Contributions : Analyses

 


 

ASSOCIATION DES PROFESSEURS DE PHILOSOPHIE DE L'ENSEIGNEMENT PUBLIC

A tous les professeurs de philosophie (octobre 2000)

I. Des faits inacceptables!

Le Ministère a profité des vacances d'été pour publier horaires et programmes.

Au B.O. no29 du 27iuillet. les horaires

-En série ES: 4 heures.

-En série L, 7 heures seulement.

-En série S : 2 heures seulement en classe entière, + une heure en classe dédoublée.

Faut-il souligner combien cette réduction constitue une véritable régression?

Au B.O. hors série du 31 août. vol.6 : Programme applicable dès la rentrée 200 1.

Pourtant, dans une audience de juillet dernier, le directeur adjoint du cabinet au Ministre avait assuré aux représentants de notre Association que le programme serait soumis à consultation lors du premier trimestre de la présente année scolaire. Cette assurance a été confirmée par lettre du 21 septembre: "Si des critiques se font jour, il en sera tenu compte".

Le programme a donc été publié au mois d'août avant cette consultation, et comme s'il était définitif. Nous laissons nos collègues apprécier cet étrange procédé.

Cependant, nous invitons tous les professeurs de philosophie à participer activement et en toute indépendance à cette consultation. Elle sera l' occasion de dénoncer une politique persistante du fait accompli, et une politique de mépris des professeurs.

II. Un programme opportuniste.

Nous récusons l'esprit même du programme publié, ter qu'il prend corps dans ses deux parties principales: pour les notions, à travers leur couplage systématique et arbitraire; et pour les questions, à travers le souci qui les motive d'un "ancrage contemporain". Dans leur esprit, en effet, ces déterminations du programme nous paraissent gravement affecter la vie de la philosophie dans son enseignement, sous prétexte de la sauver en I 'adaptant à son nouvel environnement. Sous couvert d'adaptation aux nécessités de l'époque, ce programme ne manifeste, en réalité, qu'un vulgaire opportunisme sur le double versant des contingences politiques et des modes idéologiques. .Nous disons bien: opportunisme, s'il est vrai que celui-ci se définit toujours et partout par l'abandon des principes, sacrifiés aux circonstances et aux intérêts du moment.

Or, le programme publié fait fi de deux principes vitaux de l'activité philosophique, vitaux parce que si philosophiques en eux-mêmes qu'il n'y a plus d'activité philosophique, dans sa cohérence propre, dès lors qu'on y contrevient. Il faut le réaffirmer avec force: le couplage systématique des notions tel qu'il est conçu et serait imposé atteint l'activité du professeur de philosophie dans sa liberté, et les questions à "ancrage contemporain" portent préjudice à la pratique de la philosophie dans la définition de son actualité. Ces attaques ont bien pour cible des principes essentiels.

 

III. Le couplage systématique des notions.

" Philosophiquement entendue, la liberté du professeur de philosophie a tout à voir avec les nécessités de la pensée, et c'est d'elles que dépend la liberté de l'élève. Or, le couplage systématique des notions réduit souvent la pensée à une problématique unique.

Quelques exemples. "Liberté et déterminisme" : sous le carcan de ce rapport préétabli, où et quand viendront se réfléchir la servitude ou l'aliénation, face à la liberté? et le hasard ou le chaos, face au déterminisme? Le couplage de la notion d'histoire avec celle de progrès occulte toute autre significationou interprétation de sa notion. "Langage et communication" ne fait aborder le langage qu en vue de la communication, de façon aussi tendancieuse que restrictive. "L'art et le beau" écarte le rapport de l''art avec d'autres valeurs. ainsi que l'étude d'autres catégories esthétiques. C'est donc la forme même du couplage systématique qu'il faut récuser. Rien ne peut justifier qu'en se proposant d'orienter l'activité de la pensée, on la contraigne en fait à se réduire en se faisant violence.

 

IV. Les questions à "ancrage contemporain".

Ces questions n'en sont pas: ce sont des thèmes, en réalité plus historiques que philosophiques. En outre, leur rédaction est confuse, une fois de plus réductrice, et même partisane. Toujours entendue philosophiquement, l'actualité de la philosophie n'a rien à voir avec quelque délimitation temporelle que ce soit: c'est lui faire injure que de prétendre la valoriser en l'ancrant dans la contemporanéité. C'est supposer qu'il y a des questions philosophiques qui seraient plus actuelles que d'autres, et c'est alors vouloir opposer la philosophie à elle-même comme de l'actuel (= du valable) à du plus ou moins inactuel (= du plus ou moins dépassé), et dès lors la réduire, là encore, à une succession des idées propice à toutes sortes de récits et de récitations. C'est perdre de vue que son historicité spécifique tient à la continuité, la permanence, d'un questionnement fondamental, qui est précisément son existence en acte .

Ainsi, c'est arracher la laïcité à son concept, donc à ce qui importe à la réflexion philosophique, que de la rabattre sur ses seuls aspects (empruntés à l'air du temps) de "l'éthique et la croyance religieuse". De même pour la citoyenneté quand elle n'engage plus que la question de l'esclavage, soumise à un survol historique au titre de la "contemporanéité". Et qui dira quelle est "la" question de la technique? Avec ces questions, veut-on faire accroire que la philosophie en sera plus intéressante - intérêt commandé de l'extérieur de la philosophie - en les changeant tous les cinq ans, à chaque "révision"? C'est revenir, par un autre biais, au mépris où l'on tient la liberté du professeur de philosophie. La "présentation" du programme permet d'ailleurs d'en prendre la mesure.

 

V. La "Présentation" et les recommandations sur les apprentissages.

Derrière une proclamation incantatoire du respect de la liberté du professeur, l'examen du texte fait apparaître que cette liberté se limite à l'ordre suivi dans le cours. Il n'y a plus aucune liberté affirmée dans la position des problèmes, ni dans le choix des références. Les "recommandations" sont un fourre-tout; la plupart de ces recommandations et exercices n'ont pas de statut proprement philosophique. L'omniprésence de la notion d'argumentation (souvent substituée à celle de dissertation) est très inquiétante: elle tend à réduire la philosophie à un mode de communication sur le marché des idées, à une nouvelle scolastique, à "un moyen de parler vraisemblablement de toutes choses" que dénonçait déjà Descartes. La dissertation n'est pas une "mise en scène argumentative", et la démarche philosophique ne se réduit pas à la discussion. On retrouve ici la tendance à dissoudre l'enseignement de la philosophie dans celui d'une rhétorique générale sans domaine propre.

 

VI. Conclusion.

Nous rappelons enfin que le programme des classes terminales est celui du CAPES. En a-t-on évalué toutes les conséquences?

Nous demandons que tout programme de philosophie respecte les principes fondamentaux rappelés ci-dessus. Faute de s'y tenir, le programme publié ne pourra pas être appliqué.

Tout cela est grave. Il ne s'agit pas seulement, comme certains affectent de le croire, du sort d'une discipline ou des intérêts d'une corporation. Redisons-Ie: la liberté intellectuelle de l'élève est à la mesure de celle du professeur. Que ceux qui, parmi nos collègues, restent indifférents et pensent qu'ils pourraient encore philosopher comme ils l'entendent avec le programme publié, y réfléchissent: ils seraient progressivement ligotés, ne serait-ce que par le biais des sujets d'examen.

Puisque les professeurs de philosophie sont consultés, qu'ils en profitent pour s'opposer aux régressions qui menacent l'activité philosophique dans son enseignement.

Le Bureau national.

Pour toute information. s'adresser à:

Charles Coutel. 6. rue Emile Loubet, 62000 Arras. Tel. 03 21 55 30 37

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