Modeste suggestion pour résoudre les problèmes du baccalauréat

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On connaît la Modeste suggestion pour résoudre la question d'Irlande, où Swift, avec un humour noir féroce, propose d'utiliser les enfants irlandais comme viande de boucherie. Notre Modeste suggestion a l'inconvénient d'être moins sanglante, alors que, comme chacun sait, massacres et tueries sont fort utiles : ils fournissent les médias en photos terrifiantes et articles à sensation (quant aux massacrés, torturés, affamés, etc., tout gouvernement sait bien qu'on ne peut en tirer aucun profit économique, et qu'il n'y a donc pas lieu de s'en préoccuper).

Mais cet inconvénient de notre suggestion est compensé par un grand avantage : elle va dans la droite ligne des réformes entreprises par le Ministère de l'Education Nationale, depuis bien des années, et sous bien des ministres différents.

Quels sont en effet les principes de tant de réformes annoncées ou déjà réalisées ?

Principe 1 : il faut maintenir le baccalauréat, mais à titre de mythe.

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L'idée, sous-jacente dans le fait que bien des rapports officiels proclament la nécessité de ce diplôme tout en proposant des mesures qui le minent intérieurement, commence à apparaître plus explicitement ici où là. Ainsi on lit dans le Rapport Fauroux (p. 26) que le maintien du baccalauréat ne se justifie que par "sa grande place dans l'imaginaire collectif des Français".

Principe 2 : le succès à l'examen doit être indépendant du niveau du candidat.

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Puisque le diplôme relève de l'imaginaire, il est logique de le décrocher du niveau réel de ceux qui l'obtiennent. On l'a commencé quand on a établi l'annulation d'une épreuve écrite de quatre heures par une épreuve orale de dix minutes, on a continué par des tentatives pour imposer aux examinateurs une distribution des notes fixée d'avance (et ils ont eu l'audace de s'y opposer, les misérables !), on persiste en voulant introduire des épreuves où rien ne garantit que la prestation soit bien celle du candidat (dossiers, oeuvres d'arts plastiques faites hors surveillance, etc.).

Principe 3 : il faut discréditer les examinateurs, et en général les professeurs, devant l'opinion publique

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Le niveau des candidats à l'examen ne comptant plus, ceux qui seraient qualifiés pour l'évaluer ne doivent pas compter non plus. Ainsi, les élèves passent automatiquement d'une classe dans la classe supérieure, même si les professeurs savent que l'élève y sera complètement perdu et ne pourra pas suivre ; on attribue aux professeurs les difficultés rencontrées par leurs élèves du fait des conditions matérielles ou sociales où vivent leurs familles, etc. Au besoin, on invente de toutes pièces ; ainsi, tel ministre n'hésite pas à accuser publiquement un correcteur d'avoir noté de 2 à 5 alors qu'une vérification élémentaire montrait qu'il avait noté de 2 à 17, tel autre ministre accuse un professeur d'abandonner ses élèves pour aller faire de la poterie alors qu'il n'en était rien. Tous les moyens sont bons.

Principe 4 : l'Education Nationale doit être mise sous la dépendance des notables locaux

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Après avoir contesté les notes médiocres données par un examinateur à quelque candidat lorsque celui-ci est fils ou nièce d'un personnage important, on veut donner un droit de regard à ces notables sur les contenus et méthodes d'enseignement, et même sur la carrière des professeurs.

Principe 5 : Études et diplômes doivent dépendre de l'argent que peuvent y mettre les élèves et leurs familles

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Les élèves qui ne peuvent compléter par des leçons particulières ou des cours payants ne doivent recevoir qu'une instruction minimale (cf. le rapport Fauroux), il faut diminuer fortement les enseignements obligatoires que l'Etat a le devoir d'assurer (cf. les grilles horaires proposées dans la " Charte pour la réforme des lycées ", et le projet d'y diminuer les options et de rendre optionnelles certaines disciplines jusqu'ici obligatoires) ; on propose (Charte et propositions Meirieu ) de remplacer certaines épreuves du baccalauréat par un dossier, alors qu'il existe déjà un commerce des dossiers et que maintenant des propositions de dossiers payants ou de mode s de soutenance de dossier également payants s'affichent sur Internet.

Enfin, principe 6 - essentiel ! - : le baccalauréat ne doit pas coûter trop cher à l'Etat.

 

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Tout cela étant, il y aurait une réforme bien simple qui satisferait à tous ces principes :

  • On supprime toutes les épreuves du baccalauréat (quelle économie ! Et voilà l'ensemble des enseignants, et tout enseignement en général, dénué de toute importance, puisqu'aucune connaissance ne sera plus nécessaire pour être bachelier).
  • Le Ministère de l'Education Nationale attribue à chaque département un nombre de diplômes à décerner, en fonction du nombre de votes en faveur du parti au pouvoir, lors des dernières élections (excellent moyen d'assurer une "citoyenneté" comprise comme un conformisme aux idées des gouvernants),
  • 10% de ces diplômes sont mis à la disposition des partis de la majorité pour les distribuer aux familles de leurs principaux soutiens (ce qui permet le népotisme et le favoritisme sans engager un processus d'emplois fictifs et fausses factures ; puisqu'il n'y a pas d'enrichissement en jeu, pas d'attaques possibles devant les tribunaux),
  • Les 90% restants sont vendus aux enchères (non seulement le baccalauréat ne coûterait plus rien, mais même il remplirait les coffres de l'Etat !)

On peut s'étonner qu'une réforme aussi simple, aussi pratique, allant aussi nettement dans le sens du Ministre, n'ait pas déjà été mise en place. mais n'en perdons pas l'espoir : petit à petit, de réforme en réforme nous nous y acheminons, et c'est bien ce qui finira par s'établir.

Anne Souriau. Lycée de Sèvres. Texte publié dans le n° de mars 99 de l'Enseignement philosophique, revue de l'Association des professeurs de philosophie de l'enseignement public.

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