Lettres au SNES


Chers collègues, chers camarades(?),

Le SNES, ou au moins certaines sections académiques, appelle à la grève le 1er février. Face à la situation de l'Éducation Nationale, de notre métier en constante dégradation, cela pourrait, devrait constituer une bonne nouvelle. A mon avis, la réalité nest malheureusement pas si simple.

Depuis juin 1997 et l'accès au ministère de lÉducation Nationale de Claude Allègre, on assiste à un démantèlement programmé de l'École Publique : gel de l'emploi des fonctionnaires, précarisation de plus en plus forte des personnels non titulaires, classes de plus en plus chargées, calomnies insultantes du ministre envers les enseignants, mais surtout, surtout, abdication totale face à la mission de ce service public d'éducation. Les horaires d'enseignement fondent comme neige au soleil : mathématiques, français, langues cette année en Seconde, la suite en Première l'an prochain, avec des programmes subissant une inquiétante cure d'amaigrissement : encore les mathématiques, devenues inutiles d'après l'infâme ministre, enseignement du français bientôt réduit à la peau de chagrin de la " communication ", des langues où lon veut ouvertement évacuer tout ce qui n'est pas compétences linguistique comme la désormais inutile littérature.

Le lycée est appelé à devenir un " lieu de vie ", dapprentissage de la " citoyenneté ". C'est abandonner la mission principale de notre métier : la transmission des connaissances.

Il y a 25 ans que j'ai passé le baccalauréat. A l'époque seulement un tiers des jeunes de mon âge accédait à ce diplôme, c'était largement insuffisant, mais la formation dispensée au lycée était exigeante et de qualité. Aujourdhui, on a trouvé la solution miracle pour faire accéder le plus grand nombre au baccalauréat : le vider de son sens. En raisonnant par flux et non par acquisition d'un niveau on en arrive à avoir des élèves de Seconde ne sachant pas effectuer trois fois un tiers, incapables de s'exprimer correctement, c'est-à-dire simplement de faire en sorte que les phrases exprimées traduisent leurs pensées. Et malheureusement, croyez que je n'exagère pas du tout, c'est ce que je vis au quotidien. On baisse donc considérablement le niveau d'exigences, d'année en année, assurant ce que madame Royal exprimait dans un récent numéro du " Monde " comme le " droit à la réussite ". La réussite devenant un droit, on comprend qu'il sera bientôt interdit, sous peine de violation de ce droit, de faire redoubler un élève, de le réorienter. Le baccalauréat deviendra dans quelques petites années un supplément de l'acte de naissance que lon détachera à sa majorité. Et l'introduction du Cheval de Troie du contrôle continu va bien sûr dans ce sens.

A côté de cela, la proportion importante d'élèves qui pourraient suivre un enseignement exigeant s'étiole, s'adaptant, comme c'est humain, au faible niveau d'exigence actuel : sous le prétexte généreux (?) de donner au plus grand nombre, on ne donne plus rien à personne. C'est ça la démocratisation ? Une école publique dans laquelle tout est dû, y compris la réussite, c'est ça notre idéal républicain ?

La conséquence de cela est dailleurs d'une clarté éblouissante : un large boulevard ouvert à l'enseignement privé. Voyant ce que devient l'école publique, quels parents, même parmi ceux comme moi qui ont des principes laïques et républicains, refuseront l'école privée, si elle au moins n'est pas basée sur des principes démagogiques mais au contraire prône l'exigence et dispense un enseignement de qualité ? On peut raisonnablement prévoir un développement exponentiel du privé dans les années à venir et nombreux seront les enseignants du public à fuir cette École vidée de son sens.

L'on voit qu'avec des discours " socialistes " suivis d'effets libéraux, on en arrive à une sélection sociale exacerbée. Quelle sera la valeur du bac estampillé contrôle continu du lycée de Garges-lès-Gonesse ? Ce gouvernement " de gauche " aura décidément réussi ce que dont beaucoup rêvaient comme inaccessible, le démantèlement du service public.

Revenons donc au mot d'ordre de grève du 1er février : des objectifs et des moyens peu clairs, à croire que la direction du SNES lance sa grève annuelle, tradition aussi solide que les fêtes religieuses , tentant de calmer les militants les plus radicaux, et leur montrant après coup que " vous voyez, les collègues ne sont pas prêts à bouger, c'est l'incontournable situation ".

Mais comment réussir une grève avec un syndicat qui manque de clarté face à cette situation de détresse. " Avec le Snes, cest clair " titrait l'US en septembre dernier. C'est clair ? Une grève où l'on demande timidement aux collègues de se mettre en grève entre la page 9 et le haut de la page 10 de l'US mag, avec rien en couverture, mais en revanche moult dossiers plus passionnants les uns que les autres sur la sexualité des adolescents ou l'utilisation dInternet. Cest ça le rôle du syndicat et de son journal ? On croit rêver, on cauchemarde !

Ce que lon devrait trouver dans notre journal, ce sont des dossiers montrant le lien entre le démantèlement de l'Éducation Nationale et celui des hôpitaux, de la Poste et appelant à réagir collectivement au niveau de toute la fonction publique pour l'arrêt de cette politique, pour qu'on arrête ce stupide gel de lemploi des fonctionnaires et que la " cagnotte " de Bercy soit utilisée pour sauver le service public et non pour des baisses d'impôts, caressant Jean Marc Sylvestre dans le sens du poil.

A mon très humble avis ça serait du syndicalisme responsable, où les dirigeants syndicaux appelleraient clairement les professeurs, médecins, infirmiers, postiers, électriciens, cheminots à la sauvegarde d'un système indispensable à notre pays et à l'action unie et véritablement résolue, dure, pour cela.

L'on peut effectivement rêver. Je fais effectivement partie de ces irresponsables rêveurs ayant fait plusieurs semaines de grève l'an dernier pour demander la démission de l'infâme ministre et l'abandon de cette politique.

Je recommence quand vous voulez.

Yves Moreau

P.S. (sic) : compte tenu du nombre de pages de lUS consacrées à des futilités, je ne comprendrais pas que cette lettre ny paraisse pas.

 

Chers collègues,

Mercredi prochain 26 janvier 2000, vous allez porter au ministère la pétition du SNES au sujet des nouveaux programmes de mathématiques.
A toutes fin utiles, nous tenons à vous faire part de notre position à ce sujet.
Nous partageons dans les grandes lignes votre analyse et vos inquiétudes sur ces nouveaux programmes, et sommes également très inquiets quant à la forte réduction de l'horaire consacré à notre discipline.
Cependant, nos revendications divergent sensiblement des vôtres :
- Nous ne pensons pas que le recul d'un an de la mise en application de ces programmes améliorerait en quoi que ce soit la situationÖ un an plus tard.
- Nous ne pensons pas que de telles inepties soient amendables.
- Nous ne ressentons pas la nécessité d'une " formation théorique et didactique dans le domaine des statistiques " : soyons sereins, le niveau des notions que nous serions censés enseigner serait très largement à notre portée. Ne tendons pas l'autre joue pour, en plus, passer pour des nigauds.
Nous avons, de notre côté, fait circuler et signer une pétition allant dans ce sens. Puissions-nous nous unir dans le but d'une plus grande efficacité, après avoir bien entendu défini clairement des objectifs communs.

Bien confraternellement.

Haut de la page | Accueil

Hosted by www.Geocities.ws

1