Contributions : Analyses



Quelques observations

sur les annales zéro du nouveau brevet du collège.

(disponibles à l’adresse suivante : www.cndp.fr/college/annazero/pdf/annO-fr.pdf)

 

Plan

Chronologie d’une instauration bâclée.

Les Annales zéro et leurs principes.

Les changements fondamentaux.

I Les textes retenus.

II Les questions.

III L’évaluation de l’orthographe.

    • le texte de la dictée.
    • la notation de la dictée.
    • les questions de réécriture et la " valorisation des graphies correctes ".

IV La rédaction

 

Chronologie d’une instauration bâclée.

Au terme de la réforme du collège l’épreuve finale du brevet était appelée à changer. La définition des nouvelles épreuves est intervenue dans le B.O. n° 31 du 9 septembre 1999… soit plusieurs jours après la rentrée des classes. Les enseignants qui, par négligence coupable, ne seraient pas abonnés personnellement à cette riante publication (ou qui ne s’astreindraient quotidiennement pas à sa lecture formatrice comme Stendhal à celle du Code civil) ont donc eu connaissance des innovations d’abord par la rumeur, sinon par les suggestions de sujets de certains nouveaux manuels ou des diverses annales de la session précédente. En effet il était vain de chercher la moindre information sur le nouveau brevet dans la brochure " Programmes de 3e " disponible courant septembre et reprenant le texte du B.O. hors-série n° 10 du 15 octobre 1998 (p. 4 à 7).

Puis vint dans le courant du premier trimestre la brochure intitulée " Accompagnement des programmes de 3e, livret 1" dont un précieux exemplaire fut reçu dans chaque collège avec la recommandation expresse de ne pas le livrer à la photocopieuse : un esprit économe avait dû considérer que sa vente au prix de 30 F à des professeurs aussi consciencieux qu’impatients était susceptible de valoir quelques ressources d’appoint à l’État. Mais, achat ou photocopies illicites, peu importe : la piteuse colonne de propos vagues (p. 36) que consacre en définitive au nouveau brevet cette brochure est d’une involontaire éloquence : tout cela sent l’improvisation, l’agrégat de quelques principes nébuleux qui fleurent bon la démagogie et la volonté de plaire aux nouveaux maîtres de l’Éducation nationale. Pas grand chose donc sur la nature exacte des épreuves – seule leur durée paraissait être déterminée.

C’est pourquoi les " Annales zéro " du nouveau brevet des collèges étaient attendues avec curiosité.

Elles sont disponibles, sauf erreur, depuis le mois de février sur le site internet (www.cndp.fr/college/annazero/pdf/annO-fr.pdf) du Cndp (Centre national de documentation pédagogique) et ont fait l’objet, semble-t-il, d’un envoi sur papier ou d’une information dans les établissements mais leur diffusion est très médiocre puisque de nombreux collègues, même enseignant en 3e, en ignoraient encore récemment l’existence.

C’est dommage car leur lecture est fort instructive... sur la volonté de réduire encore les exigences et d’implanter toujours plus fermement l’orientation communicationnelle de l’enseignement du français.

 

 

Les " Annales zéro " et leurs principes.

Ces Annales zéro (zéro pour signifier qu’elles sont expérimentales ; nulle expression d’une auto-évaluation, semble-t-il) sont précédées d’une courte introduction qui feint de présenter les innovations comme conséquences inéluctables des principes retenus pour élaborer les nouveaux programmes du collège et pour les évaluer.

Tout cela est affirmé avec assurance mais ne tromperait pas le plus naïf des stagiaires d’Iufm.

Qu’on en juge sur ce petit exemple :

- puisque que l’on s’efforce de " valoriser les formes de graphie correctes ", puisque l’on attache une importance essentielle à la capacité, pour l’élève de " savoir écrire son propre texte ", il n’est plus possible de retenir la dictée comme seule forme de l’évaluation de l’orthographe. 

Un élève de 3e attentif repérera dans ce paragraphe,

  • la rouerie du pronom indéfini on sensé désigner toute la profession quand il ne représente qu’un petit groupe d’individus détenant seulement le pouvoir d’édicter leur volonté,
  • l’aveu involontaire contenu dans le verbe " s’efforcer " : il s’agit bien de faire effort pour plaire à des maîtres,
  • le martèlement de l’expression de la cause pour imposer une conséquence plutôt douteuse, introduite par la formule d’autorité (" il n’est plus possible de … ") en l’absence de toute justification sérieuse,
  • l’utilisation des guillemets pour donner une valeur usurpée à un propos grotesque (valoriser les formes de graphie correctes) qui aurait fait rire aux larmes n’importe quel professeur d’avant les Iufm (Institut universitaire de formation des maîtres),
  • la saveur de la précision " pour l’élève ",
  • la piètre qualité de l’expression (" la capacité pour l’élève de… "),
  • la ponctuation incorrecte (la virgule après capacité).

Deux autres paragraphes du même niveau prétendent ensuite justifier l’un, l’exclusion définitive de l’évaluation de la grammaire phrastique et l’autre, la disparition du sujet de réflexion au profit d’un exercice censé permettre de rendre compte de la maîtrise des différents types de discours.

En fait, cette piètre introduction n’est qu’un vulgaire montage maladroit et bâclé d’extraits d’un paragraphe qui figure dans la brochure d’accompagnement des programmes (p. 36, col. 1, sous le titre " les raisons du changement ")... et qui, pour être un peu mieux rédigé, n’en est pas plus convaincant.

Tout ceci indique assez le sérieux de l’entreprise. Un peu de bla-bla recyclé pour créer l’illusion de la réflexion, aucune relecture et vogue la galère.

 

 

Les changements fondamentaux.

Quatre rubriques sont proposées : les textes retenus, les questions, l’évaluation de l’orthographe et la rédaction.

 

I Les textes retenus

Tout d’abord, une observation : 11 sujets sont proposés dans la table des matières

mais 2 sont encore entièrement " à venir " - et ce depuis plus de deux mois ! – faute d’un accord sur les droits d’auteur. Si le ridicule tuait, certains services de l’Inrp (Institut national de la recherche pédagogique) tiendraient du charnier.

Si dans l’ancien brevet, les textes se trouvaient être d’une inégale valeur, ils pouvaient, sauf très rares exceptions, prétendre au titre de texte littéraire. Ce n’est évidemment plus le cas.

Distribution des textes d’appui :

  • 4 classiques de la culture scolaire : La Bruyère, Chateaubriand (un texte déjà bien connu), Rimbaud et Camus (annoncé mais non fourni).
  • 3 textes d’auteurs contemporains : Didier Daeninckx, Collin Higgins (Harold et Maud) adapté par l’inévitable Jean-Claude Carrière, Vincent Hypsa (considéré comme contemporain par ignorance en l’absence du sujet encore " à venir ").
  • 1 texte en corrélation avec une illustration d’un duo Calvo (l’auteur)-Dancette (le dessinateur).
  • 1 chanson de Luc Plamondon (texte absent mais qu’il suffise de savoir que la musique est de Michel Berger).
  • 2 articles de journaux : l’un du Monde (illustré d’un dessin de Plantu), l’autre de Télérama. (La surprise est grande d’échapper à un édito de Jean Daniel et une chronique de Serge July car, enfin, la gauche plurielle a plus de deux composantes et les élections approchent…)

" Toutes les possibilités sont ouvertes, ces annales le prouvent " exultent en préambule les concepteurs de ces sujets.

Loin de là, elles prouvent seulement que la médiocrité et le confusionnisme démagogique triomphent, que la littérature n’a pas un statut propre qui la distingue du reste des textes imprimés. " Tous les textes appartiennent à la culture du citoyen ", le refrain est connu et permet toutes les mystifications. Le cuistre Meirieu, célèbre promoteur de l’apprentissage de la lecture dans les notices d’utilisation des appareils électro-ménagers pour les élèves des quartiers " défavorisés ", a pourtant reconnu récemment, sans en tirer pour autant les conclusions qui s’imposent sur sa présence à la tête d’une institution discréditée, que les grands textes avaient quelques raisons d’être soumis à l’étude des collégiens.

Quant à ceux qui défendraient le choix d’articles de presse précisément afin d’en critiquer les mécanismes et d’en illustrer la duplicité, il leur faut déchanter : les questions posées ne recèlent en aucune manière cette intention.

Non, ce Tout et n’importe quoi (pardon, cette " ouverture des possibilités ") n’est rien d’autre que le procédé bien connu destiné à duper les professeurs les moins attentifs aux stratégies du ministère et de ses idéologues, les myopes atteints du syndrome du " pourquoi pas ? " ou du " ça vaut le coup d’essayer ". On trouvera donc également parmi les textes littéraires un poème (Rimbaud) et une scène de théâtre (Higgins). Cela enchantera aussi tel ou tel, " pour le principe ".

Mais l’intention ultime n’est pas douteuse : l’encouragement officiel au Tout et n’importe quoi est une habile manipulation feignant de garantir la fameuse liberté pédagogique qui semble même ainsi accrue et détourne du véritable objectif poursuivi : faire du brevet un examen que tout le monde obtiendra tant ses exigences sont réduites. En d’autres termes, " faites-vous plaisir en choisissant les textes supports, votre seule obligation est de ne rien exiger du candidat. " C’est l’objet des questions.

 

II Les questions

Le contentement béat des concepteurs de ces annales ruisselle d’emblée en des termes qu’il importe de connaître.

" L’objectif est de construire le sens d’un texte support à partir des éléments précédemment

répartis dans les rubriques " grammaire ", " vocabulaire " et " compréhension ". Dans une

logique de décloisonnement, il s’agit donc d’amener l’élève à analyser, interpréter et

comprendre. C’est donc la démarche même de la lecture analytique qui se trouve mise en

œuvre. Des axes de lecture sont indiqués, qui orientent les recherches sans apporter les

réponses (c’est le commentateur qui souligne cette précision savoureuse : la tentation de le faire devait sans doute être grande pourtant). Quant à la formulation des questions, elle limite le plus possible le recours à un vocabulaire spécialisé. La démarche part d’activités liées au repérage d’indices et débouche sur des formes d’interprétation. Ainsi, la réflexion grammaticale et lexicale aboutit à la construction du sens. "

Ne faut-il pas en rire ? On se dissimule derrière des expressions savantes (" lecture analytique " - le terme méthodique et le culte lui afférant auraient-ils fait leur temps ?) et on parle d’" orienter " les " recherches " du candidat alors qu’il n’y a aucune recherche (orientée ou non) : il s’agit tout simplement de poser des questions précises (quand elles sont formulées correctement, ce qui n’est pas toujours le cas) sur un texte afin d’en évaluer la compréhension. Mais sans doute est-il plus gratifiant et plus valorisant de parler de " recherches " et d’ " axe de lecture " pour figurer une pseudo-réflexion autonome (Monsieur Dupon-Lahitte et son alter ego de la Peep doivent ronronner) et simuler la prétentieuse mise en scène d’un simple exercice d’examen dont la pauvreté des exigences est criante à chaque page de ces annales.

Car voici en quoi consiste cette bien prétentieuse " construction du sens ".

Sujet n° 1

(portant donc sur le texte éminemment littéraire de la chanson de Luc Plamondon, texte non fourni, ce qui évite de perdre son temps à la lire mais n’exclut pas d’apprécier la pertinence des questions, d’autant que des " éléments de corrigé " sont fournis).

Après avoir demandé au candidat (question 2 a) de citer dans l’ordre où ils apparaissent ( pas facile, ça…) les deux temps verbaux qui alternent dans le texte et de donner un exemple de chacun d’eux (1 point pour cette habile révision du programme de CE 1 : il s’agit de reconnaître le présent et le futur), on lui pose les redoutables questions suivantes :

" 4. Repérez dans le texte tous les vers utilisant le premier temps verbal identifié.

4.a. Un vers est répété deux fois ; lequel ? (0,5 point)

4.b. Un mot est répété trois fois ; lequel ? (0,5 point)

4.c. Sur quel aspect de l’univers évoqué ces répétitions insistent-elles ? (0,5 point) "

Pour peu que le candidat ne soit pas un aveugle le jour où on a perdu les sujets en braille, c’est encore 1,5 point de gagné, et avec la satisfaction légitime d’avoir " construit le sens du texte ", d’être à sa manière un petit Champollion. Merci, l’Institut national de la recherche pédagogique.

[Les réponses attendues étaient :

4.a. " tout est partout pareil ".

4.b. " le même ".

4.c. Ces répétitions insistent sur l’uniformité de l’univers ainsi évoqué.]

Certains élèves, cependant, auront la confuse impression d’être pris pour des crétins. Les ingrats… Ils pourraient bien finir profs plus tard, ces petits immobilistes…

Un peu plus bas, le candidat exténué doit rassembler ses dernières forces pour ceci :

6. Repérez dans le texte tous les vers utilisant le second temps verbal identifié.

6.a. Un groupe de neuf vers revient deux fois. Dites de quel groupe il s’agit (indiquez le

premier et le dernier vers) et précisez le genre de texte qu’il caractérise. (1 point)

6.b. Trouvez, dans les indications qui accompagnent le texte, un autre indice confirmant

votre interprétation. (0,5 point) ".

Seuls les plus rompus à la " construction du sens " en milieu scolaire sauront répondre :

6.a. Les neuf vers suivants reviennent deux fois : " Dans les villes… de l’an deux mille ".

C’est un refrain, caractéristique d’une chanson, qui apparaît ainsi.

6.b. En haut de la page, il est précisé que les " paroles de Luc Plamondon " sont

accompagnées de la " musique de Michel Berger ".

Et gare à l’insolent qui aurait répondu :

" 6.a. Je reconnais le texte d’un ramolli du cerveau qui perd la mémoire et se répète.

6.b. Cet Alzheimer notoire se nomme Luc Plamondon et d’écouter la " musique " ( ?) de Michel Berger n’arrangera rien à son état. "

L’ingrat… Tant d’efforts de haute pédagogie pour ne recueillir que ce misérable persiflage.

Pour en finir avec ce sujet consternant tant par le texte proposé à l’étude que par les questions posées au candidat, il semble à en lire les " éléments de corrigé " qu’il ait été retenu en raison de sa haute teneur en bric-à-brac citoyen : développant une vision pessimiste de la ville de l’an 2000 qui contraint à l’anonymat et à la solitude au sein de la foule, il y mêle des allusions aussi finaudes qu’inappropriées au nazisme, à la déportation des juifs et aux camps de concentration. N’était-il pas possible, s’il s’agissait d’évoquer l’un ou l’autre de ces sujets, de trouver dans la littérature (on y revient toujours, décidément) quelque page d’une autre profondeur où il y eût peut-être réellement matière à réflexion et épargner aux élèves de se pencher sur cette nunucherie de marchands de soupe multimillionnaires.

Le plus choquant en l’espèce n’est-il pas de légitimer ainsi aux yeux des élèves les niaiseries qu’une très large partie des journaux, radios et télévisions s’appliquent à encenser ? Car s’il se fût agi d’amener l’élève à reconnaître l’artifice et la médiocrité du texte, on eût pu se féliciter : mais loin de lui donner l’occasion de démontrer son esprit critique (que l’école se doit de développer), il n’est question que de courir de banalités en fadaises, de les expliquer, de les détailler et de se réjouir d’avoir si peu à dire ; car, enfin, cette dérisoire entreprise de construction du sens a culminé en cette observation (réponse à la question 8.c.) :L’auteur développe dans ce texte une vision pessimiste. La ville de l’an deux mille est la ville de l’anonymat et de la solitude parmi la foule. ". Est-ce toute la réflexion que l’on peut attendre d’un collégien en fin de 3e ?

De deux choses l’une, ou bien la stupidité du texte d’appui n’est pas apparue aux responsables de ces annales zéro et c’est infiniment triste, ou bien elle leur est apparue sans modifier leur projet et c’est indigne.

Sujet n° 5

De la même façon, on ne peut qu’être réticent à ce que figure comme texte d’examen un article d’actualité d’un quotidien. Là encore, c’est accorder un statut usurpé à un type de texte qui vaut dans le meilleur des cas pour son contenu informatif… à condition toutefois de n’être pas bon connaisseur de son sujet car aussitôt, presque sans exception, les approximations, confusions, erreurs grossières ou contre-vérités délibérées sautent aux yeux et disqualifient le propos. À nouveau, amener l’élève à critiquer le texte et à ne pas être la dupe du discours des médias est au nombre des devoirs de l’école. Mais il n’en est nullement question dans le sujet n° 5, un article de une du Monde, " Voyage dans la France de la fracture sociale " accompagné d’un dessin de Plantu (Le Monde daté du 30 juin 1999).

De la même façon que dans le sujet n° 1, le texte n’offrant aucun intérêt en lui-même, il s’est agi de trouver une série de questions qui justifient les points qu’il importe d’attribuer au candidat, prochaine campagne d’auto-congratulation du ministère oblige.

Ainsi :

" 2. À quoi voit-on que cet article figure à la Une (la première page) d’un journal ? (1 point) "

Réponse proposée : " L’article est accompagné du nom du journal, et, en manchette, de la date, du prix, du nom du fondateur et du nom du directeur de ce journal. "

On jugera du discernement nécessaire pour obtenir le point promis !

On remarquera aussi que l’auteur de la réponse proposée ignore le sens du mot manchette. Sans doute est-ce sans importance, on ne s’arrête pas à si peu de chose quand on est là pour construire du sens…

3. De quels éléments cet article est-il composé ? (1 point) "

Réponse proposée : " Le titre, les sous-titres, le texte de l’article, le dessin. "

On appréciera le nouveau travail d’Hercule conceptualisant du candidat. C’est sans doute pourquoi on ne lui en voudra apparemment pas de ne plus prendre la peine de rédiger sa réponse.

5. Où le dessin est-il situé dans la page et pourquoi ? (1 point) "

Réponse proposée : " Le dessin est situé au centre de l’article. Il attire ainsi le regard du lecteur, résume et symbolise le sujet de l’article, pique la curiosité et donne envie de lire le texte. "

Dire tout cela après seulement quatre années de collège, quelle satisfaction !

En revanche, moins de compliments pour le rédacteur de la réponse qui ne connaît pas non plus le sens exact du mot symbole et du verbe symboliser. Le dessin illustre le sujet de l’article mais ne le symbolise pas. Peu importe néanmoins, le sens se construit…

" 6. Que représentent les personnages debout ? Justifiez votre réponse à partir des indications

données par l’image. (1 point) "

Reproduire le dessin de Plantu si possible.

Réponse proposée : " Les deux personnages groupés sur la gauche sont les représentants des couches riches et moyennes de la population. Le costume de l’homme (stéréotype du " Français moyen ") et l’attitude effrayée de la femme l’indiquent.

– Le personnage seul à gauche est un " passeur " (enseignant, éducateur ou médecin). Son

costume et son porte-documents l’indiquent.

– Le personnage à droite est un jeune habitant des cités comme l'indique son costume

(casquette, survêtement, baskets). "

Faut-il se réjouir que la description d’un dessin humoristique concoure à la diffusion sans nuance de clichés (le jeune habitant des cités, en particulier) ? Il est vrai que la réponse proposée, elle, met à mal une autre idée reçue : la supposée richesse de vocabulaire d’un concepteur de sujet d’examen de français.

D’autre part, la situation de " passeur " de l’enseignant en fait le compagnon de l’éducateur et du médecin : les choses ont ainsi le mérite d’être claires, le professeur est bien là pour soigner les bobos de la société et aider ses laissés pour compte à supporter sans révolte leur situation. " Le métier de l’enseignant doit changer. " entend-on de toutes les bouches autorisées depuis plusieurs années. Le message de ce sujet d’examen est clair : " la paix sociale est à ce prix. " Encore un peu et on y comprendrait que c’est la raison pour laquelle il importe de donner les examens à tous car c’est un " facteur de cohésion sociale ".

" 10. De quelles personnes l’auteur de l’article rapporte-t-il successivement le point de vue ?

(1 point) "

Réponse proposée : " L’auteur rapporte successivement les points de vue des " passeurs " et des chercheurs (en particulier Marie-Christine Jaillet, du Centre interdisciplinaire d’études urbaines) puis celui d’Akim Malouk et de jeunes habitants des cités. "

Identifier dans un article de presse l’auteur de propos rapportés entre guillemets et en italique ne relève pas encore d’un exploit herméneutique et en d’autres temps poser la question eût été plaisanter. Ce n’est plus le cas et répondre rapporte 1 point. Si la construction du sens est à ce prix…

Soit dans ce sujet, 5 points sur 15 attribués pour dire des évidences à la portée d’un élève entrant en 6e (du moins s’il est précoce et sait déjà lire). Quant aux autres questions, elles nécessitent à peine plus de réflexion et la réponse la plus longue tient en quatre lignes.

S’il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet n° 10 (un article lourdaud sur l’évaluation des audiences de télévision) qui invite à la paraphrase pour les mêmes raisons que l’article du Monde, sur le sujet n° 3 (que d’énergie dépensée pour reconnaître un texte de théâtre et feindre de découvrir des évidences !), on remarquera avec un certain soulagement que quelques sujets proposent encore des ensembles de questions nécessitant davantage de finesse et de réflexion personnelle. Les auteurs des textes d’appui sont Arthur Rimbaud, François-René de Chateaubriand et La Bruyère. Serait-ce à dire que de grands auteurs sont d’une lecture plus profitable à nos élèves et que leurs textes offrent davantage matière à l’analyse, à l’exercice et au développement de l’intelligence ? Allons donc, il doit s’agir d’un hasard…

Cependant, même dans ces sujets qui sont plus estimables, une évolution dans la façon de poser les questions est sensible. Quand il fallait au candidat, il y a quelques années encore, aller chercher dans une portion relativement étendue du texte les éléments nécessaires pour composer une réponse argumentée, ces éléments sont aujourd’hui souvent donnés d’emblée ou indiqués de façon tellement explicite (numéro de la ligne) que l’élève est seulement appelé à tirer la conclusion du fait littéraire observé par d’autres que lui.

Enfin la multiplication des questions tend à constituer un pas à pas qui brime la réflexion de l’élève. S’il s’agit de construire le sens du texte, il est regrettable que le candidat n’intervienne que pour poser le papier peint quand l’adulte a non seulement dressé les plans mais monté la charpente, coulé les dalles et dressé les cloisons. En d’autres termes, la part de la réflexion est encore réduite et l’autonomie intellectuelle de l’élève de plus en plus entravée.

 

III L’évaluation de l’orthographe

À bas la dictée, vive la " valorisation des formes de graphie correctes ".

Rappel

Auparavant la dictée était évaluée sur 10 points (sur un total de 40) et dans les questions portant sur le texte d’appui, 2 ou 3 points en moyenne étaient attribués pour des questions essentiellement orthographiques (manipulations actif/passif, justification d’un accord…). Soit un total de 12 ou 13 points sur 40.

Un tel système présentait l’inconvénient majeur de faire apparaître sans ambiguïté l’échec de l’apprentissage de l’orthographe pour un nombre important d’élèves, résultat d’une négligence démagogique organisée depuis une bonne vingtaine d’années et allant de pair avec les réductions successives de l’horaire d’enseignement du français ces trois dernières décennies au collège et à l’école primaire.

Comme il est exclu, par souci d’économie, de se donner les moyens (horaires principalement) indispensables pour redresser la situation, il faut dissimuler le bilan et empêcher le constat. " Faute de vouloir soigner le malade, on casse le thermomètre ", le procédé est connu.

Désormais donc, il importe de " valoriser les graphies correctes " ce qui signifie deux choses : réduire la dictée à sa plus simple expression (pour 6 points en général) et la remplacer par des questions d’une simplicité enfantine (dites de " réécriture ") qui permettront à l’élève très faible d’arracher 3 ou 4 points si ce n’est la moyenne (sur 10 désormais), et non d’être sanctionné par un cuisant – mais fidèle à la réalité – 0 ou 1 sur 12 ou 13. Jugeant désormais essentiellement l’acquisition de connaissances qui sont souvent du programme de primaire, l’évaluation de l’orthographe est, de plus, réduite puisque qu’aucune des questions sur le texte ne s’y apparente. De 12 ou 13 points à 10 : il n’est décidément pas de petits moyens lorsque les fins sont aussi méritoires.

%Ï Le texte de la dictée.

Un coup d’œil aux annales en convaincra aisément : les dictées, jusqu’en 1999, comptaient rarement moins de 150 mots et régulièrement plus de 200.

Des neuf dictées proposées dans les Annales zéro, la plus longue compte 84 mots et la plus courte en comporte rien moins que 42. La moyenne s’établit à 70 mots.

Dictée n° 1 : 67 mots. Tous les verbes au présent de l’indicatif sauf un conditionnel présent.

Dictée n° 2 : 73 mots.

Dictée n° 4 : 80 mots avec dix verbes tous au présent de l’indicatif (dont deux fois le verbe être et quatre fois le verbe avoir). Aucun participe passé.

Dictée n° 5 : 78 mots. Tous les verbes sont au présent sauf un, au passé composé.

Dictée n° 8 : 84 mots. Sans être très difficile, cette dictée exténuante (deux fois la dictée n° 3) présente néanmoins un certain nombre de difficultés qui pourrait la rendre propre à une évaluation indulgente.

Dictée n° 9 : 67 mots. Uniquement des présents, aucun participe passé.

Dictée n° 10 : 68 mots. Temps verbaux un peu plus variés mais d’une facilité extrême. À noter : elle semble donner l’autorisation d’écrire 13 en chiffres et non en lettres (" 13 millions ").

Dictée n° 11 : 71 mots. Sans être difficile non plus, elle présente néanmoins deux ou trois difficultés.

Les dictées n° 6 et 7 ne sont pas fournies. Mais il n’est pas sûr qu’elles soient aussi ridicules que celle qui figure dans le sujet n° 3.

Dictée n° 3 (pour 5 points) : 6 vers d’une chanson de Julos Beaucarne, soit 42 mots. Si on enlève les pronoms simples et les articles (je, mon, vous, qui, une, la… et quelques termes où il est quand même difficile d’introduire une faute comme : pour, être, bien…), il reste 27 mots à orthographier correctement. On précisera que le texte est au présent et ne tend pas l’ombre d’un piège classique. Le voici :

" Mon nom vous est inconnu,

et au fond c’est bien ça qui est drôle.

Je vous écris comme on jette une bouteille à la mer,

sans être pour autant naufragé.

Je vous écris pour noircir du papier,

pour créer une connexion électrique. "

%Ï La notation de la dictée.

Aucune indication de barème n’est encore apportée. L’impréparation générale de ces Annales zéro ne conduit pas à s’en étonner ; ce n’est qu’une négligence de plus. Néanmoins on peut aussi s’inquiéter car elle est peut-être intentionnelle. N’allons-nous pas apprendre que la faute pleine (orthographe grammaticale) ne sera plus sanctionnée qu’à hauteur d’un demi-point ?

Les nouvelles dictées n’atteignant en général pas la moitié de la longueur des anciennes et rapportant proportionnellement plus de points (6 contre 10), il serait au moins logique que la faute pleine demeure sanctionnée par la perte d’un point. (Et cela sans tenir compte de la facilité dérisoire de trois quarts des textes proposés.) Mais rien ne l’assure encore et si une autre consigne est imposée le jour de la correction des épreuves 2000, il sera malaisé d’organiser la riposte sur le champ.

%Ï Les questions de réécriture et la " valorisation des graphies correctes ".

Quelques exemples :

dans le sujet n° 1, récrire six vers de la chanson de Plamondon en remplaçant " nous " par " ils ". L’exercice demande un petit niveau de 6e. De même dans le sujet n° 2 : passer du vouvoiement au tutoiement dans un texte de quatre lignes.

Dans le sujet n° 3, un récit de sept lignes étant fait perfidement au passé, on le remettra au présent.

Dans le sujet suivant, Rimbaud ayant écrit au vers 4 " cinq petits ", on rétablira la parité en écrivant " cinq petites " : cela amènera le candidat-citoyen à remplacer " ils " par " elles " (trois fois, quand même), " un " par " une " (une fois) et accorder au féminin " blottis ". Sans doute le peu de difficulté rencontré pour opérer la transformation est-il censé le convaincre qu’à peu de choses près, les femmes valent bien les hommes.

Ailleurs il faut remplacer " ceux " par " celui " (sujet n° 5), " cet autre " par " ces autres " (sujet n° 9), " je " par " il " (sujet n° 11).

Ces difficultés sont si dérisoires (il ne s’agit jamais que d’exercices proposés en 6e et en 5e) qu’on finirait par se récrier devant l’exigence du sujet n° 8 : remplacer le sujet " Gesril " par " Gesril et Loïc " tout en transposant les quatre lignes du passage du présent au passé simple ! On est soudain dans la démesure (d’autant que la consigne s’accompagne d’une erreur dans les numéros de ligne) : de quoi largement justifier des consignes de correction réclamant la plus grande mansuétude...

Et que dire enfin du sujet n° 10 où des passés composés haineux aux participes passés pleins de perversions seront substitués à d’égalitaires présents ? Ne serait-ce pas exposer les candidats à la plus injuste " discrimination sociale " au nom de laquelle le doctrinaire Alain Viala (président du Groupe technique disciplinaire de lettres) condamne la dictée ?

En d’autres termes, tantôt un petit niveau de 5e, voire de 6e, suffirait à obtenir la moyenne (si ce n’est bien davantage) aux épreuves d’orthographe du brevet des collèges, tantôt il serait nécessaire d’avoir fréquenté quelques cours de 4e. Inadmissible !

Et l’épanouissement de l’élève au centre du système de ses jeux vidéos, de la télévision, de son portable et de ses cassettes, que devient-il avec de telles exigences ? D’autant qu’il est rare qu’un texte publicitaire excède en longueur celle de la chanson de Julos Beaucarne : après tout, être en mesure de récrire sans faute (ou alors pas trop…) le texte d’un slogan, " ça suffit comme boulot pour une vie tout entière " (Céline).

IV La rédaction

(On n’en voudra pas à l’exégète abruti par l’examen de tant de médiocrité intentionnelle de presser le pas.)

Tout d’abord, le baragouin liminaire :

" Puisque l’objectif central de l’enseignement du français au collège est la maîtrise des

discours, il n’est plus possible de proposer deux sujets, l’un dit " de réflexion ", l’autre dit

" d’imagination ", n’appelant pas une production discursive précise. "

Bon sang mais c’est bien sûr ! maîtriser les discours n’a rien à faire de toute espèce de réflexion : l’important, c’est… c’est… tiens, oui, c’est quoi au fait ?… Ah ben oui, la maîtrise du discours ! (Où avais-je la tête ?).

Une fois notée avec amusement la pique jetée aux inconscients responsables de l’ancien brevet (puisque le sujet d’imagination " n’appelait pas une production discursive précise " : et personne ne s’en était encore rendu compte…), on reste effaré de l’évolution imposée.

Auparavant l’élève pouvait, le jour de l’épreuve, choisir entre un sujet d’imagination (un récit illustrant une situation imposée, le plus souvent suggérée par le texte étudié précédemment, ou une suite à donner à ce texte ou encore une récriture de celui-ci en modifiant le point de vue) et un sujet de réflexion. Le premier constituait une sorte d’aboutissement de la plupart des travaux écrits réalisés depuis la 6e, le second offrait à un élève déjà plus intéressé par l’exposition et la confrontation d’opinions sur un sujet donné de prolonger la partie du programme de 3e (essentiellement) qui prépare au lycée et constitue les bases de l’apprentissage de la dissertation.

Mais nos penseurs en démagogie (eux parlent de pédagogie, allez savoir pourquoi…) ayant précisément entrepris de faire passer de vie à trépas cet exercice fondateur des études françaises au motif qu’il est aussi un " discriminant social " et autres fariboles, le sujet " de réflexion " est condamné.

Loin qu’il se fût agi jusque-là d’obtenir des élèves une authentique discussion dialectique, le candidat cependant, s’en fût-il tenu à l’exposé d’une seule opinion, devait la justifier en une langue qui est celle du texte d’idées en articulant des paragraphes convenablement construits.

Désormais, dans l’unique sujet proposé, le contenu argumentatif est le plus souvent devenu secondaire ; quand il n’est pas totalement absent comme dans le sujet n° 10 :

" Le fils Zap raconte une journée de sa vie de panéliste à un de ses camarades qu’il veut

amuser…

La fille Zap raconte une journée de sa vie de panéliste à une de ses camarades qu’elle veut

apitoyer…

Vous rédigerez deux courts récits successifs. "

Ou dans le sujet n° 4 qui requiert sans vergogne d’écrire une suite en prose au poème " Les effarés " d’Arthur Rimbaud :

" Vous écrirez un récit proposant une suite et une fin à cette scène. Il comportera un dialogue et explicitera les " choses " que les petits " effarés " se disent entre les trous du treillage (vers

29-30). "

Un parmi d’autres, le sujet n° 1 illustre sans ambiguïté l’esprit de cette nouvelle rédaction.

" Imaginez le dialogue de deux adolescents, dans les rues de Monopolis, en 2050. L’un

apprécie le cadre qui l’entoure et croit en un avenir heureux, l’autre déteste ce cadre et

regrette le passé. "

Jusqu’à la dernière session du brevet le même sujet eût été formulé différemment de façon à conduire le candidat à exposer sous forme exclusivement argumentée, et si possible nuancée, son opinion sur l’évolution urbaine.

Désormais le mépris, car il ne s’agit pas d’autre chose, dans lequel les responsables de cette évolution tiennent les élèves est tel qu’ils ne les croient pas capables d’élaborer une réflexion authentique. Il faut donc y introduire du récit (de l’action, ils aiment ça les jeunes !), de la description (ils ont de l’imagination, les jeunes…), du dialogue (la tchatche, ça va leur plaire, ça aussi). Et pourquoi pas un dessin encore ?

Le terme de mépris serait trop fort ? Nullement : en témoignent les consignes désolantes qui accompagnent à chaque fois le sujet. En l’occurrence pour ce sujet n° 4 :

" Votre texte est un dialogue.

Il combine des passages descriptifs (l’évocation de Monopolis), argumentatifs

(regret du passé ou foi en l’avenir) et éventuellement narratifs (illustration des

arguments).

Il sera tenu compte, dans l’évaluation, de la correction de la langue et de

l’orthographe. "

C’est assez dire que l’élève est désormais tenu pour incapable de lire un sujet et qu’en aucun cas son libellé ne doit être livré à la réflexion du candidat sans une explication.

À force d’être au centre de pas mal de choses et de tant d’attentions (et l’objet d’une affection si condescendante), le fameux élève du collège de l’an 2000 pourrait bien finir par étouffer… de colère.

De plus, il semble que les auteurs de ces Annales zéro (et même très nettement en-dessous de zéro) reconnaissent que le candidat a été tellement incité à se contreficher de l’orthographe et de la correction de la langue dans sa scolarité (sur les recommandations de qui ?) qu’on lui rappelle soudain, car cela ne va plus de soi, qu’" il sera tenu compte, dans l’évaluation, de la correction de la langue et de l’orthographe. "

Pour combien de temps encore ?

 

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