencée par des hasards divers: charisme personnel des porte-paroles de ces ruptures, circonstances locales,...
L'application de ce schéma à la période qui va de 1914 aux années 20 est aisée.
Jusqu'en 1914, le mouvement ouvrier organisé hurle à tous vents qu'il s'opposera à la guerre par tous les moyens. Face à l'imminence de la guerre, ce même mouvement se trouve en tête des bellicistes. Les députés sociaux-démocrates votent à la quasi unanimité des crédits de guerre. Ce pseudo-revirement se fait au nom d'une idéologie qui constitue une des constantes du populisme: l'Union Sacrée. Pour celle-ci, quand un danger menace la nation, les citoyens, autrement dit le peuple, serrent les rangs, oublient leurs querelles pour reconstituer l'unité nationale autour de l'État. Face à l'ennemi extérieur, tous les "nationaux", sauf une poignée de traîtres, se retrouvent coude à coude pour la défense de la patrie et pour sa grandeur. Le triomphe de cette idéologie est assuré non seulement en raison du matraquage de la propagande et de la censure, mais aussi de la répression qui réduisent les traîtres au silence. C'est ainsi qu'en 1919, le gouvernement socialiste de Noske, au pouvoir en Allemagne, écrase la révolution (assassinat des spartakistes).
En réaction à la guerre et au dévoilement des organisations marxistes ou anarchistes traditionnelles des minorités et individus se radicalisent, qu'ils soient marxistes, syndicalistes révolutionnaires, anarchistes individualistes,... Je ne rentrerais pas dans le détail de ceux-ci. Chacun reconnaîtra les siens[7] et ceci nous éloignerait du fil conducteur de ce texte. Une petite appartée tout de même pour revenir à l'exemple de la révolution allemande. Celle-ci est exemplaire pour de multiples raisons: il s'agit du seul mouvement révolutionnaire d'ampleur à surgir face à la guerre dans un pays capitaliste développé, l'Allemagne est en quelque sorte la patrie du mouvement ouvrier traditionnel en général et de la social-démocratie en particulier, les ruptures qui se font à cette occasion sont à la fois parmi les plus radicales pour l'époque et les plus massives,... Au sein de la "mouvance radicale" on retrouve à la fois des "communistes de gauche"[8], "unionistes"[9], anarcho-syndicalistes. Mais le même mouvement voit se développer un courant "National-bolchévik", partageant pour un temps, mais pour des raisons différentes, certaines positions des radicaux. Ce courant, ouvertement nationaliste et populiste, préfigurera certains aspects du nazisme[10].
" Nous regardions Charybde, dans notre crainte de la mort; à ce
moment Scylla dans le creux du vaisseau emporta six de mes hommes, les
meilleurs par la force de leurs bras. Comme je tournais les yeux vers mon
vaisseau rapide et mes compagnons, je
n'aperçut plus que leurs pieds et leurs mains enlevés en
l'air... Et Scylla, à la porte de son antre, les dévorait tout
criants, tendant les bras vers moi dans leur effroyable détresse."
Homère, Odyssée, chant III.
Parmi les courants qui s'opposent à la guerre de 14-18, au moins lors de son engagement, figure en Russie le parti bolchevik, initialement regroupement de tendances disparates allant de variantes de la social-démocratie à des formes de "communisme de gauche" proches de celles évoquées à propos de l'Allemagne. L'aile
léniniste de celui-ci, tirant les
leçons des échecs de l'ancien populisme socialiste, saura le
rénover, lui donner un caractère moderne et radical. De 1918
à 1921, le parti bolchevik (sa direction léniniste) assume la
liquidation du pouvoir des soviets et crée
"Pour éclairer le caractère fasciste du système russe, Ruhle revient une fois de plus au "Gauchisme, maladie infantile du communisme" de Lénine, car "de toutes les déclarations programmatiques du bolchevisme elle est la plus révélatrice de son caractère réel". Quand en 1933, Hitler supprime toute la littérature socialiste en Allemagne, raconte Ruhle, la publication et la diffusion de la brochure de Lénine fut autorisée. Dans ce travail, Lénine insiste sur le fait que le parti doit être une sorte d'académie de guerre de révolutionnaires professionnels. Ses principales exigences étaient les suivantes: autorité inconditionnelle du chef, centralisme rigide, discipline de fer, conformisme, combativité et sacrifice de la personnalité aux intérêts du parti... Avec Lénine s'éclaire d'une lumière vive la règle de l'ère machiniste dans la politique: c'était le "technicien", "l'inventeur" de la révolution. Toutes les caractéristiques fondamentales du fascisme étaient dans sa doctrine, sa stratégie, sa "planification sociale", et son art de traiter les hommes. Il n'a jamais appris à connaître les conditions fondamentales de la libération des ouvriers, il ne s'est jamais soucié de la fausse conscience des masses et de leur auto-aliénation humaine. Tout le problème pour lui n'était rien de plus ou de moins qu'un problème de pouvoir...
Il n'est plus nécessaire
de mettre en évidence les nombreux "méfaits" du
bolchevisme en Allemagne et dans le monde en général. Dans la
théorie et dans la pratique le régime staliniste s'affirma
lui-même une puissance capitaliste et impérialiste, s'opposant non
seulement à la révolution prolétarienne, mais même
aux réformes fascistes du capitalisme. Et il favorise en
réalité le maintien de la démocratie bourgeoise pour
utiliser plus pleinement sa propre structure fasciste. De même que
l'Allemagne avait très peu d'intérêt à
étendre le fascisme au delà de ses frontières et de celles
de ses alliés puisqu'elle n'avait pas l'intention de renforcer ses
rivaux impérialistes, de même
Cette tendance fasciste
générale n'a pas sa souche dans le bolchevisme mais le comprend
en elle. Elle a sa souche dans les lois particulières de
développement de l'économie capitaliste. Si
Le triomphe du fascisme allemand,
qui n'était pas un phénomène isolé mais
était en étroite liaison avec le développement
antérieur de la totalité du monde capitaliste, ne causa pas
l'engagement d'un nouveau conflit mondial des puissances impérialistes
mais n'en fut qu'un simple auxiliaire. Les jours de 1914 étaient
revenus. Mais pas pour l'Allemagne. Les chefs ouvriers allemands étaient
privés de "l'émouvante épreuve" de se
déclarer une fois de plus les enfants les plus authentiques de la
patrie. Organiser la guerre signifiait instituer le totalitarisme et revenait
à éliminer beaucoup d'intérêts particuliers. Dans
les conditions de
"Je sais combien la nation allemande aime son Führer. J'aime
donc boire à sa santé."
J. Staline, lors de la signature du pacte germano-soviétique
(cité dans: A. Rossi, Deux ans d'alliance germano-soviétique,
Librairie Fayard).
Dans les années 20-30, le
populisme dépasse son statut antérieur d'idéologie, pour
acquérir celui de programme politique crédible pour la gestion de
l'État. Au pôle de référence constitué par
terrorisme du régime
bolchevique, prédisait: "Même si ce Régime dure en la
personne de Staline, on peut considérer comme sûr, en particulier
en ce qui concerne l'organisation de la production et la réglementation
des rapports entre les classes, un abandon définitif de la doctrine
marxiste et une grande présence ("attuazione") des principes
fascistes"[12].
Populismes brun et rouge mettent en avant une même idée-force,
répondant aux nécessités d'un capitalisme moderne: la
valorisation du travail non seulement en tant que source de profit, mais
également comme instrument d'intégration dans l'État, de
garant de la paix sociale[13].
Pour cette valorisation du travail, le populisme des années
POUR SAUVER L'ITALIE, IL FAUT RÉCONCILIER LE PEUPLE ITALIEN !
Dans cet appel on lit:
"Peuple italien! Fascistes de la vieille garde! Jeunes fascistes! Nous autres communistes nous faisons nôtre le programme fasciste de 1919, qui est un programme de paix, de liberté, de défense des intérêts des travailleurs et nous vous disons: luttons tous unis pour réaliser ce programme!"
On ne parle même plus d'éloigner Mussolini, on est disposé à conclure une alliance avec "les dirigeants fascistes honnêtes". Cette tentative de Front Populaire/Populiste à l'italienne faisait semblant d'ignorer en quoi il était impossible: le fascisme était obligé pour imposer sa politique de réprimer toute tentative de pression exercée par une autre organisation... fut-elle proche de sa propre logique. Ceci d'autant plus que le fascisme avait appris du bolchevisme l'importance que pouvait tenir un leader charismatique, véritable gourou à l'échelle de l'État. D'autres, dans d'autres contextes géopolitiques joueront également ce rôle, de Adolf Hitler à Maurice Thorez... J'y reviendrais dans la suite de cet article.
Une vision générale du populisme dans cette période nécessiterait également d'en considérer deux autres expressions: le populisme espagnol durant la guerre d'Espagne (sous sa forme franquiste et dans ses variantes républicaines); et le populisme sioniste. Pour le premier de ceux-ci, il est difficile de l'analyser en tant que tel, sans l'englober dans les problèmes posés par le mouvement révolutionnaire en Espagne. Pour le second, l'essentiel des éléments sont déjà contenus dans un ouvrage paru cette année: "Aux origines d'Israël. Entre nationalisme et socialisme", par Zeev Sternhell, chez Fayard.
Quelques textes lus ou bien entendus dire ces derniers mois contribuent à un bilan sans complaisance de ce siècle finissant, de la folie des hommes comme de leurs espoirs.
Le premier est issu de ce que l'on nommait en d'autres temps une "édition militante".. expression bien laide pour définir l'effort de quelques une pour faire connaître des textes n'ayant aucune chance d'intéresser les marchands. Le titre lui-même sonne très militant :
"Les internationalistes du "troisième
camp" en France pendant la seconde guerre mondiale"
(Éditions Acratie, L'essart, 86310
Le seconde est de nature
totalement différente, puisqu'il traite d'un sujet très
médiatique: "Enquête
sur les extrémistes de l'occulte: De la loge P2 à l'ordre du
temple solaire" par Renaud Marhic" (
WILLIAM MORRIS: L'ÂGE DE L'ERSATZ et autres textes contre la civilisation moderne (
`" De même que l'on nomme certaines périodes de l'histoire l'âge de la connaissance, l'âge de la chevalerie, l'âge de la foi, etc..., ainsi pourrais-je baptiser notre époque "l'âge de l'ersatz". En d'autres temps, lorsque quelque chose leur était inaccessible, les gens s'en passaient ne souffraient pas d'une frustration, ni même n'étaient conscients d'un manque quelconque. Aujourd'hui en revanche, l'abondance d'informations est telle que nous connaissons l'existence de toutes sortes d'objets qu'il nous faudrait mais que nous ne pouvons posséder et donc, peu disposés à en être purement et simplement privés, nous en acquérons l'ersatz. L'omniprésence des ersatz et, je le crains, le fait de s'en accommoder forment l'essence de ce que nous appelons civilisation."
"
"Maman, je suis fatiguée. J'ai passé dix-huit mois à attendre que Dave revienne d'Espagne et cela fait maintenant six ans que j'attends qu'il rentre de cette guerre contre le fascisme. Je suis fatiguée. Six ans jour après jour dans des bureaux à vérifier des livres de comptes et à travailler avec des filles - de pauvres idiotes qui se tartinent de rouge à lèvres et passent leur temps à glousser. et pour Dave c'est pareil - il dit qu'il se battait aux côtés d'hommes qui ne savaient pas pourquoi ils faisaient la guerre. Loin de leurs femmes il se comportaient comme des bêtes. En réalité ils voulaient échapper à leurs femmes pour pouvoir se comporter comme des bêtes. Donne-leur une autre guerre et ils y retournent en courant. Eh oui! Le temps passé à l'armée a tué toutes les illusions que Dave pouvait avoir avant sur la splendide et glorieuse classe ouvrière.
(...)
La seule société pourrie, c'est la société industrielle. Elle oblige un homme à se mettre sur la tête puis elle lui fait croire que c'est comme ça qu'il est bien! Je vais vous dire quelque chose. Ce n'était pas les trotskistes ni les sociaux-démocrates qu'il fallait combattre. C'était le progrès! Voilà! Le progrès! Et personne n'a osé contester le progrès.
(...)
Vous ne vous êtes jamais élevés contre la jungle de la société industrielle. Vous n'avez jamais voulu en détruire les valeurs - seulement vous les approprier. Le seul crime pour vous ce n'est pas qu'un homme passe toutes ses journées devant une machine, c'est qu'il n'en soit pas le propriétaire. Seigneur! La gloire d'être propriétaire d'une machine!
(...)
Quelle arrogance te permet de dire que tu peux réunir un milliard de personnes dans une seule théorie? C'est une arrogance énorme, gigantesque, prodigieuse, égoïste, tu ne trouves pas?
Etre gavé de marchandise pour assurer la prospérité de la collectivité ?
Histoire de garder en mémoire la nature toxique de toute religion.
LIENS
Biographie de
Kibalchiche/Victor Serge
[1] Les citations suivantes sont extraites de son analyse publiée dans Courrier International N°268-269, 21/12/95. Cet éditorialiste n'affiche pas ailleurs, c'est le moins que l'on puisse dire, aucune sympathie pour les grévistes français, mais est favorable à un "capitalisme social".
[2]OPUD DEI: La mafia des culs-bénits, InfoSuds N°14, 4° Tri. 95, pp. 16-17.
[3]Par
ailleurs un des actionnaires du Monde (au côté d'Élisabeth
Badinter, fille du "roi de la publicité" Bleustein-Blanchet),
tout comme de Libération; administrateur du Crédit Lyonnais... et
semble-t-il affilié à
[4] Sur ce que j'entend ici par critique radicale, radicalisme,... cf. "Partir de l'homme", Le P.I. hiver 91/92 (épuisé), extrait du livre de D. MacDonald "Le marxisme est-il en question"; "Une critique du radicalisme à la petite semaine; "La théorie radicale" (F. Faun), le P.I. 1994, les textes de L. Kibalchiche/V. Serge publiés dans le P.I.,...
[5] Rappelons pour mémoire que par ce terme on ne désigne pas un mouvement regroupant "les ouvriers" sur la base d'une appartenance sociologique, mais le mouvement dont le programme est de défendre les intérêts des ouvriers tant sur le plan politique (au travers de partis de masse) qu'économique (au travers de syndicats catégoriels). Ceci pour que les choses soient claires et en dehors de tout jugement de valeur.
[6]Cette remarque est toujours d'actualité. Ainsi un tract du groupe "Alternative Libertaire" se réclamant d'une "alternative anticapitaliste", diffusé en décembre 1995, se termine par toute une série de revendications en gros caractères que l'on croirait tirées des programmes des partis sociaux-démocrates du XIX° siècle: gestion démocratique des services publics, réduction de la semaine de travail, réquisitions,... Seul le hasard me fait tomber sur ce tract, mais on pourrait trouver le même "programme minimum" dans la prose de la plupart des groupes "anarchistes" ou "marxistes".
[7]On pourrait ajouter que chacun n'a bien souvent tendance qu'à reconnaître les siens quand ce n'est pas à les idéaliser, tout en se masquant les apports à la réflexion d'autres ruptures radicales... sous prétexte qu'elles ne sont pas issues d'une matrice idéologique portant la bonne étiquette.
[8]Il s'agit des fondateurs du Parti Communiste Allemand, puis du Parti Communiste Ouvrier Allemand (KAPD) qui donnera lui-même jour à différentes scissions après la retombée du mouvement révolutionnaire.
[9]Proches des communistes de gauche, mais défavorables à la constitution d'un parti et partisans des seules organisations d'usine.
[10]Les
principaux théoriciens de ce courant sont Laufenberg et Wolffheim, qui
firent un passage au KAPD. Après leur exclusion ils fondent
[11] Otto Ruhle, Biographie de Paul Mattick
dont la traduction fut publiée après 1968 dans la revue
ronéotée "Cahiers du Communisme de Conseils"
(Marseille), puis reprise en 1973 dans la brochure "Conseils Ouvriers en
Allemagne 1917-1921" (VROUTSCH série
[12] Introduction à " Togliatti: Appel aux fascistes" (Ed. Nautilus, 1983).
[13] Il s'agit de ce travail "moderne" revendiqué par Lénine dés 1917 (Les tâches immédiates du pouvoir des soviets) : "De toute façon, la soumission sans réserves à une volonté unique est absolument indispensable au succès d'un travail organisé sur le modèle de la grande industrie mécanique".