(É) là où le dialogue s'est armé pour faire vaincre ses propres conditions." ALS DAS KIND, KIND WAR ...   I Situation

1.De 89 à 99 : fonctions de la machine scolaire. (les siècles sont, bien entendu, volonairement "oubliés") Rappelons de façon elliptique à quoi "sert" l'école, quelles sont ses principales missions, explicites où implicites. Nous nous référons aux travaux de sociologues (dignes de ce nomÉ) Légitimation/individuation : Avec la mise en place et la transmission d'un corpus moral, d'un système de valeurs et de savoirs, il s'agit de constituer le social et l'individu (dans le même mouvement), en faisant en sorte que chaque "citoyen", dès son plus jeune âge, incorpore ces concepts et les vive comme individuels/naturels. L'école dispute à l'Eglise le monopole de la production des biens de Salut. Socialisation : sous ce terme se cache la fonction de police qu'assume l'école. Le "jeune", asocial, acculturé, sans langage, amoral (caillera), en attente, le "jeune" dangereux pour la société, doit être policé contrôlé, gardé (l'école vient ici compléter, suppléer parfois la "Police des familles"- Donzelot). Adaptation à un système de production (capitaliste) : l'école assure (assure encore) une formation initiale indispensable aux futurs employeurs des futurs ex-jeunes. Reproduction (d'une structure socialeÉ de classes) : on se référera bien entendu aux études de Bourdieu et de Baudelot-Establet (entre autres).Nous soulignerons uniquement que le mode principal de légitimation de cette fonction de reproduction est le diplôme, vécu comme obtenu personnellement, indépendamment de l'origine sociale et même vécu par certains (au premier rang desquels il faut compter les enseignants - cf. infra), comme symbole d'une ascension sociale (en fait de son illusion). 2. Structures Rappelons l'existence de deux modèles d'école remplissant les fonctions ci-dessus croquées. - le modèle Jésuite/jacobin que nous vivions jusqu'aujourd'hui dans lequel la machine scolaire peut-être assimilée à une gare de triage (Baudelot-Establet) d'où sortent des "jeunes" dûment étiquetés, triés, et même "tamponnés", prêts à être "mis en fonction" dans le système productif. La pédagogie y est directive, disciplinaire. - le modèle protestant/WASP (White Anglo-Saxon É) appliqué aux Etats-Unis et en Allemagne, dans lequel le "jeune" est mis en salle d'attente, hors du monde, "libre" de développer ses "compétences naturelles" (oser parler de l'origine familiale, c'est à dire sociale des dites compétences serait iconoclaste dans ces pays). La pédagogie y privilégie la "transdisciplinarité" et l'autonomie accordée à l'initiative des élèves (Élesquels?). Bref un plein épanouissement de la "vie scolaire". 3. Agents Les professeurs incarnent les idéaux de l'école premier modèle. "Incarnent" n'est pas un mot à lire trop vite. Un professeur est lui-même un "pur" produit de l'école. Sa trajectoire personnelle, toujours vécue comme libre, exceptionnelle, est l'idéal du projet de l'école. Le professeur portera plus haut que les autres le discours de l'ascension sociale, du mérite et de la réussite "individuelle" car c'est ce qui le constitue (son corps, son âme). Ce prêtre est avant tout le premier croyant. Il traduira sa dévotion par un ascétisme et un dévouement totaux à son Eglise, il aura tendance à exiger la même attitude de ses élèves en réclamant toujours plus de "travail".

II Explosion   Nous avons à dessein repris le terme de "machine scolaire"(cf. Baudelot-Establet) plutôt que "système scolaire" car il est crucial de ne pas considérer l'école comme un système clos, indépendant des structures sociales et économiques même si l'école elle-même (et ses prêtres - enseignants) entretient jour après jour, l'illusion de cette indépendance. Le mot "système" est une machine à illusionÉet le mot "machine" renvoie au système économique. Posons en préalable (qui sous-tend toute l'analyse à suivre de l'école) ce qui nous paraît être au centre de la "révolution" actuelle des structures sociales et économiques des pays "riches". Si l'idéal - type de la pensée des "Lumières" (É89/99), constitutive de notre école, est de prendre le discours comme objet, et de cette manière inventer le sujet - citoyen (on se référera "utilement" à Kant), l'idéal - type de la société "néo - libérale", ou "post - moderne", ou "du spectacle", ou "capitaliste" (on se référera zapatistement à Debord et Marx) est de constituer l'objet, la marchandise, comme un discours et d'y diluer le "sujet" dans un clonage conceptuel. On pensera à ce fameux objet moderne appelé ordinateur. Répétons (on se référera symboliquement à Andy Warhol) : Nous passons du "discours comme objet" à "l'objet comme discours". Reprenons, une par une (et, bien sûr, dans le désordre le plus complet) les fonctions de l'école pour mieux situer l'effet des bouleversements actuels de notre société sur cette école.   1. Socialisation : La "police de la jeunesse" est double : police occupationnelle (garder les corps) et police morale(contrôler les esprits - inculquer des valeurs de Écitoyenneté). L'école a été un instrument privilégié pour ce faire. Elle garde les corps alignés, pendant des heures, dans des parallélépipède rectangles appelés "salles de classe". Elle police les esprits par l'imposition d'un discours tenu par un agent spécialisé appelé "professeur". Elle le sera de moins en moins. Fait primordial : les "jeunes" définis comme "a - sociaux", "a - cultivés", "a - tout" ne sont pas "a - consommateurs"Éd'objets. Leur rapport aux objets est peut-être même premier dans la constitution de leur statut de "jeune".   Or, Le contrôle de la jeunesse est aujourd'hui de plus en plus assuré par les objets eux-mêmes . Nous ne citerons que la télé, les consoles, les fringues, les heures passées en contact avec ces "choses" et laisserons le lecteur construire la suite. L'objet - écran contrôle, tout aussi bien que l'école, les corps de ceux qui passent des heures assis, hypnotisés, devant la console. Il inculque, tout aussi bien que l'école, un discours moral (de "Hélène et les garçons" aux jeux vidéo mettant en scène "les bons contre les méchants") Donc : La fonction socialisante de l'enseignement est devenue moins importante. Mais ses locaux restent. On fera, dans un premier temps, de ces locaux (capital inestimableÉgéré par les régions) un cadre (creux) rempli d'instruments de police occupationnelle : les écrans et d'activités socio-culturelles pluridisciplinaires.On appellera cela un "lieu de vie". Dans un deuxième temps, on se passera des locaux pour instituer une école (police) virtuelle à domicile et à distance(www) Les agents - enseignants sont de moins en moins en phase avec ce projet car imprégnés de la morale des "lumières". Ils développent une logique discursive, opposée à la logique des objets, logique par assimilation, tests, expérimentation. Les enseignants pensent que l'homme n'a qu'une seule vie, ils ne savent pas que Lara Croft possède plusieurs vies. Ils vivent dans le temps de la lecture, n'ont rien compris à la vitesse. Leur logique disciplinaire ne peut plus assurer la fonction de police morale. On fera en sorte que leur discours "passe" de moins en moins bien dans l'opinion par des attaques ciblées contre les matières les plus sujettes à caution. D'autre part : Il sera particulièrement nécessaire de faire naître des soupçons sur l'efficacité de leur rôle de police occupationnelle, on pourra développer une campagne sur le thème de l'absentéisme et proposer un encadrement maximum de la jeunesse : pas une heure sans adulte ou machine en contrôle(zéro défaut).   Remarque complémentaire : Ceux d'entre-nous qui voient sous le mot "socialisation" autre chose que la fonction de "police de la jeunesse" se perdent (allègrement) dans des discours sur le "manque de respect" des jeunes d'aujourd'hui (envers leurs professeurs pour ne citer personne), sur leur "manque de rigueur". Ils sont "hors - sujet."

2. Adaptation au système de production Le système de production actuel et son organisation en complet bouleversement garde sa caractéristique essentielle : il n'est pas objet de débat démocratique mais appartient à ceux qui détiennent le capital. (eh oui ! notre analyse reste marxiste). Ainsi les décisions du patronat (local, national ou international) sont-elles premières. et Tous les textes publiés depuis dix ans par les organisations patronales sur le sujet de la formation convergent vers un mot d'ordre : 1. Rééquilibrer la formation initiale et la formation permanente des employés 2. Remettre en cause la valeur du diplôme à l'embauche au profit de tests de compétences (maison). 3. Contrôler directement la formation permanente (en alternance avec affaiblissement du pouvoir de contrôle des enseignants sur les conditions de stage et leur validation) puis initiale (par une meilleure gestion des liens "bassin d'emploi/ bassins de formation) Ainsi la fonction du diplôme est-elle remise en cause.   Remarque : De par là même la fonction symbolique de légitimation de la hiérarchie sociale ne pourra être à l'avenir assurée par les diplômes. La première question que l'on vous pose aux Etats-Unis pour vous évaluer n'est pas "quel diplôme avez-vous?" mais "quel salaire avez-vous?". Cependant, à (haut) salaire égal, l'université d'origine restera clivanteÉ2 vitesses. 3. Fonction de reproduction (d'une hiérarchie sociale) Nous vivons une transformation profonde de la société, hier organisée pyramidalement, demain clivée en deux groupes distincts : - une classe supérieure peu nombreuse "en vol" (en l'air) - les autres, tous les autres, (par terre, ou sous terre - on les laissera organiser leur solidarité) Il ne sera pas inutile de soutenir le discours de ceux qui verront là la naissance d'une société sans classes (on les encouragera à ne pas lever le nez sur les astronefs en lévitationÉboursière). La société n'étant plus pyramidale, les structures des diplômes pourront être simplifiées. Maintien de grandes écoles et facultés prestigieuses ( voir modèle Anglo - Saxon) uniformisation, contrôle par les entreprises pour les autres (voir expériences aux Royaume-Uni)   4. Légitimation/individuation La notion même de sujet (au sens philosophique) est à remettre en cause. Le sujet se définira par son rapport aux objets. Cette évolution sera bien entendu très longue. Pour l'accélérer, on s'efforcera de discréditer tout discours privilégiant l'être et le savoir à l'avoir et au faire. Parmi les disciplines scolaires : la philosophie et les mathématiques seront particulièrement "surveillées". Le rapport à la langue, premier, sera autant que possible noyé dans l'utilitaire. 5. Effets sur les structures Il est évident d'après ce qui précède que le modèle protestant / WASP de la "salle d'attente" sera privilégié. 6. Effet sur les agents Il faut s'attendre à de vives réactions. On jouera sur les rancÏurs héritées des trajectoires individuelles, cristallisées dans les oppositions institutionnelles (notamment syndicales). On appliquera des modes de gestion des "ressources humaines" déjà expérimentées dans l'industrie dans les années 80 (contrôles de qualité, surinvestissement dans des tâches vécues comme librement choisies, mise en place de micro - hiérarchies,É). Les anciens enseignants ayant incorporé les valeurs anciennes on ne peut espérer les changer sur le fond, on planifiera donc la transformation du système sur le temps nécessaire jusqu'à leur départ à la retraite. On veillera particulièrement au contrôle des nouveaux arrivants durant la période de transition (modification du système de formation initiale). Les révoltes éventuelles seront traitées par tous les moyens habituels (fermeté, utilisation de fusibles, É)

III Un autre modèle ? Si l'on reprend l'analyse sociologique sur la lutte pour le monopole de la production des biens de salut, force est de constater que nous assistons aujourd'hui à une RéformeÉ.au sens religieux. Certains rêvent sans doute d'en être le Calvin, le Luther. Nous? Nous avons le choix : Nous arc-bouter sur les anciens livres tels les Bénédictins. Les derniers verront la grande bibliothèque brûler et enflammer le donjon de l'abbaye (stat rosaÉ) Devenir hérétiques, prendre les routes qui mènent au réel (au risque de brûler nous-mêmes) construire un nouveau discours. .. Mais nous avons déjà commencéÉ     Pour finir, je ne peux m'empêcher de proposer au lecteur (éventuel - virtuel) de prendre le temps de lire quelques citations: " Le spectacle ( lire la société - Mike Rossoft) n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images " Guy Debord   "Pour amener les travailleurs au statut de producteurs et consommateurs "libres" du temps-marchandise, la condition préalable a été l'expropriation violente de leur temps. Le retour spectaculaire du temps n'est devenu possible qu'à partir de cette première dépossession du producteur." id. Quel temps nous ont-ils imposé dans notre jeunesse?ÉQuel temps veulent-ils imposer à la jeunesse? Mais il existe un autre temps, distinct de la vitesse, de l'immédiateté (Virilio) des "portables" et du Web. Non pas un temps "naturel" mais un temps construit par des millénaires de philosophie, de science, et surtout de littérature, un temps où l'homme est à vraie école. Un temps qui ne se compte pas par paquets de 35 heures mais 24hÉ.sur 24.   " Le monde possède déjà le rêve d'un temps dont il doit maintenant posséder la conscience pour le vivre réellement." ibid. Tenir un discours par les temps - objets qui courent paraîtra rétrograde. Mais, nous savons que nous avons cinq siècles d'avance. Jusqu'à la retraite. " En silence, les indiens voient et sont vus". " En silence les indiens savent." "Avec art et science ils ont construit l'arche et ont choisi par milliers les leurs pour équipage. "Le reste attendra au port que l'on vienne" " Bon, c'est tout. Allez. Salut et soyez prêts. Gardez les parapluies, les imperméables et les gilets de sauvetages à portée de main. Qui niera aujourd'hui que la parole puisse provoquer de l'humidité?" Depuis les montagnes du sud-est mexicain Sous commandant insurgé Marcos Mexique, juillet 1998.   NOUS SOMMES EMBARQUÉSÉ Jean Le Tétour Professeur de lycée à La Roche sur Yon.