INTERROGATIONS AVRIL 1989

QU'AVONS NOUS PERDU ?. 1

DE  L'ARTISANAT A LA MARCHANDISE. Le cuir et l'industrie du cuir. Suivi de commentaires (1989) 2

 MOTS DE COMBAT SUR LE FUTUR DE LA TERRE (Mother Jones, Décembre 1980, p 24-38)

 

QU'AVONS NOUS PERDU ?

De somptueuses galeries commerçantes englouties par des champs sans enclos.

  Les parcs de stationnement sacrifiés à un habitat aux dimensions humaines.

  Le Progrès et la Technologie sacrifiés sur l'autel de la nature.

  Les tours rasées pour construire des habitations communautaires.

  Les puissants barrages maîtrisés et domestiqués par des rivières s'écoulant librement.

  La production de masse et le travail à la chaîne dépassés par l'habileté et la maîtrise manuelle.

  Les supermarchés et l'agriculture chimique dévastés par une nourriture abondante librement récoltée par tous.

  La violence organisée de la guerre mondiale vaincue par des jeux ritualisant les conflits.

  Les réseaux d'information informatisés renversés par l'art de conter autour d'un feu de camp.

  La Bourse et les profits sapés par l'exercice du don.

  Les déserts envahis par les forêts.

  La Religion dévorée par des fêtes spontanées et des mythes vivants.

  Une force de travail efficace perdue par la poursuite de ses propres désirs.

  Les lumières de la ville s'assombrissent; les étoiles brillent.

  Les pendules ont toutes été écrasées.

  On danse dans les champs.

  La musique est dans l'air.

  Les rêveurs sont éveillés.

  Il n'y aura pas de retour en arrière

... Mais qui le voudrait ?

 

DE  L'ARTISANAT A LA MARCHANDISE. Le cuir et l'industrie du cuir. Suivi de commentaires (1989)

Le texte que nous présentons est adapté d'un article paru dans la revue américaine THE ANIMALS' AGENDA, Sept-Oct 1988, qui traitait du cuir et de l'évolution de l'artisanat de ce matériau jusqu'à son émergence actuelle en marchandise vecteur de mode et de profit.

Ce qui nous a semblé intéressant ce  sont les rappels de la part tenue par le cuir au cours de l'histoire humaine, ainsi que le fait que l'homme d'aujourd'hui soit tellement éloigné de la nature qu'il en arrive à consommer des peaux animales sous prétexte de mode, comme on consomme n'importe quoi d'autre, juste pour le plaisir de consommer. Les auteurs de cet article n'envisageant la consommation du cuir qu'en ce qu'elle a d'affreux pour les animaux en viennent à proposer des substituts au cuir. Il nous a semblé insuffisant de se limiter à cette unique constatation ignorant les dangers de ces alternatives. Nous avons donc remplacé, en conclusion, cette partie du texte par nos propres réflexions.

Le travail du cuir remonte au moins à 600000 ans, quand les premiers êtres humains ont fabriqué des outils pour façonner et assouplir la peau animale. A cette époque le cuir était utilisé pour faire des couvertures pour recouvrir le sol des cavernes, couvrir les huttes, fabriquer  les coques de bateaux, des boucliers et des casques de protection, et bien sûr pour les vêtements. Les premiers pagnes, chaussures, corsets, ceintures, brassards, tabliers et haut-de-chausses étaient en cuir. La plupart des premiers édits des gouvernements et des églises ont été écrit  sur des parchemins faits  de peau de chèvre et de mouton. L'art primitif et médiéval utilisait le cuir; et quelques-unes des premières formes de monnaie ont consistées en inscriptions  sur du cuir ou en pièces de cuir où  des valeurs étaient gravées. Le cuir a parfois été utilisé comme nourriture à certains moments de l'Histoire. Durant le voyage de Magellan vers le Pacifique en 1611, la réserve de nourriture de ses navires épuisée, l'équipage dû faire bouillir et consommer toutes les choses faites en peau animale afin de survivre, comme le firent des dizaines de milliers de paysans chinois quand une famine se déclara au XVIème siècle.

Cependant ce qui fut pendant des siècles un artisanat familial, un art et un moyen de survie pour des populations indigènes est maintenant devenu une affaire hautement profitable, laquelle dépend chaque année de la mort de million d'animaux. Le cuir a été transformé d'article de subsistance en article de statut, d'article de protection en accessoire de mode et d'artisanat communautaire en marchandise pour le marché. Une seule Rolls Royce, par exemple, nécessite aujourd'hui pour sa garniture intérieure huit peaux entières de bétail élevé spécialement pour cela. Avec les vêtements et autres équipements, le "chic" est privilégié par rapport au confort et la mode prévaut sur l'utilité à cause de l'industrie. C'est à tel point que le cuir en tant que "baromètre de la civilisation" mesure maintenant le point auquel nous sommes parvenus, changeant les animaux en marchandises.

En 1611, Thomas Gates et d'autres parmi les premiers colons introduisirent le bétail aux États-Unis, et en 1623, Experience Mitchell établit la première tannerie près de Plymouth (Massachusetts) où l'on trouvait en abondance une espèce d'arbre dont l'écorce était utilisée en tannerie. Les tanneries étaient alors constituées seulement de plusieurs grandes cuves dans le sol et d'un atelier situé à côté avec une chaudière pour sécher et corroyer le cuir. A l'inverse d'aujourd'hui, le cuir était produit uniquement pour couvrir les besoins locaux, et la plupart des dépouilles et des peaux   provenaient d'animaux sauvages qui avaient été chassés et tués pour la nourriture. Comme les colonies se développèrent le nombre de tanneries augmenta; en 1795 elles étaient au nombre de 2400; en 1850, 6600 existaient; et en 1870 le nombre s'accrut jusqu'à atteindre 7500.                          

L'ère moderne de la "fabrication du cuir" débuta brusquement au milieu du XIX° siècle avec le développement de nouvelles technologies et machines. Peut-être que le plus significatif bond en avant pour son essor industriel fut la découverte du tannage au chrome - dans lequel des sels minéraux remplaçaient le tannin d'écorce d'arbre parce qu'ils permettaient la fabrication de cuir léger et multicolore. L'introduction et l'utilisation à grande échelle de produits chimiques ont eu plusieurs autres effets : elles réduisirent la perte de peau, raccourcirent le temps de tannage, apportèrent désormais des méthodes pour contrôler  l'assouplissement des peaux avec de l'acide, et ouvrirent de nouvelles possibilités de teinture, de séchage et de finition du produit. Ces changements, en retour, augmentèrent le profit lié à la fabrication du cuir et aidèrent à créer un grand marché pour celui-ci. Après des milliers d'années d'artisanat, la fabrication du cuir devint virtuellement du jour au lendemain une industrie accompagnant la centralisation, la mécanisation et la standardisation altérant d'une façon drastique la nature de ce métier.

VIANDE CONNECTION

L'industrie du cuir est intimement liée à l'industrie de l'abattage. Le mariage était initialement de convenance, car la croissance des parcs à bestiaux et le développement des aliments pour animaux fit des peaux un sous-produit logique de l'abattage, mais il devint peu à peu une affaire plus "incestueuse". Les plus gros détaillants de viande non seulement devinrent grossistes en peaux, mais ils ouvrirent aussi leurs propres tanneries.

Depuis que le cuir est un sous-produit de l'abattage, l'approvisionnement en peaux n'est plus directement lié à la demande pour telle ou telle sorte de peau. C'est plutôt la quantité et le type de viande que les gens mangent qui détermine l'approvisionnement en tel ou tel type de cuir. On ne peut, cependant, conclure de cette information que l'achat de produits en cuir n'a aucun impact sur l'industrie de la viande . C'est l'inverse qui est vrai, parce que le prix de vente d'un animal à l'abattoir est très proche du prix de vente de la viande de cet animal. En règle générale, les profits et les dépenses peuvent venir de la vente des sous-produits, le cinquième quartier de la bête: os, cornes, pattes pour faire de la gélatine qui sera vendue aux industries du film et de la photo et aux industries pharmaceutiques; poil pour les pinceaux; soies pour les brosses à dents, filtres à air, matelas et rembourrage de meubles, le sang pour faire de la nourriture pour les animaux de compagnie, des fertilisants et des médicaments comme la thrombine  et la fibrinolysine ; peau transformée en cuir. Les fabricants ont souvent un taux considérable de leur capital engagé dans les peaux puisque le salage de celles-ci prend environ un mois dans un bain de sel, et leur valeur est généralement entre 5 et 10% de celle de la viande. Ainsi une réduction de l'achat de cuir par les consommateurs peut avoir un effet significatif sur les fondements économiques à la fois des industries du cuir et de la viande.

Les dépouilles et les peaux du bétail, moutons et chèvres fournissent les principales sources de matières premières pour les tanneurs américains. Elles proviennent principalement de plus de 35 millions de bovins qui sont abattus et consommés chaque année et des vaches laitières qui sont tuées une fois qu'elles ne sont plus rentables pour la production laitière.  Le box (cuir de veau) est un dérivé de l'industrie laitière et de la viande de veau qui soumet les animaux, dans toutes les fermes industrielles, à quelques-unes des conditions les plus inhumaines qui soient. La peau d'un veau mort-né, obtenu au cours de l'abattage d'une vache gestante, fourni des prix particulièrement élevés et est utilisée pour faire de la suédine. La plupart des peaux de mouton vient d'Australie et de Nouvelle-Zélande quand les "vieux" moutons à laine sont abattus pour la boucherie. Comme pour les industries du bœuf ou du lait, le commerce de la laine cause la souffrance de millions d'animaux, avant qu'ils ne soient tondus et dépecés. Les moutons, par exemple, sont couramment transportés sans nourriture ni eau dans une chaleur ou un froid extrêmes et tellement à l'étroit qu'il en résulte souvent des membres cassés, des blessures aux yeux ou la mort. Les peaux sont vendues à l'étape du décapage et utilisées pour faire des carpettes, des sièges et des produits similaires. Les cochons, aussi, sont des animaux utilisés non seulement pour leur viande mais pour leur peau. Le sanglier ou pécari est d'autre part "converti" en produits de cuir plus résistants, incluant gants, vêtements et chaussures. Le cheval est parmi les autres animaux domestiques celui dont la peau est la moins utilisée par l'industrie du cuir...

ANIMAUX EXOTIQUES, PRODUITS DE LUXE

Beaucoup d'animaux sauvages menacés, appelés aussi animaux exotiques, tels que les autruches, les requins, kangourous, éléphants, tortues et grenouilles, sont aussi tués pour fabriquer des produits de luxe et de mode en cuir. Parmi ceux-ci, les objets en peau de kangourou ou de requin sont vendus sur le marché commercial en grande quantité. La peau de requin est solide et résiste à l'abrasion, et est utilisée pour les chaussures et ceintures d'hommes et les chaussures d'enfants. Les marchandises en kangourou sont issues de deux à trois millions d'animaux abattus chaque année à la suite du "Plan national de gestion des kangourous" approuvé par les ministres australiens du Conseil de Conservation de la Nature. La viande de kangourou est transformée en nourriture pour les animaux familiers et la peau finit en chaussures de sport, sacs de golf et ceintures. Les gouvernement australien autorise la tuerie sous le prétexte que cet animal  broute l'herbe dont les vaches et les moutons ont besoin.  Comme Paul et Anne Erlich l'ont souligné dans leur livre Extinction, "Beaucoup d'excuses  avancées pour tuer les kangourous, spécialement par les herbagers, sont liées à leur fausse conception de l'impact des kangourous sur les pâtures que les éleveurs eux-mêmes ont souvent épuisées en y faisant paître les moutons. Mais la principale raison est une fois de plus la cupidité mélangée à une absence de compassion." Les USA sont l'un des plus importants marchés du monde pour les produits faits en kangourou, fournissant une raison économique pour continuer la tuerie.

Parmi d'autres animaux tués pour faire du cuir il y a de nombreuses espèces de serpents, tel que le python, le boa constrictor, le serpent d'eau et le cobra, dont la peau a une importante valeur commerciale. Les serpents sont piégés dans la nature et souvent éventrés et dépecés vivants, procédé qui précède le salage et le séchage de la peau et qui est extrêmement douloureux pour les animaux. Dans le sud des Indes, les chasseurs tentent de tuer les membres d'une des espèces de serpents en préservant la peau en frottant du tabac sur les yeux du reptile, mais cette pratique paralyse probablement seulement les animaux et les indigènes arrachent les peaux immédiatement après l'administration de la substance.

L'autruche, originaire d'Afrique, est maintenant abattue pour la viande et pour la peau. La peau -qui est utilisée pour fabriquer des chaussures, valises, sacs et sacs à main- atteint un prix élevé et rend l'élevage d'autruches très profitable. La peau du devant de la jambe de l'animal est spécialement vendue pour la production de coûteux sacs à main pour les femmes. En Afrique du Sud, une nouvelle génération de millionnaires est en train de voir le jour dans la ville d'élevage d'autruches de Oudshoorn, dans la partie sud du Cap, où les barons de la plume vivaient au début du siècle. Le dernier développement planifié pour cet endroit est un abattoir qui pourra traiter 700 oiseaux par jour. Ainsi les éleveurs d'autruches utilisent des incubateurs énormes capables de couver 30.000 oeufs à la fois.

Deux espèces d'animaux sauvages particulièrement exploitées pour leur peau sont l'alligator et le crocodile qui sont tués dans les eaux d'Afrique et d'Amérique du Sud, sur les îles du sud-est Asiatique et, dans le cas des alligators, dans les marais de Floride, de Louisiane et du Texas. Afin de rendre les peaux utilisables les peauciers coupent directement dans le ventre des plus petits alligators et crocodiles, et conservent la peau de leur dos, tandis que les plus gros animaux sont cisaillés sur le dos et la partie ventrale conservée.... Quoique protégé comme espèce en danger aux États-Unis, les alligators sont maintenant légalement chassé dans certains états du Sud. Bien que la plupart des tanneries de reptiles soient concentrées en Europe et en Extrême -Orient, Il y a selon Gay Wilson, patron de la Floride Reptile Tanning Inc. "100 acheteurs pour chaque peau dans le monde entier. La demande submerge  même la capacité de fournir''. Un fait qui ne présage rien de bon pour le royaume des reptiles....

IMPACT SUR L'ENVIRONNEMENT

En plus d'être responsable de l'abattage de millions d'animaux chaque année, l'industrie du cuir -comme celle de l'élevage industriel- est responsable de  beaucoup de dégâts sur l'environnement. Le tannage  a la réputation non enviable d'être l'une des industries les plus immondes et nauséabondes. Cette réputation repose sur des caractéristiques des villages de tannerie vieilles de 100 ans mais qui persistent encore. Avec l'expansion dans les zones urbaines de l'industrie sous forme d'usines modernes hautement mécanisées, le problème est devenu plus aigu. Dans la ville de l'Est-Kentuky, Middelsboro, par exemple, les eaux usées venant de la Middelsboro Tanning Company ont détruit la majeure partie de la vie aux alentours de Yellow Creek et pollué l'eau  à un tel point qu'il est dangereux de la boire. Des études conduites par " The US Centers for Disease Control" ont conclu que le taux de leucémie parmi les gens  qui utilisent le ruisseau comme source d'eau potable est 5 fois plus important que la moyenne nationale, et des tests réalisés sur le même groupe ont montré  une augmentation  du taux des maladies hépatiques et cardiaques, de cancers et de troubles gastro-intestinaux. Comme beaucoup d'autres usines de tannage, l'usine de Middelsboro a pollué l'eau depuis le début du siècle, rejetant dans le courant du zinc , du formol, des colorants, des composés chimiques à base de cyanure, et d'autres substances dangereuses.  La Middelsboro Tanning Company est, en fait, l'une des plus petites tanneries aux USA, et le problème existe dans l'industrie du cuir toute entière...

COMMENTAIRES SUR LE TEXTE PRÉCÉDENT ou LE PIÈGE DES ALTERNATIVES

Le tableau effrayant des conséquences de la consommation effrénée de peaux animales a conduit différents "protecteurs de la nature" à proposer des alternatives censées résoudre cette question. Ainsi, Lewis Gompretz, secrétaire de la Société Britannique pour la prévention de la cruauté envers les animaux, a suggéré que les animaux devraient être laissés dans des pâtures à vivre leur vie jusqu'à ce qu'ils meurent de mort naturelle, après quoi leur peau pourrait être utilisée pour faire du cuir. Par ailleurs l'utilisation de différents produits synthétiques possédant une apparence ou des propriétés les rapprochant de la peau a été proposée comme alternative pour la fabrication de vêtements. Un seul point commun à ces propositions, certes pleines de compassion: la non remise en cause de l'abaissement des êtres vivants à l'état de marchandises qui réduit les animaux à l'état de matières premières et les hommes à celui de producteurs-consommateurs.

Le contraire du marché de sous-produits animaux n'est pas un marché parallèle reposant sur des bases artisanales, pas non plus un marché d'alternatives au cuir, mais plus de marché du tout. Est-ce possible? Seule l'activité des êtres humains pourra répondre à cette question. En effet, qu'est-ce qui est grave : se lever tous les matins à sept heures ou se revêtir de peau de bêtes produites à la chaîne ? La pollution engendrée par la production de plastique bientôt transformé en faux blousons de cuir ou le refus de s'interroger sur ses conditions d'existence de peur de devoir les remettre en cause ? Le sentiment d'être crevé le soir ou la mort des animaux exotiques ? Les yeux frottés au tabac des serpents dépecés vivants ou les yeux morts dans le métro ? La construction d'une nouvelle autoroute ou la satisfaction du commerçant alternatif vous refilant un substitut qui peut être pris pour du cuir?

Peut-on établir une hiérarchie entre nos découragements, nos refus, en comparaison avec le massacre planifié de dizaines d'espèces animales? Une indignation se limitant aux faits les plus voyants contribue à se donner l'illusion de "pouvoir agir dans le concret". On se cache alors que les massacres d'animaux, de végétaux et d'êtres humains (expéditifs ou à petit feu selon les situations individuelles et les régions du globe) sont étroitement liés. Ils sont les visages divers de la même machinerie pour qui tout est devenu ressource : matières premières minérales, végétales et animales, énergies, idées,... La vraie, la seule grande catastrophe... c'est notre quotidien à tous. Cette immense mutilation du vivant en somme d'objets, de choses, ne peut être renversée que par un acte de rupture volontaire établissant d'autres relations au sein de l'espèce humaine et plus généralement du vivant, s'exprimant par la négation des valeurs qui ont dominé ces derniers siècles: séparation entre l'individuel et le collectif, soumission aux pouvoirs, déification de l'argent, valorisation du paraître au détriment de l'être,... Ceci semblera bien abstrait à ceux pour qui le concret signifie acceptation du présent. Pourtant, si l'on repose le "problème du cuir" dans une telle perspective, maintes réflexions viennent à l'esprit. Celles qui suivent en sont quelques exemples; d'autres pourraient les enrichir ou s'y substituer.

Tout d'abord, il n'est pas question de condamner la prédation en général. Mais la prédation n'est ni le mépris, ni le massacre systématique. Le problème est alors de rechercher les racines profondes de ce massacre.

Que resterait-il de l'utilisation du cuir s'il n'était plus une camelote produite massivement pour être consommée rapidement, adaptée à la mode,... Sans même aller très loin dans la critique, on voit comment le vieux blouson de motard que l'on pouvait traîner toute une vie est devenu dérisoire pour le système marchand, cédant la place à des fringues permettant aux élégantes fortunées ( et aux moins fortunées qui les singent ) d'étaler leur statut social le temps d'une saison, et à leurs pâles compagnons de dissimuler leurs maigres épaules de sédentaires dégénérés. Combien d'élevages en batterie, de dépeçages à la chaîne, d'ateliers abrutissants, de commerçants hypocrites, pour fournir leurs cache- misères à ces refoulés.

Par ailleurs, la production de masse de cuir ne trouve-t-elle pas son auto-justification dans le refus de nombreux humains de se considérer appartenant au même univers que les animaux. Il suffit de voir comment lorsque l'homme veut déconsidérer ses pareils... il feint de les considérer comme des bêtes, et quand il veut traiter les bêtes avec le même mépris qu'il prodigue à ses semblables... il feint de les considérer comme des choses. Quels sentiments inspirerait à une communauté d'êtres humains une telle mentalité aujourd'hui généralisée à toutes les classes de la société ? Ce n'est sans doute pas seulement la qualité des relations entre espèces vivantes qui s'en trouverait révolutionnée... mais jusqu'à leur répartition à la surface du globe. L'arrêt porté à l'actuelle surpopulation serait à la fois la condition de la constitution de communautés à l'échelle humaine et de la réoccupation par la faune d'une terre dont elle a été peu à peu chassée. A ce propos, il n'est peut être pas inutile de préciser que par surpopulation, nous n'entendons pas simplement le phénomène de démographie galopante caractéristique des États à faible taux de consommation... mais à fort taux d'aliénation religieuse. Nous considérons la surpopulation comme processus mondial découlant de la société marchande et s'exprimant à la fois par la production de masse de gosses affamés dans le Tiers Monde et l'entassement urbain des masses consommatrices des pays dits développés.

Au travers du cuir, ce qui se trouve posé c'est le rôle du vêtement dans une société qui est parvenue à imposer le même uniforme en tous points du globe en niant les diversités climatiques, culturelles,... L'idéal d'aujourd'hui, c'est le produit de confection, individu et costume étant pareillement fabriqués et stéréotypés. Et peu importe si les êtres sont privés de relations affectives... la mode unisexe est là pour les rassurer; et lorsque le corps deviendra difforme sous l'effet d'un mode de vie (alimentation, activité physique,...) aberrant le vêtement saura non seulement envelopper mais généraliser la difformité,... La fausse-culture vestimentaire peut même se muer en fausse-communauté, celle du "look" où chaque individu atomisé se donne l'illusion de partager quelque chose avec d'autres individus tout aussi atomisés que lui. On n'a finalement que ce que l'on mérite dans ce royaume de l'apparence où il est plus respectable d'être un salaud chaussé de crocodile qu'un "va-nu-pieds". Sans cette domination de l'artifice sur nos vies, pourquoi s'emprisonner les pieds en tous temps et en tous lieux dans des enveloppes de cuir, et même pourquoi cet usage permanent et standardisé du vêtement ? Pourquoi la nudité totale ou partielle, au lieu d'être naturelle pour certaines activités et sous certains climats serait-elle assimilée à la pornographie sauf sur ces plages-rotissoires où des grappes humaines viennent dorer leurs bourrelets graisseux et nourrir au passage quelques pensées salaces ? Pourquoi continuer à considérer notre peau comme un sac inerte, et le costume comme moyen d'un conformisme et d'une hiérarchie sociale?

Traduction, AIR

Commentaires, HEME

Février 1989

 MOTS DE COMBAT SUR LE FUTUR DE LA TERRE (Mother Jones, Décembre 1980, p 24-38)

La seule entrée en matière possible pour un exposé de ce genre est de dire que je déteste écrire. L'écriture résume en elle-même le concept européen de la pensée "légitime".
L'écrit se voit accorder une importance que l'on refuse à l'oral. Ma culture, celle des Lakotas, a une tradition orale, et je rejette donc généralement l'écriture. C'est l'un des moyens utilisés par le monde blanc pour anéantir les cultures des peuples non-européens : imposer une abstraction là où les échanges se faisaient oralement.

Ainsi, ce que vous lisez ici n'est pas ce que j'ai écrit. C'est ce que j'ai dit et que quelqu'un d'autres a écrit. J'accepte ce compromis dans la mesure où le seul moyen de communiquer avec le monde blanc semble être le recours aux feuillets morts et arides d'un livre. Je ne me soucie pas vraiment de savoir si mes propos parviendront aux hommes blancs. Ils ont déjà fait la preuve au cours de leur histoire, qu'ils ne peuvent ni entendre, ni voir. Ils ne savent que lire (bien sûr, il y a des exceptions, mais les exceptions ne font que confirmer la règle). Je m'intéresse plus aux Indiens d'Amérique, étudiants et autres, qui ont commencé à s'assimiler au monde blanc par le biais des universités et autres institutions. Mais même cela n'est qu'une préoccupation marginale. Il est tout à fait possible de concilier peau rouge et esprit blanc. Et si c'est là le choix d'un individu qu'il en soit ainsi, je n'en ai que faire. Cela fait partie du processus de génocide culturel engagé de nos jours par les Européens contre les peuples indiens d'Amérique. Ce qui m'intéresse, ce sont ces Indiens d'Amérique qui décident de résister au génocide, mais risquent d'être incertains quant à la façon de procéder.

(Vous remarquerez que j'utilise le terme d'INDIENS D'AMERIQUE PLUTÔT QUE CEUX D'AUTOCHTONES D'AMERIQUE ou de PEUPLE INDIGENE AUTOCHTONE ou d'AMERINDIENS, lorsque je désigne mon peuple. Il y a beaucoup de controverses quant au sens de ces termes, et à présent à franchement parler, je trouve cela absurde. Principalement, il semble que le terme d'INDIENS D'AMERIQUE soit rejeté pour son origine européenne - ce qui est le cas. Mais TOUS les termes ci-dessus sont d'origine européenne; la seule façon de faire non-européenne serait de parler de Lakota1 - ou plus précisément d'Oglala, Brulé, etc... et de Diné, de Miccosukee et de toutes les autres centaines de noms tribaux exacts).

1. Lakota ou Dakota qui signifie "alliés", tels sont les termes par lesquels se désignent ceux que l'on nomme les Sioux. "Oglala", "Brulé",... sont quelques unes des dénominations des tribus de ce groupe d'Indiens d'Amérique du Nord (Source: NITASSINAN N°6).

 

1
Hosted by www.Geocities.ws