Contributions : Analyses



 

Responsabilité, loi, statut.

Plusieurs collègues s’inquiètent, à juste titre, de leur responsabilité vis-à-vis des élèves pendant les TPE, et des rumeurs diverses circulent.
Ajoutons-y la demande de modification des règlements intérieurs, consécutive au décret paru cet été sur la discipline, il apparaît nécessaire de donner quelques indications, pour rassurer les collègues, et surtout les mettre en garde contre les pressions que ne manque pas d’exercer l’administration.

Rappelons d’abord quelques principes des textes juridiques :

  • ils ont un ordre hiérarchique ; dans l’ordre descendant : Constitution, lois, jurisprudence du conseil d'Etat, décrets, arrêtés, circulaires interprétatives. Ils ne doivent pas être contradictoires, et notamment un texte d’ordre inférieur ne peut que préciser les modalités d'applications dans son ordre et dans son domaine de compétence, des précédents, mais ne peut contenir des dispositions les contredisant.
    Ceci paraît du simple bon sens, mais on va voir qu’il n’est pas toujours suivi.
  • seuls les textes législatifs et réglementaires publiés au JO ou au BOEN pour ce qui nous concerne sont exécutoires, et par exemple une circulaire rectorale ne peut pas introduire des obligations générales, ni en supprimer, ni même une circulaire ministérielle qui n'est pas impérative d'un décret ou d'un arrêté.

Pour illustrer ces principes, commençons par un article de la loi de 1983 portant statut des fonctionnaires (article 28) :

" Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

Il n'est dégagé d'aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés. "

Ainsi que la loi du 5  avril 1937 en son article 2 :

" Responsabilité de l'Etat en matière d'accidents scolaires .

Art.  2 . - La loi du 20  juillet 1899 est abrogée et remplacée par les dispositions suivantes :

Dans tous les cas où la responsabilité des membres de l'enseignement public est engagée à la suite ou à l'occasion d'un fait dommageable commis, soit par les enfants ou jeunes gens qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit à ces enfants ou jeunes gens dans les mêmes conditions, la responsabilité de l'Etat sera substituée à celle desdits membres de l'enseignement, qui ne pourront jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants.

Il en sera ainsi toutes les fois que, pendant la scolarité ou en dehors de la scolarité, dans un but d'éducation morale ou physique non interdit par les règlements, les enfants ou jeunes gens confiés ainsi aux membres de l'enseignement public se trouveront sous la surveillance de ces derniers.

[…] L'action en responsabilité exercée par la victime, ses parents ou ses ayants droit, intentée contre l'Etat ainsi responsable du dommage, sera portée devant le tribunal civil ou le juge de paix du lieu où le dommage a été causé, et dirigée contre le préfet du département. "

Une circulaire du recteur de Paris du 10-10-2000, concernant la responsabilité des professeurs pour les TPE, est citée par Francis Berguin indigné dans un article de l’US n°532, page 11. Le sentiment de notre collègue est parfaitement justifié, car cette circulaire est contraire à ces textes de loi, et nous insistons pour mettre en garde nos collègues contre les risques qu’ils encourraient en laissant errer les élèves après avoir fait l’appel. En effet, il est impératif de faire l’appel des élèves présents dans la salle où se trouve le professeur, qui n’est responsable que de ceux-ci. Il est hors de question d’endosser une éventuelle responsabilité des actes des autres, c’est non seulement du simple bon sens, mais c’est légal (loi de 1937 ci-dessus). A lire la circulaire du recteur, on voit que le bon sens et la connaissance des lois lui échappent un peu, comme nous l’annoncions.

Et comme il donne une instruction manifestement illégale et nuisible à l’intérêt public, les professeurs sont tout à fait fondés, légalement, à lui désobéir.

 

Le BO spécial du 13 juillet invite les CA à refaire les règlements intérieurs en conformié avec la modification du statut des établissements publics locaux d'enseignement introduite par décret. Nous retrouvons là les mêmes problèmes de contradiction entre textes, surtout avec la loi de 1937 (toujours en vigueur, rappelons-le, puisqu’elle figure toujours au RLR).

Quelle efficacité peut avoir un règlement intérieur élaboré sur des bases juridiques si incertaines ?

Le décret et la circulaire de juillet 2000 contiennent des dispositions dont la nocivité a déjà été soulignée par les collègues, par leur laxisme et par les interprétations extensives qui en sont déjà données par certains chefs d’établissement. La circulaire introduit la notion de "sanctions disciplinaires" distinctes de "punitions scolaires", les premières devenant susceptibles de recours. Ces dispositions ne procèdent pas du décret dont le rôle est de modifier le statut des établissements publics locaux d'enseignement. Elles n'ont donc pas de valeur réglementaire et ne s'imposent pas au juge, qui garde en tout état de cause sa capacité à apprécier la conformité du décret à la loi.

Etant donné l’ordre logique des textes, inutile d’espérer qu’un texte local, le règlement intérieur, pourrait corriger ce genre de défauts. Pour la même raison, le règlement intérieur ne peut pas en rajouter. Par exemple, les commissions nommées " commissions de médiation ", ou " commissions de discipline ", dont la création est conseillée par ce décret, sont au mieux des lieux de bavardage et de perte de temps, elles n’ont aucune valeur, car aucun pouvoir. Déjà le conseil de discipline, quand on y regarde de près …

Ces instances inspirées des idées lumineuses de monsieur Defrance ne sont là que pour faire illusion, et pour détourner l’attention des affaires importantes.

Donc, nous conseillons que les collègues ne perdent pas de temps à délibérer en CA pour les constituer, ni bien sûr à tenter de s’y investir. La seule demande qui vaille la peine, c’est celle de l’abrogation de ces décret et circulaire, qui à elle seule mérite une grève. Simultanément, un recours par la voie de l'exception pourrait être introduit contre ces décrets.

En effet, à quoi sert, politiquement, cette incertitude ?

Si les personnels, non informés de ces subtilités, s’y investissent, proposent et votent un règlement intérieur en lequel ils croient, ils vont le suivre, lui croyant une efficacité puisqu’ils en sont les auteurs ; la blague du pouvoir qui serait plus efficace parce que décentralisé … Ils consomment l’opium du peuple qu’ils se sont eux-mêmes préparé. C’est une tactique de gestion des ressources humaines bien étudiée et mise au point maintenant dans les entreprises  ; chez nous aussi où la situation est aggravée par le fait que les enseignants sont les seuls fonctionnaires de l'Etat à ne pas recevoir de formation en droit administratif, ou si faible..

Que peut-il se passer quand on tombe sur des textes contradictoires ? On ne peut pas s’en servir, donc tout se passe comme s’il n’y avait plus de loi. La pratique systématique que nous conseillons est de déférer au juge, par la voie de l'exception lors de l'application de mesures individuelles, la légalité de ces textes et d'en demander l'annulation. On ne peut que regretter la carence des syndicats de n'avoir pas attaqué ces décrets dans les délais de recours lors de leur publication.

L’effet que l’on voit sourdre de ces textes du BO est la pénalisation, elle est visible dans la confusion créée et entretenue, malgré les paragraphes différents, entre les sanctions scolaires et la justice civile. Nous assistons en fait à un vaste mouvement de déresponsabilisation de l'Etat, qui ne dirige plus, mais fait moderne, cool …

Est-ce dû à l'ignorance ou à la perversité ? Les diverses modifications intervenues sont trop convergentes, elles se moulent trop bien dans les directives générales européennes, pour être simplement fortuites, la fonction publique à la française est une exception qui peut trop servir de modèle revendicatif, c’est pourquoi, sournoisement, par des mesures comme celles-ci, on la détruit de l’intérieur. Pas d’attaque frontale, ce serait d’une maladresse dangereuse en cette période électorale !

Ce qu'a bien décrit Denis Kambouchner dans son livre Une école contre l'autre : (page 202)

" A partir du moment où l'échec de l'élève et son absence de motivation seront ainsi constituées en anomalies, il est aisé d'imaginer la cascade de recours et de réclamations pour insuffisance de résultats dont les enseignants feront l'objet. […] Mais en outre, cette extension de la responsabilité formelle de l'enseignant fera système avec une déréglementation sensible de son emploi. "

Nous y voilà.

Les élèves vont-ils en tirer profit ? Ce n’est pas sûr du tout.

Il est indiqué dans la circulaire pré-citée que les sanctions sauf l’exclusion définitive disparaissent du dossier de l’élève ; et vous connaissez les instructions de Ségolène Royal, non abrogées, pour les expressions à employer dans les bulletins. Par où va passer l’information claire et non euphémisée ? Par des communications orales invérifiables, des dossiers non réglementaires, illicites, des conditions d’accès opaques à certains établissements. Les professeurs ont toujours engagé leur responsabilité de fonctionnaires dans la rédaction des bulletins, y compris bien sûr dans des cas graves. On la leur ôte de fait, pour la remplacer par des écrits insignifiants, des arrangements locaux, de la rumeur ; on n’est pas loin de l’exercice de la violence privée, en place du pouvoir d’Etat. C’est la définition ordinaire de la mafia.

La destruction du statut de la fonction publique est illustrée clairement ici contre nous, mais elle est aussi indissolublement une destruction de l'Etat.

Dans certains départements, des collègues et des travailleurs d’autres secteurs mettent dans leurs mots d’ordre de grève et manifestation de ce mois de janvier la protestation contre la réforme de l’Etat : c’est une revendication urgente.

notes:

  1. Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.Loi Le Pors. (Journal officiel du 14 juillet 1983) http://www.legifrance.gouv.fr/textes/html/fic198307130634.htm .
  2. RLR, cote 106-0
  3. BO spécial n° 8 du 13-7-00, le décret n° 2000-620 du 5-7-2000, JO du 7-7-2000 NOR : MENE0001587D RLR : 520-0.
  4. Elle évoquepar exemple comme cause exonératoire de responsabilité de l'Etat le fait de la victime : un acte d'indiscipline ou d'imprudence limite ou supprime la part de responsabilité de l'Etat (ex. : absence fautive de l'élève empêchant toute surveillance de celui-ci). Le fait de la victime peut avoir un effet exonératoire total ou partiel (pour un partage des responsabilités entre l'Etat et l'élève, CA de Paris, 11 juin 1980).
    Enfin, la mauvaise éducation donnée par les parents entraîne également un partage de responsabilité ou une exonération de responsabilité (Cass. civ. , 27 janvier 1983).
  5. D. n° 2000-633 du 6-7-2000. JO du 8-7-2000 NOR : MENE00011588D RLR : 551-2 MEN - DESCO B6 et C. n°2000-15 du 11-7-2000 NOR : MENE0001706C RLR : 551-2 MEN - DAJ
    Par exemple le § 2.2 : "il convient également de distinguer soigneusement les punitions relatives au comportement des élèves de l'évaluation de leur travail personnel. Ainsi n'est-il pas permis de baisser la note d'un devoir en fonction du comportement d'un élève ou d'une absence injustifiée. Les lignes et les zéros douvent également être proscrits."
    On devine ce que les auteurs ont voulu viser, et on sait que cela est interprété comme l'interdiction désormais d'attribuer la note 0 à un devoir tout faux ou une copie blanche.
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