L'E.C.J.S est née, l'école est finie !
Pourquoi le n'importe quoi pédagogique est tellement plus économique
Délicatement décrétée en pleines vacances d'été
au BOEN hors série, n°5, du 5 août 1999, l'ECJS (Education Civique
Juridique et Sociale) s'est vue imposée en classe de seconde, dès cette
rentrée 1999, à des enseignants désemparés face à
cette politique du fait accompli dont est tellement coutumier le ministre Allègre
avec lequel, pourtant, certains persistent encore à vouloir négocier.
Cette néo-discipline qu'est véritablement l'ECJS (telle que le ministère
cherche à nous la faire admettre, or on verra en quoi cela est un non-sens
doublé d'une arnaque) sera ensuite étendue aux classes de première
et de terminale dès la rentrée 2000. Elle affectera plus particulièrement
l'Histoire-Géographie, la Philosophie, le Français, les Sciences Economiques
et Sociales et, plus généralement en raison même de la nature
gestionnaire de sa mise en úuvre, l'ensemble des collègues en postes fixes.
On doit parler au sujet de l'ECJS de néo-discipline sinon de super-discipline
pour plusieurs raisons.
La première c'est la création ipso facto d'un GTD ECJS composé
exclusivement d'universitaires tous curieusement localisés sur Montpellier
(seul un d'entre eux, professeur de classes préparatoires à Montpellier,
se trouve être détaché en classe de seconde pour expérimenter
le dernier gadget ministériel).
L'autre raison qui fait de l'ECJS une super-discipline c'est son objet ; aucun !
Plus précisément, comme n'a pas pu s'empêcher de l'indiquer le
Recteur JM Monteil lors d'une réunion sur ce thème le 13.10.99, cette
« nouvelle discipline n'a pas de territorialité ».
Pourquoi un tel vide disciplinaire ? Il n'est pas interdit de supposer que, comme
pour les parcours diversifiés en collège, L'ECJS doit permettre une
supervision comptable grâce à la marginalisation des autres disciplines
auxquelles des heures seront prises autoritairement pour ne pas alourdir les horaires
des élèves.
L'ECJS prend d'une main à l'élève (de la philosophie, de l'histoire,
du françaisÖ) ce qu'elle lui redonnera de l'autre sous un autre nom, ce tour
de passe-passe ayant pour seule fonction en fait d'ouvrir la « dotation horaire
globale » calculée habituellement par discipline et par établissement,
à l'interchangeabilité des fonctions pour réduire ainsi la demande
en moyens disciplinaires par la création d'un intérim interne, cëest-à-dire
d'un « pool » (comme on dit maintenant dans les rectorats) de salariés
volants.
a) L'ECJS : d'abord une mystification comptable
Le procédé en est simple pour qui veut se donner la peine (et
il devient urgent de s'y efforcer). Pour un chef d'établissement, la transdisciplinarité
aux soi-disant vertus pédagogiques, c'est avant tout l'opportunité
de jongler avec les moyens. Lors de la prochaine « Dotation Horaire Globale
», les heures ECJS retirées sur les diverses disciplines seront affectées
à la nouvelle case « ECJS ». Il y aura donc bien d'emblée
une perte sèche d'heures pour ces disciplines avec pour conséquence
la suppression des blocs de moyens provisoires, voire de demi-postes. La défense
prévue par l'administration consistera à dire qu'il n'y a pas de perte
d'horaire mais simplement transfert d'heures vers l'ECJS . En réalité,
en jouant sur les sous services multipliés par les bouleversements occasionnés
par la répartition sur les postes des heures ECJS, les disciplines concernées
ne retrouveront pas obligatoirement les heures données à l'ECJS. De
fait, on préférera les attribuer d'office aux professeurs mis, par
ce procédé habile, en sous service et faire ainsi des économies
de postes. En clair, les professeurs de philosophie verront peut-être l'heure
de T.L. qu'ils ont donnée à l'ECJS, attribuée à un professeur
d'Histoire-Géographie mis en sous-service, tandis qu'eux-mêmes constateront
dans leur discipline la transformation d'un demi poste (9 heures) en poste de stagiaire
IUFM (potentiel de 6 heures).
Cette « plage horaire » transdisciplinaire permettra ainsi la souplesse
nécessaire à la gestion des moyens provisoires et budgétaires,
au plus près des variations liées aux fermetures de classes préconisées
pour les années à venir. Le même procédé a été
utilisé en collège avec les fameux parcours diversifiés : on
a bien vu ce qui s'est passé. Inutile de détailler la bagarre à
laquelle vont se livrer entre eux les collègues pour récupérer
ces fameuses heures, à la fois pour ne pas voir leur discipline disparaître
(philosophie, sciences économiques et sociales) mais aussi pour rester dans
leur établissement !
En outre, comme l'organisation séquentielle de l'ECJS dépendra essentiellement
des établissements eux-mêmes (une heure par semaine pendant trois mois
ou bien une heure et demie par semaine pendant deux mois, etcÖ voir BO, HS n°5),
rien n'empêchera de confier ces heures aux T.Z.R sans suppléances. En
effet, ceux-ci ne pourront plus avancer l'argument du non-respect de la qualification
puisqu'ils seront à ce titre à égalité avec leurs autres
collègues en postes fixes. Tous compétents car tous incompétents
!
On comprend mieux maintenant pourquoi il est impératif que l'ECJS n'ait pas
d'objet disciplinaire (sinon l'actualité et la citoyenneté en général,
mais en fait peu importe). C'est tout simplement pour permettre la réalisation
du principe comptable à moindre coût « pas de classes sans enseignants
» pour la réalisation duquel il a fallu :
1- casser le statut de l'enseignant en flexibilisant l'anti-statut des TZR
2- par le biais de l'interdisciplinarité ECJS (puis des TPE), flexibiliser
l'enseignement des titulaires de postes fixes en imposant la polyvalence sur horaires
partagés à plusieurs collègues, c'est-à-dire l'instauration
du « n'importe quoi pédagogique », donc la marginalisation du
recrutement de spécialistes sur lequel reposait le système précédant
trop coûteux.
b) Désagrégation de la culture et du savoir dans le papotage médiatique
Par l'instauration de l'ECJS ce sont ni plus ni moins nos compétences
disciplinaires qui sont menacées dans leur reconnaissance auxquelles on substitue
progressivement des « savoir-faire » ou des « compétences
» comme pour les élèves. L'essentiel de ce qui a donc fait notre
métier et la raison même de notre recrutement en tant que spécialiste
d'un domaine de la culture à transmettre impartialement aux générations
à venir, se verra définitivement abandonné : le professeur se
transforme petit en petit en éducateur spécialisé dans la maintenance
de flux lycéens qui eux-mêmes, n'en demanderaient même pas autant,
comme l'a très bien compris le démagogique ministre.
En effet la démagogie érigée en politique d'Etat, c'est là
tout l'art de la rhétorique ministérielle destinée aux familles
via les médias, les associations de parents et les syndicats à la botte
: il faut marteler dans les esprits la faillite du système actuel, l'incurie
de ses acteurs arc - boutés sur leurs privilèges, l'inadéquation
entre les attentes des « usagers » et les exigences archaïques du
milieu enseignant (instruire), bref tout ce qu'a pu mettre de populisme dans les
esprits la consultation Lycéenne Merieu à laquelle tous les GTD ont
participé. Ce faisant, Allègre a préparé les esprits
à la médiocratie très économique que l'ECJS instituera
dans cette méprisable « école du XXI° siècle »
: enseigner moins, exiger moins puisque l'école ne répond plus aux
« vraies questions » que se posent « les jeunes » sur la
crise des valeurs que traverse la société. Moins de cours exigeants
des connaissances et plus de débats d'actualité autrement dit légitimation
de l'opinion et des discussions de comptoirs, plus d'interactivité et de communications
transdisciplinaires (le recteur Monteil propose d'ailleurs pour les « occuper
», que les TZR fassent des « conférences » sur de grands
thèmes d'actualité, par exemple sur les O.G.M.) prises sur les heures
d'enseignements fondamentaux. Voici à titre d'exemple quelques thèmes
proposés aux élèves en guise de Philosophie, d'Histoire, de
Français, etcÖ par la note d'accompagnement de la mise en place de l'ECJS
selon le GTD ECJS :
- Comités de quartiers et associations
- L'incivilité
- Association et bénévolats
- Délinquance et criminalitéÖ EtcÖ A quoi on pourrait aujourd'hui rajouter
dans le même esprit : la pollution pétrolière sur les paysages,
les cataclysmes naturels et les conséquences économiques, mais aussi
la corruption politique (Strauss Khan avocat ñ conseil, Allègre et le BRGM,
Ö.). Etrangement « les causes du chômage » ou « les causes
de l'abstention politique », voire « le suicide massif des jeunes aujourd'hui
», ne sont pas des thèmes abordés par le GTD ECJS. Pourquoi ?
Quoiqu'il en soit du débat sur le fond et sur la manière de remplir
cette néo-discipline purement formelle car totalement comptable qu'est l'ECJS,
on aura compris que le vrai débat ne se situe pas là pour le ministère
qui abandonne volontiers cela aux différentes Inspections Pédagogiques
Régionales et aux établissements. L'objectif réel est bien plutôt
le gain calculé en termes de baisse de l'investissement budgétaire
pour le recrutement de professeurs spécialistes, et ce grâce à
l'interdisiciplinarité, euphémisme se parant de scientificité
uniquement pour ne pas dire le gros mot qui énerve : polyvalence.
L'ECJS installée c'est donc bien à la culture et à sa transmission
démocratique par l'école que le ministère de l'éducation
nationale s'en prend. Chaque famille fera désormais en fonction de son propre
héritage culturel familial, l'école ne devant plus avoir qu'un rôle
d'encadrement sociologique et non plus être une obligation d'Etat pour la formation
intellectuelle de la jeunesse. D'où la suppression de la dissertation induite
en Français et en Histoire (la philosophie a pu résister pour l'instant
malgré les tentatives du GTD actuel) par sa mise en concurrence avec un autre
type d'exercice moins exigeant et plus favorable à une notation complaisante
pouvant illusionner les familles.
C'est donc en toute logique que le GTD ECJS présente dans sa note d'accompagnement
cette néo-discipline comme « un des éléments majeurs de
la réforme ». On décode bien mieux aussi l'obsession récurrente
des deux derniers rapports ministériels dont l'ECJS est manifestement la clef
de voûte.
Par exemple lorsque le rapport Bancel (sur les conditions de travail et de vie des
enseignants) en mai 99 gravite autour de l'idée « qu'il faut être
capable de recomposer les savoirs autour du besoin des élèves par un
travail en équipe collectif au sein des établissements », n'a-t-on
pas ce que trois mois plus tard L'ECJS imposera transversalement comme néo-discipline
à l'ensemble des personnels ?
De même lorsque le rapport Monteil (réforme de l'IPR et de l'évaluation
des enseignants) en Juin 99, destitue les IPR de leur fonction disciplinaire pour
les conduire eux aussi à « s'engager plus avant dans leurs relations
avec les établissements et dans des actions de nature interdisciplinaire voire
pluridisciplinaire » n'est-ce pas à la virgule près ce qu'officialisera
un mois plus tard le texte paru au BOEN sur l'ECJS ?
CQFDÖ.
Une seule question se pose maintenant : en tant que professeurs attachés à
l'école publique et laïque, exigeante dans ses contenus et généreuse
dans la qualité de sa transmission du patrimoine culturel, voulons-nous oui
ou non continuer à donner, malgré tout, des chances égales d'accès
à une culture authentique qui sélectionnera toujours les différents
bacheliers, ou bien, en galvaudant nos pratiques dans le n'importe quoi pédagogique,
voulons-nous préparer notre propre fuite dans l'enseignement privé
?
Fabrice Guillaumie, Delphine Guillaumie
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