Hommage
à Paul Chambrillon (1924-2000).
Un
grand vivant
Marc Laudelout
En février dernier, pour le numéro en hommage à Alphonse Boudard, j'avais demandé un
article à Paul, très affecté par la mort de son ami. Je ne pouvais alors imaginer qu'il
allait disparaître, à son tour, à la fin de l'année.Né le 26 décembre 1924, il nous
a quittés le 28 décembre 2000, deux jours seulement après son 76ème anniversaire.
Il m'arrive de dire
que j'ai une double dette envers Céline. La découverte d'une uvre grandiose, bien
entendu, mais aussi le bonheur d'avoir rencontré, grâce à lui, des êtres d'exception
comme Arletty, Pierre Monnier, Éliane Bonabel, Pierre Duverger, Pol Vandromme, et... le
cher Paul Chambrillon pour lequel j'avais une affection toute particulière.
Je le connaissais
depuis la fin des années 70, à l'époque où je m'occupais de feue La Revue
célinienne. Je l'avais alors contacté par l'intermédiaire d'André Clergeat qui
avait été, chez Pacific, le second éditeur d'un disque 33 tours consacré à Céline
dont Paul avait assuré la réalisation. Le
début d'une longue correspondance allait commencer.
La première fois
que je le rencontrai, c'était à Bruxelles ; il y était venu pour la première d'une
pièce de Félicien Marceau. Il
travaillait alors pour l'hebdomadaire Valeurs actuelles auquel il donna une
chronique dramatique pendant des années avant d'être remercié pour des raisons assez
mesquines par Raymond Bourgine. Tout de suite, je fus séduit par sa cordialité, sa
culture foisonnante et sa verve très parazienne. Né trois ans après le décès d'Albert
Paraz, je n'ai hélas jamais connu l'inoubliable auteur du Gala des vaches, mais
j'imagine que Paul Chambrillon, qui fut d'ailleurs son ami, avait une personnalité fort
proche de la sienne. Même admiration inconditionnelle pour Céline, même curiosité
intellectuelle, même sens de la formule, même anticonformisme, même verve surtout,
tellement roborative. Grand connaisseur de l'uvre célinienne, Paul considérait
qu'elle forme un tout et qu'il est complètement insane de vouloir en dissocier ce qu'on
appelle improprement les "pamphlets". Et, à l'instar de Pierre Monnier, il
n'avait de cesse d'expliquer ce qui avait conduit Céline à se jeter dans la bagarre,
alors qu'il n'avait strictement aucun intérêt à le faire.
Paul
mesurait aussi la difficulté d'expliquer un contexte difficilement compréhensible
aujourd'hui, faute d'avoir les repères nécessaires. Il était aussi de ceux qui
considèrent Bagatelles pour un massacre comme un incontestable chef-d'uvre.
Amoureux
du théâtre, il suivait avec intérêt les diverses tentatives d'adapter Céline à la
scène. Et lon sait qu'il fit beaucoup pour faire connaître l'initiative de Jean
Rougerie qui adapta ( et joua ) les Entretiens avec le professeur Y. Il fut aussi
un spectateur enthousiaste des mises en scène de Claude Duneton ( Les Beaux draps ),
de François Joxe ( L'Église ), et de Daniel Ivernel ( Voyage au bout de la
nuit ), pour n'en citer que quelques-unes.
Une de ses
dernières grandes joies aura été de réaliser cette Anthologie Céline qui
constitue, en quelque sorte, son testament spirituel. La
réalisation n'en fut pas chose aisée, les heurts avec l'éditeur n'étant pas rares,
mais Paul tint bon. Même si l'uvre finale ne correspond pas en tous points à ce
qu'il avait rêvé, il n'en était pas moins très fier. Ce double CD regroupe tous les
enregistrements qu'il réalisa de et sur Céline. On sait que c'est notamment grâce à
lui quon dispose de lenregistrement de ce document extraordinaire que sont Règlement
et À nud coulant chantés par Céline lui-même.
Ces
dernières années, Paul était assez désabusé. Ses problèmes de santé et l'évolution
d'un monde qu'il ne reconnaissait plus l'avaient de toute évidence fort affecté. Mais
ses capacités d'enthousiasme demeuraient intactes : ainsi, peu de temps avant sa mort, il
avait relu avec bonheur les souvenirs d'Henri Rochefort, et rêvait d'une réédition de
ce texte méconnu. C'est lui aussi qui me fit découvrir des livres alors peu répandus,
comme les souvenirs de Viel-Castel ou ce Voyage de Shakespeare ( de Léon Daudet )
qu'il prisait beaucoup.
Il
faudrait aussi évoquer son grand talent de raconteur d'histoires. Nul mieux que lui
n'était capable de narrer avec brio telle ou telle mésaventure survenue à l'un de ses
confrères dont il imitait les intonations avec un talent consommé. C'était aussi un grand
amoureux de la vie : sa passion pour la bonne chère était à la mesure de celle qu'il
avait pour le théâtre. Il aimait venir en Belgique, et à Bruxelles en particulier.
C'était pour lui une vraie joie que de savourer la bonne cuisine belge, après avoir
été applaudir José Géal et ses marionnettes de Toone. C'est
que Paul aimait la vraie culture populaire et tout ce qui s'y rattache.
Il faudrait surtout
parler de sa fidélité en amitié. Il ne se passait pas une semaine sans qu'il ne me
téléphonât pour me faire part de l'une ou l'autre de ses découvertes, ou tout
simplement pour me donner de ses nouvelles. La dernière fois que je le vis, c'était à
Paris, lors de la Journée Céline. Très fatigué, il avait néanmoins tenu à
venir, comme toutes les fois précédentes, et je me souviendrai toujours de
l'attroupement qui s'était naturellement créé autour de lui. Le cher Paul racontait
quelque histoire devant un public conquis. Grand
séducteur, parfois irascible et toujours sûr d'avoir raison, Paul avait ce qu'on appelle
un caractère entier. Il fallait l'aimer ou le détester pour ce qu'il était : un grand
bonhomme tout d'une pièce, terriblement attachant ou exaspérant ,selon que l'on
apprécie ou non les grands vivants.
[Extrait
du Bulletin célinien, n° 217, février 2001]