Contributions : Analyses



février 2001

Violence à l’école : l’école sans école peut-elle éviter la violence ?

Un professeur de musique poignardé par trois jeunes de treize ans, extérieurs à ses classes :

sans doute les avait-il auparavant frappé à coup de clef de Fa...

L’agression de notre collègue à Garges les Gonesse le 22 janvier n’est malheureusement pas une surprise pour le milieu enseignant. Elle ne peut en être une que pour l’Éducation Nationale et pour certains media qui feignent brusquement de s’en alarmer, élections obligent. Pour les professeurs, c’est la conséquence dramatique de réformes successives imposées la plupart du temps par décrets.

A - Des réformes qui génèrent la violence

 

1 - Elles tendent toutes à transformer l’école, lieu d’apprentissage, en " lieu de vie ", mais une vie en apesanteur, dans laquelle aucune responsabilité n’est exigée de l’élève.

- Les exigences scolaires ont vertigineusement baissé (par exemple l’acquisition de la lecture est diluée jusqu’à la fin du primaire, celle de la langue écrite, jusqu’au bac).

- On a fait progressivement disparaître tout pré-requis pour passer d’un niveau d’enseignement à l’autre.

® Hétérogénéité des classes, rendant impossible tout enseignement cohérent et progressif.

® Disparition du sentiment d’une relation entre le travail, les résultats, et la classe de l’élève.

® Être à l’école devient un droit qui ne suppose plus aucun devoir, aucun travail, ni aucun effort de comportement au sein de la collectivité.

Þ Réduits à des animateurs socio-culturels, à des " bouffons " sur lesquels on se défoule,

les professeurs sont destitués de toute autorité qui ne peut être légitimée que par la transmission d’un savoir.

2 - Elles transforment l’élève en enfant roi que plus personne n’a le droit de " traumatiser " en lui faisant comprendre qu’il doit évoluer pour devenir adulte.

® Le simple jugement scolaire devient un manque intolérable de respect de sa personne.

® La mise en place de règles et de normes de comportement dans le groupe social, devient une atteinte insupportable à sa liberté et à son épanouissement. Les jeunes agresseurs de Garges se sont dits " persécutés ".

Þ Les professeurs sont destitués de leur rôle éducatif et normatif : les cas se multiplient où les professeurs agressés physiquement, insultés, méprisés, sont soupçonnés a priori d’être les causes du comportement de l’agresseur. Ils sont alors mis sur le même plan que l’élève, dans un procès où les deux " parties " sont entendues : celle qui transgresse la loi, et celle qui essaie de la faire respecter. Le décret concernant les règlements intérieurs (B. O. du 13 07 2000) va jusqu’à envisager un médiateur en cas d’opposition entre professeur et élève, et classe les excuses qu’un professeur reçoit d’un élève, lorsque ce dernier a transgressé les lois sociales élémentaires, parmi les punitions. Nous sommes donc censés considérer, depuis juillet 2000, que l’excuse ne constitue pas l’acte de politesse minimum permettant à des hommes de vivre ensemble, mais une punition, c’est à dire une situation codifiée émanant d’une loi externe au sujet. Là aussi, aucun pré-requis dans l’acquisition de la socialisation, puisque la violence des  jeunes  ne serait qu’une

réponse à la violence de l’institution.

3 - Destruction de l’école comme institution par le dévoiement de son rôle.

Toutes les transformations des règlements intérieurs qui s’imposent à l’école, ont consisté à l’obliger à garder en son sein tous les " jeunes ", surtout ceux qui ne se comportaient pas en élèves. Impuissants économiquement, lâches politiquement, les réformateurs n’ont eu de cesse de cacher dans les structures scolaires la bombe à retardement que créaient progressivement le chômage, la déstructuration sociale, et la promotion des seules valeurs de la consommation effrénée et de la puissance individuelle. Garder à tout prix les jeunes prédélinquants ou délinquants à l’école s’est traduit par :

- La culpabilisation et parfois la peur des professeurs qui hésitent à sanctionner lorsqu’ils se sentent abandonnés par l’institution.

- La difficulté de plus en plus grande pour convoquer des conseils de discipline.

- L’obligation de replacer les  jeunes délinquants dans un autre établissement.

- La réduction imposée des redoublements aux seuls paliers où les professeurs avaient encore une fonction de jugement ou d’orientation.

- L’obligation d’effacer toute trace de l’histoire mouvementée d’un élève chaque année.

- L’interdiction de la moindre interférence entre le jugement concernant le niveau scolaire et le comportement, comme si les deux n’allaient pas souvent de pair ; comme si les rares élèves caractériels, agressifs, ou même délinquants, qui tirent profit scolairement de l’enseignement, n’avaient pas de compte à rendre à l’institution à laquelle ils interdisent de jouer son rôle par rapport au reste des élèves dont elle est responsable. Beaucoup d’élèves sont effectivement ralentis dans leurs études si ce n’est exclus ou dévoyés par l’impossibilité d’apprendre sereinement et de travailler en toute sécurité.

B - Comment ces réformes sont-elle imposées ?

Les agressions spectaculaires ne sont que la partie que l’on ne peut plus camoufler ou minimiser d’un immense gâchis.

- Les professeurs qui avaient l’expérience du terrain se sont vu confisquer la parole par des spécialistes auto proclamés de prétendues sciences de l’éducation. Ces dernières ont servi d’alibi à la déscolarisation de l’école : il y aurait trop d’école à l’école, c’est à dire trop de savoir, trop de jugement, de norme....

- Les professeurs expérimentés sont écartés de la formation de leurs jeunes collègues. On leur préfère souvent de jeunes recrues, sans aucun recul ni expérience, mais bien formatés et dociles.

- Les professeurs se sont vus méprisés, insultés, par leur propre ministre qui a dévié sur eux le ressentiment social et les désirs régressifs d’abolition de toute autorité.

- Les professeurs ne peuvent plus, dans beaucoup d’écoles, de collèges, de lycée, jouer le rôle d’ouverture des esprits et de promotion par le savoir qui donnait sens à leur métier. Il suffit d’être né au mauvais endroit pour avoir tout ou partie d’une scolarité remplacé par de la socialisation, de la gestion de groupe, par l’apprentissage de la loi du plus fort, et parfois même, par la tentation d’intégrer les bandes et les mafias.

- Les professeurs ne peuvent pas non plus élever vers le haut les jeunes gens qui pourraient se qualifier à leurs propres yeux et aux yeux de la société si on leur permettait d’apprendre ce qu’ils peuvent comprendre et réussir. Hissés artificiellement de classe en classe dans le seul but de les garder à l’école le plus longtemps possible, ils vivent très vite une impuissance, une absurdité, puis une impunité dans leur révolte aveugle, qui les déstructure définitivement. On peut comprendre leur désarroi ; mais hélas, en 2001, on ne se révolte plus politiquement, on " taxe " les Nike, ou le portable du petit qu’on a coincé à trois.

C - Pourquoi ce jeu de massacre ?

- Parce que l’école est le dernier espace de jeu et de pouvoir pour des politiques qui ont abandonné toute ambition de régulation d’une économie destructrice.

- Parce que l’école française est un service public qui coûte trop cher selon les normes de l’Europe libérale.

- Parce que les qualités de l’école publique ne doivent pas concurrencer l’énorme marché potentiel - et de plus en plus captif - de l’éducation privée.

- Parce que la libération par le savoir, la formation de l’esprit critique, et une véritable promotion sociale ne sont absolument pas les valeurs à la mode. L’école de la république et ses vieilles lunes est donc obsolète. Vive la modernisation....

 

 

 
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