Contributions : Analyses : Redeker


L'internet en vrac à l'école
(Entretien publié sur Yahoo Internet Life, janvier 2000)

Culture de supermarché ou pédagogie ouverte?

Qu'apporte l'internet à l'école? Robert Redeker, professeur de philosophie au lycée Pierre-Paul-Riquet dans la banlieue toulousaine, et Guy Pouzard, inspecteur général d'académie, exposent leur avis, parfois très différents.



Yahoo Internet Life: Peut-on dire que 100% des établissements sont en ligne aujourd'hui?
Guy Pouzard: La totalité des établissements scolaires français n'utilise pas l'internet, loin de là! On nous dit qu'il faut intégrer les technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement (TICE) au plus vite, mais beaucoup de facteurs ralentissent l'évolution. Organisation, rythmes scolaires, emplois du temps, méthodes pédagogiquesÖ rien n'a encore pu être pensé posément en fonction de ces nouvelles technologies.

Robert Redeker: Il faudrait d'abord savoir s'il faut introduire l'internet à l'école! La pensée et l'école ont pu fonctionner pendant des siècles sans internet. Le contenu de l'enseignement sera-t-il plus riche? Personne ne sait répondre à cette question. Il faut donc freiner des quatre fers face à l'invasion de l'école par les nouvelles technologies.

G.P.: Oui, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire, ni même que l'on a tout le temps devant nous. Il est nécessaire de comprendre au plus vite ce qui se passe. Je pense que vous auriez pu avoir la même réaction quand on a inventé l'imprimerie. L'école fonctionnait depuis des siècles sans le livre. Le contenu de l'enseignement a-t-il été plus riche avec le livre?

R.R.: Le passage du livre manuscrit au livre imprimé n'a pas fondamentalement remis en cause le rapport au contenu du livre qu'on connaissait depuis saintAugustin et bien avant lui, depuis les Grecs. Aujourd'hui l'internet remet fondamentalement en cause l'enseignement républicain. De là à savoir s'il sera plus riche...

YIL: En quoi l'internet va-t-il transformer l'enseignement républicain?
G.P.: Nous allons passer d'une pédagogie du XIXè siècle, celui d'une classe traditionnelle, à une pédagogie plus adaptée en reprenant, entre autres, certains éléments de la pédagogie mutualiste qui fait appel au travail d'équipe et à la mise en commun des ressources.

R.R.: Les enfants vont probablement être perturbés par la disparition «Les enfants seront probablement perturbés par la perte de la magistralité» de la magistralité. Avec la dégradation des structures familiales, l'école est, très souvent, le dernier lieu où une figure identificatoire magistrale existe encore. Ces transformations auront des effets très néfastes sur les élèves, surtout sur ceux ces quartiers en déroute où plus aucune figure humaine n'incarnera savoir et autorité.

G.P.: Ce que l'on a pu observer et recueillir comme témoignages directs auprès d'élèves ou d'enseignants montre le contraire. Penser que l'utilisation des TICE "déshumanise" est un faux problème. Ou en tous cas, un problème posé de façon théorique. Si la forme de la pédagogie change, l'enseignant reste indispensable.

YIL: Qu'apporterait alors la pédagogie mutualiste à l'élève?
G.P.:
Avec les technologies numériques, non seulement l'accès aux sources est facilité mais chaque utilisateur peut être créateur d'information pour les autres. On passe de l'état de simple consommateur, plus ou moins averti, à celui de consommateur-producteur. La production d'information engage la responsabilité individuelle, elle est exigeante en matière de qualité, de pertinence, ... Introduire ces éléments dans le processus éducatif est essentiel, cela a déjà été tenté, mais rarement entendu par les institutions.

R.R.: Faut-il être créateur? L'enseignement doit-il s'identifier avec des processus de création? Je préfère l'étude et la transmission du savoir à la création, dont le résultat est sinon médiocre, du moins aléatoire. Il vaut mieux étudier car c'est un accès à soi et un accès à l'humain en général.

YIL: L'internet ne permet-il pas un accès à l'humain en général?
R.R.: L'internet donne la possibilité de diffuser son opinion au monde entier. Je suis loin d'y voir un progrès car une opinion n'est justement qu'une opinion. Devant cette profusion de points de vue, les élèves risquent encore plus de s'en tenir au scepticisme vaguement nihiliste qu'ils profèrent tant qu'ils n'ont pas commencé à penser. On peut choisir son opinion dans le supermarché planétaire des points de vue qu'offre l'internet mais on trouve tout ce qui hante le psychisme humain et il faut savoir prendre du recul.

G.P.: L'esprit critique doit se développer. «L'esprit critique doit se développer (Ö)
Il faut savoir recréer de l'information fiable»
Il est en effet nécessaire de comprendre l'information, de la traiter, d'en connaître sa valeur et sa pertinence, de savoir identifier des sources et surtout de savoir recréer de l'information pertinente et fiable. Autant de choses que l'on apprend fort peu au cours de la scolarité.

YIL: élèves et professeurs n'auraient pas suffisamment de sens critique?
G.P.: Les professeurs ont un esprit critique. Du moins pour la grande majorité... Chez les élèves c'est bien plus difficile à trouver. Prendre du recul par rapport à l'information demande déjà une grande formation!

R.R.: Pour prendre du recul il faut posséder le savoir. On comprend, du coup, pourquoi l'internet ne peut arriver qu'in fine. L'internet n'est pas un outil de savoir ni d'apprentissage, c'est un outil d'information. Aujourd'hui, on se trompe sur la mission de l'école. Elle est là pour transmettre un savoir et non apprendre à trier des informations.

G.P.: Transmettre les savoirs sans apprendre à trier les informations ne revient-il pas à penser que la parole du maître est sans faille, qu'il n'y a d'autre source d'information valable que la sienne? N'est-ce pas inconsciemment intégrer l'idée que certitude et perfection sont les seules données pédagogiques importantes? Pourquoi ne pas admettre que la ìtransmissionî n'est qu'une partie de l'information, que l'important n'est pas seulement ce qui est transmis, mais plus encore ce qui est compris?

Propos recueillis par Marie Bonnard

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