SOMMAIRE : 1

AUTOUR DES MOUVEMENTS SOCIAUX DE L’HIVER… QUELQUES TEXTES EN VRAC.. 1

LA SOCIETE NOUS OBLIGE À VIRE SUR LA TETE ET VOUDRAIT NOUS FAIRE CROIRE QUE C’EST COMME CA QU’ON EST BIEN…... 1

LA GREVE DES CHEMINOTS. 1

UN MOIS DE DÉCEMBRE '95 AU PAYS DU MENSONGE DÉCONCERTANT. 1

ATTENTION... UN PLAN PEUT EN CACHER UN AUTRE.. 2

JUPPÉ DÉMISSION ! 3

QUI EST L'OTAGE DE QUI ?. 4

ÉLÉMENTS POUR UNE CRITIQUE DU POPULISME.. 5

LE POPULISME CONTEMPORAIN.. 6

LE BOLCHEVISME, STADE SUPRÊME (PROVISOIREMENT) DU POPULISME.. 7

UN PROGRAMME POLITIQUE CRÉDIBLE POUR LA GESTION DE L'ÉTAT : LE TRAVAIL REND LIBRE.. 9

A LIRE... A VOIR... OU A ENTENDRE.. 11

BIENTÔT LA CONSOMMATION FERA PARTIE DU SENS CIVIQUE (Y.R.) 13

UN APPEL D’AIR.. 13

 

SOMMAIRE :

 

AUTOUR DES MOUVEMENTS SOCIAUX DE L’HIVER… QUELQUES TEXTES EN VRAC

 

Il s’agit de textes écrits ou reproduits « à chaud » durant les grèves de l’hiver dernier ou immédiatement après. Ils se retrouvent ici à l’état brut… simples témoignages de l’activité d’un moment particulier.

 

LA SOCIETE NOUS OBLIGE À VIRE SUR LA TETE ET VOUDRAIT NOUS FAIRE CROIRE QUE C’EST COMME CA QU’ON EST BIEN…

 

Texte diffusé à Paris en décembre 95.

 

LA GREVE DES CHEMINOTS

 

Reproduction d’un article de Kibalchiche (Le Rétif) édité dans l’Anarchie du 20 octobre 1910

 

UN MOIS DE DÉCEMBRE '95 AU PAYS DU MENSONGE DÉCONCERTANT

 

Si décembre 1995 fût un mois du réveil social, il fût également celui du mensonge et du mépris de la part des castes dirigeantes. Ceci a d'ailleurs peut-être un rapport avec cela. Mais à côté des énormités les plus flagrantes, il y eut également des mensonges plus insidieux, donc plus dangereux, proférés par les professionnels de la politique, de l'économie,... plus généralement des idéologies. C'est pourquoi, sans se faire d'illusions sur ces quelques semaines, le seul fait que nous ne sommes pas - que nous ne pouvons être - extérieurs à ce qui s'est passé (et qui se passera ?) conduit à revenir sur ces mensonges et à tenter de comprendre ce qu'ils dissimulent.

 

ATTENTION... UN PLAN PEUT EN CACHER UN AUTRE

 

Le plan Juppé nous a été présenté comme une simple tentative de remettre au net les comptes de la Sécurité Sociale, voir de rétablir la justice en plaçant tout le monde sur un pied d'égalité. Mais, comme beaucoup ont pu en avoir l'intuition, celui-ci ne représente qu'un élément d'un plan beaucoup plus global. Il s'agit pour les dirigeants français, et au-delà européens, d'imposer un modèle de société, la version du capitalisme qui a cours aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Selon l'éditorialiste du Los Angeles Times, William Pfaff[1] "il ne s'agit pas du capitalisme d'Adam Smith, mais de la nouvelle idéologie économique apparue dans les universités et les salles de rédaction américaines et britanniques ces quinze dernières années... Je parle des deux thèses qui prévalent en ce moment dans ces pays et qui trouvent un écho extrêmement favorable ailleurs, y compris à Bruxelles au siège de l'Union européenne.

Le première soutient que la libéralisation totale des échanges internationaux, à tous les niveaux de développement économique, social et politique, représente un bien précieux qui aura des effets bénéfiques sur la vie de l'ensemble des peuples qui participent à ce système commercial... Cette première thèse repose en fait sur des observations faites par David Ricardo (1772-1823) concernant les relations commerciales de son temps. Observations qui n'ont pas grand chose à voir avec l'économie mondiale moderne. Aujourd'hui, les effets du commerce mondialisé sur le niveau de vie dans les pays industriels sont négatifs. Le niveau de vie des Américains a baissé depuis 1980...

La seconde thèse affirme que le seul critère de décision pour les entreprises doit être le rendement des capitaux investis, et que toute autre considération fausse la rationalité économique, y compris le souci du bien-être de la population active et de la communauté dans laquelle sont plongées les entreprises... Il s'agit là aussi d'une idéologie d'autant plus pernicieuse qu'elle équivaut à préconiser la destruction du bien-être de la population actuelle au nom d'un avenir utopique.

Le plus étonnant sur la scène contemporaine, c'est que le capitalisme - tel qu'il est actuellement enseigné dans les écoles de commerce américaines et européennes et tel qu'il est pratiqué par les entreprises multinationales - se comporte de la même manière que le léninisme et le stalinisme dans la première moitié du siècle. Il sacrifie la prospérité et les moyens d'existence de millions de gens sur l'autel du bien-être promis aux générations futures. Un raisonnement non seulement contestable intellectuellement, mais aussi immoral. L'idéologie économique a transformé le capitalisme américain... en une machine destructrice d'emplois qui appauvrit la société - au bénéfice principalement d'une classe infime de dirigeants d'entreprise et d'une autre un peu plus vaste, d'investisseurs.

En 1979, le salarié américain qui n'avait pas fait d'études supérieures gagnait en moyenne 11,23 dollars l'heure. En 1993, si l'ont tient compte de l'inflation, il n'a touché que 9,92 dollars. Le salaire du PDG d'une grande entreprise américaine, qui était en moyenne 40 fois supérieur à celui d'un ouvrier il y a deux décennies, l'est aujourd'hui dans une proportion de 192 contre 1, d'après une étude citée récemment par le magazine The New Yorker portant sur 424 grandes entreprises. Les Américains ont accepté avec une docilité surprenante la baisse de leur niveau de vie au cours des quinze dernières années..."

 

JUPPÉ DÉMISSION !

 

Le fait que Juppé, de par sa fonction, ait été mis au premier plan, ajouté à son style personnel méprisant et hautain, a permis à nombre d'hommes politiques de prendre leurs distances sinon avec ses perspectives politiques du moins avec ses méthodes. De nombreux commentateurs et certains politiciens l'ont ainsi présenté comme un homme assez isolé dans cette affaire, qui aurait pris des décisions pour le moins hâtives et irréfléchies. Même les adeptes du Plan Juppé laissaient entendre qu'il n'y avait pas de raison de vouloir tout faire à la fois et que finalement si l'on s'était contenté de couillonner les salariés progressivement et branche par branche le même résultat final aurait été atteint... sans faire de vagues. Mais au fait le dit Plan Juppé est-il réellement le plan de Juppé, ou bien celui-ci - en accord avec ses propres conceptions - ne fait-il qu'appliquer une ligne sur laquelle s'accordent les castes dirigeantes. Nous avons vu dans le paragraphe précédent en quoi ce plan découlait d'une vision globale issue en particulier de la nomenklatura eurocrate. Cette vision est d'autant plus globale et totalitaire que les directives de la dite nomenklatura pourraient s'élaborer tout autant à Rome qu'à Bruxelles. L'acte fondateur du la CEE en 1957 ne fut-il d'ailleurs pas le Traité de Rome... influencé par deux membres de l'Opus Dei, Alcide de Gasperi et Robert Schuman. Selon la revue InfoSuds[2], les députés européens de l'Opus Dei "misent sur le contrôle de l'évolution institutionnelle de l'Union, en développant le concept de supranationalité à condition que le pouvoir soit confié par les politiques à des techniciens (non élus). Ils ont d'ailleurs obtenu le transfert du pouvoir monétaire européen à un conseil de spécialistes, sur le modèle de la banque centrale allemande, présidée par un membre de l'Opus Dei. En ce qui concerne le contrôle des médias, un autre de ses membres, Marcelino Oreja-Aguirre (ancien ministre franquiste) est chargé des questions audiovisuelles et de la renégociation du traité de Maastricht. Son groupe souhaite abolir "l'exception culturelle" sous réserve d'une moralisation des médias occidentaux, avec l'élargissement de Europe sur le critère de la culture chrétienne et non pas sur celui de la démocratie.

Enfin, à la maîtrise des nouvelles institutions démocratiques, s'est ajouté la défense des grands intérêts économiques. L'outil le plus remarquable fut créé par l'Opus Dei en 1983: la Table Ronde Européenne (ERT). Elle rassemble aujourd'hui 46 multinationales de l'Union (dont la Lyonnaise des Eaux, Total, Danone, Saint Gobain, Lafarge Coppée) parmi lesquelles plus de la moitié de leurs dirigeants sont membres de l'Opus Dei. Ce conglomérat réalise 3500 milliards de francs annuels de chiffre d'affaire (soit plus de deux fois le budget de la France), ce qui lui permet d'imposer ses expériences de développement des réseaux européens d'infrastructure..."

On voit à quel point Juppé peut se sentir soutenu dans la mise en place de son plan et plus généralement de sa politique. D'autant plus que dans son propre entourage, selon le même article, on retrouvait au sein même du gouvernement Juppé 1 (et dans ce qu'il en reste dans le gouvernement Juppé 2) "des membres de l'Opus Dei, avec Jacques Barrot (ministre du dialogue social et de la participation) et Hervé Gaymard (secrétaire d'État aux finances). Et par ses proches, tels les ministres Colette Codaccioni (solidarité entre les générations), Anne-Marie Idrac (transports), Élisabeth Dufourcq (recherche), Nicole Ameline (décentralisation) et Margie Sudre (francophonie). de même que le grand patronat, avec Michel Albert (AGF[3]), Claude Bébéar (AXA assurances), Henri Bonin (BTP Freyssinet), Didier Pineau Valenciennes (Schneider), Henri Pradier (Shell France), Louis Schweitzer (Renault), Marcel Julian (antenne 2).

Ce lobby s'est orienté, depuis le gouvernement Balladur, vers une grande offensive juridique visant à réformer les moeurs du pays. Loin d'être désuète, elle tend à subordonner les droits de l'homme aux droits de dieu. Ces attaques utilisent tout l'arsenal législatif disponible (rapports, propositions de loi,, amendements, réformes de la constitution), et son relayés sur le terrain par les puissantes associations familiales de droite et d'extrême droite, coordonnées par l'Opus Dei. Elles concernent en priorité la remise en cause du droite à l'avortement (des discriminations positives en faveur uniquement des couples mariés sont effectives de par la loi d'urgence relative à la famille) et du droit à la contraception, afin d'assurer la puissance démographique de la chrétienté, et donc l'audience du pape."

Sans vouloir tout expliquer par l'existence d'un complot fomenté au Vatican, il y a pour le moins convergence entre un programme global dont Juppé n'est que le porte parole mais qui est porté par une large part de la classe politique... pas seulement à droite... et pas seulement en France; un modèle de société préconisé par une nébuleuse de sectes grandes et petites dont une partie au moins semble tenir ses ordres de la nomenklatura vaticane (Opus Dei, nébuleuse des groupes et commandos chrétiens anti-avortement,...); et les intérêts des gros actionnaires possédant le capital des grandes entreprises comme des médias pour qui l'essentiel est de faire du fric... quel que soit le prix qu'il faut payer pour cela. Non finalement Juppé n'est pas un homme seul ... pas plus qu'il n'est le valet d'un seul maître!

 

QUI EST L'OTAGE DE QUI ?

 

Les méthodes utilisées par le pouvoir pour monter le reste de la population contre les grévistes ont été des plus classiques: tentative avortée du RPR pour constituer un mouvement "de masse" d'usagers hostiles, utilisation des médias pour mettre en avant les réflexions des mécontents... et surtout l'éternelle tarte à la crème des grévistes qui prennent les usagers en otage ! On peut toujours rétorquer que les soi-disant otages n'avaient qu'à se mettre en grève à leur tour; ce qui est vrai tout en faisant abstraction de la situation concrète: malgré l'ampleur du mouvement gréviste il n'a pas atteint une puissance permettant aux salariés du privé de le rejoindre sans risquer d'en faire finalement les frais. L'idée qui traînait un peu partout que les salariés du public faisaient aussi grève "par procuration" pour ceux du privé, si elle a joué dans la popularité du mouvement, a certainement aussi eu un effet négatif sur son hypothétique élargissement. Mais plus généralement, qui est l'otage de qui, dans une société où le simple fait de ne pas crever de faim, en se vendant à une poignée d'actionnaires, est présenté comme un cadeau fait par ceux-ci. C'est ceux-là même qui ont droit de vie ou de mort sur les hommes et les femmes qui n'ont d'autre choix que de vendre leur énergie pour survivre qui traitent de preneurs d'otages des salariés qui à leur grand regret ne se comportent pas totalement en esclaves. Vraiment, au royaume du salariat le cynisme est roi !


 

 

ÉLÉMENTS POUR UNE CRITIQUE DU POPULISME

 

" ... Le Pen a déclaré à la cantonade que ses idées ne rejoignaient pas seulement celles de Jirinovski, mais aussi celles du camarade Lénine, qui avait appelé tous les prolétaires à s'unir, et dont le slogan  aujourd'hui serait "Patriotes de tous les pays, unissez-vous !"..."

Iouri Krioutchov, journaliste du quotidien Kouranty (Le Carillon), à propos de la rencontre entre Le Pen et Jirinovski , à Moscou, le 10 février 1996 (reproduit dans Courrier International, 29 février/ mars 1996).

 

Pourquoi une critique du populisme ? Pourquoi même se poser la question du populisme, ce qualificatif à la mode bien que sans définition précise puisqu'il reste ignoré des dictionnaires, du moins dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui ! Certes on perçoit bien de quoi il s'agit lorsque la démagogie populiste prend la forme du discours politicien des Le Pen, Laguiller et compagnie. Mais elle prend des formes plus sournoises et bien malin celui qui peut prétendre qu'il n'y est jamais sensible et même qu'il n'en fait jamais usage. Qui n'a jamais essayé, sous prétexte de convaincre, de séduire son interlocuteur en prononçant les mots qu'il a envie d'entendre ? Qui n'a jamais relevé la justesse d'une prise de position ponctuelle, d'une analyse particulière, de telle ou telle fieffée crapule. On peut bien entendu se limiter à cette constatation. Nous avons tous nos faiblesses ! On peut à l'opposé se considérer au dessus de tout cela, tant la critique radicale[4] nous place au dessus de tout cela! En fait, il faut bien constater que cette critique bien loin de constituer un rempart absolu contre le populisme peut parfois être une faille par lequel il s'insinue. Le populisme ne nourrie en permanence de la critique de la société. Qu'on ne se trompe pas sur le sens de ce que je veux dire par là. Il ne s'agit pas de reprendre à mon compte le vieux discours sur les extrêmes qui se rejoignent, discours du conservatisme social s'il en fût. Si l'on peut par exemple comparer, voire amalgamer, stalinisme et fascisme, c'est à condition de dénoncer la supercherie consistant à les présenter comme deux extrémismes opposés alors qu'il ne s'agit que de deux variantes voisines des conceptions portant sur la gestion du capitalisme. Mais il n'en reste pas moins vrai que le populisme - en tant que fausse critique radicale de la société - s'approprie en les dénaturant de nombreux points des critiques véritables. A l'inverse, il sait se montrer souvent suffisamment séduisant pour en piéger plus d'un. De fait, pour les individus qui se posent des questions sur ce monde, il n'est pas toujours aisé de se frayer un chemin entre une idéologie populiste aux raisonnements simplistes promettant des lendemains qui chantent, et une critique radicale qui dans l'immédiat n'a guère plus à proposer qu'un surcroît de lucidité et d'exigence vis-à-vis de soi-même et des autres. Pourtant le choix de la facilité est factice et l'on serait bien en peine de dénombrer ses victimes.

A ce qui précède, s'ajoute la réflexion provoquée par le mouvement social de décembre 1995. Si ce mouvement a surpris tout le monde par son ampleur - ce qui est vrai pour tout mouvement de ce type ! - il a surtout été caractérisé par la convergence de deux phénomènes: un mécontentement profond pouvant aller jusqu'à une interrogation sur les valeurs fondatrices de la société contemporaine (soumission au marché,...) et l'absence de recette politicienne pouvant tenir lieu d'alternative. Dans un premier temps, il ne semble pas que les démagogies populistes soient parvenues à réellement tirer parti de cette situation (sinon indirectement au travers de leurs influences sur les syndicats), mais il s'agit pour elles d'un terrain fertile. C'est ce qui m'a poussé dans les temps d'incertitudes que nous traversons à rassembler des réflexions qui se veulent des jalons pour une critique du populisme. Cette critique, comme toute autre, souffre des limites propres à son auteur. Je laisse à d'autres le soin d'en débusquer les faiblesses et d'en combler les lacunes.

 

LE POPULISME CONTEMPORAIN

 

Ce que nous nommons aujourd'hui le populisme n'est certainement pas une invention récente. Il suffit de songer à certains aspects du Prince de Machiavel. Mais chaque époque, chaque société, produit les idéologies qui la servent. Le populisme de ce siècle ne pouvait puiser son inspiration, sa justification, que dans les couches sociales dépourvues de pouvoir sur la société et pour une large part de ses richesses, pour s'assurer de leur calme. Quitte à faire bondir certains, je pense que ce populisme contemporain se confond pour une part avec ce que l'on a nommé le "mouvement ouvrier"[5]. Une partie de ce mouvement n'a jamais caché qu'il ne s'agissait pour lui que d'obtenir certains aménagements sans remettre en cause le système social - ce qui sort de notre champ de réflexion. Les autres, qui se sont définirent parfois comme "révolutionnaires" se caractérisent par un double langage, généralement concrétisé par l'existence de deux programmes, un "minimum" et un "maximum". Avant la première guerre mondiale, ce double langage s'exprime dans la social-démocratie, regroupant en particulier (mais pas uniquement) l'aile marxiste du mouvement ouvrier. Il se retrouve également dans le syndicalisme révolutionnaire où se juxtaposent programme revendicatif minimum et appel à l'abolition du salariat[6]. Voir dans ce mouvement ouvrier une source du populisme n'implique pas de nier son hétérogénéité ni la présence d'éléments sincères. Les ruptures radicales (mais minoritaires) qui se produiront en son sein sont là pour en témoigner.

L'entrée en guerre de 1914 et les événements sociaux qui éclateront en Europe les années suivantes suffisent pour comprendre ce qui se dissimulait derrière le double langage socialiste. Cette période est d'ailleurs exemplaire par rapport à l'analyse que l'on peut faire du populisme, dans le sens où l'on y retrouve une sorte de schéma type. Résumons. Face à une crise grave, c'est-à-dire à l'ouverture d'une période où les moyens jusque là classiques de gestion du capitalisme ne suffiront visiblement plus, les populistes de la veille sont amenés à abandonner du jour au lendemain leur "programme maximum" pour assurer le sale boulot (embrigadement vers la guerre, répression sanglante,...). Ceci  conduit nécessairement à des ruptures, que l'on peut subdiviser en deux catégories: i) des ruptures radicales et, parallèlement ii) une radicalisation du populisme amplifiant la confusion. Cette confusion se retrouvera particulièrement au niveau des individus, ballottés par les événements, dont l'adhésion aux ruptures radicales ou populistes sera influencée par des hasards divers: charisme personnel des porte-paroles de ces ruptures, circonstances locales,...

L'application de ce schéma à la période qui va de 1914 aux années 20 est aisée.

Jusqu'en 1914, le mouvement ouvrier organisé hurle à tous vents qu'il s'opposera à la guerre par tous les moyens. Face à l'imminence de la guerre, ce même mouvement se trouve en tête des bellicistes. Les députés sociaux-démocrates votent à la quasi unanimité des crédits de guerre. Ce pseudo-revirement se fait au nom d'une idéologie qui constitue une des constantes du populisme: l'Union Sacrée. Pour celle-ci, quand un danger menace la nation, les citoyens, autrement dit le peuple, serrent les rangs, oublient leurs querelles pour reconstituer l'unité nationale autour de l'État. Face à l'ennemi extérieur, tous les "nationaux", sauf une poignée de traîtres, se retrouvent coude à coude pour la défense de la patrie et pour sa grandeur. Le triomphe de cette idéologie est assuré non seulement en raison du matraquage de la propagande et de la censure, mais aussi de la répression qui réduisent les traîtres au silence. C'est ainsi qu'en 1919, le gouvernement socialiste de Noske, au pouvoir en Allemagne, écrase la révolution (assassinat des spartakistes).

En réaction à la guerre et au dévoilement des organisations marxistes ou anarchistes traditionnelles des minorités et individus se radicalisent, qu'ils soient marxistes, syndicalistes révolutionnaires, anarchistes individualistes,... Je ne rentrerais pas dans le détail de ceux-ci. Chacun reconnaîtra les siens[7]  et ceci nous éloignerait du fil conducteur de ce texte. Une petite appartée tout de même pour revenir à l'exemple de la révolution allemande. Celle-ci est exemplaire pour de multiples raisons: il s'agit du seul mouvement révolutionnaire d'ampleur à surgir face à la guerre dans un pays capitaliste développé, l'Allemagne est en quelque sorte la patrie du mouvement ouvrier traditionnel en général et de la social-démocratie en particulier, les ruptures qui se font à cette occasion sont à la fois parmi les plus radicales pour l'époque et les plus massives,... Au sein de la "mouvance radicale" on retrouve à la fois des "communistes de gauche"[8], "unionistes"[9], anarcho-syndicalistes. Mais le même mouvement voit se développer un courant "National-bolchévik", partageant pour un temps, mais pour des raisons différentes, certaines positions des radicaux. Ce courant, ouvertement nationaliste et populiste, préfigurera certains aspects du nazisme[10].

 

LE BOLCHEVISME, STADE SUPRÊME (PROVISOIREMENT) DU POPULISME

 

" Nous regardions Charybde, dans  notre crainte de la mort; à ce moment Scylla dans le creux du vaisseau emporta six de mes hommes, les meilleurs par la force de leurs bras. Comme je tournais les yeux vers mon vaisseau rapide et mes compagnons, je  n'aperçut plus que leurs pieds et leurs mains enlevés en l'air... Et Scylla, à la porte de son antre, les dévorait tout criants, tendant les bras vers moi dans leur effroyable détresse."

Homère, Odyssée, chant III.

Parmi les courants qui s'opposent à la guerre de 14-18, au moins lors de son engagement, figure en Russie le parti bolchevik, initialement regroupement de tendances disparates allant de variantes de la social-démocratie à des formes de "communisme de gauche" proches de celles évoquées à propos de l'Allemagne. L'aile

 léniniste de celui-ci, tirant les leçons des échecs de l'ancien populisme socialiste, saura le rénover, lui donner un caractère moderne et radical. De 1918 à 1921, le parti bolchevik (sa direction léniniste) assume la liquidation du pouvoir des soviets et crée la Tchéka (police politique), les premiers camps de concentration pour les opposants, la militarisation du travail,... La Russie bolchevique se révèle de plus en plus au cours des années représenter un laboratoire du fascisme (rouge!) où se peaufinent les recettes du fascisme brun qui va bientôt gouverner d'autres États européens. Ce processus sera analysé quelques années plus tard par un des théoriciens de la gauche communiste allemande, Otto Ruhle:

"Pour éclairer le caractère fasciste du système russe, Ruhle revient une fois de plus au "Gauchisme, maladie infantile du communisme" de Lénine, car "de toutes les déclarations programmatiques du bolchevisme elle est la plus révélatrice de son caractère réel". Quand en 1933, Hitler supprime toute la littérature socialiste en Allemagne, raconte Ruhle, la publication et la diffusion de la brochure de Lénine fut autorisée. Dans ce travail, Lénine insiste sur le fait que le parti doit être une sorte d'académie de guerre de révolutionnaires professionnels. Ses principales exigences étaient les suivantes: autorité inconditionnelle du chef, centralisme rigide, discipline de fer, conformisme, combativité et sacrifice de la personnalité aux intérêts du parti... Avec Lénine s'éclaire d'une lumière vive la règle de l'ère machiniste dans la politique: c'était le "technicien", "l'inventeur" de la révolution. Toutes les caractéristiques fondamentales du fascisme étaient dans sa doctrine, sa stratégie, sa "planification sociale", et son art de traiter les hommes. Il n'a jamais appris à connaître les conditions fondamentales de la libération des ouvriers, il ne s'est jamais soucié de la fausse conscience des masses et de leur auto-aliénation humaine. Tout le problème pour lui n'était rien de plus ou de moins qu'un problème de pouvoir...

Il n'est plus nécessaire de mettre en évidence les nombreux "méfaits" du bolchevisme en Allemagne et dans le monde en général. Dans la théorie et dans la pratique le régime staliniste s'affirma lui-même une puissance capitaliste et impérialiste, s'opposant non seulement à la révolution prolétarienne, mais même aux réformes fascistes du capitalisme. Et il favorise en réalité le maintien de la démocratie bourgeoise pour utiliser plus pleinement sa propre structure fasciste. De même que l'Allemagne avait très peu d'intérêt à étendre le fascisme au delà de ses frontières et de celles de ses alliés puisqu'elle n'avait pas l'intention de renforcer ses rivaux impérialistes, de même la Russie s'intéresse à sauvegarder la démocratie partout sauf sur son propre territoire. Son amitié avec la démocratie bourgeoise est une véritable amitié; les fascisme n'est pas un article d'exportation, car il cesse d'être un avantage dés qu'il est généralisé. En dépit du pacte Staline-Hitler, il n'y a pas de plus grands "antifascistes" que les bolcheviks, pour le bien de leur propre fascisme indigène. Ce n'est qu'aussi loin que s'étendra leur impérialisme, s'il s'étend, qu'ils se rendront coupables de soutenir consciemment la tendance fasciste générale.

Cette tendance fasciste générale n'a pas sa souche dans le bolchevisme mais le comprend en elle. Elle a sa souche dans les lois particulières de développement de l'économie capitaliste. Si la Russie devient en fin de compte un membre "décent" de la famille capitaliste des nations, les "indécences" de sa jeunesse fasciste seront à tort prises de certains côtés pour un passé révolutionnaire. L'opposition contre le stalinisme, toutefois, à moins qu'elle ne comporte l'opposition au léninisme et au bolchevisme de 1917, n'est pas une opposition, mais tout au plus une querelle entre rivaux politiques aussi longtemps que le mythe du bolchevisme est encore défendu en opposition à la réalité staliniste...

Le triomphe du fascisme allemand, qui n'était pas un phénomène isolé mais était en étroite liaison avec le développement antérieur de la totalité du monde capitaliste, ne causa pas l'engagement d'un nouveau conflit mondial des puissances impérialistes mais n'en fut qu'un simple auxiliaire. Les jours de 1914 étaient revenus. Mais pas pour l'Allemagne. Les chefs ouvriers allemands étaient privés de "l'émouvante épreuve" de se déclarer une fois de plus les enfants les plus authentiques de la patrie. Organiser la guerre signifiait instituer le totalitarisme et revenait à éliminer beaucoup d'intérêts particuliers. Dans les conditions de la République de Weimar et à l'intérieur de la charpente de l'impérialisme mondial, cela n'était possible que par la voie des luttes intérieures. La "résistance" du mouvement ouvrier allemand au fascisme, qui n'était pas de plein coeur en premier lieu, ne doit pas toutefois être prise pour une résistance à la guerre. Dans le cas de la social-démocratie et des syndicats, il n'y avait pas de résistance mais simplement une abdication accompagnée de protestations verbales pour sauver la face. Et même cela ne vint que dans le sillage du refus d'Hitler d'incorporer ces institutions dans leur forme traditionnelle et avec leurs chefs "expérimentés" dans l'ordre des choses fascistes. La "résistance" de la part du parti communiste ne fut pas non plus une résistance à la guerre et au fascisme comme tels, mais seulement dans la mesure où ils étaient dirigés contre la Russie. Si les organisations ouvrières en Allemagne furent empêchées de prendre parti pour leur bourgeoisie, dans toutes les autres nations elles le firent sans discussion et sans lutte."[11].

 

UN PROGRAMME POLITIQUE CRÉDIBLE POUR LA GESTION DE L'ÉTAT : LE TRAVAIL REND LIBRE

 

"Je sais combien la nation allemande aime son Führer. J'aime donc boire à sa santé."

J. Staline, lors de la signature du pacte germano-soviétique (cité dans: A. Rossi, Deux ans d'alliance germano-soviétique, Librairie Fayard).

Dans les années 20-30, le populisme dépasse son statut antérieur d'idéologie, pour acquérir celui de programme politique crédible pour la gestion de l'État. Au pôle de référence constitué par la Russie stalinienne, s'ajoute un second: l'Italie de Mussolini. Naturellement, une sympathie diffuse s'établit entre les deux régimes. "Ainsi la revue de FIAT "Bianco e Rosso" annonçait en 1930 que la firme équipait une usine à Moscou, "ce qui représentait la contribution de FIAT à l'industrialisation soviétique". On remarquait également la publication d'un livre curieux de Renzo Bertoni Il trionfo del fascismo nell'URSS  en 1934. L'auteur, après avoir fait en 1931 sa thèse sur un sujet similaire, a séjourné un an en URSS. Dans son livre, il constate l'identité globale des deux systèmes "ennemis des principes libéraux démocratiques", mais il souligne des différences: "Le Bolchevisme, pour surmonter les contradictions du vieux monde, a détruit les forces d'opposition pour niveler par la  base. Le Fascisme a contraint ces forces à collaborer pour arriver à un nivellement vers le haut". Et Bertoni, qui mettait en évidence le

terrorisme du régime bolchevique, prédisait: "Même si ce Régime dure en la personne de Staline, on peut considérer comme sûr, en particulier en ce qui concerne l'organisation de la production et la réglementation des rapports entre les classes, un abandon définitif de la doctrine marxiste et une grande présence ("attuazione") des principes fascistes"[12]. Populismes brun et rouge mettent en avant une même idée-force, répondant aux nécessités d'un capitalisme moderne: la valorisation du travail non seulement en tant que source de profit, mais également comme instrument d'intégration dans l'État, de garant de la paix sociale[13]. Pour cette valorisation du travail, le populisme des années 30 a à sa disposition non seulement son programme de promesses démagogiques, mais au travers de sa gestion de l'État le contrôle d'une série d'organisation de masses en charge de l'essentiel des questions sociales: assurances sociales, travaux publics contre le chômage, organisation des loisirs,... Cette conception générale étant encore une fois commune aux populistes bruns et rouges (ou de droite et de gauche), l'anti-fascisme n'a pu et ne peut être qu'une tentative de réforme du fascisme. Ceci est bien illustré par le comportement du Parti Communiste Italien (PCI) après le VII° congrès de l'Internationale Communiste en 1935. En revendiquant le remplacement de Mussolini, rendu personnellement responsable de la guerre d'Abyssinie, par un autre gouvernement, la propagande du PCI devient de plus en plus nationaliste. Vers le milieu de 1936, elle se prononce pour les réconciliation de tous les italiens, fascistes et non fascistes, pour la réalisation du programme fasciste de 1919, expression avancée pour l'époque du programme populiste. Dans le numéro d'août 1936 de "State Operaio" est publié un appel du PCI sous le titre:

POUR SAUVER L'ITALIE, IL FAUT RÉCONCILIER LE PEUPLE ITALIEN !

Dans cet appel on lit:

"Peuple italien! Fascistes de la vieille garde! Jeunes fascistes! Nous autres communistes nous faisons nôtre le programme fasciste de 1919, qui est un programme de paix, de liberté, de défense des intérêts des travailleurs et nous vous disons: luttons tous unis pour réaliser ce programme!"

On ne parle même plus d'éloigner Mussolini, on est disposé à conclure une alliance avec "les dirigeants fascistes honnêtes". Cette tentative de Front Populaire/Populiste à l'italienne faisait semblant d'ignorer en quoi il était impossible: le fascisme était obligé pour imposer sa politique de réprimer toute tentative de pression exercée par une autre organisation... fut-elle proche de sa propre logique. Ceci d'autant plus que le fascisme avait appris du bolchevisme l'importance que pouvait tenir un leader charismatique, véritable gourou à l'échelle de l'État. D'autres, dans d'autres contextes géopolitiques joueront également ce rôle, de Adolf Hitler à Maurice Thorez... J'y reviendrais dans la suite de cet article.

Une vision générale du populisme dans cette période nécessiterait également d'en considérer deux autres expressions: le populisme espagnol durant la guerre d'Espagne (sous sa forme franquiste et dans ses variantes républicaines); et le populisme sioniste. Pour le premier de ceux-ci, il est difficile de l'analyser en tant que tel, sans l'englober dans les problèmes posés par le mouvement révolutionnaire en Espagne. Pour le second, l'essentiel des éléments sont déjà contenus dans un ouvrage paru cette année: "Aux origines d'Israël. Entre nationalisme et socialisme", par Zeev Sternhell, chez Fayard.

 

 

 

 

 


 

A LIRE... A VOIR... OU A ENTENDRE 

 

Quelques textes lus ou bien entendus dire ces derniers mois contribuent à un bilan sans complaisance de ce siècle finissant, de la folie des hommes comme de leurs espoirs.

 

Le premier est issu de ce que l'on nommait en d'autres temps une "édition militante".. expression bien laide pour définir l'effort de quelques une pour faire connaître des textes n'ayant aucune chance d'intéresser les marchands. Le titre lui-même sonne très militant :

"Les internationalistes du "troisième camp" en France pendant la seconde guerre mondiale" (Éditions Acratie, L'essart, 86310 La Bussière / Échanges, B.P. 241, 75866). Ce texte est précédé d'une tentative de biographie de l'auteur, Pierre Lanneret alias Camille. Après la seconde guerre mondiale, celui-ci participa, après un passage dans le courant dit la "Gauche Italienne" (influencé par Bordiga), au groupe Socialisme ou Barbarie. Il émigra au début des années 50 au Canada, puis à San Francisco. Il fut l'un des animateurs d'un éphémère groupe de radicaux californiens "A world to win", publiant la revue "Now and After". C'est depuis les États-Unis que Pierre Lanneret a rassemblé dans le texte reproduit des informations sur quelques groupes qui devant affronter les tempêtes de la seconde guerre mondiale refusèrent d'adhérer à l'un des camps impérialistes qui s'affrontaient alors. Il s'agit principalement de trois groupes appartenant à "l'ultra-gauche marxiste": le RKD-CR, le GRC-ICI et la Gauche Communiste Internationaliste, d'autres courants étant évoqués au passage. Au delà du risque de s'empêtrer dans la forêt des sigles, ce texte témoigne de l'attitude courageuse de d'une partie de ceux qui ne capitulèrent pas devant les pièges dressés par le fascisme et l'anti-fascisme. En ce sens il converge avec la réflexion critique sur le populisme que nous entamons dans ce numéro. Il nous informe aussi sur l'itinéraire de groupes qui tout en restant pour partie ancrés dans des idéologies antérieures contribuèrent à l'émergence d'analyse radicales après guerre.

 

Le seconde est de nature totalement différente, puisqu'il traite  d'un sujet très médiatique: "Enquête sur les extrémistes de l'occulte: De la loge P2 à l'ordre du temple solaire" par Renaud Marhic" (135 F à: L'HORIZON CHIMÉRIQUE; 17, rue Roger Allo, 33000 Bordeaux). Mais loin de chercher le scoop à tout prix (ce qui n'est pas dans le style de cette collection d'une grande tenue), l'auteur s'est efforcé d'aller au fond de problème, s'appuyant sur des informations vérifiées. Ceci l'amène a mettre en avant la composante politique du tristement célèbre ordre du temple solaire (OTS). On y découvre les accointances - permanentes depuis 1952- entre ces "néo-templiers" et des organisations telles que le SAC en France et la Loge P2 en Italie. Loin du rassemblement folklorique de quelques illuminés, nous découvrons une société secrète structurée, aux multiples ramifications dans différents lieux de pouvoir. On y voit également les liens de solidarité qui réunissent les différentes organisations occultes, des plus faussement anodines jusqu'à celles qui infiltrent l'appareil d'État.

 

WILLIAM MORRIS: L'ÂGE DE L'ERSATZ et autres textes contre la civilisation moderne (90 F aux "Éditions de l'encyclopédie des nuisances, 74, rue de Ménilmontant, 75020 Paris), donne à découvrir une partie des textes jusqu'ici inaccessibles en français (articles et conférences) du critique lucide de la civilisation et du travail salarié. Pour vous mettre l'eau à la bouche et inciter ceux qui n'ont jamais rien lu de W. Morris à la découvrir, le premier paragraphe du texte qui donne son titre au recueil (il s'agit d'une conférence donnée en 1894 dans un quartier populaire de Manchester:

`" De même que l'on nomme certaines périodes de l'histoire l'âge de la connaissance, l'âge de la chevalerie, l'âge de la foi, etc..., ainsi pourrais-je baptiser notre époque "l'âge de l'ersatz". En d'autres temps, lorsque quelque chose leur était inaccessible, les gens s'en passaient ne souffraient pas d'une frustration, ni même n'étaient conscients d'un manque quelconque. Aujourd'hui en revanche, l'abondance d'informations est telle que nous connaissons l'existence de toutes sortes d'objets qu'il nous faudrait mais que nous ne pouvons posséder et donc, peu disposés à en être purement et simplement privés, nous en acquérons l'ersatz. L'omniprésence des ersatz et, je le crains, le fait de s'en accommoder forment l'essence de ce que nous appelons civilisation."

 

"LA TRILOGIE" d'Arnold Wesker nous offre une peinture du vingtième siècle dont la lucidité rejoint celle de William Morris, d'ailleurs cité au passage. Il s'agit d'un ensemble de trois pièces, fortement autobiographiques, qui nous transportent successivement (1936-1959) à Londres dans une famille ouvrière juive... et stalinienne originaire d'Europe centrale; dans l'Angleterre profonde d'une famille d'ouvriers agricoles du Norfolk; puis dans la tentative d'un jeune couple retiré dans le nord-est de l'Angleterre de vivre autre-chose au travers d'un travail artisanal beau et créatif... à la manière de Morris. Cette tentative sera un échec la logique du système finissant par l'emporter. Un même personnage, présent ou absent, traverse les trois pièces, Ronnie Kahn, futur poète socialiste et figure de l'auteur. La Trilogie a tourné en 1996 mise en scène par Jean-Pierre Loriol et servie par une équipe de jeune comédiens convaincants. L'extrait qui suit est tiré du premier volet de la trilogie. Il est prononcée par la fille de la famille, Ada, ex-militante active des jeunesses communistes, dont le fiancé (Dave) s'est engagé dans les brigades internationales en Espagne. A la fin de la guerre, c'est ce jeune couple qui se retirera pour  tenter une vie en rupture avec la civilisation industrielle.

"Maman, je suis fatiguée. J'ai passé dix-huit mois à attendre que Dave revienne d'Espagne et cela fait maintenant six ans que j'attends qu'il rentre de cette guerre contre le fascisme. Je suis fatiguée. Six ans jour après jour dans des bureaux à vérifier des livres de comptes et à travailler avec des filles - de pauvres idiotes qui se tartinent de rouge à lèvres et passent leur temps à glousser. et pour Dave c'est pareil - il dit qu'il se battait aux côtés d'hommes qui ne savaient pas pourquoi ils faisaient la guerre. Loin de leurs femmes il se comportaient comme des bêtes. En réalité ils voulaient échapper à leurs femmes pour pouvoir se comporter comme des bêtes. Donne-leur une autre guerre et ils y retournent en courant. Eh oui! Le temps passé à l'armée a tué toutes les illusions que Dave pouvait avoir avant sur la splendide et glorieuse classe ouvrière.

(...)

La seule société pourrie, c'est la société industrielle. Elle oblige un homme à se mettre sur la tête puis elle lui fait croire que c'est comme ça qu'il est bien! Je vais vous dire quelque chose. Ce n'était pas les trotskistes ni les sociaux-démocrates qu'il fallait combattre. C'était le progrès! Voilà! Le progrès! Et personne n'a osé contester le progrès.

(...)

Vous ne vous êtes jamais élevés contre la jungle de la société industrielle. Vous n'avez jamais voulu en détruire les valeurs - seulement vous les approprier. Le seul crime pour vous ce n'est pas qu'un homme passe toutes ses journées devant une machine, c'est qu'il n'en soit pas le propriétaire. Seigneur! La gloire d'être propriétaire d'une machine!

(...)

Quelle arrogance te permet de dire que tu peux réunir un milliard de personnes dans une seule théorie? C'est une arrogance énorme, gigantesque, prodigieuse, égoïste, tu ne trouves pas?

 

LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS de Bernard Marie Koltès, autre texte théâtral contemporain. Le récit d'un homme qui cherche la rencontre dans un monde hostile qui ne lui laisse ni répit, ni le temps de se raconter... le monde urbain d'aujourd'hui. Une seule chose à dire sur ce texte puissant: à lire et ... à voir si la possibilité s'en présente (Production Compagnie du Hérisson, mise en scène Christophe Gervot, avec Airy Routier).

 

BIENTÔT LA CONSOMMATION FERA PARTIE DU SENS CIVIQUE (Y.R.)

 

Etre gavé de marchandise pour assurer la prospérité de la collectivité ?

 

UN APPEL D’AIR

 

Histoire de garder en mémoire la nature toxique de toute religion.

 

 

LIENS

 

Page d’accueil

 

Biographie de Kibalchiche/Victor Serge

 

 

 

 



[1] Les citations suivantes sont extraites de son analyse publiée dans Courrier International N°268-269, 21/12/95. Cet éditorialiste n'affiche pas ailleurs, c'est le moins que l'on puisse dire, aucune sympathie pour les grévistes français, mais est favorable à un "capitalisme social".

[2]OPUD DEI: La mafia des culs-bénits, InfoSuds N°14, 4° Tri. 95, pp. 16-17.

[3]Par ailleurs un des actionnaires du Monde (au côté d'Élisabeth Badinter, fille du "roi de la publicité" Bleustein-Blanchet), tout comme de Libération; administrateur du Crédit Lyonnais... et semble-t-il affilié à la Trilatérale, synarchie internationale politico-financière . Nous ne sommes bien sûr pas en mesure de vérifier les informations "personnelles" données dans ces texte, qui supposent le sérieux des sources utilisées (pour cette note, la brochure "La gauche trahie, au profit du capitalisme").

[4] Sur ce que j'entend ici par critique radicale, radicalisme,... cf. "Partir de l'homme", Le P.I. hiver 91/92 (épuisé), extrait du livre de D. MacDonald "Le marxisme est-il en question"; "Une critique du radicalisme à la petite semaine; "La théorie radicale" (F. Faun), le P.I. 1994, les textes de L. Kibalchiche/V. Serge publiés dans le P.I.,...

[5] Rappelons pour mémoire que par ce terme on ne désigne pas un mouvement regroupant "les ouvriers" sur la base d'une appartenance sociologique, mais le mouvement dont le programme est de défendre les intérêts des ouvriers tant sur le plan politique (au travers de partis de masse) qu'économique (au travers de syndicats catégoriels). Ceci pour que les choses soient claires et en dehors de tout jugement de valeur.

[6]Cette remarque est toujours d'actualité. Ainsi un tract du groupe "Alternative Libertaire" se réclamant d'une "alternative anticapitaliste", diffusé en décembre 1995, se termine par toute une série de revendications en gros caractères que l'on croirait tirées des programmes des partis sociaux-démocrates du XIX° siècle: gestion démocratique des services publics, réduction de la semaine de travail, réquisitions,... Seul le hasard me fait tomber sur ce tract, mais on pourrait trouver le même "programme minimum" dans la prose de la plupart des groupes "anarchistes" ou "marxistes".

[7]On pourrait ajouter que chacun n'a bien souvent tendance qu'à reconnaître les siens quand ce n'est pas à les idéaliser, tout en se masquant les apports à la réflexion d'autres ruptures radicales... sous prétexte qu'elles ne sont pas issues d'une matrice idéologique portant la bonne étiquette.

[8]Il s'agit des fondateurs du Parti Communiste Allemand, puis du Parti Communiste Ouvrier Allemand (KAPD) qui donnera lui-même jour à différentes scissions après la retombée du mouvement révolutionnaire.

[9]Proches des communistes de gauche, mais défavorables à la constitution d'un parti et partisans des seules organisations d'usine.

[10]Les principaux théoriciens de ce courant sont Laufenberg et Wolffheim, qui firent un passage au KAPD. Après leur exclusion ils fondent la Ligue des Communistes, puis une Association Libre pour l'Étude du Communisme Allemand, dont Laufenberg dira qu'elle lutte pour une Folksgemeinschaft (terme employé par les nazis pour désigner la communauté populaire).

[11] Otto Ruhle, Biographie de Paul Mattick dont la traduction fut publiée après 1968 dans la revue ronéotée "Cahiers du Communisme de Conseils" (Marseille), puis reprise en 1973 dans la brochure "Conseils Ouvriers en Allemagne 1917-1921" (VROUTSCH série La Marge N°9-11) publiée à Strasbourg.

[12] Introduction à " Togliatti: Appel aux fascistes" (Ed. Nautilus, 1983).

[13] Il s'agit de ce travail "moderne" revendiqué par Lénine dés 1917 (Les tâches immédiates du pouvoir des soviets) : "De toute façon, la soumission sans réserves à une volonté unique est absolument indispensable au succès d'un travail organisé sur le modèle de la grande industrie mécanique".

Hosted by www.Geocities.ws

1