Revue de presse : Le Pavé de Marseille: P. Murat



Article à paraître dans Le Pavé de Marseille le 16 mars 2000
ALLEGRE VA-T-IL FAIRE UN PROCES AU "PAVÉ" ?

L'actuel promoteur de la contre réforme libérale au sein de líÉducation Nationale sent bien que ses projets pompeusement baptisés "charte du XXI° siècle" soulèvent un peu plus que de la grogne au moment où il commence à les faire appliquer et où les yeux se dessillent devant la réalité . Alors lui -même se met à grogner. Il menace de traîner devant les tribunaux pour accusation mensongère des enseignants qui, dans leurs tracts, prétendent qu'on leur a rogné 15 jours de congé. Il a raison parce que c'est faux. Et ils ont tort parce qu'il est inutile de gonfler la réalité pour avoir raison. En fait, entre 1996 et 2000, ce sont 10 jours de vacances d'été et 4 jours de vacances intermédiaires dont les professeurs de Lycée se sont vus privés. Soit, si l'on compte bien et sans l'aide de ces calculettes qui selon M. le Ministre renvoient aux oubliettes l'étude des mathématiques, 14 jours de boulot en plus (1) . Et ce lorsqu'on parle de réduction du temps de travail. Mais il est vrai qu'il s'agit de planqués dont le travail ne cesse de s'alléger et de devenir plus attractif grâce surtout aux réformes en cours.
A preuve, selon la même autorité que l'on n'a jamais pu soupçonner de diffuser un quelconque mensonge et qui s'est exprimée sur une chaine nationale sans être démentie le moins du monde par des journalistes qui sont l'honneur de la profession (citons-les pour leur rendre hommage: madame Ockrent et monsieur July), nous savons tous que "les professeurs ne travaillent que 18, 15 voire 12 heures par semaine". D'aucuns avaient pu croire qu'il y fallait ajouter la formation continue, la préparation des cours, la correction des copies, la concertation, les conseils et autres babioles qui font grimper le total au moins à 45 heures. Que nenni. Il n'y a d'autre travail que l'acte de présence en face des classes. Revenus de leur trop ancienne erreur, enfin éclairés sur leurs mission véritable, les professeurs obéissent allégrement: plus de copies corrigées, vivent le tout oral et le forum-débat! Si par mégarde ils se surprennent, ces incorrigibles, à faire prendre le stylo à leurs élèves - ne parlons pas de travail à la maison, ce serait abuser -, ils expédient les copies au Rectorat qui se chargera de les annoter, noter et transmettre aux familles (2). Plus de cours à préparer: l'improvisation suffit avec quelques "fondamentaux" en guise de savoirs. Plus de conseils de classe, puisqu'ils sont injustes ( les jugements critiques, cette indignité, ne peuvent qu'être désormais prohibés) et inutiles, les élèves avançant à l'ancienneté. Quel soulagement enfin! Comment ne pas avoir entendu plus tôt la vérité tomber de la bouche ministérielle ? Parole d'Evangile : il assure que les enseignants sont des absentéistes forcenés, que les enseignantes coulent l'Education nationale par leurs grossesses, que tous ces corporatistes défendant âprement des privilèges surannés doivent être d'urgence dégraissés, qu'ils forment une caste de ringards obsédés par la transmission des savoirs et l'idée obsolète de faire cours au lieu de se brancher sur la "culture lycéenne" et de laisser s'exprimer une spontanéité qui a tous les droits de la jeunesse . Quiconque y suspecterait ne serait-ce qu'un brin de démagogie se verrait illico coller un procès et ce ne serait que justice.
Imaginez alors que, dans les colonnes du Pavé, soit non pas évoqués ou seulerment suggérés tel manque de compétence dans des matières fort ardues comme l'affaire de la Soufrière ou une négligence fâcheuse pour les deniers publics dans la vente d'une mine au Pérou - ce serait là pure calomnie indigne d'être reprise par un journal conscient de ses responsabilités - mais que tout simplement un malencontreux chroniqueur émette l'idée que la meilleure façon de promouvoir la culture n'est pas forcément de faire disparaître la littérature des sections scientifiques, de réduire les maths à l'apprentissage des statistiques par pile ou face ou d'interdire l'enseignement des langues autres que l'anglais, ces extrapolations aventureuses vaudraient à votre journal un procès bien mérité et dont il ne se relèverait pas. Et puisque vous tenez encore à lire une presse libre et fière de le rester, ce n'est pas ici que vous lirez de ces vilenies qu'on colporte de ci de là et auxquelles les crédules prêtent une oreille trop bienveillante. En revanche le respect de l'information nous oblige à rapporter qu'en certains milieux sans doute bien mal informés - ils sont si loin de la réalité dont ils parlent tous ceux qui manifestent auussi massivement aujourd'hui mais de façon si irresponsable- s'enfle une rumeur persistante, tenace, bien qu'apparemment sans fondement, qui prétend qu'à force de niveler les études par le bas, de remplacer les enseignants par de gentils animateurs précaires et de transformer les Lycées en entreprises, c'est tout le service public d'Education nationale qu'on voudrait démanteler, libéraliser et marchandiser. Qu'un gouvernement dont on sait combien il est de gauche puisse ainsi détruire le fleuron de la République est assurément inconcevable. On reconnaitra donc là la théorie paranoïaque du complot, celle-là même qui discrédite Attac, la Confédération paysanne et autres sectes douteuses.
Songez que la folie de certains va jusqu'à intenter un procès à leur ministre, pourtant leur seul défenseur, leur meilleur protecteur, pour les avoir diffamés et désignés à la vindicte publique. Il a bien raison de dire que leur comportement est "irrationnel". Il y a même une adresse à laquelle envoyer ses chèques pour financer l'action judiciaire (3). Comme si ces trop nombreux protestataires, ces ingrats pléthoriques n'étaient pas assez grassement payés pour se payer un avocat sans faire appel à la générosité des gogos! Heureusement qu'on se charge de leur sort. Le ministre l'a assuré et on peut lui faire confiance: "Quand j'aurai fini mon travail, l'école ne sera plus la même"(4).

1. Voir "l'Université Syndicaliste" n° 518 du 11 Mars p. 4.
2. L'opération a commencé Lundi 13 Mars devant le rectorat dans un copieux embouteillage.
3. Envoi de votre contribution à Mme Christine Fumat 49, montée J. Mermoz 38090 Villefontaine.
4. Propos tenu à "l'Express" du 24 février 2000


Pierre MURAT

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