Ferry, réveille-toi ! Ils sont devenus fous.

 

Bien sûr, notre éducation nationale est en crise. Mais cette crise est celle de notre société toute entière et non pas celle d'un "mammouth" qu'il suffirait de "dégraisser" pour qu'il marche droit. La destruction de l'école de la République sous couvert d'une nécessaire "réforme" révèle en fait la fin d'une certaine conception de la culture et de la civilisation.

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La réforme. C'est le mot-clé dès que l'on parle de l'Education nationale. Depuis trente ans on réforme et on ne fait que s'enfoncer dans la baisse générale du niveau des élèves et le développement de la violence. Or, personne ne songe à faire le procès des "réformateurs" successifs mais on préfère évoquer des problèmes techniques ou - encore mieux - le méchant "mammouth", sorte d'abstraction symbolisant à la fois les serviteurs de l'État et l'État lui-même devenus sous le règne de la mondialisation les deux faces d'un monstre à abattre.

Malgré le discours dominant, de nombreuses voix en appellent à un retour aux sources de l'école républicaine et aux enseignements fondamentaux. Plutôt Ferry et les "hussards noirs" qu'Allègre et ses ordinateurs pédagogues. Une profusion d'ouvrages parus récemment en témoigne dont celui de Martin Rey (voir ci-contre). "C'est au tournant des années 60-70 que la France connut son plus haut degré de bien-être physique et moral. Et lorsque nous parlons de l'école de Jules Ferry, c'est à celle de nos vingt ans que nous pensons" écrit-il. Si "réformer" c'est détruire ou renoncer alors il s'agit de préserver un héritage qui a fait ses preuves.

 

L'école : lieu de transmission ou "lieu de vie" ?

Rythmes scolaires, semaine de quatre jours, réduction des programmes, "démocratie lycéenne", mettre l'élève puis maintenant le professeur "au centre" de la politique éducative, "professionnaliser" le métier d'enseignant. Ces mots et ces slogans, qui pourraient résumer l'approche de l'Éducation nationale par nos gouvernants, dissimulent des réalités traduisant le formidable renversement des buts jusqu'alors assignés à l'école. Depuis ses origines, l'école républicaine était considérée comme un lieu à part. Elle visait à être un espace neutre - politiquement, religieusement, économiquement, socialement - et protégé où l'on formait les futurs citoyens. Elle était une institution dont la préoccupation première était de transmettre des savoirs et d'apprendre à vivre en société autour de références communes. Éduquer l'élève à ce qui le dépasse, lui permettre de comprendre le monde et d'y prendre place. Depuis au moins trente ans, le processus s'est inversé. L'école - lieu de maturation de l'individu mais aussi de "séparation" d'avec l'extérieur - a été investie par la société, ses modes et ses lubies. Mai 68 - clapotis politique mais authentique révolution culturelle - et les politiques qui en ont été inspirées ont cloué au pilori la "transmission du savoir" au nom de la "créativité" et de la "spontanéité". L'autorité, la sélection par le mérite, la discipline, la rigueur, le respect des règles ? Des vieilles lunes "réactionnaires" voire "fascistes" dont il faut se débarrasser au plus vite ! Trente ans plus tard, Philippe Meirieu, le conseiller du ministre Allègre et "père" des réformes en cours, parle de l'école comme d'un "lieu de vie" où les élèves doivent "inventer ensemble leur avenir". Quant aux professeurs, l'inépuisable Meirieu dans un ouvrage intitulé "L'École ou la guerre civile" les désigne comme les principaux responsables des problèmes de l'école par leur "despotisme", leur "absence d'écoute" et leur "manque de respect des élèves" (1) ! On croit rêver ! Ce ne sont pas les nombreux actes de violence à l'égard des enseignants qui choquent le bon conseiller Meirieu mais ces professeurs vraiment pas "cool" et trop despotes. D'ailleurs, il préconise également un nouveau rôle aux enseignants : "De transmetteur, le maître doit devenir entraîneur" et "doit aussi assurer le service après-vente". L'élève considéré comme une marchandise et l'enseignant comme un vendeur. Finalement, tout cela est d'une cohérence redoutable.

 

 

Baisser le niveau des exigences

L'un des principaux griefs que l'on adresse à l'école est de ne pas correspondre aux besoins du marché et d'en demander trop aux élèves. Si nos enfants sont chômeurs c'est parce que l'école ne leur a pas dispensé un savoir opérationnel, "rentable" et leur a farci la tête de machins inutiles, nous dit-on. C'est notamment le discours du ministre qui réclame des "choses concrètes" et des "programmes moins contraignants". Pas besoin "de programmes de français où l'on vous impose l'auteur, le livre, la page" (Le Monde, 27 février 98). Philippe Meirieu renchérit : "Il faut baisser le niveau des exigences" (Libé le 14 oct 98). Au nom d'un prétendu utilitarisme, on en vient à sacrifier la fonction même de l'école. Évidemment, lire Corneille et Racine, comprendre Descartes et Diderot, ce n'est pas branché à l'heure où l'on veut nous faire croire que la grande ambition est de pouvoir surfer sur Internet. À bas donc le vieil enseignement et les matières inutiles comme le latin, la philosophie ou le français !

Que ceux qui pensaient que l'école était l'endroit où l'on apprend à apprendre, à réfléchir, à poser un problème et à s'efforcer de le résoudre, à raisonner et à acquérir un semblant de culture générale, disposent ! À quoi bon organiser son savoir, structurer sa pensée et son propos selon les notions de logique, de clarté et de synthèse ? L'effondrement de la culture littéraire classique et la transformation des mathématiques modernes en outil de sélection, qui ferme d'ailleurs l'accès de tous à la connaissance scientifique, est censée répondre à la demande d'une société ouverte, d'un monde globalisé. La culture de l'écran plutôt que celle de l'écrit. Pourtant, cette approche se révèle déficiente sur tous les plans y compris d'un point de vue étroitement comptable. La spécialisation précoce, l'étude de cas et l'apprentissage empirique sont toujours moins opérationnels que l'enseignement théorique et l'apprentissage du raisonnement. Sans parler du "coût humain", quel est le coût financier des bataillons de chômeurs et d'exclus ? Une vraie formation est coûteuse et non-rentable à court-terme mais réclamer un retour au savoir traditionnel ce n'est pas prôner un enseignement abstrait, inutile et d'un autre temps. C'est justement parce qu'il y a la crise, le chômage et le désespoir que cette formation s'impose. Comme l'a écrit Jacqueline de Romilly : "Tenir compte de la crise dans la formation des jeunes, c'est leur fournir l'appui de textes capables de les aider à l'affronter". Se vanter de réduire les coûts du service public - comme Allègre le fait - ne suffit pas. Ce n'est pas en allégeant les programmes et en baissant les horaires d'enseignement (c'est-à-dire en baissant le niveau donc en dévaluant les diplômes ce qui revient aussi pour certains à prolonger les études afin d'obtenir d'autres diplômes) que l'on formera des citoyens. En revanche, l'analphabétisme et l'abaissement du niveau général de culture nous fabriquent des générations entières de "sauvageons" que notre société "démocratique" parquera dans des ghettos ou des prisons.

 

 

L'école source de tous les maux

Par ailleurs, ce qui est étonnant dans tous les débats autour de l'école c'est le renversement du lien de cause à effet. Si l'école va mal - tout le monde est d'accord là-dessus même si des divergences peuvent apparaître quant au diagnostic des maux dont elle souffre - c'est à cause de l'école nous dit-on. Il faut "dégraisser le mammouth" s'exclame le ministre. Un peu comme si le ministre de l'Intérieur déclarait à propos de l'augmentation de la délinquance : "C'est à cause de la police !". Est-ce l'école qui crée le chômage, les familles explosées, la désintégration du lien social, la violence dans les banlieues ? Si le niveau baisse, est-ce l'institution qui est coupable ou le dévoiement dont elle a fait l'objet depuis tant d'années par des ministres, des conseillers et des experts aussi incompétents qu'irresponsables ? N'étaient-ce pas, pour ne citer qu'eux, Lionel Jospin et son conseiller Claude Allègre qui ont été à la tête de l'Éducation nationale de 1988 à 1991 puis le même Allègre depuis 97 ? Ne paie-t-on pas aujourd'hui trente ans d'une politique qui a sapé les fondements mêmes de l'école de la République ? On apprend moins et on réduit les programmes. On ne note plus ou presque mais on "évalue". À la sélection par les résultats succède une sélection "naturelle" : sociale et économique. Près d'un 1/3 des élèves sont éjectés avant le bac mais on fait semblant de ne pas s'en apercevoir.

Nos gouvernants s'indignent du développement des violences dans les collèges et les lycées. Mais faut-il s'étonner que des enfants ou des adolescents ne respectent plus leurs professeurs ? Depuis trente ans, on nous martèle que l'autorité c'est le mal, qu'il est "interdit d'interdire", que les sanctions et les punitions sont illégitimes, que la récompense par le mérite est une injustice, que le redoublement est une perte de temps, le respect des règles une idiotie et l'école une prison. Est-ce surprenant que des élèves - voire leurs parents - agressent ou insultent les enseignants quand le ministre manie lui aussi le mépris et l'invective à leur égard ? Est-ce surprenant, quand une société élève au rang d'idoles des jeunes des rappeurs à moitié analphabètes qui utilisent l'insulte, la pseudo-révolte lucrative, la violence des mots et des actes, de voir partout s'étaler la haine de la culture et de sa transmission ? Pierre Bourdieu, voici trente ans, accusait l'école républicaine de reproduire les élites et d'accroître les inégalités. On a détruit l'école et presque la République mais les élites se sont encore resserrées et les inégalités agrandies. Un bon bilan.

 

Le meilleur des mondes

Nous assistons, en cette fin de siècle, au mariage (apparemment surréaliste mais d'une logique sans faille) entre les vieux soixante-huitards anarchisants et les ultra-libéraux, entre tous les anti-État qui ne supportent qu'une loi : celle de la jungle. Sous couvert de mots généreux et de slogans ronflants (cf "la démocratie lycéenne" alors que le lycée n'est pas un lieu où la démocratie doit s'appliquer mais où elle s'apprend), on masque l'échec d'un système où 15 à 20 % des élèves ne maîtrisent pas "les compétences de base" à l'entrée en sixième et où 10% des français sont illettrés.

Mais est-ce vraiment un échec ? Pour les élèves et leurs familles, pour les professeurs qui croient encore à leur mission : sans aucun doute. Pour le marché qui dicte la conduite des politiques : non. Le règne des technocrates et de la finance, les "élites mondialisées" s'accommodent très bien d'une majorité d'individus lobotomisés qui ne sachent ni penser ni s'exprimer. Le "pacte républicain", tel que la France l'a connu, s'établissait notamment sur un contrat social et politique consenti entre les citoyens et leurs gouvernants dans le cadre national. Aujourd'hui, l'intérêt général et le bien commun ont disparu au profit de droits particuliers et de revendications communautaires. Le cadre national n'est presque plus qu'une nostalgie. Les discours officiels prônent la liberté mais préparent l'asservissement et l'abaissement de la volonté, on vante la tolérance mais on exacerbe tout ce qui sépare. Chaque matin, on fait l'apologie de la démocratie et du débat alors que les citoyens n'ont plus prise sur rien sauf sur l'anodin. Bref, on déguise une formidable régression de la personne humaine et de la vie en société derrière quelques progrès technologiques censés nous apporter le salut. Claude Allègre promet un ordinateur pour chaque enseignant et d'un coup tout s'éclaire : le monde sera incontestablement meilleur.

 

Martin Rey : «Réformer, ce n'est pas abandonner»

Aujourd'hui, de nombreuses voix en appellent à un retour aux sources de l'École républicaine et aux enseignements fondamentaux. Une profusion d'ouvrages parus récemment en témoignent. Parmi ceux-ci, "La chute de la maison Ferry" de Martin Rey dans lequel ce professeur agrégé, en poste dans la région de Toulouse, accuse Claude Allègre d'avoir liquidé l'école de la République. Avec cet essai aussi brillant par le style qu'incisif par le propos, il livre une analyse implacable des mécanismes qui ont remis en cause non seulement l'école mais aussi une certaine idée de la République. Entretien.

 

Opinion Indépendante : Vous accusez Claude Allègre d'avoir liquidé l'école de la République. Comment expliquez-vous que le ministre, qui aujourd'hui veut placer les enseignants au coeur de sa politique, semble jouir d'une bonne image dans l'opinion, celle de l'homme du mérite et de la sélection quand vous le décrivez comme celui du nivellement démagogique ?

Dans nos "démocraties-marché", il est normal qu'un homme comme M. Allègre séduise la majeure partie de l'opinion. Lui et ses amis, M. Meirieu notamment, sont arrivés aux affaires auréolés de toutes les cautions technocratiques possibles et imaginables... Scientifiques et pédagogues, "spécialistes" en un mot, ils devaient nécessairement être à même de résoudre les problèmes de l'Éducation nationale. Ce qui revient à dire que ces problèmes sont essentiellement d'ordre techniques et pédagogiques, alors que selon nous ils relèvent d'abord de la culture -entendez, des valeurs et du politique, c'est-à-dire de choix de société et de la foi que nous pouvons avoir en la démocratie... Le recours de plus en plus fréquent aux experts -dont il ne s'agit pas ici de nier la compétence ni même l'utilité- confirme une fois de plus, si besoin était, la dérive de nos sociétés vers un despotisme éclairé qui n'ose pas dire son nom. Au surplus, Claude Allègre, a su habiller son discours des oripeaux de la démocratie -et la démocratie lorsqu'elle n'est plus qu'oripeaux se transforme en démagogie, flirte avec le poujadisme. Pour imposer sa réforme et briser la résistance des professeurs dont on peut au moins supposer qu'ils connaissent leur métier, il n'a pas hésité à se servir du discrédit du corps enseignant dans l'opinion, et à l'aggraver. Par exemple en cautionnant l'idée que les professeurs sont des dilettantes, des champions de l'absentéisme... Il a donc su conjuguer le respect toujours plus grand pour "l'expertise" et des passions basses, comme la jalousie entre groupes sociaux, attisée par la crise. C'est surtout dans cette façon de gouverner, en manipulant l'opinion, en jouant sur le ressentiment, en désignant sa propre administration comme principal adversaire, que le ministre est fautif... Au demeurant le roi est nu à présent. L'opinion, et en premier lieu les parents d'élèves et les élèves eux-mêmes, qui, le plus souvent, ont soutenu ou approuvé M. Allègre, ne vont pas tarder à s'apercevoir que la fameuse réforme est en grande partie une coquille vide, qui se résume pour l'essentiel à la mise en place d'un simulacre de démocratie directe dans les lycées et à des allégements d'horaires et de contenus, dommageables finalement à la qualité de l'enseignement et à l'égalité des choses. Les élèves qui réussiront ce seront plus encore, ceux qui, chez eux, peuvent lire, utiliser un ordinateur ou profiter de la culture de parents instruits... On voit bien, avec les nombreux dysfonctionnements de la rentrée 99, que les vraies questions, celles des moyens par exemple, sont loin d'être réglées. Est-ce encore la faute des enseignants ?

 

Vous mettez en évidence une manipulation du langage et du sens. Ainsi un terme comme «réforme» recouvre selon vous des réalités cachées. «Réforme» ?

Il existe un lien direct entre l'action de M. Allègre et le "travail" de la pensée libérale et de la société libérale sur le langage. Et pas seulement par ce que le ministre, ainsi qu'il l'a prouvé en contrefaisant ce qu'il pense être la langue du peuple, maîtrise parfaitement les techniques de la communication... mais parce que lui-même et l'opinion sont prisonniers de représentations véhiculées par le discours libéral et technocratique. Le sens de bien des mots a été dévoyé, galvaudé. La foi ancienne dans le progrès a été transformé en sacralisation du changement pour le changement, en superstition de la réforme, sans qu'on ne se soucie plus, d'ailleurs, de distinguer entre progrès moral ou social, et innovation technique. Du coup, le ministre n'envisage même pas qu'il puisse faire autre chose que "réformer", plutôt que de maintenir, ou de restaurer... Cela est d'autant plus grave que, dans le discours actuellement dominant, le mot "réforme" a lui aussi changé de sens. Il ne signifie plus "amélioration", mais de plus en plus souvent "abandon". La réforme de la Poste, c'est en fait la fermeture d'un grand nombre d'établissements ruraux, qui accélèrent la désertification... On pourrait dire la même chose pour les hôpitaux. Or, si nous sommes convaincus qu'il n'y a pas d'autre alternative que d'aller de l'avant, entraînés par je ne sais trop quel "sens de l'histoire", à quoi bon parler encore de démocratie ? La démocratie c'est le choix, y compris de revenir en arrière.

 

On nous présente la crise de l'école comme un problème interne à l'école. Plus globalement, vous estimez qu'à travers l'école c'est un choix de civilisation qui est en jeu.

La réforme de Claude Allègre implique évidemment un choix de société et même de civilisation, dans la mesure où elle soumet entièrement les choix de formations de la jeunesse aux impératifs du marché, c'est-à-dire aux exigences des employeurs. C'est une démarche purement utilitariste, qui ruine en grande partie les ambitions humanistes de l'école républicaine. Elle est peut-être dictée par le souci légitime de prémunir les jeunes contre le chômage, mais selon moi elle est vouée à l'échec. Le chômage, et plus encore la précarité, sont inévitables dans les sociétés libérales régies par le marché -à tel point qu'on nous présente la précarité comme la seule alternative, comme la seule solution au chômage. On se lance donc dans un combat perdu d'avance, sans comprendre qu'on condamne des millions d'individus à mal vivre dans une société qui n'offrira pas à tous la chance d'un épanouissement professionnel. À terme, on accroît le malaise social.

Si les libéraux libertaires de droite comme de gauche s'en prennent à l'Éducation nationale, vous dites que c'est parce qu'elle est une éducation et parce qu'elle est nationale. Il faut évidemment relier cette question à la précédente : si la précarité est le moyen de faire reculer le chômage, il est clair que cette précarité ne pourra être proposée -ou imposée- qu'à des individus n'ayant qu'un faible bagage intellectuel, et donc peu fondés à se montrer exigeants sur le marché du travail. C'est ce que j'appelle la "déqualification compétitive" : les jeunes qui n'auront suivi qu'une formation de base allégée constitueront une masse de main-d'ouvre parfaitement adaptée au turn over et aux petits boulots de l'économie libérale. Le faible niveau de culture générale de ces individus permettra de leur faire accepter comme naturelle, inévitable la situation qui leur sera faite -car l'éducation civique dont les ministres nous parlent tant n'est en fait qu'une école de résignation et de conformisme, et ne saurait préparer les citoyens de demain à contester un ordre injuste. On les condamne à vivre et penser comme des porcs...

Et cela d'autant plus que tout est fait pour réduire l'individu à ses seules forces, pour l'isoler. Tandis que les libéraux de droite persuadent les Français qu'il n'est guère possible d'agir dans le champ économique, les libéraux de gauche s'acharnent à discréditer l'idée de nation. Ils ravivent ainsi de vieilles rancunes contre l'État, et prétendent lutter contre les idées d'extrême-droite. Mais ce faisant ils font surtout le jeu du libéralisme, parce que la nation c'est aussi une structure de solidarité, un corps qui résiste, et veut, parfois... Je crains qu'on ne confonde, malheureusement, le signe des choses et leur réalité. À quoi bon augmenter le nombre des diplômés, si cela ne se fait que par la dévalorisation des diplômes ? À quoi bon parler d'égalité des chances quand l'allégement des contenus, qui a pour corollaire l'allongement de la durée des études, favorise au bout du compte ceux qui peuvent les financer ? À quoi bon parler d'épanouissement, et même de "libération" des enfants, si c'est pour en faire les journaliers du XXIe siècle ?

 

Depuis 68, il y a eu dans les esprits une sorte d'institutionnalisation de la révolte et de l'insoumission. Des notions comme le respect et l'autorité sont désignées comme ringardes voire "fascistes". Une révolution culturelle à l'envers est-elle nécessaire ?

La perversion du langage, c'est déjà la révolte contre les valeurs, l'effondrement des valeurs. Quand on serine aux gens que la liberté c'est de pouvoir téléphoner plus longtemps, que le bonheur dépend de la marque de voiture, il est clair que les repères sont perdus... Je ne crois pas que l'on puisse s'en tirer en disant que les "valeurs ont changé", recours, très fréquent, au relativisme, qui équivaut tout simplement à nier l'existence du mal. La ruine de l'école républicaine est l'aboutissement d'un long processus, dont les principaux moteurs sont le culte de la jeunesse, le refus d'admettre qu'il existe des élèves doués et d'autres qui ne le sont pas, et cette idée surtout que toute autorité est mauvaise, et doit être abaissée. Traumatisé par l'histoire des régimes totalitaires, et dans l'espoir de construire une population viscéralement démocrate, on a repensé nos systèmes et nos modes d'éducation dans une perspective anti autoritaire, censée préserver la bonté native des enfants... Ce rousseauisme de bazar se révèle aujourd'hui désastreux : enseigner dans un nombre toujours plus grand d'établissements, devient inutile, voire dangereux ; l'incivilité progresse à grand pas, de même que la délinquance juvénile. Pour sortir de cette impasse, il faut s'attacher en priorité à restaurer certains principes républicains -rappeler par exemple qu'un enseignant n'est pas un domestique au service des usagers, mais un représentant de l'État- et revaloriser les valeurs.

Mais est-il encore possible de faire admettre aux gens qu'une autorité, lorsqu'elle a pour origine la volonté du peuple, le savoir et l'âge, est tout à fait légitime ? J'en doute, et de toute façon cela ne peut se faire par une "politique d'ordre moral", c'est-à-dire par la contrainte... C'est un long travail qui commence.

 

 

La Chute de la maison Ferry, Arléa, 140 p, 95 francs.

 

Dossier réalisé
par Christian Authier


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