Contributions : Analyses



décembre 2000

Carnet de bord d’un professeur résolument anti TPE

Un mardi brumeux de novembre

Je sors d’une réunion de " bassin " sur les TPE. Au départ, notre tactique, à René Cassin, était de faire le gros dos, vue la quasi unanimité du boycott, et de ne pas se rendre aux convocations. Mais on a pensé qu’il fallait peut être mieux aller dans ces grand’ messes, pour porter la contradiction, afin que les collègues qui se trouvent dans des bahuts moins solidaires ne se sentent pas trop isolés . Tous les professeurs de Gonesse concernés par les TPE se

sont donc rendus à la réunion, qui devait faire le bilan des expérimentations, discuter de l’évaluation et de la tenue des carnets de bord.

Il y avait là trois inspecteurs : une de math, une d’histoire, un de SVT.

En résumé, quelques remarques :

1 - le discours inspectoral était loin d’être accordé. L’inspecteur de SVT disait que les TPE étaient essentiels, ils commandaient tout l’esprit et les transformations de la réforme. Les deux autres étaient beaucoup plus prudents. L’inspectrice d’histoire allant jusqu'à dire que nous ne devions pas en faire un plat, parce que personne n’avait jamais pu obliger les enseignants à appliquer les réformes à la lettre, et que c’était tant mieux. Elle a dit que lorsqu’elle se rendait dans les lycées, elle demandait aux professeurs s’ils voulaient être inspectés en heure de TPE ou ailleurs, et qu’elle comprenait très bien qu’ils refusent d’être inspectés en TPE. Elle a même accueilli favorablement des arguments sur le fond ( la différence entre le statut du " document " en histoire, et de " l’objet littéraire " en lettres).

2 - Nous avons soulevé le problème de l’évaluation : les inspecteurs nous disant qu’il fallait donner plus une note de participation que de résultat (comme en EPS), nous nous sommes étranglés collectivement à l’idée que ce type d’évaluation pourrait compter pour le bac (comme en EPS). Ils nous ont répondu que " pour l’instant ", il n’en était pas question. Leur poursuite en terminale n’étant même pas certaine. Nous avons dit que nous n’étions pas radicalement opposés aux TPE, s’ils étaient faits sur la base du volontariat des élèves, et n’étaient pas l’objet d’une évaluation au bac ; que le " pour l’instant " nous laissait méfiants, car nous avions pris l’habitude des changements de B.O. tous les 3 mois, avec tendance lourde au mois d’août.

3 - Les formes des TPE : TOUT, depuis le mémoire rédigé jusqu’à la production d’une chanson ! Un collègue a fait remarquer que l’évaluation était non seulement difficile, mais peu équitable : va-t-on juger à la même aune un texte de rapp et un vrai travail de recherche,

fruit d’une compilation, d’une analyse, et d’une rédaction ?

4 - Une perle : il est bien entendu, dit l’inspectrice de maths, qu’il ne sera question que " d’évaluer positivement ", dans la mesure où les élèves auront fait un travail que nous aurons accompagné pendant toute l’année, et que nous aurons rectifié, mis dans la bonne direction, à

mesure qu’il avançait (un peu comme pour une soutenance de thèse). Retour à la case départ : une épreuve de bac qui ne pourrait être évaluée que positivement ?

5 - Mais l’inspectrice d’histoire nous a rassurés sur l’importance à accorder aux TPE : comme il n’est pas question que cela empêche les élèves de préparer leur bac de français, il faudra que tout soit bouclé à Pâques. Étant donné que ça va commencer en janvier, qu’il faut prévoir 3 à 4 séances pour le choix des sujets, on voit le temps qu’il reste pour faire le truc. Donc

" soyez modestes dans vos ambitions ".

6 - Les TICE : gros bémol ; Internet, de l’aveu des inspecteurs, est souvent plus une perte de temps qu’un apport. Donc, ramasser et réduire la collation d’informations. Une bonne petite bibliographie des familles suffira bien.

7 - Deux proviseurs se sont insurgés contre le vide juridique sur le déplacement des élèves, qui les mettait devant des responsabilités qu’ils refusent d’assumer.

8 - Les pro TPE : assez muets, sauf la passionnaria de Gonesse (il en faut bien une...), qui nous a accusés d’avoir lynché ceux qui osaient vouloir faire des TPE....

Conclusion :

1 - je crois qu’il fait aller dans ces réunions, si possible pas seul: notre discours a du poids, et les collègues un peu rêveurs ou arrivistes qui viennent dans ces réunions n’ont pas grand chose à répondre. La force de l’argumentation est de notre côté.

2 - Les inspecteurs sont des " go between " : si dans certaines réunions, c’est le silence et l’approbation, dans d’autres, c’est la révolte : il ne peuvent pas ne pas l’entendre.

3 - Même les collègues pro TPE se posent des questions, qu’ils n’osent pas toujours formuler: le fait de mettre les pieds dans le plat permet d’éclaircir les choses. Ainsi, il était évident, à la fin de la réunion, que personne - anti ou pro TPE - ne voulaient les voir au bac.

4 - Du côté de la hiérarchie, les choses ne sont pas nettes : il y a visiblement des positions divergentes, sur lesquelles nous pouvons jouer.

 

Vendredi 11h 55

L'inspecteur de SVT téléphone au lycée pour annoncer qu'il vient inspecter tous les collègues de SVT...lundi matin! alors que la plupart étaient déjà en train de boucler leur étui à canne à pêche pour le week-end. Finalement, il ne vient que vendredi prochain; mais le même jour, son collègue de math, ainsi que celui de philo ont téléphoné pour demander les emplois du temps, et annoncer leur prochaine venue... Le lundi, coups de fil des inspecteurs de français et d’espagnol : bref, la gloire !

Moralités

1 - Il ne faut pas croire qu'il suffira d'apporter la révélation sur les TPE pour que magiquement, nos supérieurs - fonctionnaires d'autorité, comme ils aiment à le rappeler - éblouis par le bon sens de notre position, s'y rangent immédiatement.

2 - Mais bon, la grogne, le caractère catalyseur que peuvent prendre ces protestations peuvent au moins avoir le mérite d'inciter les autorités à la prudence, par exemple en ce qui concerne l'évaluation des TPE au bac.

Après le passage des inspecteurs.

On commençait à se sentir dans la peau du dernier carré de la garde à Waterloo.

En fait, ce n’est pas Austerlitz, mais presque : SVT (c’était pourtant celui qui était le plus virulent à la réunion de bassin) : aucun poing sur la table, aucune menace de sanction : juste un antipathique " il faudra bien vous débarrasser de votre nostalgie de has been, parce que c’est irréversible ". Mais c’était plutôt dans le genre : " Allez, quoi, essayez donc, vous n’en mourrez pas ".

En français, divine surprise : l’un des collègues inspecté a une L ; il boycotte ouvertement les TPE. L’autre a avoué à l’inspecteur qu’elle n’appliquait pas les programmes avant de savoir ce que seraient les épreuves de bac. Réaction de l’inspecteur : il a dit au premier collègue (qui n’avait pas été inspecté depuis longtemps) qu’il allait augmenter

sa note de...6 points ! A la deuxième qu’il comprenait tout à fait ses scrupules et qu’il n’y avait pas les feu. A tous les deux, qu’il félicitait l’ensemble de l’équipe de français du lycée pour notre exigence et nos ambitions, notamment en littérature, et qu’il nous encourageait d’autant plus à maintenir ce cap que la littérature au lycée était menacée.

J’ai raconté cela à un collègue de Montaigne, à Paris : il m’a dit qu’un inspecteur est venu faire une réunion, et que c’était un peu le même son de cloche.

Enfin, mon épouse a été à une réunion organisée par l’inspection de philo sur les nouveaux programmes : pas d’affolement sur les TPE, leur a-t-on dit : ce n’est qu’expérimental, et rien ne dit qu’on va les retrouver en terminale.

Deux conclusions

Bien sûr, il y a des inspecteurs qui font du zèle, il y a Paget, il y a les mous, les arrivistes, les fonctionnaires qui font d’obéissance vertu, les illuminés du gadget, et les pédagogo ; mais il est évident :

- qu’à l’inspection, tout le monde n’est pas sur la même ligne, que nous pouvons en jouer, et qu’un certain nombre d’inspecteurs n’en sont pas mécontents.

- que les consignes ne sont pas à la répression, mais au gros dos : pas de vague avant 2002.

Il faut donc continuer à affirmer haut et fort notre refus : il serait étonnant que puisse être affiché, à la fin de l’année, un bilan triomphal ; et sans doute y a-t-il au ministère, à l’inspection, dans les académies, un certain nombre de gens qui n’attendent que cela pour

faire traîner les choses, ou mêmes les enterrer.

Robert Wainer

Lycée René Cassin à Gonesse

 

 
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