I.                L’amour homosexuel.

1.0 Introduction.

Avant de nous concentrer sur la conception et la représentation proustiennes de l’homosexualité, nous nous proposons d’esquisser d’abord un cadre théorique concernant l’amour du même sexe. Sous plusieurs angles, nous fournirons une vue générale sur ce que c’est que l’homosexualité.

Avant de commencer, essayons de dresser une définition de l’homosexualité. Qu’est-ce qui fait qu’on définit quelqu’un comme homosexuel ? Est-ce le fait que cette personne a (eu) des relations homosexuelles ? Ou suffit-il qu’on ait de tels désirs ? Et y aurait-il pas des homosexuels à leur corps défendant ? Toutes ces questions indiquent la complexité du problème - une complexité qui se base sur la subjectivité totale : il existe autant de définitions de l’homosexualité qu’il y a des personnes dans le monde. Regardons par exemple la définition donnée par l’armée américaine :

« En déclarant que les homosexuels pouvaient y [à l’armée américaine] être admis à condition de ne pas dire qu’ils le sont, car cela reviendrait à annoncer qu’ils ont l’intention de pratiquer des actes homosexuels, les responsables militaires ont donné une définition de l’homosexualité qui accorde à la déclaration de soi une importance considérable. Dire « je suis homosexuel » aurait pour signification « j’ai l’intention de pratiquer des actes homosexuels ». Par conséquent, dire, c’est faire[1]. Mais il est donc possible d’ « être » homosexuel, à condition de ne pas le dire, et donc de ne pas laisser supposer que l’on a l’intention de pratiquer des actes homosexuels. »[2]

L’Eglise traite le phénomène de façon semblable : les homosexuels sont tolérés, c.-à-d. ils ne sont pas considérés comme tels, à condition de ne pas dire qu’ils aiment le même sexe. En Flandre, Rudy Borremans constitue l’exemple actuel par excellence.

Afin de pouvoir comprendre parfaitement ce qui suit, nous voulons insister sur la dualité du phénomène : l’homosexualité masculine est tout autre chose que sa variante féminine. Un homme qui aime les hommes est déterminé par son inversion, surtout quand il choisit de l’exhiber en adoptant un look et une attitude délibérément efféminés. Il rencontre beaucoup de problèmes dans sa vie sociale et les inconvénients s’accumulent tellement que bon nombre d’homosexuels optent pour une double vie : ils cachent leurs goûts et ne les révèlent que dans certaines situations, p.ex. dans les cercles d’amitiés (cf. 1.4.2. L’organisation de la vie homosexuelle : l’amitié dans l’urbanité). Une situation tout autre s’impose aux femmes. Elles ne rencontrent presque pas de problèmes (les sanctions légales contre elles sont minimales ou inexistantes) et le développement de qualités pour la vie pratique fait qu’elles ressentent leur ‘vice’ assez souvent positivement. Le goût exclusif pour le même sexe semble être un phénomène rare chez les femmes. Dans la plupart des cas, elles sont bisexuelles.

Après avoir insisté sur la dualité de l’homosexualité, nous approcherons l’amour du même sexe de différentes façons. Nous adopterons d’abord un point de vue historique, après quoi nous emprunterons la voie de la culture, de la littérature, du mythe et de la science. Ainsi, nous espérons créer un cadre théorique qui permet de mieux percer l’inversion dans A la recherche du temps perdu.

1.1 L’homosexualité du point de vue mythique.

Dans le Symposium (et plus particulièrement dans Le Banquet), Platon met en scène Aristophane qui raconte que, tout au début, l’humanité est constituée de trois sexes. Chaque sexe a une forme circulaire avec deux figures, quatre mains, quatre pieds et deux organes sexuels. Il existe des combinaisons de deux hommes, de deux femmes et d’un homme avec une femme. Ces êtres primitifs sont puissants et ils le savent. Ils essayent sans cesse de vaincre les dieux. Un jour, Zeus en a assez et pour diminuer leur force, il coupe toutes ces créatures en deux. Dès lors, les individus vont à la recherche de la moitié dont ils ont été coupés afin de regagner leur puissance originaire. Le désir de retrouver leur moitié coupée n’a encore rien à voir avec la sexualité jusqu’à ce que Zeus remarque que l’espèce humaine commence à s’éteindre (une fois séparés de l’autre moitié, les individus ne parviennent pas à fonctionner et par conséquent ils ne survivent pas). Zeus déplace alors à l’avant les organes génitaux, qui se trouvaient à l’arrière des individus.

« Son but était celui-ci : l’accouplement devait à la fois avoir pour effet, s’il y avait rencontre d’un homme avec une femme, qu’il y eût génération et reproduction de l’espèce ; et en même temps, si c’était d’un mâle avec un mâle, que la satiété fût à tout le moins le fruit de leur commerce, et que ce temps de relâche, en les tournant vers l’action, leur permît de s’intéresser à tout le surplus des choses de l’existence »[3].

 Voilà donc la naissance de deux types de sexualité : d’une part, on a l’homosexualité (les hommes qui proviennent d’un duo homme-homme vont à la recherche d’un homme pour retrouver ainsi leur état originel tandis que les femmes, à l’origine attachées à une autre femme, cherchent un partenaire féminin) ; d’autre part, l’hétérosexualité (les hommes et les femmes qui viennent d’une combinaison androgyne sont les hétérosexuels).

On pourrait conclure que pour Platon, l’homosexualité est un phénomène naturel, une forme d’amour qui existe parfaitement à côté de et à la même hauteur que l’hétérosexualité. Néanmoins, une image tout autre apparaît dans Les Lois, la dernière œuvre du philosophe. Ici, il parle de l’homosexualité comme d’un amour contre nature : « … tandis que les tentatives de mâles sur mâles ou de femelles sur femelles sont contre nature (para phusin) et proviennent d’une intempérance dans le plaisir »[4]. Platon condamne l’homosexualité fermement à base des lois de la nature. Le plaisir sexuel n’est permis qu’en vue  de la procréation. Fléchir devant le désir homosexuel est qualifié d’inférieur puisque cela fait preuve d’intempérance et donc d’un manque d’autodiscipline. (Cf. 1.3.1.1 L’Antiquité). La critique platonicienne relève du déplacement sociologique que nous avons expliqué sous le point 1.3.1.1 L’Antiquité et ne concerne donc pas l’immoralité de l’homosexualité, mais si « l’incontinence dans le plaisir ».[5]

 

1.2 L’homosexualité du point de vue scientifique.

Jetons un coup d’œil sur quelques théories de l’homosexualité. Il s’agit d’un phénomène largement commenté. Dû à plusieurs raisons, elle est le sujet de beaucoup plus d’examens et d’enquêtes que d’autres ‘perversions’. L’homosexualité est la soi-disant perversion qui a été reconnue plus tôt que les autres. De plus, les homosexuels entrent souvent en conflit avec la société et la loi à cause de leur ‘anomalie’, ce qui fait qu’ils ont souvent tendance à se cacher. Dans un second temps, ils se sont ouverts sur le monde : ils espèrent que les maintes recherches et études sur leur état les aideront à éviter ces inconvénients.

Des tas d’explications de l’homosexualité ont été données. Tous les domaines sociologiques s’y intéressent : la philosophie (p.ex. Schopenhauer), la psychologie (p.ex. Chevalier, Binet), la médecine (p.ex. Magnan, Mantegazza, Bernhardi), l’anthropologie (p.ex. Moll), l’anatomie (p.ex. Steinach),… Par conséquent, il est très difficile de faire un tour d’horizon sommaire des théories de l’homosexualité. Vu qu’une présentation exhaustive dépasserait les besoins de ce travail, nous nous limiterons aux théories que Proust a (probablement) connues et sur lesquelles il s’est basé quand il met en scène l’homosexualité dans A la recherche du temps perdu.[6]

1.2.1 Ulrichs.

En 1868, Ulrichs –mieux connu sous le nom de Numa Numantius- lance sa définition célèbre de l’homosexuel dans son traité Memnon : Die Geschlechtsnatur des mannliebenden Urnings : « anima muliebris virili corpore inclusa »[7]. L’inverse vaut pour les lesbiennes. Il s’agit donc d’hybrides ou d’hermaphrodites psychiques[8]. Cet état hybride est causé par un jeu glandulaire spécial qui a pour conséquence que l’homme reçoit l’esprit d’une femme et vice versa. Cet hermaphrodisme psychique est déjà entièrement développé lors de la treizième semaine de la vie embryogénique. Ainsi, la préférence pour des personnes du même sexe ne peut qu’être innée et donc naturelle. Voilà pourquoi Ulrichs demande la reconnaissance de cet amour par l’Etat et la société comme quelque chose de congénital et par conséquent légitime.

Ulrichs crée un néologisme pour la dénomination de l’homosexuel : c’est un uranien. Ce mot vient du dieu Uranus qui est le père d’Aphrodite, née sans mère de l’écume de la mer, comme le raconte Pausanias dans Le Banquet de Platon 

« C’est une chose connue de tout le monde que l’Amour et l’Aphrodite sont inséparables. (…) mais, puisqu’il y a deux Aphrodites, nécessairement il y a aussi deux Amours. (…) Il y en a une, la plus ancienne je crois bien, qui , sans avoir eu de mère, est la fille d’Uranus, du Ciel, celle qu’aussi nous surnommons précisément Uranienne, la Céleste ; il y en a une autre qui est plus jeune, fille de Zeus et de Diônè, que précisément nous appelons la Pandémienne, la Populaire. Il est dès lors nécessaire, en ce qui concerne aussi l’Amour, que pour celui qui est le collaborateur (…), l’appellation correcte soit celle (…) d’Uranien. [Pour] celui qui se rattache à l’Aphrodite Uranienne, (…) le sexe mâle est l’objet vers lequel se tournent ceux qu’inspire cet Amour là. »[9]

Puisque l’uranien a l’esprit d’une femme, il se comporte par définition de façon efféminée. Ulrichs comprend qu’il y a quelque chose qui fait défaut ici (l’uranien ne peut pas entretenir des contacts avec d’autres uraniens parce qu’il est attiré, tout comme les femmes, vers de ‘vrais hommes’) et commence à bricoler sa théorie. Il distingue deux types extrêmes d’uraniens : les Mannlinge (ils possèdent une âme et une impulse sexuelle féminines ; le reste de leur personnalité est masculin) et les Weiblinge (seul leur sexe est masculin). Entre ces deux extrémités se trouvent beaucoup de types intermédiaires. Puis, il attire l’attention sur la confusion possible entre un Uranodioning (un homme bisexuel) et un virilisierte Mannlinge (un homosexuel qui, après un entraînement sévère, sait faire et fait comme s’il était hétérosexuel). Il distingue deux types d’Uranodioning (les conjonctifs et les disjonctifs) et ajoute à tout cela encore l’Uraniaster, le Dioning[10] et toute une classification pour l’homosexualité féminine. La pagaille est complète et la théorie des hommes-femmes –appelée aussi Zwischenstufen, le troisième sexe ou le sexe intermédiaire- se voit condamnée à mort : elle devient tellement complexe que le monde scientifique ne le considérera jamais comme une théorie raisonnable.

1.2.2 Krafft-Ebing.

            En 1886, paraît Psychopathia sexualis. Ce livre est une énumération de toutes les aberrations sexuelles où l’homosexualité trouve sa place. L’auteur, Krafft-Ebing, explique que l’appareil sexuel est composé de glandes sexuelles, de centres spiraux (qui excitent ou bloquent les glandes sexuelles) et de territoires cérébraux (ici se déroulent les processus de la vie sexuelle) qui sont tous primitivement bisexués. Comme la nature, sous force de la loi du développement sexuel homologue (une loi empirique qui fait correspondre le centre cérébral à la glande sexuelle développée), reproduit des individus monosexués, on assiste à une élimination de la sexualité opposée qui ne s’effectue pas complètement : les deux sexes contiennent encore des ‘souvenirs’ l’un de l’autre et donc de leur bisexualité originaire (chez l’homme, il s’agit des restes des canaux de Müller et des mamelons tandis que chez la femme ce sont le paroophoron et l’époophoron (les restes des canaux de Wolff) qui la rappellent son origine bisexuée).

D’après Krafft-Ebing, l’homosexualité est un « phénomène de dégénérescence »[11] qui procure à ceux qui en ‘souffrent’ des dons artistiques exceptionnels, mais elle limite en même temps les capacités intellectuelles. Pour expliquer l’homosexualité, Krafft-Ebing recourt à l’hérédité (« Chez l’homme, les phénomènes de contrasexualité ne se rencontrent que chez des individus tarés »[12]) après la constatation que les phénomènes de perversion sexuelle s’attestent assez souvent non seulement dans un individu, mais dans plusieurs membres d’une même famille. Pour Krafft-Ebing, l’homosexualité est donc une anomalie congénitale héritée qui ne se déploie toutefois que quand la situation favorise son développement. L’onanisme par exemple joue un rôle dans la cristallisation définitive de l’homosexualité.

Krafft-Ebing distingue quatre types d’homosexuels. Nous laissons hors considération la première catégorie (les hermaphrodites psychiques) puisqu’elle se rapporte à ce qu’on appelle aujourd’hui les bisexuels. La deuxième catégorie est celle des homosexuels véritables : ils ne s’orientent sexuellement qu’aux membres du même sexe. Les charmes féminins ne parviennent pas à les séduire et s’ils finissent par se marier, ce n’est qu’à cause de raisons extérieures ou en fonction de considérations éthiques. Leurs rapports sexuels s’établissent avec des hommes d’une couche sociale très basse (Cf. 1.3.1.1 L’Antiquité) et avec des hommes de leur âge (contrairement à ce que nous verrons sous le point 1.3.1.1 L’Antiquité). Lors de l’acte sexuel, ils prennent généralement le rôle qu’ils auraient eu dans un contact hétérosexuel. L’hérédité joue énormément dans cette catégorie et ce type d’homosexuel souffre souvent d’autres perversions. La troisième catégorie, celle des efféminés,  se distingue des autres types parce que les hommes en question se sentent en femme lorsqu’ils ont affaire à un homme : ils prennent souvent l’attitude d’une jeune fille et essayent d’offrir ainsi ce qui plaît, à leur avis, à l’homme. Leur personnalité subit une influence considérable des sentiments sexuels anormaux, ce qui se voit fréquemment déjà dès l’enfance (p.ex. le petit garçon aime jouer à la poupée). Ils sont attirés par des hommes normaux ou des homosexuels non efféminés. Presque jamais ils ne combinent leur perversion avec d’autres et ils montrent des stigmates de tares héréditaires. La dernière catégorie va encore plus loin que les efféminés : ce n’est pas seulement la personnalité de l’androgyne qui révèle l’attitude sexuelle anormale, mais encore le corps même. Il s’agit d’un rapprochement anatomique à la femme qui se remarque à la structure du squelette, à la forme du visage et à la voix de l’androgyne. Là où les caractères sexuels primaires (les organes génitaux) sont normalement développés, le développement des caractères sexuels secondaires (le squelette, le système pileux, le larynx, la répartition adipeuse et la qualité de peau), qui dépend des glandes endocrines, fait penser à un dysfonctionnement hormonal.

1.2.3         Freud.[13]

« … nous avons été amenés à voir dans chaque déviation fixée de la vie sexuelle normale une part d’inhibition du développement et d’infantilisme »[14]

Afin de voir clair dans la mêlée des aberrations sexuelles, Freud pose la question de savoir si les perversions sont innées ou acquises. Après la constatation que les psychonévrosés font preuve de penchants à toutes les perversions –il s’agit de forces inconscientes-, Freud remarque que « la prédisposition aux perversions [est] la prédisposition originelle et universelle de la pulsion sexuelle humaine à partir de laquelle le comportement sexuel se développe au cours de la maturation sous l’effet de modifications organiques et d’inhibitions psychiques »[15]. Pour trouver une réponse adéquate à la question d’innéité ou d’acquisition, le psychanalyste va dresser toute une théorie de la sexualité des enfants : l’homme est né bisexuel. Dès sa naissance, il commence à évoluer sexuellement. La sexualité infantile est caractérisée par l’acquisition de plaisir et l’auto-érotisme dans lequel toutes les zones du corps reçoivent une attention égale. Par la suite, l’individu subit une influence double : d’une part, la zone génitale prend le rôle dominant ; d’autre part, les jouissances sexuelles sont mises en fonction de la procréation. Le complexe d’Œdipe joue énormément lors de cette évolution : entre sa deuxième et sa cinquième année, le garçon dirige ses impulses phalliques à sa mère. Il commence à concurrencer son père pour l’amour de la mère. L’inverse vaut pour la fille. Ainsi, Freud crée un parcours harmonieux  qu’il faut accomplir en passant par tous les stades prescrits afin d’arriver à une vie sexuelle ‘normale’. Les aberrations sexuelles sont insérées dans cet ensemble comme une simple fixation : « Chaque pas sur ce long chemin du développement peut devenir point de fixation »[16]. L’inverti ne réussit pas à traverser le stade narcissique et il veut par conséquent que son objet d’amour ait les mêmes organes génitaux que lui. Freud remarque que l’homosexualité naît aussi quand un enfant n’a pas connu de complexe d’Œdipe (p.ex. parce que le père est mort, …)[17].

Freud distingue trois types d’homosexuels qui ont chacun un comportement différent selon leur orientation. La première classe -la plus extrême- est celle des invertis absolus. L’autre sexe les laisse froids. Ces hommes ne parviennent pas à accomplir l’acte sexuel. La deuxième classe est celle des invertis amphigènes. Il s’agit des hermaphrodites psychosexuels ou des bisexuels. Finalement, il y a encore les invertis occasionnels que Freud décrit comme suite : « sous certaines conditions externes, parmi lesquelles l’inaccessibilité de l’objet sexuel normal et l’imitation viennent au premier plan, il leur arrive de prendre pour objet sexuel une personne du même sexe et de tirer satisfaction de l’acte sexuel consommé avec elle »[18]. D’après Freud, ce ne sont que les invertis absolus qui puissent attribuer leur déviance à l’innéité. Pour les deux autres classes, il s’agit d’une perversion acquise. Cette théorie est soutenue par trois faits : le comportement homosexuel se manifeste assez souvent après une mauvaise expérience avec un représentant du sexe opposé. Chez d’autres c’est la rançon des « influences externes favorables et inhibitrices de l’existence »[19]. Ici, Freud pense par exemple à la promiscuité en temps de guerre, à la détention en prison ou au célibat. Finalement, il remarque que « l’inversion peut-être supprimée par la suggestion hypnotique, ce qui paraîtrait bien étonnant dans le cas d’un caractère inné »[20].

 

1.3 L’homosexualité du point de vue historique

« …alors aimer un jeune homme était comme aujourd'hui (les plaisanteries de Socrate le révèlent mieux que les théories de Platon) entretenir une danseuse,  puis se fiancer. M. de Charlus lui-même ne l'eût pas compris,  lui qui confondait sa manie avec l'amitié,  qui ne lui ressemble en rien,  et les athlètes de Praxitèle avec de dociles boxeurs. Il ne voulait pas voir que depuis dix-neuf cents ans (…) toute l'homosexualité de coutume - celle des jeunes gens de Platon comme des bergers de Virgile - a disparu,  que seule surnage et se multiplie l'involontaire,  la nerveuse,  celle qu'on cache aux autres et qu'on travestit à soi-même. »[21]

Il nous paraît intéressant de regarder l’évolution de l’amour du même sexe depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours : aujourd’hui, la référence à la Grèce antique est souvent faite afin de justifier l’existence de l’homosexualité, mais a-t-on raison de référer au monde classique ? Pourquoi ne renvoie-t-on pas au Moyen Age ? Bien des questions nous incitent à jeter un coup d’œil sur l’histoire de l’homosexualité. Nous commencerons par l’origine de la culture européenne pour passer ensuite par le Moyen Age avant d’arrêter notre étude historique au début du XXe siècle.

1.3.1 Jusqu’au XIXe siècle

1.3.1.1 L’Antiquité : l’homosexualité est le synonyme parfait de ‘pédérastie’

Dans l’iconographie grecque, on retrouve beaucoup d’images représentant des hommes qui ont des rapports sexuels avec des adolescents. L’homosexualité était traitée d’une façon très différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Pour montrer que l’homosexualité était considérée comme quelque chose de parfaitement naturel, légitime et même indispensable, il suffit de reprendre les mots de Platon (cf. 1.1 L’homosexualité du point de vue mythique), de Plutarque (« si ‘à travers la fraîcheur et la grâce d’un corps’ on aperçoit la beauté d’une âme, et que celle-ci, rappelant le spectacle d’en haut, donne les ailes à notre âme, pourquoi la différence des sexes jouerait-elle ici, où il n’est question que de ‘la beauté’ et de ‘l’excellence au naturel’ ? »[22]) ou d’Aristophane, qui « qualifie de ‘nécessité naturelle’ le désir homosexuel au même titre que le désir hétérosexuel, l’envie de manger, de boire et de rire »[23]. L’homosexualité profitait d’un rôle social très important dans la société grecque. Elle constituait une expérience qu’il fallait faire subir aux jeunes afin de leur permettre d’accomplir la formation intellectuelle et morale : « un jeune garçon, l’éromène (l’aimé), offrait sa beauté et ses faveurs à un homme d’âge mûr, l’éraste (l’amant) ; en échange, ce dernier enseignait à son protégé ‘le métier de citoyen’ »[24]. Ce type de relation homosexuelle n’était donc pas du tout condamné. En revanche, la morale grecque –juridiquement aucune relation homosexuelle n’était réprimée- réprouvait fortement les pratiques sexuelles entre deux hommes d’âge mûr. Ceci relevait du fait que l’homme qui jouait le rôle passif dans cet acte était jugé faible et par conséquent politiquement inapte.

De cette description résulte clairement que l’homosexualité grecque diffère énormément du phénomène tel que nous le concevons aujourd’hui[25]. Dans la société classique, l’homosexuel devait réserver son désir (un mot qui est d’ailleurs mal choisi puisque le désir et l’amour n’entraient pas vraiment en scène : l’homosexualité grecque avait essentiellement une fonction pédagogique) aux adolescents, bien que cela ne signifiât pas qu’il ne pût pas aimer ou désirer les femmes. Il avait à se charger du rôle actif dans le jeu sexuel et il devait introduire l’adolescent ainsi dans le monde des adultes et plus particulièrement dans un monde élitaire. L’acte homosexuel fonctionnait donc comme une sorte d’initiation et ouvrait ainsi la route pour les classes sociales les plus hautes. Dès le cinquième siècle, un déplacement sociologique avait pour conséquence que l’homosexualité noble tombait dans une forme vulgaire de plaisir sexuel : l’exode rural –causé par l’urbanisation- faisait que beaucoup d’hommes commençaient à s’entretenir sexuellement. Ce qui avait été jusque-là une pratique réservée aux élites se généralisait et se diffusait dans toutes les classes sociales[26].

L’homosexualité féminine est une autre histoire. Contrairement à sa variante masculine, elle n’était pas un système strictement codifié, bien que la valeur d’initiation jouât aussi un rôle important. Pour le reste, nous n’en savons pas grand-chose : « ni tolérée, ni réprimée, ni condamnée, l’homosexualité féminine est simplement passée sous silence »[27]. Les actes homosexuels féminins ne figuraient presque pas dans l’iconographie et la littérature ne leur accordait pas non plus beaucoup d’intérêt. Néanmoins, le phénomène existait, comme le montrent les descriptions de Sappho, de Plutarque ou de Platon. Ces quelques passages ne permettent pas toutefois de faire sortir le lesbianisme de l’ombre de sa variante masculine et le nombre réduit de personnes qui traitaient le sujet montre clairement que le phénomène n’était pas accepté. L’homosexualité masculine était donc tolérée, mais le lesbianisme pas. Comme l’homosexualité féminine prouvait que les femmes n’étaient pas nées les servantes naturelles des hommes et qu’une société non hétérosexuelle était réalisable, elle était ressentie comme menaçante. Voilà pourquoi beaucoup de productions littéraires et iconographiques relevant d’une telle culture étaient systématiquement détruites ou cachées.

Nous ajoutons encore que les voisins des Grecs, les Romains, n’avaient pas de problèmes non plus avec l’homosexualité (masculine). Ils la traitaient de façon tout à fait indifférente. Dans l’Age Classique, l’homosexualité (masculine) est donc parfaitement acceptée et intégrée dans la société. D’après Boswell, la question qu’il faut se poser alors est de savoir « pourquoi les peuples modernes, qui ont hérité de la société romaine presque tous les aspects de leur culture et de leur organisation, ont-ils exclu du legs l’indifférence à l’égard de l’homosexualité.»[28]

 

1.3.1.2  Du Moyen Age jusqu’au XIXe siècle : un moment de revirement…

C’est une question pertinente que pose Boswell. Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’aujourd’hui on n’ait plus du tout la tolérance vis-à-vis des homosexuels qu’avaient les Antiques ?

C’est l’empereur Justinien qui déclare les premières lois répressives en 533 : les rapports homosexuels sont considérés comme de l’adultère et cela tombe sous le coup de la loi. Peu de gens s’en soucient et les passions homosexuelles continuent à se déchaîner.

Au XIe siècle, on assiste au développement de toute une culture homosexuelle à cause de la naissance des villes et de l’extension des libertés individuelles. Une littérature abondante sur l’amour homosexuel apparaît, p.ex. le poème de Pierre Abélard sur David et Jonathan (Cf. 1.3 L’homosexualité du point de vue littéraire).

Au XIIe siècle, on voit apparaître beaucoup de poésie sur l’homosexualité. Les étudiants de l’époque sont obligés de lire Ganymède et Hélène, une étude qui compare les deux types d’amour. (Cf.1.5 L’homosexualité du point de vue littéraire).

Le XIIIe siècle est celui du revirement : l’essor de la culture homosexuelle est mis abruptement à fin et la tolérance est rejetée. Cinq facteurs en sont responsables : le renforcement et la centralisation du pouvoir, l’uniformisation des opinions et des institutions, la mise en dogmes sévère de la théologie et la création de l’Inquisition. A partir de ce moment, toutes les minorités sont chassées. Les homosexuels souffrent plus que les autres : à cause de la saleté et du manque d’hygiène, la maladie et la mort sont omniprésentes dans la société médiévale. D’après certains, ceci fait que l’homme ressent un grand besoin de se reproduire afin de garantir la survie de l’espèce humaine. Par conséquent, les pratiques sexuelles ‘à autres fins’ ne sont pas tolérées. Les homosexuels se taisent de peur d’être punis et dès lors on retrouve à peine des écrits qui chantent l’amour homosexuel. Les premières lois répressives pour le lesbianisme datent aussi de cette période : en 1270, on peut lire dans Li livres di jostice et de plet (le code civil d’Orléans) : « Feme qui le fet doit a chescune foiz perdre membre et la tierce doit estre arsse »[29].

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, trois codes explicites régissent donc la sexualité, à savoir le droit canonique, la pastorale chrétienne et la loi civile. A la fin du XVIIIe siècle, l’homosexualité sort de son silence parce que l’intervention de l’Eglise dans la sexualité perd beaucoup de son insistance. La médecine commence peu à peu à s’intéresser à l’ensemble des ‘aberrations sexuelles’, mais elle n’a pas le pouvoir de l’interdit et n’empêche donc pas le coming-out.

Au XIXe siècle, la situation juridique en France est favorable aux homosexuels : en 1810, le Code Napoléon n’interdit pas la pratique homosexuelle. Cette attitude est partagée par la police : Carlier (le chef de la police des mœurs à Paris entre 1850 et 1870) fait apparaître en 1887 Prostitution antiphysique. Ce livre approche l’homosexualité de façon objective et positive. Néanmoins, la condamnation morale du grand public continue à vivre et se renforce même, en deux phases : par un premier moment, les gens montrent leur aversion envers tous ceux qui ne suivent pas l’ordre économique de la reproduction, entré en vigueur lors de l’industrialisation de la société. La seconde étape consiste alors à montrer clairement à ceux qui s’écartent de la norme –les homosexuels le font en ‘refusant’ l’acte sexuel qui procrée- qu’ils n’ont pas de place dans la société. C’est à ce moment-là que la médecine commence à s’intéresser à cette « race maudite »[30]. (Cf. 1.1. L’homosexualité du point de vue scientifique)

Dès la moitié du XIXe siècle, on parle de la « médicalisation de l’homosexualité »[31] : les tentatives médicales prudentes des décennies précédentes se convertissent en des recherches spécialisées et approfondies. Elles se concentrent la plupart du temps autour des mêmes questions (p.ex. L’homosexualité est-elle innée ou acquise ? S’agit-il d’une cause ou d’une conséquence de la folie ? …) et les réponses trouvées par la médecine ne sont pas trop favorables aux homosexuels. Regardons par exemple Etude médico-légale sur les attentats aux mœurs écrit en 1857 par Tardieu. Dans ce livre, le médecin décrit la répulsion qu’il éprouve devant le péché homosexuel. Pour Tardieu, il est impossible d’employer des mots positifs pour le sujet ‘affreux’ de ses études. Les conclusions qu’il en tire ne sont donc pas trop constructives.[32] La chasse aux homosexuels est ouverte pour les médecins. Il est par conséquent peu surprenant que les théories ‘scientifiques’ qui se trouvent sous le point 1.1 L’homosexualité du point de vue scientifique  trouvent leur origine dans la seconde moitié du XIXe siècle.

 

1.3.2 A l’aube du XXe siècle.

Au début du XXe siècle, l’idée de l’homosexualité telle qu’elle est représentée par Proust dans A la recherche du temps perdu commence à prendre forme. Le phénomène est perçu comme une simple inversion du genre : l’homosexuel renonce à sa masculinité ; la lesbienne à sa féminité. La guerre joue un rôle important dans cette conception de l’amour du même sexe : la promiscuité et les expériences vécues transforment profondément la culture homosexuelle. Mais, la guerre n’est pas le seul événement à marquer : à cette époque, l’homosexualité est un sujet largement commenté dans la presse européenne. L’Europe entière est choquée par les scandales homosexuels qui sont percés à jour et on en parle beaucoup. Les Français se sont surtout scandalisés de l’affaire Eulenburg en Allemagne et du procès de Wilde en Angleterre.

Le 27 octobre 1907, Maximilien Harden publie dans la revue Zukunft des révélations homosexuelles (e.a. sur Philipp von Eulenburg ) qu’il base sur les informations reçues de von Holstein, le ministre allemand de l’Extérieur. Celui-ci est effarouché par l’influence que Philipp von Eulenburg a sur le prince impérial Guillaume II de Prusse. Von Holstein a peur que le prince impérial devienne trop puissant ainsi. Sur les insistances de von Holstein, Harden fait chanter Eulenburg : si Eulenburg ne rencontre plus Guillaume, Harden ne publiera plus d’informations sur sa nature homosexuelle. Eulenburg est d’accord, mais il a encore un rendez-vous avec Guillaume. La réaction de Harden –toujours à l’instigation de von Holstein- est sévère : il écrit dans Zukunft que le prince impérial n’a pas de souveraineté et que, s’il fait comme s’il l’avait, c’est à cause d’Eulenburg. L’homosexualité de celui-ci est citée comme une menace de la démocratie. La condamnation de l’inversion n’est pas loin et les premiers procès contre ceux qui aiment le même sexe commencent. L’affaire Eulenburg entraîne beaucoup d’autres scandales allemands qui font que bon nombre d’homosexuels perdent leur poste (p.ex. le chef militaire, le commandant d’armes de la garnison,…). L’Europe entière peut lire l’histoire de l’affaire Eulenburg dans la presse.

En 1895, Oscar Wilde est condamné à deux ans de travaux forcés. Cet homosexuel se trouve mêlé à un procès après sa réaction à l’injure que lui a faite le marquis de Queensberry. Ce dernier est le père d’Alfred Douglas, l’amant de Wilde. Après avoir écrit sur une carte : « Oscar Wilde, posing as a sodomite »[33], le marquis la dépose dans son club. Malgré les tentatives calmantes de ses amis, Wilde réagit de façon effarouchée :  sous l’influence de Douglas –il hait son père-, il poursuit le marquis en diffamation. Cette décision n’est pas trop favorable à Wilde : le procès se tourne contre lui parce que la loi soutient l’injure contre ceux qui s’écartent de la norme. Wilde le formule formidablement dans De Profundis :

« Of course once I had put into motion the forces of society, society turned on me and said, ‘Have you been living all this time in defiance of my laws, and do you now appeal to those laws for protection ? You shall have those laws exercised to the full. You shall abide by what you have appealed to. »[34]

Après le second procès –le premier ne parvient pas à mener le jury à une unanimité-, Wilde reçoit la plus sévère punition pour un « crime de ‘grave immoralité’ »[35] : deux ans de travaux forcés. Après cette condamnation, le poète américain Stuart Merrill lance une pétition qui demande l’adoucissement de la peine. En France, beaucoup d’intellectuels (e.a. Anatole France, Edmond de Goncourt, Alphonse Daudet, Jules Renard,…) refusent de la signer. Même Zola, qui prend cependant position dans l’affaire Dreyfus, ne signe pas. Fernandez conclut dans Le rapt de Ganymède : « Pour intervenir publiquement au sujet de l’homosexualité, il aurait donc fallu non seulement du courage, mais de l’héroïsme »[36].

Le changement dans le concept même et ci-joint les événements qui se passent en Europe  comme l’affaire Eulenburg et le procès d’Oscar Wilde font que, peu à peu, les homosexuels commencent à s’ouvrir sur le monde.

Foucault résume magistralement la situation des homosexuels et de tous les autres ‘pervertis’ de cette période :

« De la fin du 18e siècle jusqu’au nôtre, [les homosexuels] courent dans les interstices de la société, poursuivis mais pas toujours par les lois, enfermés souvent mais pas toujours dans les prisons, malades peut-être, mais scandaleuses, dangereuses victimes, proies d’un mal étrange qui porte aussi le nom de vice et parfois de délit. »[37]

 

1.4L’homosexualité du point de vue culturel.

« La ‘culture homosexuelle’ (…) est la fille de la peur et de la honte. »[1]

1.4.1            S’agit-il d’un phénomène naturel ou culturel ?

« Quelqu’un dit publiquement qu’il est homosexuel pour ne plus être considéré comme hétérosexuel. Ce qui est toujours le cas s’il ne dit pas qu’il est homosexuel puisque l’hétérosexualité est perçue comme évidente et toujours présupposée chez tout individu. »[2]

La plupart des gens sont d’avis que l’homme est de nature hétérosexuelle. Par conséquent, l’homosexualité ne serait qu’un phénomène culturel. Il y en a même qui disent que l’amour du même sexe se voit seulement en temps de décadence[3] – ce qui prouve qu’il ne s’agit pas d’un phénomène naturel. Mais ont-ils raison ? L’homosexualité est-elle naturellement ou culturellement déterminée ?

L’Eglise a toujours stigmatisé l’homosexualité comme contre nature. Elle se base sur les histoires de la Bible qui racontent les punitions des homosexuels (e.a. Genèse XIX, Lévitique XX, 13, Sagesse XIV, Romains, I, 1, 24-32). Pierre Damien va même jusqu’à affirmer que l’amour du même sexe est une impulsion diabolique[4]. Il est frappant de voir que l’homosexualité se produit apparemment beaucoup plus dans les hautes classes de la société que dans les rangs inférieurs. Regardons par exemple Léonard de Vinci : né dans une famille prolétarienne, il gravit les échelons de la société comme s’il savait qu’il pourrait seulement aboutir à la pleine réalisation de soi-même dans une catégorie sociale plus haute. Les homosexuels qui se trouvent mêlés à un scandale occupent tous un poste considérable dans la société. Les auteurs mettent également l’accent sur ce fait : ils situent souvent leurs homosexuels dans les rangs sociaux supérieurs. Il est donc facile à conclure au fondement culturel du phénomène :

« Sans un climat subtilement perverti par le luxe et l’élégance, les tendances ‘anormales’ ne trouveraient pas à s’épanouir, de même que certaines plantes vénéneuses ont besoin de la touffeur artificielle des serres pour échapper à l’étiolement. »[5]

 Mais n’est-ce pas un peu trop facile ? C’est qu’on oublie un argument d’importance capitale :  

« L’absence de témoignages mentionnant une conduite scandaleuse parmi les classes inférieures ne signifie pas que l’homosexualité était une prérogative des personnages passés en revue par Tallemant des Réaux ou Saint-Simon, mais tout simplement que le petit-bourgeois de Paris, le villageois, l’habitant des campagnes ne trouvèrent aucun Tallemant des Réaux, aucun Saint-Simon pour décrire leurs coutumes. »[6]

L’idée que l’homosexualité est culturelle est donc remise en question. Pourtant, ne concluons pas trop vite. Platon fournit un argument que nous n’avons pas encore touché. Après avoir fait l’éloge de l’amour du même sexe, le philosophe n’est plus convaincu d’une nature homosexuelle de l’homme. Au moment où il déclare que l’homosexualité est contre nature, il invoque le monde animalier : comme les animaux s’accouplent uniquement afin de se reproduire, il conclut à la nature hétérosexuelle des êtres vivants. Ce raisonnement paraît parfaitement acceptable à première vue, à moins que les naturalistes n’aient pas découvert que les animaux accomplissent eux aussi des actes homosexuels. L’argumentation platonicienne ne tient donc pas debout. Nous avons parlé des idées de Platon sous le point 1.1 L’homosexualité du point de vue mythique.

Un tout autre argument qui mène à la mise en question de l’opinion publique, qui prend l’homosexualité pour quelque chose de culturel et l’hétérosexualité pour la nature humaine, est le modèle imposé à l’homme dès son enfance : les parents achètent des poupées pour leurs filles et de petits soldats pour leur fils. A l’école, ils écoutent les histoires d’Adam et d’Eve et de Roméo et Juliette, mais on ne leur offre pas les romances de David et Jonathan ou de Verlaine et Rimbaud. Voilà pourquoi il est impossible de répondre de façon univoque à la question de savoir si l’homme opte de nature pour une relation homosexuelle ou hétérosexuelle. Comme il n’a pas du tout le choix libre, nous ne pourrons jamais le savoir.

A l’aide de Freud, nous voudrions ajouter que la question peut aussi bien être détournée, à savoir : s’agit-il d’un phénomène contre nature ou contre culture ? D’après le psychanalyste, l’homme est né bisexuel. Au moment où son désir sexuel commence à s’orienter vers un des deux sexes, cela se fait sous l’influence de la culture dans laquelle il vit : dans la plupart des civilisations européennes, l’homosexualité est considérée comme un vice et par conséquent il y aura beaucoup moins d’homosexuels que dans une société qui traite le phénomène de façon positive. Il se peut donc bel et bien arriver que ce qui est qualifié d’immoral dans une société soit la plus grande vertu dans une autre. Voilà pourquoi nous avons tendance à considérer l’homosexualité non pas comme contre nature, mais plutôt comme contre culture – ce qui ne revient cependant pas à dire que l’homme soit de nature homosexuelle.

1.4.2        L’organisation de la vie homosexuelle : l’amitié dans l’urbanité.

Comme l’amour du même sexe constitue un tabou, beaucoup d’homosexuels optent pour une vie urbaine. Dans l’anonymat, ils espèrent pouvoir vivre paisiblement, sans le regard continu et dénigrant de leurs voisins[7]. Une mythologie littéraire de la ville se crée à cause des masses d’homosexuels qui se réfugient à Paris, Londres, Berlin,… au XIXe siècle. Ici, ils se rencontrent dans des cercles d’amitié ou des lieux de rencontres. Dès leur arrivée, ils vont à la recherche d’amis, d’âmes sœurs dont ils auront besoin puisque la ville ne constitue pas le paradis : des maladies, la solitude,… caractérisent le milieu urbain dans lequel ils se plongent.

L’amitié remplit une double fonction dans la vie des homosexuels : d’une part, elle remplace à grande partie les liens familiaux qui sont souvent rejetés ou bien par l’homosexuel ou bien par sa famille ; d’autre part, elle allège le poids, la « mélancolie »[8] de l’impossibilité d’avoir des enfants. Si l’amitié se révèle très importante pour les homosexuels qui arrivent à la ville, elle l’est tout autant pour le vieil homosexuel qui ne va plus aux bars ou aux lieux de drague : «  le thème classique de la ‘solitude’ de l’homosexuel vieillissant n’est pas seulement le produit d’une représentation homophobe : il a longtemps correspondu à la réalité vécue de nombre d’individus »[9].

1.4.3        Comment le sodomite devient gay.

Jusqu’à présent, nous avons la plupart du temps parlé d’homosexualité et de ses dérivés pour désigner cette soi-disant perversion. Afin de ne pas donner l’impression incorrecte que ce soit la seule dénomination possible pour la ‘race maudite’, nous jetons un coup d’œil sur l’évolution et l’emploi du mot et de ses synonymes.

Chronologiquement, nous devons partir du mot sodomie qui apparaît au VIe siècle en latin chrétien et est dérivé de Sodoma, la ville biblique, détruite en raison de la corruption sexuelle de ses habitants. Le nom de Sodoma est emprunté à l’hébreu (Se döm). La première attestation du mot en français date de 1380 : en ancien français on parle de sodomerie. Ceux qui pratiquent la sodomie, sont appelés des sodomites, un nom dérivé du bas latin ecclésiastique sodomita (habitant de Sodome) qui apparaît pour la première fois dans la langue française en 1130. En 1740, l’Académie met sodomiste dans son dictionnaire. Proust emploie ce suffixe -iste et en fait ainsi un dérivé régulier de sodomie. En 1873, Verlaine dit lors de son procès : « On dit sodomite, monsieur le juge »[10] quand celui-ci emploie sodomiste. Voilà pourquoi nous parlons aujourd’hui d’un sodomite.

Le mot pédéraste est employé dès 1580. En cette année, il figure sous la plume de J. Bodin. Cet emprunt au grec est rarement utilisé jusqu’au XIXe siècle. A partir d’ici, il acquiert la valeur fautive d’homosexuel et commence à s’abréger[11].

Raspail emploie en 1834 le mot tante comme synonyme de ‘homosexuel passif’. Rey montre tout le système de dénominations de l’époque : l’âge faisait qu’on appelait l’homosexuel môme, cousine ou tante. Dans Splendeurs et Misères des courtisanes, un des personnages balzaciens explique ce mot argotique : « c’est le troisième sexe, milord »[12].

En 1869, le mot homosexualität apparaît pour la première fois dans un texte anonyme attribué à K.M. Benkert, un écrivain hongrois. C’est un mot barbare (le radical grec homo (le même) se combine au mot latin sexus) qui est synonyme de sodomie (en 1891, ‘homosexuel’ signifie d’après Rey « une personne qui éprouve une appétence sexuelle plus ou moins exclusive pour les individus de son propre sexe »[13]) et est repris quasi directement par plusieurs langues puisqu’il est en même temps répressif et libéral. Schehr note :

« The very words ‘homosexuality’ and ‘homosexual’, coined in 1869 by a Hungarian writer, Benkert, signal the individual behind the action, as did the earlier nineteenth-century word ‘uranist’[14] as well as all the neologisms produced since then. The advantage of the word ‘homosexual’ was that it seemed to have the additional quality of being scientifically neutral, neither euphemistic, derogatory, nor culturally biased. »[15]

En 1882, Charcot emploie pour la première fois le mot inversion dans un contexte sexuel : il parle d’une « inversion du sens génital »[16]. C’est un synonyme d’homosexualité. Son dérivé nominal (inverti) est attesté en 1894 par Raffalovitch, probablement après un emploi adjectival en 1888 par Magnan (« sexuel inverti »[17]).

Pendant les époques suivantes, les trois termes expliqués ci-dessus restent en vigueur bien qu’aujourd’hui les homosexuels eux-mêmes préfèrent la dénomination gay.

 

1.5L’homosexualité du point de vue littéraire.

L’œuvre proustienne n’est pas la seule à parler de l’homosexualité. Bien au contraire, l’amour du même sexe connaît une histoire littéraire impressionnante. Afin de montrer dans quelle tradition A la recherche du temps perdu s’inscrit, nous ferons un tableau historique de la littérature homosexuelle. Il convient de faire quelques remarques préalables. Arrêtons-nous un instant à ce que c’est que ‘la littérature homosexuelle’ : s’agit-il d’œuvres qui portent sur l’homosexualité ou de livres écrits par des homosexuels ? Dans l’espoir de trouver une réponse à cette question, nous nous tournons vers Woods :

« In the absence of stable definitions and the presence of instable prejudices, the concept of ‘gay literature’ has to be seen as a movable feast. It often seems to exist in the spaces between texts, shaped by a debate between pro- and anti-homosexual historians and critics, continually reconstituted by new theoretical conceptions of both literature and sexuality. »[18]

Une autre question qu’il faut se poser est celle de savoir pourquoi tant d’œuvres traitent du phénomène de l’homosexualité. La réponse ne se trouve pas vraiment dans l’aspect esthétique, mais plutôt dans la moralité : puisque l’acte homosexuel s’accomplit uniquement pour le plaisir charnel selon l’opinion commune, il introduit la discussion morale de la survie de la race humaine.

Ajoutons encore qu’il ne faut pas oublier les influences socioréligieuses qui déterminent la façon de représenter la sexualité. Ceci fait que la littérature homosexuelle doit l’emporter sur une triple censure : on a des œuvres qui subissent une influence directe de la censure (p.ex. des passages qui ont été supprimés par l’éditeur), il y a des auteurs qui se soumettent eux-mêmes consciemment à une censure (en transposant p.ex. les sexes de leurs personnages), tandis que d’autres écrivains ne se rendent pas compte de leur autocensure. Ces derniers s’expriment de façon si vague que le lecteur se trompe facilement. Ceci fait entrer en jeu le problème de l’interprétation : l’un lit Flaubert comme un auteur à cent pour cent hétérosexuel tandis que l’autre trouve des indices homosexuels dans ses livres. La nature du lecteur joue un rôle essentiel ici.

Le travail que nous voulons entamer n’est donc pas du tout facile, mais essayons quand même de faire un petit tour d’horizon des œuvres littéraires qui parlent de l’homosexualité. L’aperçu sera sans aucun doute incomplet, mais notre objectif principal est de montrer que Proust n’est pas le seul auteur important à avoir écrit sur l’amour du même sexe.

1.5.1 Jusqu’au XVIIIe siècle.

1.5.1.1 L’Antiquité

Les écrivains homosexuels grecs profitaient du fait que leur dieu, Zeus, avait un passé pédérastique : il s’est transformé en aigle pour enlever Ganymède, le garçon dont il était amoureux. Ils s’identifiaient à Zeus et donnaient ainsi plus de prestige à leurs œuvres. Beaucoup de textes grecs parlent de l’homosexualité et la mythologie est pleine de mythes homosexuels.

Une source littéraire d’exemples fameux d’homosexualité est constituée par l’Iliade d’Homère. Bien que l’hétérosexualité y soit beaucoup plus traitée que l’homosexualité, cette dernière occupe une place importante dans l’ensemble. Pensons par exemple à l’amitié entre Achille et Patrocle. Reste à savoir si leur relation peut être qualifiée de chaste… L’homosexualité féminine de la Grèce antique est largement décrite par Sappho (Les Odes).  Les idylles bucoliques de Théocrite n’évitent pas non plus le thème homosexuel. Elles racontent entre autres l’honneur érotique qui est portée par des garçons à la tombe de Diocle qui a donné sa vie pour sauver le garçon qu’il aime. Dans Daphnis et Chloé, Longus décrit la relation hétérosexuelle entre les deux protagonistes. A un moment donné, Daphnis manque d’être violé par Gnathon, son éducateur. Ainsi, Longus montre qu’un vice (l’homosexualité)  en entraîne souvent d’autres (p.ex. la violence). Loin de complète, nous terminons cette liste d’auteurs grecs en ajoutant encore Platon qui est bien connu pour ses textes sur l’homosexualité (Cf. 1.1 L’homosexualité du point de vue mythique).

Ce ne sont pas seulement les Grecs qui ont écrit sur l’homosexualité. Les Romains l’ont fait aussi. Catulle écrit –à côté de lettres d’amour à des hommes- des épigrammes qui renvoient aux habitudes homosexuelles d’autres hommes. Là où les Grecs tentent de mythifier l’amour du même sexe, cet auteur romain ne cesse d’abaisser le phénomène par son langage vulgaire et ses insultes. Martial, à son tour, demande aux hommes de se concentrer sur leurs femmes et non pas sur les garçons. Il approche l’homosexualité, omniprésente dans la société romaine, de façon satirique, mais ne manque pas d’insister sur le caractère normal et indispensable du phénomène. Afin d’atteindre un public plus large, beaucoup d’auteurs ont introduit la sexualité dans leur œuvre de façon humoristique. Pensons par exemple à Juvénal et à Pétrone. Ce dernier décrit dans Satyricon de façon satirique la concurrence entre Encolpe et Ascylte qui sont amoureux du même garçon. Virgile et Ovide ne se rient pas du tout de l’homosexualité. Dans l’Enéide se trouve un poème sur Nisus et Euryalus tandis que les Eclogues parlent de Corydon et d’Alexis. Ovide parle à peine de l’amour homosexuel dans les Amores et les Ars Amatoria. S’il le mentionne ce n’est que négativement puisqu’il est d’avis que les amoureux doivent jouir ensemble, ce qui est impossible dans un rapport sexuel entre un homme et un garçon. Les Métamorphoses contiennent des histoires homosexuelles très influentes dans l’Antiquité.

1.5.1.2 Du Moyen Age jusqu’au XVIIIe siècle. 

Comme nous l’avons déjà mentionné sous 1.3.1.2 Du Moyen Age jusqu’au XIXe siècle : un moment de revirement…, il existe au XIe siècle une abondante littérature homosexuelle. Pensons par exemple à Hildebert de Lavardin (l’archevêque de Tours) qui condamne l’homosexualité dans ses poèmes. Dans De malitia saeculi il écrit : «Omnibus incestis super est sodomitica pestis »[19]. Pierre Abelard emprunte l’histoire de David et Jonathan à la Bible : dans l’Ancien Testament, Samuel décrit l’amitié profonde entre le futur roi de l’Israël (David) et Jonathan. Quand ce dernier meurt lors d’une bataille, David se lamente de son amant. Aux siècles suivants, l’histoire biblique sert de base à beaucoup d’opéras, de livres et de pièces musicales.

            Au XIVe siècle, Dante décrit dans Divina Commedia (plus particulièrement dans Purgatorio) des sodomites qui passent par le feu. Ils tournent en rond dans le sens opposé des hétérosexuels, mais cela ne dit rien de leur culpabilité puisqu’ils sont jugés aussi coupables que les hétérosexuels. Ce qui frappe c’est que Dante décrit des groupes de sodomites. Il part donc de l’idée que les homosexuels constituent des subcultures et qu’ils ne sont donc pas des individus isolés. Boccace représente l’homosexualité comme quelque chose de ridicule dans Il decamerone tandis que Chaucer traite la sodomie seulement de façon implicite. Ainsi, son Pardoner dans The Canterbury Tales est homosexuel, mais ceci n’est révélé que par le fait qu’il n’a pas de barbe.

            Pendant la Renaissance, il faut lire entre les lignes. Marlowe et Shakespeare n’osent pas mettre l’homosexualité ouvertement en scène. Racine ‘oublie’ tout simplement la relation sexuelle entre Néron et Britannicus dans Britannicus, une pièce de théâtre basée sur les Annales de Tacite où la liaison est décrite clairement. Mais il y en a aussi d’autres : Michel-Ange ose déclarer qu’il estime l’homosexualité supérieure à l’amour hétérosexuel. Dans le vers « Resto prigionier d’un cavaliere armato »[20], il est clair que l’auteur exprime son amour pour Tommaso dei Cavalieri, le jeune homme dont il s’est épris[21].

            Les temps libertins s’annoncent et Pietro Aretino écrit Il marescalco, une comédie qui représente l’homosexualité sous un jour favorable. Théophile de Viau écrit beaucoup d’épigrammes érotiques dont plusieurs sont d’orientation homosexuelle. L’auteur le plus remarqué de cette époque est sans aucun doute le Marquis de Sade. Les perversions constituent pour lui une source illimitée pour lui de laquelle il ne peut pas cesser de puiser. Mentionnons par exemple Les 120 journées de Sodome où la perversité –y inclus l’homosexualité- est omniprésente.

            1.5.2 Au XIXe siècle.

La réticence de la plupart des écrivains par rapport à la mise en scène de l’homosexualité tient probablement à la tendance du public de confondre la fiction et la réalité : un écrivain qui écrit sur l’inversion est communément considéré comme homosexuel. De plus, depuis la Révolution française, la ‘perversion’ sexuelle est qualifiée de dangereuse. On peut donc dire que jusqu’au Second Empire, on ne rencontre pas de littérature homosexuelle en France, du moins pas sans de profondes recherches : l’homosexualité est exprimée en cachette, même quand la littérature trouve son origine dans la réalité. En 1824, par exemple, le scandale du marquis de Custine (cet écrivain homosexuel a souvent des rencontres avec d’autres hommes au Bois de Vincennes, où il est retrouvé une nuit nu et blessé) inspire le monde littéraire, mais les auteurs n’osent pas décrire ouvertement  la scène: tout comme Thibaut de Latouche dans Olivier, Stendhal ne parle du scandale que de façon déguisée dans Armance. D’autres écrivains ne s’essayent pas non plus à un discours ouvert sur l’homosexualité. Balzac introduit l’amour du même sexe dans ses œuvres à plusieurs reprises, mais il se sert –à quelques exceptions près (cf. ‘tante’)- d’un langage neutre. Pensons par exemple à la relation mystérieuse de Rubempré et Vautrin. Un fait qui peut surprendre c’est que Balzac (et plusieurs de ses contemporains p.ex. P. Louÿs, Baudelaire) met l’homosexualité féminine plus clairement en scène.  L’explication de ceci est double : un homme ne peut pas être soupçonné d’être lesbien et le lesbianisme plaît à la bourgeoisie.  L’amour entre deux femmes permet une réévaluation du sexe fort.  Ce phénomène littéraire s’observe p. ex. dans La Fille aux yeux d’or. 

Retournons à la littérature qui traite de l’homosexualité masculine. Les Goncourt se mettent en sécurité en se servant de l’ironie et Flaubert cache soigneusement toute trace qui pourrait renvoyer à l’homosexualité. Cependant il y en a d’autres qui mettent l’homosexualité ouvertement en scène. Gautier (Mademoiselle de Maupin) permet à son protagoniste de tomber amoureux d’un homme (qui se révélera femme après, mais cela est une autre question[22]). Verlaine et Rimbaud n’omettent pas non plus l’amour homosexuel de leurs écrits. Les Poèmes Saturniens de Verlaine ne laissent rien à l’imagination - Saturne étant le patron des homosexuels. On ne lui sait pas toujours gré de son audace : dans les Œuvres poétiques complètes de Verlaine, la Pléiade supprime tout simplement le cycle Hombres qui contient de la poésie homosexuelle. Rimbaud de sa part s’assujettit à une autocensure assez sévère. Néanmoins, il écrit avec Verlaine Sonnet du trou du cul.

            En 1895, le traitement littéraire de l’amour du même sexe prend un tour spectaculaire : l’homosexualité acquiert une visibilité publique considérable à cause d’Oscar Wilde. Après Le portrait de Dorian Gray –un roman qui renferme le thème homosexuel de façon extrêmement fine et prudente- et l’emprisonnement de l’auteur (Cf. 1.3.2 A l’aube du XXe siècle), Wilde se convertit en une figure mythique et fondamentale de la culture homosexuelle. Au début du XXe siècle, Proust et Gide mettent amplement en scène l’homosexualité. Cette percée de l’homosexualité dans la littérature n’est pas seulement due aux scandales qui se produisent aux pays voisins (p.ex. l’affaire Eulenburg, l’emprisonnement d’Oscar Wilde,…), mais encore à la bourgeoisie qui adopte une attitude moins sévère.



[1] Cf. Austin, How to do things with words

[2] ERIBON D, Op. Cit., p80

[3] PLATON, Le Banquet, Oeuvres complètes, Paris, Les belles lettres, 1929, 191b

[4] PLATON, Les Lois, Op. Cit., I, 636,c

[5] Ibid.

[6] Proust se documentait bien avant d’écrire. Par conséquent, il est (presque) impossible de parcourir toutes les théories qu’il a consultées. C’est pour cela que nous nous limitons aux ‘pionniers’, aux théories fondamentales de l’inversion.

[7] « l’âme d’une femme enfermée dans le corps d’un homme ». Nous avons trouvé ces mots d’Ulrichs dans STAMBOLIAN G. [ed.], Homosexualities and french literature : cultural contexts, critical texts, Ithaca, Cornell UP, 1979, p265.

[8] Aujourd’hui, on définit l’hermaphrodisme psychique comme bisexualité (Cf. 1.2.2 Krafft-Ebing). Contrairement à Krafft-Ebing (qui considère les hermaphrodites psychiques comme une catégorie homosexuelle), Ulrichs emploie le terme comme dénomination générale.

[9] PLATON, Le Banquet, Op. Cit., 180d-181b.

[10] Nous avons trouvé toutes ces dénominations d’Ulrichs dans KENNEDY, H.C., « The ‘Third Sex’ Theory of Karl Heinrich Ulrichs » in : LICATA S.J. et al., Historical Perspectives on Homosexuality, New York, The Haworth Press, 1981,p107

[11] HARTWICH A., Krafft-Ebing, Les déviations sexuelles (psychopathia sexualis), Bruxelles, Hovitas, 1949, p236.

[12]HARTWICH A., Op. Cit., p235

[13] Nous sommes consciente du fait que Proust n’a jamais lu les ouvrages freudiens. (Cf. lettre à Allard, le 13 septembre 1921 : « Je suis profondément touché de voir que vous avez appliqué à mes récits une intelligence si profondément investigatrice. Si je n’ai pas compris la phrase sur Freud, c’est que je n’ai pas lu ses livres. » (KOLB Ph, Correspondance de Marcel Proust, Paris, Plon, 1992, Tome XX, 1921, p447.). Cela ne nous empêche pas de jeter un coup d’œil sur les théories du psychanalyste puisqu’il y a bien des convergences entre la théorisation de l’inversion de Freud et celle de Proust (Cf. MILLER M.L., Psychanalyse de Proust [traduction de Nostalgia, publié en 1956 par Kennitat Press], Paris, Fayard, 1977 et HALBERSTADT-FREUD H.C., Het sadomasochisme: Proust en Freud, Amsterdam, Arbeiderspers, 1977). C’est Rivière qui est à la base de la mise en parallèle des deux (après la mort de Proust, Rivière a prononcé quatre conférences sur Freud et Proust).

[14] FREUD S, Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p180

[15] Ibid., p179-180.

[16]FREUD S., Op. Cit., p185.

[17] Remarquons que la plupart des psychologues qui ont étudié les théories freudiennes ne sont pas d’accord avec ce point-ci : ils voient l’homosexualité plutôt comme un complexe d’Œdipe qui dure trop longtemps.

[18] FREUD S, Op. Cit., p39.

[19] Ibid., p44.

[20] Ibid.

[21] PRIS, vol. 3, p710.

[22] Plutarque est cité dans FOUCAULT M, Histoire de la sexualité, 3 vol. ,Gallimard, 1976, III, p235.

[23] FERNANDEZ D, Le rapt de Ganymède, Paris, Grasset, 1989, p11.

[24] ERNOULT N, « L’homosexualité féminine chez Platon » in : Revue Française de Psychanalyse, vol 58, 1, 1994, p207.

[25] Le narrateur proustien le sait :  « Nous expliquerons plus tard (…) pour quelles raisons un grec du temps de Socrate, un romain du temps d'Auguste, pouvaient être ce qu'on sait tout en restant des hommes absolument normaux, et non des hommes femmes comme on en voit aujourd’hui. » (SGII, vol. 3, p344.)

[26] Ce changement du concept de l’homosexualité explique pourquoi Platon change d’avis sur le phénomène. Comme nous expliquons sous 1.1 L’homosexualité du point de vue mythique, il le considère d’abord comme quelque chose de parfaitement normal avant de le condamner fermement.

[27] ERNOULT N, Op. Cit., p208.

[28] FERNANDEZ D, Op. Cit., p141

[29] Ces mots sont cités dans LICATA S.J., Op. Cit., p13. « La femme qui le fait doit perdre chaque fois un de ses membres et doit être brûlée la troisième fois. » (Que ‘le’ renvoie à ‘l’acte homosexuel entre femmes’ est prouvé par la phrase qui précède celle-ci et qui condamne l’homosexualité masculine).

[30] PROUST M, Contre Sainte-Beuve, chap. XIII « La race maudite ».

[31] KEILSON-LAURITZ, Homoseksualiteit voor beginners, Amsterdam, Schorer, 1991, p38. Nous avons traduit ces mots du néerlandais.

[32] Il faut remarquer que Tardieu n’a examiné que quelques cas d’homosexuels. Il se base donc sur très peu de recherches quand il avance ses thèses.

 

[33] ERIBON D, Op. Cit.,  p206

[34] WILDE O, De Profundis, London, Dawsons of Pall Mall, 1969, p143.

[35] ERIBON D, Op. Cit., p205              

[36] FERNANDEZ D, Op. Cit., p81

[37] FOUCAULT M, Op. Cit., I, p55

1] FERNANDEZ D, Op. Cit., p221

[2] ERIBON D, Op. Cit., p153

[3] FERNANDEZ D, Op. Cit., p9

[4] Universalis Encyclopédie, CD-rom, ‘homosexualité’.

[5] FERNANDEZ D, Op. Cit., p9.

[6] FERNANDEZ D, Op. Cit., p10

[7] Cf. « L’enfer c’est les autres » (Sartre)

[8] ERIBON D,  Op. Cit., p61

[9] Ibid., p58

[10] REY A., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992, Tome 2, p1960.

[11] Ibid.

[12] BALZAC H de, Splendeurs et misères des courtisanes, La comédie humaine, Paris, Gallimard, 1977, p840 (La Pléiade).

[13] Ibid., p1937.

[14] Nous ne mentionnons pas cette dénomination ici à cause de son emploi plutôt restreint. En outre, nous en parlons sous le point 1.2.1 Urichs.

[15] SCHEHR L, The Shock of Men. Homosexual Hermeneutics in French Writing., Stanford University Press, Stanford, California, 1995, p3

[16] REY A., Op. Cit., tome 1, p 1049

[17] Ibid.

[18] WOODS G, A history of gay literature, New Haven/London, Yale University Press, 1998, p16.

[19] Ces mots de Lavardin sont cités dans WOODS G, Op. Cit., p46.

[20] « Je reste le prisonnier d’un chevalier armé. » Ces mots de Michel-Ange sont cités dans FERNANDEZ,  Op. Cit., p222

[21] Nous remarquons que ce vers de Michel-Ange a été changé par un de ses parents afin de cacher son homosexualité. Comme nous l’avons déjà dit, la censure joue un rôle essentiel dans la littérature homosexuelle.

[22] Pour plus d’informations sur le travestissement autour de 1830, voir le mémoire de licence de Kim Hilgert (UIA).

 

 

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