L’INSECURITE SOCIALE, SERIE 2, N° 3. 1

OBEISSANCE CIVILE ET AUTRES TEXTES. 1

Présentation. 1

Correspondance avec FOCUS. 1

SUR LES 4 PRINCIPES DE BASE DE FOCUS. 2

SUR LES 3 THEMES DE DISCUSSION DE FOCUS. 3

D’UNE PRISON… L’AUTRE. 6

LA TENDANCE AU COMMUNISME DANS L’HISTOIRE. 7

Pas une politique. 7

Pas une économie. 8

Dans l’histoire. 8

Avant l’Etat 9

Critique de l’argent 9

L’intérêt aujourd’hui 10

 

L’INSECURITE SOCIALE, SERIE 2, N° 3

OBEISSANCE CIVILE ET AUTRES TEXTES

Présentation

 

ANTI-AUTHORITARIAN STUDIES est un groupe de compagnons de la ville de Berkeley (Californie) qui publie la revue THE DAILY BATTLE. Le texte que nous reproduisons ci-après « Obéissance Civile », a été écrit par l’un d’eux à la suite de la visite d’une des porte-parole du Parti des Verts ouest-allemands en 1983. Le texte suivant, datant de la même période, a été publié dans le bulletin Commie Rag, antérieur à The Daily Battle, et constitue un résumé des positions de ces compagnons à l’époque. Sa reproduction ne signifie bien entendu pas de notre part un accord global avec tout ce qui y est dit.

Depuis lors, ces compagnons participent à une tentative de regroupement autour du groupe FOCUS et de sa revue THE ALARM. Leur perspective organisationnelle est la constitution d’une minorité communiste anti-léniniste cohérente. C’est pourquoi nous reproduisons à la fin de cette brochure la traduction d’un texte publié dans la revue THE ALARM, ainsi que la lettre que nous avons ensuite adressée à ce groupe. Dans cette correspondance, nous avons tenté d’exprimer et de clarifier notre propre réflexion sur les questions soulevées par FOCUS. Ceci explique pourquoi nous avons été conduits à revenir sur notre évolution passée, sur une critique de nos positions antérieures qui n’avait pas nécessairement été explicitée dans nos publications.

Ces questions et ces tentatives de réponse n’ont rien de spécifiques aux groupes concernés, ni plus généralement à ceux qui tentent aujourd’hui d’avoir une activité organisée pour le communisme. Elles appartiennent à la réflexion de tous ceux qui aspirent à la communauté humaine.

 

Correspondance avec FOCUS

 

Dans le cadre de sa restructuration organisationnelle, FOCUS a constitué un comité de coordination à Portland. Nous avons entamé un processus pour nous définir, à la fois au travers de notre développement théorique et pratique. Les quatre principes de base, sur lesquels cette organisation étaient basée, restent : 1) Opposition aux syndicats et soutien à l’alternative au syndicalisme constituée par les assemblées et les comités de travailleurs ; 2) Opposition aux manœuvres bourgeoises travesties en « Révolutions de Libération Nationale » ; 3) Abolition de la production marchande et du travail salarié ; et 4) Opposition au capitalisme d’Etat, à l’Est et à l’Ouest, incluant la nationalisation de l’économie, le but étant le contrôle direct de l’économie par les travailleurs.

 

Actuellement, nous nous centrons en tant qu’organisation sur trois thèmes de discussion politique que nous considérons aujourd’hui d’une importance majeure pour le mouvement révolutionnaire : 1) La question organisationnelle, ou quel est le rôle de l’organisation révolutionnaire dans la lutte de classe, pourquoi existe-t-elle, et quelle est sa relation à la classe ? 2) Le bolchévisme : est-ce que la révolution russe était ou non une révolution bourgeoise ? La nature du parti bolchévique : monolithique ou pluraliste ?  3) L’économie : Existe-t-il quelque chose tel que la décadence capitaliste ? Si c’est le cas, qu’est-ce que c’est ? Dans quelle mesure l’économie est-elle centrale pour l’émergence d’un mouvement révolutionnaire ? Dans quelle mesure d’autres aspects découlent de l’économie ?

 

Nous souhaiterions inviter d’autres individus et groupes en accord avec nos quatre positions de base et désirant contribuer au développement à la fois pratique et théorique de FOCUS à écrie au groupe coordinateur.

Traduit de THE ALARM, Vol 2, N° 1, été 84.

 

SUR LES 4 PRINCIPES DE BASE DE FOCUS

 

1)      Opposition aux syndicats et soutien à l’alternative au syndicalisme constituée par les assemblées et les comités de travailleurs

 

Les syndicats sont des organisations permanentes dont la fonction repose sur la vente et la détermination du prix de la force de travail, c’est à dire du salaire. Les syndicats ont, dés leur création, cherché à être reconnues en tant qu’institutions de négociation et de représentation. L’évolution du capitalisme l’a conduit à admettre le syndicalisme. D’instrument de lutte que le syndicalisme a parfois été à ses débuts, il est devenu un instrument de collaboration de classe, un garant de la rentabilité des entreprises, de la hiérarchie sociale, de la propriété et des valeurs (compétence professionnelle, défense de la famille, nationalisme,…) qui permettent à cette société de continuer à exister. Institutions capitalistes, les syndicats participent à la gestion et à l’encadrement du travail salarié dans de multiples structures (étatiques, mixtes, paritaires,…). Lors de chaque guerre capitaliste, ils ont pris part avec enthousiasme à « l’effort national », contribuant à l’envoi des travailleurs au font et au maintien de la discipline de la production à l’arrière. La gestion et la régulation du marché du travail par rapport aux besoins du capital, leur rôle idéologique et l’encadrement quotidien des travailleurs jusqu’à la violence physique : tout cela c’est la fonction du syndicalisme qui en fait un des piliers de l’ordre capitaliste au sein et à l’extérieur des entreprises.

Le capitalisme est un système social qui repose sur la division et la concurrence, dont découlent des affrontements entre classes dirigeantes à l’intérieur de mêmes frontières géographiques. Ainsi, les visées économiques et politiques des bureaucraties syndicales étant différentes de celles d’autres tendances capitalistes, celles-ci les voient comme des concurrents et les combattent. Au travers de cet affrontement entre gestionnaires de l’exploitation, les syndicats arrivent à conserver l’image d’organisation de lutte contre le système. Cette image dissimule leur participation active et directe à la normalisation et à la rationalisation du système d’exploitation lui-même : c’est pour cela qu’on les paye (par exemple, en France, les syndicats touchent de l’argent de l’Etat pour la formation de leurs militants), qu’on leur donne des heures, des pouvoirs, des « facilités »,… Ceci ne signifie pas l’absence de toute « luttes syndicales ». Des conflits programmés, encadrés, sont tout à fait bénéfiques aux deux partenaires sociaux : le syndicat qui vend la force de travail et le patronat qui l’achète.

Dans les luttes de masse du passé comme dans certaines luttes actuelles se sont manifestées, de façon plus ou moins affirmées, des formes d’organisation tels que les conseils ouvriers, des comités de grève sous le contrôle strict des grévistes, des assemblées générales souveraines,… exprimant le processus d’autonomie du prolétariat par rapport aux autres classes sociales, à l’Etat et à ses institutions. Contrairement à ceux qui dans « l’ultra-gauche » considèrent que la révolution communiste ne dépend pas des formes d’organisation, que parti et conseils comme syndicats et conseils c’est finalement la même chose, nous affirmons que la révolution est aussi une question de formes d’organisation et que des structures dont le but des de gérer l’Etat et le prolétariat ne peuvent contribuer à l’émancipation de ce dernier. La formation de structures de masse refusant la division des tâches et où les communautés de lutte entendent conserver le pouvoir de décision seront une des expressions importantes de nouveaux rapports entre les hommes. Ceci étant précisé, nous ne pensons pas qu’à l’heure actuelle, les communistes aient à préconiser mécaniquement des formes organisationnelles passées. Par exemple, de proposer aux prolétaires de s’organiser en conseils plutôt que dans les partis et les syndicats. Le passé ne nous donne pas de recettes pour l’avenir, mais plutôt des éléments de compréhension. Pour le sujet qui nous préoccupe, ces éléments sont simples : c’est au mouvement qu’il revient de créer son organisation et non l’inverse. Aujourd’hui, appeler à la création d’une organisation de masse, même appelée « conseils » ne reviendrait qu’à créer une structure syndicale de plus.

 

La période que nous vivons se caractérise, entre autre, par le fait qu’il n’existe plus de milieu prolétarien tant soi peu important, dans lequel circulent des idées de révolte, d’expropriation des patrons et des propriétaires,… et se proposant à partir de l’expérience acquise dans le « métier » de construire une autre société. Rien dans la condition prolétarienne présente ne permet de voir, dans le travail comme en dehors, des éléments positifs de rupture ouvrant la possibilité de l’auto-émancipation. L’autonome prolétarienne ne peut être que projet, tendance qu’il importe de défendre mais qui ne peut s’affirmer pratiquement que dans les moments de rupture de masse avec l’ordre existant.

 

2)      Opposition aux manœuvres bourgeoises travesties en « Révolution de Libération Nationale ».

 

 Sans commentaires, sinon que ces oppositions s’intègre dans la lutte contre toute forme de nationalisme, régionalisme,…

 

3)      Abolition de la production marchande et du travail salarié

 

L’abolition de la production marchande et du travail salarié est une partie d’un tout : la perspective d’une communauté humaine, c’est à dire d’un monde où les relations entre les hommes ne seraient plus médiatisées par des structures comme l’Etat et des symboles comme l’argent, expressions de relations humaines impliquant séparation, domination et exploitation. L’abolition de l’Etat et de l’argent – comme de toute forme de domination et de rapport marchand – permettrait aux hommes de contrôler consciemment leurs activités, au travers des relations et interactions existant entre eux et le reste de la nature. Ainsi l’activité productrice ne serait pas ce qu’est aujourd’hui la production moins l’argent. Il ne s’agirait plus d’être consommateurs (de biens, de relations) et producteurs (de marchandises), mais de transformer l’activité humaine. Cette fin des séparations se retrouverait au centre même du processus productif où toute notion de spécialisation et même de professionnalisme devrait être remise en cause. Pour accomplir une activité, productrice ou non, les gens s’associeraient dans des lieux où les relations s’établissant entre eux seraient aussi importantes que cette activité. Ils pourraient y exprimer leurs facultés de création, d’innovation et de transformation, la production n’étant plus déterminée par les « nécessités » actuelles de la rentabilité et de la compétitivité impliquant le gaspillage et la pollution comme la mutilation des facultés humaines. Les êtres humains ne seraient plus soumis à la réalisation de la production puisqu’ils en détermineraient les buts, les moyens et les conditions. Celle-ci serait une des expressions de leur humanité, ne les dépouillant pas de leurs autres dimensions, telles que l’amour, le jeu, le rêve,…

 

4)      Opposition au capitalisme d’Etat, à l’Est comme à l’Ouest, incluant la nationalisation de l’économie, le but étant le contrôle direct de l’économie par les travailleurs.

 

La gestion de l’économie par l’Etat a depuis longtemps été critiquée comme étant un des aspects que peut prendre l’exploitation du travail salarié et la gestion de la marchandise. Il ne nous semble pas pour autant que l’on puisse opposer aux mots d’ordre de la gauche et des gauchistes : « nationalisations, Etat ouvrier », la perspective d’un contrôle ou d’une gestion de l’économie par le prolétariat. Ceci parce que l’économie est un autre nom du capitalisme, l’expression d’une société où les activités humaines ont été recomposées en fonction des exigences du marché.

Le monde de l’économie est le monde de la « société civile », établi, garanti par les institutions définies et sanctionnées par le pouvoir d’Etat. Cette société se présentant comme l’aboutissement de l’histoire de l’humanité a produit des explications du passé et des relations entre les hommes où les formes institutionnelles qu’elle a produites  sont présentées comme inhérentes à la société humaine, et se nommes « économie », « besoin », « concurrence »,… A l’opposé, on ne peut aucunement parler dans une perspective communiste d’ »économie », expression de l’atomisation des activités humaines, ou de « lois économiques », lois qui sont aujourd’hui l’expression de la domination des rapports marchands.

 

SUR LES 3 THEMES DE DISCUSSION DE FOCUS

 

1)      La question organisationnelle

 

Si nous savons bien que le communisme ne peut advenir que par une révolution sociale, nous avons certaines méfiances vis à vis de l’étiquette « révolutionnaires ». Nous avons en effet constaté que ceux qui se désignent ainsi se placent bien souvent en position de supériorité morale par rapport aux autres, l’emploi de ce terme leur permettant de justifier leur existence en marquant une séparation, une distance. Ce type de comportement n’est pas propre aux organisations bolcheviques, mais est aussi le fait d’individus critiquant la thèse de la conscience apportée de l’extérieur au prolétariat. Il concourt à maintenir gonflée une baudruche : celle du rôle des révolutionnaires.

Nous ne sommes pas des acteurs qui jouent un rôle sur la scène de l’histoire, qui sont « révolutionnaires » par auto-proclamation,… Il n’existe ni « tâches » (historiques !) des « révolutionnaires », ni question organisationnelle en soi. Il existe une tendance constante au communisme dans l’humanité. Cette aspiration s’exprime dans des utopies tentant de se représenter un monde où l’humanité pourrait se réaliser, comme dans les résistances et luttes des opprimés contre leur situation. Pour les individus dont la révolte se traduit en terme d’engagement, ceci se concrétise par des positions, le besoin d’une action et d’une réflexion les plus collectives et les plus claires possibles. Ceci conduit à l’organisation de diverses fractions, minorités, qui surgissent comme expressions partielles du mouvement réel, tentent de critiquer ses impasses et d’agir en son sein. Non parce que les membres de ces minorités auraient – par « décret » - un rôle à y jouer, une parole à y apporter de l’extérieur, mais bien au contraire parce qu’ils en font partie.

 

La prise de conscience par rapport au monde qui nous entoure comme par rapport à nos propres aspirations n’est d’emblée ni globale, ni homogène. Les minorités sont des produits, parmi d’autres, de cette prise de conscience complexe, et pas les porte-parole du mouvement vers le communisme, ni les porteurs du contenu et des fins du mouvement. Si ceux qui les composent sont « différents », c’est tout d’abord qu’ils sont minoritaires, ce qui n’est pas en soi un défaut mais une expression de l’état du mouvement. C’est parce que si l’atomisation des hommes est vécue par tous, elle se perçoit à des degrés divers, et entraîne des refus divers. Ce qui nous rassemble fondamentalement est la compréhension de notre état d’existence, de ce que nous avons en commun. A partir de là se fait ressentir le besoin de lutter contre le Capital, contre l’atomisation, donc le besoin pratique de s’associer. D’où des associations, non pas de contemplateurs de la misère fuyant l’approfondissement de la réflexion, mais associations à la fois cohérentes et contradictoires, comme le mouvement qui leur donne naissance, porteuses d’une tendance à la négation de ce monde permanente certes mais partielle. Le besoin « minimum » de telles associations est donc à la fois de faire « la publicité de la misère », mettre en évidence ce qui est commun à tous les exploités, et de mettre en avant leur vision du devenir du mouvement. Tout ceci sans se voiler la face : si nous n’étions pas là (du moins pour l’instant)… la différence ne sauterait pas aux yeux.

Dans le cadre d’associations telles que celles que nous venons de définir, il s’avère nécessaire de respecter à la fois l’unité, la cohésion dans les décisions communes, et l’autonomie des individus qui s’y organisent. Ceci nous conduit à rejeter à la fois le centralisme et le fédéralisme, formules organisationnelles qui ne favorisent aucune de ces conditions, mais facilitent au contraire la bureaucratisation. Le centralisme dit démocratique n’a jamais été que la soumission de la base au centre, la minorité se trouvant paralysée par la rigidité du fonctionnement. Ce qu’à recouvert et recouvre encore ce terme dans les organisations qui s’en réclament, c’est la séparation entre différents niveaux organisationnels, tout comme dans la division capitaliste du travail et plus généralement l’atomisation entre les êtres développée par le capital. Quant au centralisme dit organique, il pousse à l’extrême cette atomisation. L’existence d’un certain fonctionnement devient alors au mieux un pis-aller, au pire une trahison des principes intangibles, seule une minorité d’individus –voir un seul- étant à même de savoir ce qui peut rentrer dans le Programme et ce qui s’en éloigne. Plus généralement, le centralisme n’a jamais été, au sein des organisations qui le pratiquent, qu’un obstacle à la clarification interne et un moyen pour faire avaler toutes les couleuvres à leurs militants. En cela, il est intimement lié aux conceptions plus générales sur la forme « Parti ». Les partis politiques, qu’ils visent ouvertement à la prise du pouvoir d’Etat ou qu’ils ne se donnent qu’un rôle de direction, d’avant-garde du prolétariat, sont en effet une des expressions de la production et de la reproduction de la politique, c’est à dire de la séparation des hommes en dirigeants et dirigés, en maîtres et sujets du pouvoir. Ils expriment l’Etat, qui n’a jamais été et ne pourra être autre chose que l’instrument de domination d’exploiteurs.

Tandis que la gauche et l’extrême-gauche considèrent « le parti » comme le moyen de prendre le pouvoir et de consolider le capitalisme sur le dos du prolétariat, une frange de ce qu’on nomme « l’ultra-gauche » prétend qu’il est nécessaire au prolétariat « pour prendre le pouvoir ». Mais si on acceptait leur propre logique, on serait conduit à admettre que le parti étant l’organisation politique du prolétariat, et la tâche fondamentale du prolétariat étant sa dictature politique, la dictature du prolétariat ne pourra être logiquement exercée que par le parti. Ce que leur discours tente en fait de masquer, c’est qu’un parti politique ne peut être qu’un organisme contribuant à la perpétuation d’une société divisée en exploiteurs et exploités, y compris quand il prend le nom de « parti révolutionnaire ».

Le fédéralisme, prôné par des anarchistes et « ultra-gauches », débouche pour sa part sur un type de fonctionnement n’ayant rien à envier à celui des hyper-centralistes. Aux directions affirmées – qu’elles soient élues ou auto-proclamées – des centralistes correspondent les directions occultes où pullulent toutes sortes de carriéristes. Finalement, centralisme et fédéralisme représentent deux types de fonctionnement en contradiction avec les aspirations d’une organisation se situant dans une perspective communiste. Non seulement ils reproduisent les divisions de la société, mais ils ne sont finalement que des recettes pour tenter de nier les problèmes posés par ces associations. Ils ne font souvent que dissimuler que la cohésion théorique et pratique à l’origine d’une organisation n’existe plus, mais que celle-ci tente – malgré tout – de durer coûte que coûte. 

 

2- Le bolchévisme

 

La façon dont FOCUS présente cette question paraît tomber dans un vieux piège : la confusion entre la caractérisation du processus révolutionnaire en Russie et la caractérisation du parti bolchévique.

Nous ne reviendrons pas sur les évènements de cette période, tous les éléments nécessaires à leur analyse étant facilement disponibles aujourd’hui. Nous nous contenterons donc de rappeler brièvement ce qui devrait être des banalités.

La question de savoir si « la révolution russe était ou non une révolution bourgeoise » est sans objet si on ne définit pas ce que l’on nomme « révolution russe ». La Russie a connu de façon évidente un processus révolutionnaire porteur d’aspirations au communisme dans plusieurs villes mais aussi localement dans les campagnes (Ukraine). Ce processus ne se confond en aucun cas avec le coup d’Etat bolchévique d’octobre 17. Une des premières tâches des bolchéviques parvenus au pouvoir fût d’ailleurs de mettre fin à tout prix à ce mouvement. Le fait que certains participants au mouvement révolutionnaire aient placé – au moins temporairement – leur confiance dans les bolchéviques ne prouve rien, sinon que là comme ailleurs des éléments combatifs n’étaient pas à l’abris des erreurs et des illusions.

Nous n’avons que faire de la nature pluraliste ou monolithique du parti bolchévique. Pour caractériser celui-ci on pourrait se contenter de reproduire mot pour mot ce que nous avons dit précédemment de la « forme parti » en général. Le fait que des révolutionnaires aient été présents, dans certaines périodes, au sein de ce parti ne change rien à l’affaire. Des révolutionnaires se sont fourvoyés avant et après ceux-ci dans quantités d’organisations capitalistes, à commencer par la social-démocratie. Au sein de celles-ci ils furent toujours confrontés aux même choix : se plier, tout en jouant à l’opposition, à la stratégie capitaliste d’une organisation qu’ils soutenaient malgré tout, ou s’en aller. Ce choix fût aussi celui devant lequel se retrouvèrent les révolutionnaires fourvoyés dans le bolchévisme. « Ainsi se vérifiait que – tout comme le prolétariat ne pouvait s’exprimer qu’extérieurement et contre le parti bolchévique – c’est également à l’extérieur de celui-ci que pouvaient uniquement être défendues des positions communistes, délaissant des luttes de fractions qui n’étaient qu’un débat sur le meilleur moyen de gérer le capitalisme russe » (L’Insécurité Sociale, Série I, N°3, 1982).

 

3. L’économie

 

Pour tenter de clarifier notre position actuelle sur cette question, il nous paraît utile de préciser certains acquis de notre évolution. Celle-ci nous conduisit en effet à abandonner la thèse d’une crise mortelle entraînant révolution ou barbarie.

« Le capitalisme est un système catastrophique, du point de vue de l’humanité. Mais ceci ne signifie pas qu’il soit catastrophique pour lui-même. Cette vision d’un « catastrophisme révolutionnaire » tire de la même base que le réformisme une conclusion opposée. Pour le premier, la crise sera le choc salutaire qui réveillera le prolétariat et conduira à la destruction du capitalisme, alors que le second ne vise qu’à son aménagement. Les deux tendances pallient ainsi aux carences du prolétariat lui-même… La tentation de l’automatisme surgit quand l’action humaine fait défaut. Ainsi, les alternatives « socialisme ou barbarie », « apocalypse ou révolution », tout en représentant une part de vérité, cherchent même inconsciemment, une garantie de succès : si le prolétariat ou l’humanité ne fait pas « la révolution », ce sera l’enfer. D’une part on se masque en bloc toute possibilité de perpétuation du capital pendant un temps notable. De l’autre, on pose – et on se donne – l’exigence d’agir tout de suite, ou de s’en donner l’illusion, face à une menace aussi brûlante (la révolution ou la mort) ». (L’Insécurité Sociale, série I, N°2, 1982).

Cette analyse n’a depuis reçu selon nous que des confirmations comme nous l’a démontré le spectacle de « L’activité volontariste de ceux qui, à force de faire attention aux conditions objectives, ne savaient plus où ils en étaient » (Insurezione : Prolétaires, si vous saviez…). Ceux-ci, tout au moins en France, montraient le besoin de justifier leur existence de « révolutionnaires » par l’existence de la crise, et non par leur refus du monde de la marchandise et de l’Etat.

« Ceux qui croient cela n’ont finalement pas grand chose à reprocher à ce monde, sinon leur honte de l’acceptation désarmée de toutes les conditions qui leur sont faites. Ce sont par excellence les hommes de l’économie, et il faudra qu’ils aillent chercher par et dans l’économie plus pauvres qu’eux, du moins le pensent-ils, pour se scandaliser de ce monde » (Notes sur l’analyse révolutionnaire, Débats N°0, 1983).

Les conceptions de ces « révolutionnaires » reposent au fond sur l’idée que le prolétariat ne peut se soulever, prendre conscience de sa situation, que pour des raison « revendicatives ». Mais alors, si eux-mêmes n’ont jamais connu la faim et la misère « matérielle », on pourrait se demander d’abord ce qu’est leur refus du monde, ensuite s’ils ne se considèrent pas comme étant d’une autre espèce que le reste du prolétariat !

Notre évolution nous a conduit à critique la notion véhiculée par nombre d’ »ultra-gauche » pour qui la misère repose sur les bas salaires, le chômage,… Cette explication, tout en reposant sur des faits réels, prend des aspects de la condition humaine sous le capitalisme pour les racines de celui-ci. Elle ne considère les prolétaires qu’en tant que producteurs de plus value et néglige l’importance de la sphère de circulation dans la perpétuation de la domination de la marchandise. Dans la logique de cette explication, les prolétaires devraient s’approprier les « richesses » que les exploiteurs accaparent, le communisme serait le prolongement du capitalisme,… A l’opposé, nous pensons que ces richesses ne sont pas des richesses humaines, mais des richesses pour le capital.

 

Pour conclure, nous en viendrons à la question de la décadence. Dans ses premières publications, L’INSECURITE SOCIALE annonçait une « théorie de la décadence » mélangeant analyses luxembourgistes de la crise capitaliste et critique de la dégradation des relations humaines. Nous ne faisions ainsi que reprendre une démarche répandue parmi les groupes non seulement « ultra-gauche » mais bolchéviques et plus généralement marxistes. Depuis, nous n’avons jugé nécessaire ni d’utiliser ce concept de décadence, ni d’en faire la critique. Bien que nous n’ayons pas réfléchi sur les raisons de cet abandon, ils est probable qu’elles sont les mêmes que celles qui nous ont conduit à critiquer différents concepts servant aux « révolutionnaires » à justifier leur existence : rôle des révolutionnaires, catastrophisme révolutionnaire,… On peut d’ailleurs discerner dans l’idée de la décadence un tel rôle justificateur. Il suffit de constater la hargne avec laquelle de nombreux groupes se sont accrochés à ce terme, en faisant le centre de leurs analyses, le motif majeur de leurs oppositions, tout cela… en l’utilisant pour parler de choses parfois totalement différentes. Derrière cela se cache bien souvent la prétention élitiste à se distinguer par sa vision claire du « sens de l’histoire ».

Partant de là, il est pratiquement impossible de faire une critique de la décadence, simplement parce qu’il n’existe pas de théorie ou simplement de définition minimale commune de cette décadence. Nous nous contenterons donc de critiquer certaines conceptions se rencontrant dans certaines théories de la décadence.

A un niveau économique ces théories reprennent souvent la thèse marxiste de la contradiction entre le développement des forces productives et l’étroitesse des  rapports de production. Elles ne voient pas comment le capitalisme, et avant tout celui qu’elles définissent comme décadent, a su développer des forces productives à l’image des rapports de production. Le capitalisme connaît effectivement des crises de surproduction, la concurrence qui y règne signifie bien l’élimination des plus faibles face au marché mondial, il est bien la société du gaspillage généralisé. Mais ceci ne représente pas la possibilité « objective » d’un dépassement du système pour le bien de l’humanité, mais le fonctionnement normal du capitalisme contemporain contre l’humanité. Il n’y a rien à attendre d’une « révolution » libérant les forces productives des rapports de production qui l’entraveraient. Nous ne voyons pas plus dans le développement des forces productives l’indication d’une future société communiste que dans les rapports de production un frein à l’arrivé d’une telle société. Etre communiste aujourd’hui c’est, nous semble-t-il, remettre en cause cette thèse qui voit dans le développement des forces productives l’émergence de forces neutres, voire bénéfiques, que le prolétariat pourrait utiliser pour sa libération. Il suffit de constater l’évolution qui, de la manufacture au machinisme industriel, de l’automation à l’informatique, rend les hommes accessoires, les réduisant à un ensemble de gestes prédéterminés sur lesquels ils n’ont aucun pouvoir, arrivant même à rendre superflues de simples relations entre eux, tout occupés qu’ils sont à surveiller des processus qui leurs échappent. Ce développement ne produira pas un monde sans domination, mais uniquement de la marchandise et de l’aliénation.

Sous la notion de décadence se dissimule parfois une certaine complaisance, voire fascination, vis à vis du capitalisme. Fascination pour un « capitalisme décadent » censé porter dans ses flancs les germes d’un autre monde ; fascination pour un « capitalisme ascendant » ayant développé les « base objectives » nécessaires à cet enfantement. La division du développement capitaliste en deux périodes bien distinctes conduit à masquer la réalité du monde avant le XX° siècle. Dans sa version la plus grossière, cette ré-écriture du passé se résume à justifier la real-politique des forces capitalistes au sein du prolétariat (syndicats, social-démocratie,…) durant  le XIX° siècle. Plus généralement, on oublie que la domination sur les hommes dont nous souffrons aujourd’hui s’est mise en place alors, que le développement capitaliste est d’abord le développement de cette domination. Dés cette époque, il s’agissait moins « de violenter les hommes que de les désarmer, de comprimer leurs passions politiques que de les effacer, de combattre leurs instincts que de les tromper, de proscrire leurs idées que de leur donner le change en se les appropriant. » (Maurice Joly, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, 1864). Les formes de la domination ont certes changé, mais ce changement n’est que technologique et ne porte pas sur le fond. Les problèmes posés restent aussi les mêmes (même s’ils se posent plus nettement mondialement : non pas libérer les forces productives, mais se libérer de tout ce qui nous domine, hommes et marchandises.

 

L’INSECURITE SOCIALE

 

 

 

D’UNE PRISON… L’AUTRE

 

Les 16 et 17 mai 1981 ; lors de la réunion annuelle du groupe Pour une Intervention Communiste (revue « Jeune Taupe », une même réaction de dégoût avait uni ceux qui allaient continuer quelques mois la groupe, face au départ burlesco-politicien des futurs membres du groupe Volonté Communiste (revue « Révolution Sociale ». La majorité des participants n’étaient pas pour autant fondamentalement opposés à leurs thèses, mais à part leurs options mégalomaniaques (un journal et un tract par mois face à la proximité de la guerre ou de la révolution,…).

 

Après quelques mois et le départ des camarades qui allaient former le groupe Guerre de Classe, le groupe dit « L’Insécurité Sociale » se formait en abandonnant progressivement la thèse d’une crise mortelle entraînant révolution ou barbarie. Tout cela nous permettait de comprendre que généralement les « crisistes » avaient besoin de justifier leur existence de « révolutionnaires » par l’existence de la crise et non par leur refus du monde de la marchandise et de l’Etat ; que leurs conceptions reposaient sur l’idée que le prolétariat ne pouvait se soulever que pour des raisons « revendicatives ». Si les « révolutionnaires » n’avaient jamais connu la faim, ni la misère « matérielle », cela supposait donc que les « crisistes » se considéraient comme étant d’une autre espèce que le reste du prolétariat.

 

Si l’on se reporte au N°0 de l’Insécurité Sociale, c’est beaucoup plus dans le texte « Notre Royaume était une prison » que dans les Axes de réflexion pour l’Autonomie Prolétarienne » que l’on retrouve ce qui nous unissait. Si des divergences subsistaient, elles passaient au second plan devant la possibilité d’un partage et d’une réflexion commune tranchant radicalement avec ce que nous avions connu dans le groupe P.I.C. Nous découvrions qu’un groupe pouvait aussi se fonder sur certaines affinités impossibles à consigner dans les positions d’une plate-forme. L’évolution collective et individuelle a été profonde durant l’existence de l’ »Insécu ». Nous avons noué ou renoué avec des réflexions occultées précédemment par nous ou par d’autres, tenté de dépasser le raisonnement à coups de slogans, de grandes formules creuses, etc.… Nous avons compris que l’on ne pouvait pas démonter le discours d’un adversaire en ne s’attaquant qu’à son contenu apparent, mais d’abord à sa forme, à sa logique profonde ; que l’on ne pouvait finalement pas combattre un discours par un autre discours. Compris aussi que nos arguments, notre « intervention », ne pouvaient convaincre personne, mais plutôt aider à ce que se révèlent des idées qui étaient déjà plus ou moins présentes chez ceux à qui nous nous adressions. Les conceptions du « rôle » des révolutionnaires étaient rejetées, puisque la justification de notre existence était simplement que nous nous regroupions parce que nous pensions que ce monde était inhumain et qu’il était nécessaire de faire partager au maximum nos réflexions à ceux qui se trouvaient dans la même situation que nous. Les rencontres avec d’autres groupes ou individus furent parfois fructueuses, nous permettant de nous rendre compte que nos interrogations se retrouvaient posées par d’autres, et donc de mieux comprendre la réalité de ces échanges.

 

A ce constat « globalement positif », vient pourtant se greffer aujourd’hui un constat d’échec. Au cours des derniers mois s’est imposé un mode de fonctionnement de l’ »Insécu », découlant de conceptions plus ou moins partagées par chacun, que l’on peut sommairement résumer ainsi : des gens se rencontrent plus ou moins formellement, font ou ne font pas des tâches en commun, le groupe devenant plus un groupe d’édition de textes qu’autre chose. Ce mode d’association peut effectivement fonctionner quelques temps, mais ne peut être le mode d’association régulière d’un groupe. D’une part, il conduit à ce que l’ »Insécu » a vécu et que nous allons relater plus loin, d’autre part, il est le constat –en général non avoué- de divergences d’opinion entre les participants que l’on veut dépasser par des activités communes. Ceci peut paraître avoir une utilité concrètement. Mais, à un moment ou à un autre, cela empêche la clarification des uns et des autres, au profit d’affinités de plus en plus affirmées mais de moins en moins réelles, et amène aussi à ce que nous allons évoquer à travers la critique du fonctionnement pratique du groupe.

 

Ce que devenait celui-ci, nous a amené à constater l’échec de la possibilité de mener plus longtemps une activité commune et parfois de la possibilité même de dialoguer. Il n’y a pas là vraiment lieu de s’étonner. La situation globalement défavorable à une activité de communistes favorise la stagnation des groupes existant (parfois leu déliquescence) et les évolutions divergentes de leurs membres. Dans la crise de l’ »Insécu » comme dans celle que nous avions vécue dans le groupe P.I.C., ce sont les éléments « pratiques », certains diraient techniques, qui sont les plus visibles :

-         Les tâches à accomplir ne le sont pas (le courrier n’est plus relevé, les cotisations plus payées,…), ou bien elles sont éludées ou traitées comme une corvée (diffusion de tract par exemple).

-         Des « clans » se dessinent ; de plus en plus de discussions ont lieu en dehors des réunions, ce qui démontre bien qu’il y a des divergences qui ne peuvent pas se discuter à l’intérieur du groupe.

-         Les divergences se cristallisent sur des conceptions organisationnelles opposées, les plus faciles à saisir d’emblée.

 

C’est en particulier sur la forme des réunions que nos incompatibilités sont apparues. Certains d’entre nous ont ressenti que le groupe n’existait plus, ou de moins en moins, depuis plusieurs mois. Le regroupement d’individus ayant des positions communes et le désir de faire quelque chose ensemble avait disparu. Les affinités ne se vivaient plus. Il ne restait plus qu’une « café du commerce du mal de vivre », où les amateurs de ce style de rapport pouvaient balancer leur monologue, et les autres attendre impatiemment l’heure de la sorte !

 

Nous disons que le « mal de vire », tel qu’il s’exprimait, était la manifestation de graves divergences entre nous. Nous entendions une apologie de la séparation entre les êtres, de leur atomisation. Nous voulant communistes, nous n’allions pas continuer à subir, semaine après semaine, cette emprise du monde actuel sur notre activité.

 

Le courrier qui n’était plus ramassé, les distributions de tracts perçues comme des corvées, sont aussi les démonstrations de divergences sur l’activité du groupe. Nous pensons qu’il y a à la fois des désaccords importants sur notre dernière brochure « Salariat et luttes revendicatives » à l’intérieur de l’ex-groupe, et une indifférence par rapport à notre activité. L’ »ouverture » prônée par ceux que nous pensons porteurs de ces désaccords et/ou de cette indifférence, nous apparaît être un refus de s’affronter à d’autres.

 

Considérant tout ce qui précède, il ne nous était plus possible d’envisager une activité de communistes dans le cadre de l’ »Insécu ». Ceci était contradictoire avec nos perspectives :

-         L’association régulière en fonctions d’accords sur des « positions communistes », et non sur un simple rejet du capitalisme et de ses institutions (syndicalisme, parlementarisme,…).

-         L’élaboration et la participation collective au fonctionnement du regroupement.

-         La répercussion, par les participants, de nos discussions à l’extérieur.

-         La recherche de la cohérence. Nous ne sommes pas forcément d’accord sur tout, mais nous faisons connaître sans demi-mesures ni réticences ce sur quoi nous sommes d’accord.

-         L’ouverture de réunions à d’autres individus, après accord préalable de tous les membres du regroupement.

-         L’activité ponctuelle avec d’autres, (groupes ou individus), en fonction d’activités précises, et de comportements et positions non-antagonistes avec les nôtres.

 

 

 

 

LA TENDANCE AU COMMUNISME DANS L’HISTOIRE

 

Quelles sont, dans les différentes périodes de l’histoire de notre espèce, les tendances dans les comportements humains qui ont été dans la direction de ce que nous appelons le communisme ? Pour dire cela, d’abord il faut peut-être repréciser ce que nous entendons par communisme et, bien sûr, ce que nous n’entendons pas par communisme.

 

Pas une politique

 

Par rapport à la définition que l’on peut donner de ce terme, négativement le communisme n’est pas un programme ou une série de mesures que l’on opposerait de façon concurrentielle à d’autres programmes qui existeraient dans la société, et que l’on tenterait de faire triompher soit par l’argumentation, soit par la force des armes.

Donc, se réclamer du communisme ne peut ambitionner à la conquête de l’Etat et à la substitution d’un nouveau pouvoir qui serait le pouvoir juste, le pouvoir raisonnable des communistes – ou de ceux qui se réclament du communisme – opposé au pouvoir injuste de la bourgeoisie. Nous n’œuvrons pas pour le triomphe d’une nouvelle politique, puisque le triomphe de la politique et avec lui le triomphe de l’Etat, c’est la classe capitaliste qu l’a déjà réalisé sous nos propres yeux.

Si une révolution communiste a lieu, celle-ci sera le renversement et non l’aboutissement de ce qu’a été cette tendance sous la domination de la classe bourgeoise. C’est pour cette raison que nous n’utilisons pas, pour décrire le communisme, les termes de démocratie et de dictature que nous pensons être des formules juridiques qui ont été liées à différentes formes de pouvoir étatique et que nous ne pensons pas être adéquates à ce que sera le communisme.

En effet, dans les sociétés que nous avons connues, la dictature, comme la démocratie, a correspondu à l’exigence du maintenir une certaine cohésion sociale où cette cohésion n’existait pas par elle-même, soit par la coercition, donc la dictature, soit par une idéalisation de la représentativité où il y a une certaine harmonie entre les classes, comme dans la démocratie. Ces formes d’organisation dictatoriale ou démocratique ont correspondu à des sociétés qui, par leur mouvement même, rompaient les liens traditionnels et personnels qui avaient pu exister précédemment entre les groupes et les individus.

Par rapport à cela, le communisme représente non pas l’aboutissement d’une de ces tendances, mais la manifestation d’autres rapports entre les hommes, ce que l’on a communément appelé une communauté humaine. Donc la révolution communiste ne peut pas, dés son départ, être l’imposition de rapports faux entre les hommes que ce soit par des mesures dictatoriales ou des mesures démocratiques, mais ne peut être que l’acte fondateur de cette communauté humaine. Croire qu’il est nécessaire, pour arriver à cette communauté humaine, de reconstituer de façon despotique ou démocratique une nouvelle communauté fictive, même de façon temporaire, qui remplacerait les communautés fictives que nous avons déjà connues, ce serait fonder, dés le départ, ce mouvement communiste sur la négation de se dynamique propre : la constitution de nouveaux rapports humains.

 

Pas une économie

 

Si, pour nous, le communisme ne peut pas être une politique, ce n’est pas non plus un nouveau type d’organisation économique ni une nouvelle forme de répartition de la propriété.  En effet, la communauté communiste n’instaurera pas une propriété « commune » puisque l’idée même de la propriété signifie l’accaparement par certains, la possession de certains au dépens des autres. Dans le communisme, la circulation des biens ne peut s’effectuer selon les modalités que nous avons connues dans le monde où nous vivons (la modalité de l’échange, l’échange de tels biens contre tels autres).

Dans une société dont personne n’est exclu, il ne peut exister d’échange, il ne peut exister d’achat et de vente, donc il ne peut exister d’argent. Il ne peut y avoir qu’une utilisation collective ou personnelle de ce que produit la communauté. Donc un remplacement de ce que nous avons connu, c’est-à-dire la logique de l’échange, par une nouvelle logique qui est la logique du partage en liaison avec la logique du don.

Dans une société communiste, les hommes s’associeraient pour accomplir telle ou telle action, pour partager les plaisir ou les émotions et répondre aux besoins généraux de la communauté, sans que le regroupement qu’ils formeraient ainsi prenne la forme d’un Etat, donc de la domination de certains hommes sur d’autres, ou prenne la forme d’une entreprise qui embauche des salariés et qui monnaie la production. Par conséquent, on ne peut parler, pour une telle société, de lois économiques. Ces lois, étant l’expression des relations humains reposant sur l’inégalité et la domination de certains ; inégalité, domination qui justifient elles-mêmes ces lois en les présentant comme des réalités inévitables ou ayant existé de toute éternité. Au contraire, dans la société communiste, il existerait un contrôle conscient des êtres humains sur leur propre activité au travers tant des relations existant entre eux que, plus généralement, des relations existant entre eux et le reste de la nature.

 En résumé, sur ce que nous mettons dans ce terme communiste, le communisme est avant tout la tendance à la communauté humaine qui, sous des formes variées par lesquelles elle a pu s’exprimer au travers de l’histoire de l’espèce humaine, a toujours été la recherche d’un monde où il n’existerait ni loi, ni propriété, ni Etat, ni discrimination qui sépare les hommes, ni richesse qui les distingue les uns des autres, ni pouvoir qui opprime certains d’entre eux. Donc être communiste, c’est d’abord et avant tout considérer que la première richesse est dans les relations humains et en faire découler tout le reste.

 

Dans l’histoire

 

A partir de cette définition, dans quel sens peut-on dire qu’il y a eu une tendance au communisme dans le passé ? Parler de tendance au communisme dans la passé, à priori soulève déjà un certain nombre d’obstacles. Le premier obstacle, c’est parfois la difficulté à comprendre le langage qu’a pu prendre cette tendance dans le passé. En effet, au travers des différentes organisations sociales qu’a connues l’espèce humaine, la tendance au communisme s’est définie par des vocabulaires correspondant à ces différentes organisations.

Ainsi, dans la société féodale, cette tendance a pu prendre un masque ou un langage religieux qui aujourd’hui n’a plus de signification. De la même façon, aujourd’hui nous avons tendance à définir le communisme par des termes comme un monde sans Etats, un monde sans frontières, un monde sans argent, ce qui ne revient finalement qu’à dire que le communisme, ce n’est pas le capitalisme.

Donc quand on parle de communisme à différentes époques, il faut avoir conscience du fait que les définitions que l’on en donne ne sont dans une certaine mesure que le reflet du monde où nous-mêmes vivons. De ceci, il en ressort une difficulté, pour nous qui vivons aujourd’hui dans la société capitaliste à un certain stade, à analyser cette tendance dans le passé, puisque, comme tout le monde, nous avons tendance à raisonner en catégories capitalistes. A ce niveau, il est évident qu’il y a beaucoup de comportements d’êtres humains dans le passé que nous avons du mal à comprendre. C’est le cas, par exemple, de la difficulté que l’on a pu avoir à comprendre la notion de chef dans certains sociétés primitives ou la notion de don que ce soit dans les sociétés primitives ou dans des sociétés postérieurs jusqu’à la société féodale. Ces notions de chef et ces notions de don ont eu des significations totalement différentes de ce que l’on met aujourd’hui derrière ces termes.

 

Avant l’Etat

 

Ici, il ne peut être question de dresser tout un tableau de la tendance au communisme de l’origine de l’humanité à nos jours. Je me suis contenté de prendre simplement trois citations, correspondant à des périodes très différentes de l’histoire d’ l’humanité, pour voir un peu quels sont les constantes et les points communs que l’on peut rencontrer au travers de ces différentes périodes.

La première est une citation de Clastres à propos des sociétés primitives, citation qui est intéressante puisqu’elle synthétise son étude de ces sociétés :

Les sociétés primitives sont donc des sociétés indivisées (et pour cela chacune se veut une totalité) : sociétés sans classes – pas de riches exploiteurs des pauvres -, sociétés sans division entre dominants et dominés – pas d’organe séparé du pouvoir. Il est temps maintenant de prendre complètement au sérieux cette dernière propriété sociologique des sociétés primitives. La séparation entre chefferie et pouvoir signifie-t-elle que la question du pouvoir ne s’y pose pas, que ces sociétés sont apolitiques ? A cette question, la « pensée » évolutionniste – et sa variante en apparence la moins sommaire, le marxisme (engelsien surtout) – répond qu’il en est bien ainsi et que cela tient au caractère primitif, c’est-à-dire premier de ces sociétés : elles sont l’enfance de l’humanité, le premier âge de notre évolution, et comme telles incomplètes, inachevées, destinées par conséquent à grandir, à devenir adultes, à passer de l’a-politique au politique. Le destin de toute société, c’est l’Etat comme organe qui sait et dit le bien commun à tous et se charge de le leur imposer.

Telle est la conception traditionnelle, quasi générale des sociétés primitives comme sociétés sans Etat. L’absence de l’Etat marque leur incomplétude, le stade embryonnaire de leur existence, leur a-historicité. Mais en est-il bien ainsi ? On voit bien qu’un tel jugement n’est en fait qu’un préjugé idéologique, d’impliquer une conception de l’histoire comme mouvement nécessaire de l’humanité à travers des figures du social qui s’engendrent et s’enchaînent mécaniquement. Mais que l’on refuse cette néo-théologie de l’histoire et son continuisme fanatique : dés lors les sociétés primitives cessent d’occuper le degré zéro   de l’histoire, grosses qu’elles seraient en même temps de toute l’histoire à venir, inscrite d’avance en leur être. Libérée de ce peu innocent exotisme, l’anthropologie peut alors prendre au sérieux la vraie question du politique : pourquoi les sociétés primitives sont elles des sociétés sans Etat ? Comme sociétés complètes, achevées, adultes et non plus comme embryons infra-politiques, les sociétés primitives n’ont pas l’Etat parce qu’elles le refusent, parce qu’elles refusent la division du corps social en dominants et dominés. La politique des Sauvages, c’est bien en effet de faire sans cesse obstacle à l’apparition d’un organe séparé du pouvoir, d’empêcher la rencontre d’avance sue fatale entre institution de la chefferie et exercice du pouvoir. Dans la société primitive, il n’y a pas d’organe séparé du pouvoir parce que le pouvoir n’est pas séparé de la société, parce que c’est elle qui le détient, comme totalité une, en vue de maintenir son être indivisé, en vue de conjurer l’apparition en son sein de l’inégalité entre maîtres et sujets, entre le chef et la tribu. Détenir le pouvoir, c’est l’exercer ; l’exercer, c’est dominer ceux sur qui il s’exerce : voilà très précisément ce dont ne veulent pas (ne voulurent pas) les sociétés primitives, voilà pourquoi les chefs y sont sans pouvoir, pourquoi le pouvoir ne se détache pas du corps un de la société. Refus de l’inégalité, refus du pouvoir séparé : même et constant soucis des sociétés primitives. Elles savaient fort bien qu’à renoncer à cette lutte, qu’à cesser d’endiguer ces forces souterraines qui se nomment désir du pouvoir et désir de soumission et sans la libération desquelles se sauraient se comprendre l’irruption de la domination et de la servitude, elles savaient qu’elles y perdraient leur liberté. (Pierre Clastres, « La question du pouvoir dans les sociétés primitives », Interrogations n°6, 1976).

Clastres met l’accent sur un caractère important de ces sociétés. C’est que non seulement celles-ci ou du moins certaines d’entre elles ont été des sociétés qui refusaient l’Etat, mais aussi des sociétés qui, très pratiquement, même sans le connaître a priori, ont lutté contre l’introduction de l’Etat, qui ont vraiment offert une résistance active et pratique à l’Etat.  

 

Critique de l’argent

Faisons un très grand saut historique pour le deuxième exemple. C’est un extrait d’un texte de Winstanley, de La loi de la liberté, donc du principal théoricien ayant participé au mouvement des Niveleurs et au mouvement autour des Niveleurs en Grande Bretagne dans la période 1650, et qui est peut être un des premiers qui a fourni une certaine expression théorique, qui marque un peu un tournant, de ce qu’il entendait par le communisme :

Lorsque l’humanité commença à acheter et à vendre, elle perdit son innocence ; et les hommes commencèrent alors à s’opprimer les uns les autres et à frauder leur droit naturel (…). Les hommes n’apprendront jamais à reforger leurs épées en socs de charrue, leurs lances en outils de jardin, ils ne sauront jamais se débarrasser des guerres  s’ils n’ont d’abord balayé avec les immondices du pouvoir royal l’escroquerie qu’ils ont inventé de l’achat et de la vente.

Cet extrait tire sont importance d’une vision, d’une lucidité extrême sur les implications des rapports marchands, où il y a déjà une théorisation du communisme comme quelque chose qui se situe en rupture avec les rapports marchands et avec l’argent.

Le dernier texte, c’est un extrait du Catéchisme Communiste de Moïse Hess, où on a aussi un retour sur ce problème de l’argent et des rapports marchands. Dans le chapitre traitant, sous forme d’un questionnaire, de l’argent et de la servitude, les réponses suivantes sont apportées :

1)      Qu’est-ce que l’argent ?

C’est la valeur exprimée en chiffres de l’activité humaine, le prix d’achat ou la valeur d’échange de notre vie.

2)      L’activité des hommes peut-elle être exprimée en chiffres ?

L’activité humaine, pas plus que l’homme lui-même n’a de prix ; car l’activité humaine est la vie humaine, que ne peut compenser aucune somme d’argent ; elle est inestimable.

3)      Qu’est-ce que l’homme qui peut être vendu pour de l’argent ou qui se vend lui-même pour de l’argent ?

Celui qui peut être vendu est un esclave et celui qui se vend a une âme d’esclave.

4)      Que devons-nous déduire de l’existence de l’argent ?

Nous devons en déduire l’existence de l’esclavage (de l’homme), car l’argent est le signe même de l’esclavage de l’homme puisqu’il est la valeur de l’homme exprimée en chiffres.

5)      Combien de temps les hommes resteront-ils encore esclaves et se vendront-ils avec toutes leurs facultés pour de l’argent ?

Ils le demeureront jusqu’à ce que la société offre et garantisse à chacun les moyens dont il a besoin pour vivre et agir humainement, de telle sorte que l’individu ne soit plus contraint à se procurer ces moyens par sa propre initiative et dans ce but vendre son activité pour acheter en contrepartie l’activité d’autres hommes. Ce commerce des hommes, cette exploitation réciproque, cette industrie qu’on dit privée, ne peuvent être abolis par aucun décret, ils ne peuvent l’être que par l’instauration de la société communautaire, au sein de laquelle les moyens seront offerts à chacun de développer et d’utiliser ses facultés humaines.

6)      Dans une société ainsi constituée, l’existence de l’argent est-elle possible ou imaginable ?

Pas plus que l’existence de l’esclavage des hommes. Lorsque les hommes ne seront plus obligés de vendre les uns aux autres leurs forces et leurs facultés, ils n’auront plus besoin non plus d’estimer leur valeur en chiffres, ils n’auront plus besoin de compter ni de payer. A la place de la valeur humaine exprimée en chiffres apparaîtra alors la véritable, inestimable valeur humaine – à la place de l’usure, le foisonnement des facultés humaines et des jouissances de la vie – à la place de la concurrence aux armes déloyales, une coopération harmonieuse et une noble émulation – à la place de la table de multiplication, la tête, le cœur et les mains d’hommes libres et actifs. (M. Hess, 1846).

C’est le dernier exemple de cette expression théorique du communisme que j’aurais voulu donner. Bien sûr on pourrait en donner quantité d’autres mais au travers de tous les exemples que l’on peut donner, il y a certaines constantes que l’on peut toujours dégager. La première de ces constantes correspond à la définition du communisme donnée au départ, c’est-à-dire, faire partir le communisme non pas d’une politique, non pas d’une économie, mais de l’homme et des rapports entre hommes, d’où aussi l’importance du thème égalitaire, de l’égalité, dans toutes les expressions théoriques qu’a pu connaître le communisme. Bien sûr, plus on se rapproche de sociétés basées sur les rapports marchands, plus la critique est centrée autour du rôle de l’argent et au delà, à partir de l’argent, la critique de tous les rapports d’achat et de vente que ce soit des biens ou des hommes.

 

L’intérêt aujourd’hui

Pour conclure, quel est l’intérêt pour nous aujourd’hui de ce que nous pouvons savoir de cette tendance au communisme dans l’histoire passée ? A mon avis, il y a trois types d’intérêt que peut avoir cette connaissance.

D’abord, c’est la négation de tout le discours sur la nature humaine ou l’éternité de certains comportements humains, la critique de tous les discours du style « ça a toujours été comme ça », « l’homme est un loup pour l’homme », etc, etc.

Le deuxième type d’intérêt, c’est de nous aider à mieux comprendre finalement ce que sont nos propres aspirations. Parce que, tout comme les aspirations prises dans le passé ont été partielles, souvent maladroites, notre propre aspiration aujourd’hui est tout aussi partielle et tout aussi maladroite. Finalement, la mise en commun de tout ce qu’était cette aspiration dans l’histoire de l’espèce humaine, c’est un peu aussi un moyen de voir en quoi l’essentiel, quel que soit le cadre social dans lequel il se trouve posé à un moment ou à un autre de son histoire, correspond, répond aujourd’hui à nos propres aspirations.

Il y a un troisième type d’intérêt. C’est peut-être finalement nous aider à nous en sortir par rapport à la situation que nous avons aujourd’hui, puisque, à ces différentes aspirations au communisme, ont correspondu différentes tentatives pour lutter contre ce qui s’opposait à ces aspirations. On connaît ces tentatives, on voit quels ont été leurs apports, quels ont été leurs limites. Cela peut peut-être aussi être aujourd’hui pour nous une façon de lutter pour nos propres aspirations, de combattre les formes particulières prises aujourd’hui par tout ce qui s’oppose à cette aspiration au communisme.

 

Hème (« Insécurité Sociale »).

 

P.S. Ce texte est une transcription d’un exposé réalisé le 21 janvier 1985 lors d’une réunion publique organisée par « Socialisme Mondial » (organe francophone du SPGB). Certaines erreurs évidentes de transcription présentent dans l’édition initiale ont donc été rectifiées.

 

 

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