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Contributions : Analyses : Steiner I


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Réforme scolaire centrée sur l'efficacité : scénario 2010

Version écrite de l'exposé présenté dans le cadre de la Conférence fédérative des enseignant-e-s du SSP à La Chaux-de-Fonds (15 et 16 mai 1998).

 

Quel est le gouvernement qui le premier a eu l'idée de mettre la formation sur le même plan qu'une marchandise ? Quoique cette question semble aujourd'hui sans importance, elle mérite tout de même d'être posée. Est-ce le Ministère de l'éducation de l'Angleterre et du Pays de Galles, qui commença en 1988 à définir les « bonnes écoles » en fonction des demandes d'immatriculation qui leur avaient été adressées ? Ou est-ce le gouvernement américain, qui, sous la présidence de Ronald Reagan, lança une attaque contre l'appareil bureaucratique de l'Etat jugé « exagérément gonflé » en proposant de supprimer le Ministère de l'éducation au niveau fédéral ? Le « libre choix » de l'école est l'une des caractéristiques de la réforme scolaire anglaise et galloise, tandis que le développement scolaire local est né dans un contexte historique typiquement américain. Aujourd'hui, ces deux approches constituent les moteurs des réformes scolaires, non seulement en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, mais également au niveau mondial.

 

La formation assimilée à une marchandise

Ces deux systèmes scolaires assimilent la formation à une marchandise, les parents à des clients et l'école à un produit. Pour améliorer la qualité de ce produit, les mécanismes régulateurs du marché libre ont été introduits par le biais de la publication du profil pédagogique des écoles, des résultats d'examen de leurs élèves et du degré de formation de leurs enseignant-e-s. Si la composition de ce produit n'est pas (encore) affichée sur son emballage, à savoir à l'extérieur ou à l'entrée de l'école, elle est pourtant publiée dans les rapports annuels sur les écoles ou dans les journaux. A New York, les journaux font paraître tous les printemps le classement des écoles afin que les parents puissent inscrire leurs enfants en tant que futur-e-s écoliers-ières. Depuis de nombreuses années, ces listes circulent également dans les gérances, car le prix d'achat d'une maison ou d'un appartement dépend des performances des écoles implantées dans son voisinage.

Selon cette logique basée sur l'économie de marché, les écoles jugées « mauvaises » disparaissent progressivement d'elles-mêmes, étant donné qu'elles ne génèrent plus de demande. Depuis la réforme du système éducatif d'Angleterre et du Pays de Galles de 1988 («Education Reform Act»), les parents peuvent choisir librement une école pour leurs enfants. Cette « liberté de choix » est censée stimuler la compétition entre les différents établissements. Afin de donner aux écoles la marge de manœuvre nécessaire pour se renouveler et définir leur profil pédagogique, l'on a décentralisé le développement ou le processus de réforme des écoles.

 

L'essor de l'industrie de la formation

Le « développement scolaire décentralisé » ou « local » est très répandu aux Etats-Unis. Depuis le début des années 1990, les parents et les enseignant-e-s sont de plus en plus nombreux à s'organiser dans le cadre du mouvement «Charter School» (« écoles charter ») : ces personnes fondent des écoles en trouvant les locaux nécessaires, en déterminant le programme d'enseignement, en engageant du personnel qualifié et en chargeant une entreprise de formation de la direction et de l'organisation de cet établissement. Dans cet exposé, j'évoquerai une série de raisons expliquant pourquoi le libre choix de l'école et le développement scolaire local ont donné un essor massif à l'industrie de la formation dans la plupart des Etats. Au lieu de développer et de renouveler les écoles au niveau local, l'on a de plus en plus souvent délégué la réforme des écoles à des entreprises de formation, remplaçant ainsi une situation de dépendance par une autre. En effet, dans le cadre d'une « réforme scolaire centrée sur l'efficacité », les écoles ne sont plus dépendantes de l'Etat mais de l'économie ou, plus précisément, de l'industrie de la formation.

Comme les réformes scolaires centrées sur l'efficacité commencent seulement maintenant à être introduites dans différents cantons suisses, nous pouvons tirer la leçon des expériences faites dans d'autres Etats. Il s'agit d'analyser en détail les réformes scolaires entreprises par les pays ayant commencé il y a déjà dix ans à restructurer leur système scolaire en s'engageant dans la voie de la réforme scolaire locale (en anglais américain : «site-based management» - gestion axée sur le site -, ou «school-based management» - gestion axée sur l'école) [...]

 

Globalisation et MacDonaldisation des systèmes scolaires

Le développement scolaire local a progressé très rapidement dans tous les Etats. Et qui plus est, il n'est plus possible aujourd'hui de rendre les partis conservateurs responsables de cette évolution. En effet, il y a encore quelques années, l'on mettait les réformes scolaires centrées sur l'efficacité sur le compte de Thatcher ou de Reagan, en pensant que cette évolution ne constituait qu'une tendance passagère. S'il est vrai que les présidents britannique et américain actuellement en fonction n'ont pas la même appartenance politique que leurs prédécesseurs, ils ont néanmoins maintenu la volonté politique de décentralisation prônée par ces derniers. Entre-temps, le développement scolaire local est devenu une tendance mondiale, si bien que l'anglais Blair ou l'américain Clinton ne constituent plus des exceptions. Pratiquement tous les dirigeant-e-s de gouvernement ont repris dans leur programme de parti la décentralisation des écoles et le développement scolaire local.

Nous assistons donc à une convergence des systèmes scolaires, c'est-à-dire que les systèmes scolaires de différents pays du globe deviennent de plus en plus semblables. Néanmoins, le nom des réformes scolaires centrées sur l'efficacité entreprises dans les années 1980 et 1990 varie d'un Etat à l'autre. Ainsi, l'on parle en Nouvelle-Zélande de «outcome-based education» (système éducatif basé sur résultats) et de «self-management» (gestion autonome). Dans les Etats d'Amérique latine, ce type de réforme est désigné par le terme de «Scuela Nueva», tandis que la Chine a mis en œuvre ce qu'elle nomme la « dérégulation limitée » et que la République de Mongolie a introduit cette année un système de « bons» (en anglais : « voucher » ; bon donnant droit à certains services) pour la formation des maîtres, afin de briser le monopole de l'institut national de formation des enseignant-e-s.

« Le modèle scolaire international »

Le fait que les systèmes éducatifs mondiaux s'adaptent les uns aux autres a même incité les expert-e-s en sciences de l'éducation à faire la prévision selon laquelle un seul modèle scolaire, le « modèle scolaire international », allait s'imposer au niveau mondial. D'après James Guthrie et Lawrence Pierce (1990), les caractéristiques de ce modèle scolaire international sont les suivantes : « Un programme scolaire fixé au niveau national accordant beaucoup de poids aux mathématiques, aux sciences naturelles et aux langues étrangères ; le déplacement des décisions opérationnelles au niveau des écoles ; une utilisation accrue des examens comme baromètre des performances des enseignant-e-s ; le fait d'accorder la priorité à la formation des maîtres et à leur professionnalisme ; et dans le domaine de la formation supérieure : accès facilité aux universités et multiplication des conditions permettant d'organiser le processus d'apprentissage comme un processus qui dure toute la vie. »

Il est incontestable qu'une série de facteurs comme la globalisation de l'économie, la concurrence internationale, les migrations au niveau mondial, la crise de l'Etat-providence, l'expansion technologique et d'autres évolutions au niveau du globe ont influencé les systèmes scolaires de manière similaire dans différents pays. C'est pourquoi la description que proposent Guthrie et Pierce pour le modèle scolaire international, qui est en train de se répandre, ne constitue qu'une tentative de traduire par écrit la convergence internationale qu'opèrent les systèmes éducatifs nationaux. Cela ne répond pas encore à la question de savoir pourquoi et comment des systèmes éducatifs appliqués dans les différentes parties du globe deviennent de plus en plus semblables.

 

« Un processus d'américanisation »

George Ritzer, auteur de plusieurs ouvrages sur la « MacDonaldisation » de la société - en référence à la firme McDonald - a proposé une analyse convaincante des processus de globalisation. Cet auteur considère que la globalisation n'est rien d'autre qu'un processus d'américanisation, ce qui concrètement correspond à l'expansion au niveau mondial des critères d'évaluation américains relatifs à la gestion rationnelle ou à la direction centrée sur l'efficacité. Les titres de ses ouvrages ont pour but de rappeler aux lecteurs/-trices que McDonald a été la première entreprise à introduire un nouveau style de direction basé sur le principe de la rationalisation et de l'automatisation complètes. Pour être plus précis, il s'agit de quatre principes que la chaîne américaine de restauration rapide enseigne à son personnel dans sa propre université à Chicago (« McUniversity ») : Efficience, calcul de la rentabilité, prévisibilité et contrôle.

Premier principe, l'efficience : l'entreprise est axée entièrement sur une exécution efficiente des différentes phases de travail. Ainsi, les hamburgers sont préparés de manière industrielle et précuits en grande quantité. De même, l'on a réglé avec efficience la manière dont le/la client-e peut faire sa commande. Les grands panneaux disposés derrière le personnel travaillant aux caisses permettent aux client-e-s de jeter un œil sur le choix des mets proposés tout en passant la commande. De cette manière, l'on ne perd pas de temps et les client-e-s ne bloquent pas celles et ceux qui les suivent dans la file d'attente.

Le deuxième principe, le calcul de la rentabilité, implique que le critère de quantité prime celui de la qualité. Le fait que les aliments soient préparés et consommés rapidement répond à une volonté précise de l'entreprise. Ainsi, la durée de présence des client-e-s des McDonalds «Drive-Through» (commande directement depuis la voiture) est réduite à un maximum de 5 minutes, étant donné que les mets désirés sont livrés très rapidement après réception de la commande et que les client-e-s peuvent ensuite reprendre la route. A l'intérieur du restaurant, la situation est similaire. En effet, la durée de présence des client-e-s n'est en moyenne que de 20 minutes, car les chaises ont été conçues de sorte à ne pas être très confortables.

Troisième principe, la prévisibilité : Le style de gestion de McDonald est extrêmement réglementé et donc prévisible. Cette caractéristique de rationalisation se traduit par le fait que les client-e-s savent toujours à quelle sorte de service et de mets elles/ils peuvent s'attendre, et ceci dans n'importe quel restaurant McDonald.

Quatrième principe, le contrôle (de la qualité). Il est assuré par une automatisation du déroulement du travail. Etant contrôlés par des machines, les employé-e-s ne peuvent pas faire beaucoup d'erreurs. L'horloge de contrôle des pommes frites sonne après 20 minutes, puis une autre machine sort les frites de l'huile bouillante. Pour les client-e-s, cette organisation du travail implique qu'il n'est pas possible de répondre à des commandes personnalisées. Le/la client-e ne peut, par exemple, demander des frites cuites davantage.

 

L'extension du système McDonald

L'évocation de ces quatre principes de rationalisation introduits par McDonald dans les années 1950 est pertinente pour notre exposé dans la mesure où ils ont été appliqués par la suite non seulement dans d'autres secteurs de la société américaine, mais également dans d'autres pays. Dans la société américaine, la « rationalisation » s'est imposée comme le principe dominant depuis la naissance jusqu'à la mort, en commençant par les chaînes d'entreprises spécialisées dans les tests de fécondité, jusqu'à celles qui organisent les funérailles.

Ritzer utilise le préfixe «Mac» pour souligner la rationalisation extrêmement rapide qui touche l'ensemble des secteurs de la société. Ainsi, il parle de « Mac-universités », de la « Mac-Disneyisation», des « Mac-emplois », afin de mettre en évidence le processus de rationalisation du système éducatif, du tourisme et du travail selon les critères économiques de l'entreprise McDonald (Ritzer 1998) [...] En référence au travail de Ritzer, j'aimerais introduire la notion de « Mac-décentralisation » pour décrire le développement scolaire local pratiqué dans le canton de Zurich, qui désigne ce processus par le terme « d'école publique à autonomie partielle » (Teilautonome Volkschule).

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