Action

mars 2001

Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de l'Éducation nationale sur le
devenir de l'enseignement philosophique.



Monsieur le Ministre,

Nous sommes membres de l'enseignement supérieur et très attentifs à la qualité de l'enseignement secondaire. Nous avons participé aux concours de recrutement des professeurs de lycées, et à des titres divers nous connaissons les conditions souvent difficiles dans lesquelles ils travaillent. C'est avec un vif intérêt que nous avons pris connaissance de la consultation de tous les professeurs de philosophie sur le programme proposé par le Groupe Technique Disciplinaire. Cette récente consultation, voulue par vous, s'est déroulée dans le calme et le sérieux. Il ne fait aucun doute qu'une écrasante majorité rejette ce programme. Un simple élargissement du G.T.D. présidé par M. Alain Renaut ne saurait suffire et les professeurs de philosophie ne pourraient se contenter d'un réaménagement de ce programme : ils en refusent les dispositions d'ensemble et la sagesse recommande d'en reporter sine die l'application.

En effet qui peut croire qu'un tel programme pourrait être appliqué alors que, d'une part, l'ensemble des professeurs le conteste expressément et que, d'autre part, un délai raisonnable de formation, de préparation ne leur serait pas accordé ? Nous pensons que tout passage en force risque de créer incompréhension et désordre dans les lycées à la rentrée 2001. Une mise à jour du programme est sans doute souhaitable, mais elle doit intervenir dans un climat de confiance et de sérénité. Il faut rappeler que la classe Terminale est une classe d'examen et qu'il ne saurait être question de " tester " un nouveau programme, surtout quand il a été rejeté d'abord par l'ensemble des professeurs.

Pourquoi ce refus ?

Ce programme paraît contraire à ce qu'a toujours été l'enseignement philosophique. Rappelons qu'il est divisé en deux parties juxtaposées (Notions et Questions à ancrage contemporain), rompant ainsi la nécessaire unité d'un programme élémentaire de philosophie. Trois reproches principaux à ce programme nous paraissent fondés.

Dans la première liste, le couplage systématique et souvent arbitraire des notions prédétermine à l'excès le contenu de l'enseignement, et donc les sujets d'examen, au détriment de la liberté philosophique du professeur et de l'élève (par exemple, pourquoi privilégier le couple " langage et communication " ?). Dans la seconde partie des " questions dites à ancrage contemporain ", les rédacteurs ont cédé aux tentations faciles du modernisme. Certes la philosophie doit penser la modernité, mais d'abord en rompant avec elle pour en faire un objet d'étude et de pensée. De plus cette liste révisable sera asservie inévitablement aux aléas des modes et des formulations réductrices. Penser par soi-même son propre temps suppose un recul et une sérénité que ne permet aucune des rubriques proposées (ainsi pourquoi poser la question de la laïcité dans le seul horizon de l'éthique et de la religion ?). La distinction injustifiable entre les " notions " et les " questions à ancrage contemporain " doit disparaître.

Enfin les recommandations insistant sur l'apprentissage de l'argumentation faussent par avance l'effort de problématisation proprement philosophique et favorisent les effets rhétoriques au détriment de la rigueur requise par le commentaire et la dissertation.

Pour toutes ces raisons le programme proposé est nocif et inapplicable.

La méthode employée

Nous faisons les plus expresses réserves sur ce programme mais aussi sur la méthode suivie pour chercher à l'imposer. Il convient de rappeler que le texte proposé par le précédent G.T.D. avait été largement approuvé par les professeurs, mais il a été écarté sans justification par votre prédécesseur. Il faut rappeler aussi que le G.T.D. présidé par M.Alain Renaut a beaucoup rencontré, mais n'a pas vraiment consulté et encore moins écouté les collègues qui s'inquiétaient des principes adoptés.

Vous avez compris la gravité de la situation puisque vous avez organisé une consultation des professeurs et souhaité l'élargissement du Groupe d'experts : nous attendons la confirmation de ces intentions de dialogue. Une " lettre de cadrage " invitera, dit-on, le Groupe d'experts à revoir ses propositions ; cela suffira-t-il ? Les professeurs de philosophie ne veulent plus être
mis, encore une fois, devant le fait accompli.

La véritable urgence est d'assurer dans la sérénité l'évolution de l'enseignement philosophique auquel nous vous savons attaché. C'est pourquoi nous vous conjurons de retirer ce programme publié en août dernier et de remettre en chantier un nouveau projet reflétant réellement les attentes des professeurs de philosophie telles qu'elles ont été exprimées dans la consultation.

Nous vous demandons de nous recevoir pour vous préciser nos motifs d'inquiétude mais aussi d'espoir.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de notre profond dévouement et de notre attachement à l'enseignement philosophique français.

 

Signataires de la lettre ouverte à Monsieur le Ministre de l'Éducation
nationale sur le devenir de l'enseignement philosophique:

BOUCHILLOUX Hélène
Professeur de Philosophie à l'Université de Nancy II

BOURGEOIS Bernard
Professeur de Philosophie à l'Université de Paris I

CONCHE Marcel
Professeur de Philosophie à l'Université de Paris I

COUTEL Charles
Professeur de Philosophie à l'Université d'Artois

DAGOGNET François Professeur de Philosophie à l'Université de Paris I
Ancien président du G.T.D.

DIXSAUT Monique
Professeur de Philosophie à l'Université de Paris I

KINTZLER Catherine
Professeur de Philosophie à l'Université de Lille III

LEFRANC Jean
Ancien directeur de l'U.F.R. de Philosophie à l'Université de Paris IV

TOSEL André
Professeur de Philosophie à l'Université de Nice


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