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COMBAT
COMMUNISTE

textes pour le débat
dans le mouvement révolutionnaire

Comité de Paris « Domingos Teixero »
pour le Parti Communiste Révolutionnaire
(Marxiste-Léniniste)

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LIGNE ROUGE

No 6 — avril 1984

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Sommaire :

Entretien avec Fernando Arenas, Secrétaire Générale du Parti Communiste d'Espagne (reconstitué).
Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant : Replacer l’activité générale des masses au centre de l’initiative.
Guérilleros Fedayins du Peuple Iranien : La lutte armée comme stratégie et comme tactique (IV).
Communiqué de la Fédération Syndicale Révolutionnaire au Salvador.
Ligne Rouge.

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ENTRETIEN AVEC FERNANDO ARENAS
(MANUEL PEREZ MARTINEZ),
SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DU PARTI COMMUNISTE D'ESPAGNE (RECONSTITUÉ)

 

Introduction du P.C.E.(r)

     Peu après l’arrestation de notre Comité Central, Fernando Arenas — Secrétaire Général du P.C.E.(r) —, depuis la prison de Carabanchel répondit à une intervieuw que lui demandait une revue légale. Cette revue n’en publia qu’une petite partie et, en général, les questions les plus « sensationnelles » et les moins importantes.

     Dans ses réponses, Arenas a abordé les thèmes les plus importants concernant notre Parti et l’ensemble du mouvement de résistance. Il analyse l’arrestation du Comité Central et toutes les arrestations que nous avons subies comme « un phénomène inhérent à la lutte », la façon dont ces arrestations ont affecté le Parti, la vitalité dont il fait preuve et son développement constant malgré elles.

     Dans l’interview mentionnée, on évita de se référer expressément à la participation des services secrets du Gouvernement algérien dans l’arrestation de notre C.C. à Benidorm, en attendant d’avoir pu accumuler suffisamment de preuves. Au moment de publier cette brochure une série de faits se sont produits qui viennent renforcer ce que nous maintenons. Il est bien clair qu’avec la suppression de « La Voix des Canaries Libres », le Gouvernement algérien essaye d’utiliser les mouvements révolutionnaires qui lui sont proches pour ses transactions et ses concessions avec l’impérialisme, dans ce cas les impérialistes espagnols. Cette politique qui consiste à plier l’échine, de la part d’un pays qui jusqu’à maintenant s’était toujours signalé pour une politique conséquemment progressiste et anti-impérialiste, ne représente rien de bon pour le peuple algérien qui saura, sans tarder, empêcher toute nouvelle tentative de ses gouvernements d’abandonner la voie de la lutte conséquente contre l’impérialiste et la réaction.

     D’autre part, Arenas analyse clairement d’autres thèmes de grand intérêt, comme le développement de la lutte de classes au sein du Parti, le rôle historique que jouent et vont jouer les organisations armées qui ont surgi en Europe et en Amérique Latine, la pleine vigueur du marxisme-léninisme, la stratégie, la tactique et les méthodes de lutte dont le moment historique implique l’utilisation dans notre pays ; notre conception marxiste-léniniste du Parti du prolétariat, de l’unité de la classe ouvrière et de tous les secteurs populaires et de la dictature du prolétariat, ainsi que les lignes générales pour réussir à atteindre ces objectifs.

     Dans ses réponses, Arenas aborde également la situation politique actuelle et le caractère des réformes fascistes, la situation syndicale et notre alternative dans ce sens.

     Tous ces thèmes traités avec la clarté et la précision qui caractérisent Arenas pourront énormément contribuer à éclaircir les idées de tous ceux qui la liront. C’est là la raison pour laquelle nous nous sommes décidés à publier et à diffuser dans sa totalité l’entrevue avec le camarade Arenas.

 

     Comment et pourquoi l’arrestation du 9 octobre a Benidorm a-t-elle pu se produire ?

     L’arrestation du Comité Central du Parti est le point final d’une gigantesque opération policière qui a commencé il y a déjà longtemps à laquelle ont participé, en plus des Brigades de la police politique, des Services d’intelligence de l’Armée. Il n’y a eu aucun « mouchardage », ni même une infiltration, comme on a pu l’insinuer. Contrairement à ce que certains « savants » semblent le supposer, il n’est pas aussi facile de s’infiltrer dans notre Parti, bien qu’il soit exact que cela nous soit déjà arrivé.

     Il y a déjà longtemps que nous étions au courant des plans de la police dont le but était la désarticulation du Parti avant la fin de l’été (ils avaient appelé cette opération « Vacances 77 »). C’est pourquoi, je veux vous assurer que nous avions pris toutes les mesures à notre portée pour l’éviter. Nous avons cependant été arrêtés. Et c’est ce qui importe maintenant.

     La première et principale cause de cette arrestation, il faut la rechercher en Algérie, voilà la vérité. Notre Parti avait confiance dans les Algériens et ceux-ci nous ont vendus pour 30 deniers. Depuis un certain temps, le gouvernement algérien est en train d’essayer de rompre l’accord tripartite sur le Sahara, et Madrid a profité de ce fait pour obtenir des Algériens les contacts dont ils avaient besoin pour nous trouver.

     Le Gouvernement espagnol avait une impérieuse nécessité d’en finir le plus rapidement possible avec le mouvement démocratique et révolutionnaire. À la longue, la police serait bien parvenue à nous arrêter, mais il lui aurait été difficile de le faire en peu de temps. Les infiltrations qu’ils ont tenté et les nombreuses arrestations de ces derniers temps ne leur ont donné que des maigres résultats. D’autre part, nous savions par des arrestations antérieures que la police était très sûre d’atteindre ses objectifs dans le délai fixé. Il ne fait aucun doute pour nous que cette assurance était cautionnée par la confiance excessive que nous avions mis dans les « amis » d’Algérie. Nous ne pouvions pas nous méfier des dirigeants d’un pays progressiste. Nous avions confiance en eux, ils ne pouvaient pas nous trahir... et ils nous ont trahis ! C’est là le piège dans lequel nous sommes tombés. Nous pourrions donner quelques détails précis, mais nous ne le considérons pas opportun ni nécessaire. C’est là une leçon que nous les communistes d’Espagne, n’oublierons jamais.

     Quant à la manière dont se réalisa l’arrestation, elle vaut la peine d’être contée. Imaginez-vous un appartement d’environ cent mètres carrés, quinze personnes y dormant entassées, l’explosion dans la maison de nombreuses bombes de gaz et de bombes lacrymogènes, le tout accompagné de rafales de mitraillette... Il ne restait plus un centimètre cube d’oxygène, on ne voyait plus rien du tout et on ne savait pas s’il y avait des blessés ou des morts. On entendait seulement des tirs, des toux asphyxiantes et les paroles d’inquiétude de certains camarades. Et la police était au courant de la présence d’un enfant qui, à ce moment, devint la préocupation majeure de tous. Quelques secondes passèrent et comme il était impossible de rester dans la maison, nous avons décidé de sortir, absolument persuadés de ne pas atteindre la porte vivants. Là nous fûmes frappés, mais nous maintîmes la tête haute, disposés au pire.

 

     Est-il vrai que dans l’appartement se trouvaient les plans du palais de la Moncloa et que l’on y préparait un attentat contre Suarez ?

     Dans la maison, il n’y avait que des documents et des rapports politiques du Parti et nous n’étions qu’en train de préparer un plan d’agitation en faveur du boycottage aux « commissariats » d’entreprises (élections syndicales) et pour développer le mouvement de solidarité envers les prisonniers politiques. Rien de plus.

     L’histoire des plans de la Moncloa et d’autres semblables ont été inventées, avec l’accord de Suarez, cela ne fait aucun doute, par une revue qui depuis déjà longtemps mène une campagne de calomnies et de désinformation sur le P.C.E.(r) et les G.R.A.P.O. L’intention de cette revue n’est pas seulement de nous cataloguer parmi les « terroristes » et les « fous », alors que leur tentative de nous faire endosser l’étiquette d’extrême droite a échoué, mais encore d’alimenter la campagne de crainte du « coup d’État militaire » au moyen duquel ils menacent afin de faire reculer encore plus la gauche domestiquée pour qu’elle accepte, sans rechigner, les décisions du Gouvernement ultra-réactionnaire de Suarez.

 

     Et l’histoire du fusil de mire télescopique et au dispositif infra-rouge, ainsi que les uniformes militaires ?

     Je nevois pas, à moins qu’ils aient confondu avec le balai ! car là-bas ils n’ont pu trouver la moindre « arme », si ce n’est le fusil de plastique dont nous avions fait cadeau à Danïel, le fils de Cerdán Calixto et de Encarnación Martinez. L’histoire des uniformes est un autre mensonge de la police. Vous comprendrez facilement que si le Parti avait ces uniformes en sa possession, nous ne les garderions pas dans un appartement loué pour y tenir une réunion. À Benidorm, chacun ne portait que les habits habituels de « vacanciers ».

 

     La réunion en question etait elle un Plenum élargi du Comité Central, du Comité Éxecutif ou des G.R.A.P.O. ?

     Il s’agissait d’une réunion ordinaire du Comité Central. Comme au bon vieux temps, la presse espagnole s’est faite le porte-parole des notes et informations de la police sans y ajouter une seule référence de sa part, sans manifester le moindre doute, malgré les nombreuses et profondes contradictions que contenaient ces nouvelles.

     lls parlèrent de l’arrestation de l’« État-major des G.R.A.P.O. », mais ils ne publièrent pas de photos de l’arsenal qui accompagne généralement les rapports de la police ; les preuves de « terrorisme » ne sont apparues nulle part.

     Peut-être n’ont ils pas voulu exploiter pas à fond leur brillant service ? Le Gouvernement savait très bien, tout comme les directeurs des journaux, qu’à Benidorm on venait d’arrêter le Comité Central du P.C.E.(r) et que, là-bas, la police n’avait pas trouvé une seule arme, ni rien qui soit en relation avec les actions militaires que l’on nous attribue. C’est également pour cette raison qu’ils ont pu nous arrêter aussi facilement. Car les G.R.A.P.O., d’après ce que je crois savoir et l’expérience l’a prouvé, ne se laissent pas arrêter, ils opposent de la résistance et ceci parce qu’ils sont armés. J’imagine que lorsque quelqu’un est armé, c’est pour quelque chose, ce ne sera pas pour user de son arme comme d’un ornement.

     C’est là une preuve de plus qui confirme ce que j’ai déjà dit à Benidorm, c’est le Comité Central du P.C.E.(r) qui a été arrêté et il est totalement faux de dire que nous étions l’« État Major des G.R.A.P.O. ». Cette réunion était la premiére que célébrait le Comité Central élu lors du II Congrès du Parti, qui a eu lieu en juin.

 

     À partir de l’arrestation, comment se déroulèrent les événements ?

     Bon. De la façon dont nous avons été arrêtés, certains d’entre nous s’étaient déjà fait à l’idée qu’ils avaient monté toute une mise en scène pour nous faire effectuer la « promenade ». Cette impression a été en se réaffirmant, au fur et à mesure que le temps s’écoulait, jusqu’au moment où nous sommes entrés dans les geôles de la D.G.S. [Direction Générale de Sécurité, à Madrid — N.R.]. Jusqu’à ce moment, de nombreuses heures s’écoulèrent dont la police profita pour faire avec nous une espèce d’experimentation de torture psychologique, dans le but de nous abattre moralement. Ils nous gardèrent toute la journée les yeux bandés et, autour de nous, ils élevèrent un mur de silence. On n’entendait que les bruits de moteurs, grincements de portes, claquements de culasse des mitraillettes... Ceci à Alicante, où ils nous gardèrent ainsi pendant 8 heures, debout, menottés aux mains, dans une sorte de garage. Certains d’entre nous lancèrent un défi à ce type de torture, en les dénonçant et en encourageant les camarades, ce qui attira la fureur des « grises » sur nos têtes et nos reins.

     D’Alicante nous avons été transférés à la D.G.S., dans un grand déploiement de forces et dans des conditions inhumaines. Pendant les interrogatoires, malgré les tortures sadiques auxquelles furent soumis quelques uns de mes camarades ils n’ont rien réussi à obtenir. Toutes les déclarations ont été confectionnées sur la base d’informations obtenues sous la torture lors d’arrestations antérieures de militants ou de sympathisants du Parti, des déclarations qui n’ont aucune valeur mais que le juge a néanmoins considérés suffisantes pour nous emprisonner.

     Rendez-vous compte combien cette mise en scène était fausse : une fois le délai légal de 72 heures écoulé, et comme les déclarations faites et signées par nous tous ne leur permettaient pas de nous faire un procès ou de nous emprisonner, le juge ordonna que nous soyons à nouveau conduits à la D.G.S. afin d'y faire un « complément » de déclarations.

     Nous somme faibles, mais cette faiblesse ne nous affraye pas. La qualité, le caractère prolétarien et révolutionnaire de notre Parti, le militantisme politique de tous ses membres ne peuvent être mis en doute par aucune personne sérieuse. Vous devez tenir compte du fait que nous ne constituons pas un parti révisionniste ou social-démocrate où chacun ne fait que voter ou participer à une fête. Notre Parti est une force révolutionnaire en dévloppement, avec un programme et des plans à suivre. Dans ce sens nous sommes de beaucoup supérieurs à n’importe quelle « masse de militants » sociaux-démocrates.

     Atuellement nos forces sont petites, mais elles sont bien organisées et elles s’étendent aux principales zones industrielles et agraires du pays et dans toutes les nationalités. Nous sommes conscients de notre faiblesse par rapport aux énormes tâches politiques que nous nous proposons de réaliser, mais nous savons que ce ne sera pas touhjoursd le cas, que notre influence croît de jour en jour et qu’il ne se passera pas longtemps avant que le P.C.E.(r) ne gagne la confiance et le soutien dont jouissait à une autre époque le Parti Communiste de José Diaz parmi les travailleurs. Tout cela est question de temps, de savoir attendre et de travailler dur et patiemment, sans abandonner à aucun moment la ligne politique et le travail commencé. Jusqu’à maintenant nous sommes parvenus à donner au mouvement sa première impulsion, ce qui est toujours le plus difficile.

 

     Pendant 1977, les arrestations dans le P.C.E.(r) ont été constantes et très graves. Comment analysez-vous ce fait ?

     C'est là un bon moment pour répondre à cette question car, même au sein du Parti ce problème n’est pas encore clair.

     Il est vrai qu’au cours de 1977 de nombreuses et importantes arrestations de militants et d’organisations du Parti se sont produites, qui se sont terminées par l’arrestation du Comité Central. Il s’agit là d’une question très sérieuse à laquelle nous prétons l’attention qui se doit. Chacune de ces arrestations s’est produite d’une façon différente et pour des motifs différents. Nous n’entrerons pas dans les détails. Ce qui nous intéresse c’est de connaître la cause première et dernière de toutes ces arrestations, et de voir si, réellement, elles pouvaient être évitées, ou dans quelle mesure on peut les éviter. Pour être plus clairs, nous donnerons un exemple.

     Au cours de 1975, le F.R.A.P. a eu également de nombreuses arrestations. Maintenant, par contre, depuis longtemps, il n’en a eu aucune qui puisse être qualifiée d’importante. Quelle est la cause de ce phénomène ? Pourquoi arrête-t-on les militants de notre Parti et pas ceux du F.R.A.P. ? Est-ce parce que ces dernières ont appris à bien faire les choses et que nous, nous les faisons chaque fois plus mal ? Je pense que si, dernièrement, le F.R.A.P. n’a eu aucune arrestation importante, cela est indiscutablement dû au fait que cette organisation a déserté le camp révolutionnaire. C’est évident, et il en va de même avec tous les autres groupes ou partis qui se considèrent communistes révolutionnaires. Et s’ils ne subissent pas d’arrestations c’est parce qu’ils feraient les choses comme doit le faire toute organisation communiste ou révolutionnaire. Mais cela ne justifie pas nos arrestations, qui trouvent leur cause dans notre travail lui-même. Parce que nous le réalisons mal ? C’est possible. Cependant pour autant que nous nous y efforcions, nous sommes incapables de trouver de graves erreurs de fonctionnement qui pourraient expliquer les arrestations et nous accepterions volontiers toutes les critiques ou apportations qui nous seront faites dans ce domaine.

     Ainsi sommes-nous forcés de conclure en disant que les arrestations de militants de notre Parti, tout comme les pertes et batailles perdues par toute armée qui combat, sont, en général, inévitables, elles forment partie d’un phénomène inhérent à toute lutte.

     Nous avons travaillé et nous continuerons à le faire pour extirper de nos rangs tout culte à la spontanéité et à l’étroitesse de vue ; nous avons travaillé infatigablement pour créer une organisation de combat, de véritables professionnels au service de la révolution et de la cause du prolétariat. Personne ne peut nous reprocher d’avoir négligé cet aspect tellement important de notre activité et personne ne peut non plus dire que nous nous soyons précipités, sans cela, que l’on nous donne un exemple de négligeance ou d’insouciance.

     Je disais que les arrestations sont inévitables dans tout Parti qui encourage et pratique la lutte de classes de façon conséquente, mais on ne doit pas en déduire que ces arrestations doivent paralyser l’activité. S’il en était ainsi, si après chaque arrestation l’activité du Parti disparaissait pour longtemps, il faudrait alors donner raison à ceux qui croient à la toute puissance de la police.

     Dans l’exemple que nous avons donné auparavant, non seulement toute l’activité du F.R.A.P. et de ses protecteurs a disparu mais, lorsqu’ils ont réapparu, ils l’ont fait dans la légalité et déjà ralliés aux tortionnaires. Est-ce là le cas de notre Parti ? Non, et ça ne pourra jamais l’être, car chaque arrestation fait ressurgir le Parti avec plus de force et le réaffirme dans sa ligne politique.

 

     Après ce coup, le P.C.E.(r) peut-il être donné pour mort ?

     (L’interviewé éclate de rire et répond avec confiance.)

     Combien de fois ont-ils tué le P.C.E.(r) et nous ont-ils laissés pour mort ! Et cependant, nous sommes ressuscités autant de fois qu’ils nous ont désarticulés, plus vigoureux qu’avant. C’est pour cette raison que lorsque nous lisons dans la presse une affirmation de ce genre, un éclat de rire secoue nos rangs d’un bout à l’autre.

     Il ne fait aucun doute que l’arrestation du Comité Central a été pour le P.C.E.(r) un des coups les plus durs reçus jusqu’à maintenant. Mais, immanquablement, l’expérience prouvera jusqu’à quel point il nous a affecté. Croyez-moi, notre arrestation fera plus de mal au Gouvernement qu’à nous-mêmes. Vous allez être surpris par ce que je vais vous dire. Lorsque nous sommes arrivés en prison, les camarades qui y étaient nous reçurent avec force embrassades, mais ils ne pouvaient dissimuler leur tristesse. Comme nous, ils étaient déjà habitués à être arrêtés, à ressentir les effets d’autres arrestations de militants du Parti et, également, à voir les résultats finals de ces arrestations. Mais le Comité Central du Parti, cela leur avait paru trop fort. Mais quelle ne fut pas leur surprise de nous voir arriver tous animés et pleins d’optimisme. « Ce n’est pas possible ! » — nous disaient certains d’entre eux. « Mais vous êtes inconscients ! » — s’écriaient-ils, en se prenant la tête dans les mains ? Très rapidement, en apprenant que l’activité du Parti se poursuivait dans la rue, la formation d’un nouveau Comité Central provisoire, la parution normale de nos publications et d’autres activités du Parti, ainsi que l’a déclaré la propre presse pendant les événements de Cadiz, ils étaient victimes de la contagion.

 

     N’y a-t-il pas plus de cadres politiques à l’intérieur que hors de prison ?

     Cela dépend de quel point de vue on se place. Maintenant, la plupart de la « vieille garde » du Parti se trouve en prison, si l’on peut s’exprimer ainsi. C’est là effectivement un capital de grande valeur. Mais il faut tenir compte du fait que cette vieille garde n’a pas passé son temps à courir à droite et à gauche ou à se tourner les pouces, mais qu’elle s’est employée à fond dans la reconstruction du Parti, avec tout ce que cela signifie ; elle a créé une structure organique, elle a tracé une ligne politique ; elle a resserré les liens avec les masses, elle a montré l’exemple et fait école. Si l’on considère la question sous cet angle, on comprendra immédiatement que l’immense majorité des cadres du Parti, cadres en puissance du moins, se trouvent hors des prisons. Nous avons pleine confiance en eux. S’il n’en était pas ainsi, à quoi aurait donc servi tout notre travail ?...

     Je ne suis pas comme Carrillo qui n’arrête pas de répéter qu’il n’a pas de remplaçant et qu’il est indispensable à son Parti. Pour ce qu’il a fait et continue à faire, il est bien possible qu’il n’ait pas de remplaçant. Notre cas est différent. Nous avons et nous aurons toujours de nombreux remplaçants et continuateurs. Et malgré les regrets de la grande bourgeoisie, nous sortirons de prison, car la classe ouvrière et les larges masses populaires nous libéreront. De cela nous sommes également sûrs.

 

     En ce moment, que représente quantitativement et qualitativement le P.C.E.(r) ?

     En analysant l’expérience acquise au cours des cinq dernières années — il faut tenir compte du fait que ce n’est pas qu’en 1977 que nous avons eu des arrestations —, on pourra se rendre compte de la justesse de ce que j’avance. En résumé, la pratique de la lutte de classes avec toutes ses conséquences n’affaiblit pas l’organisation révolutionnaire, au contraire, elle la fortifie et permet une accumulation d’expérience plus importante.

 

     Pouvez-vous expliquer, une fois pour toutes, sans avoir recours au topique habituel, les veritables relations entre le P.C.E.(r) et les G.R.A.P.O. et comment elles s’établissent ?

     Je ne sais pas ce que vous entendez par « topique habituel ». Le P.C.E.(r) a toujours déclaré son indépendance des G.R.A.P.O. ou de n’importe quelle autre organisation et jusqu’à maintenant, malgré toutes leurs tentatives, le Gouvernement et la police ne sont pas parvenus à nous identifier en quoi que ce soit aux G.R.A.P.O. Au plus sont-ils parvenus à établir la relation de quelques militants du P.C.E.(r) avec cette organisation, ce qui est facile si l’on tient compte du fait que nous réaffirmions à chaque instant. Cette indépendance peut être devenue un « topique », mais qu’y pouvons-nous ! C’est là la vérité et pour démontrer le contraire, il faut des preuves, car les accusations abondent et sont très aisées à lancer.

     Le gouvernement et la police on eu une excellente occasion de démontrer ce dont ils nous accusent à l’occasion de l’arrestation du Comité Central et des nombreux documents qu’ils ont trouvés en notre possession. Et je vous dirai plus encore : ils ont saisi les actes enregistrés sur bande magnétique de la totalité des débats de notre IIe Congrès. Vous conviendrez avec moi que tout ce matériel est plus que suffisant pour nous accuser. Et savez-vous à quoi le juge a du recourir pour nous envoyer en prison ? Eh bien, il a du ressortir des archives de la police une brochure interne des G.R.A.P.O., dont nous ignorions totalement l’existence avant notre arrivé à la D.G.S., dans laquelle référence était faite aux relations de cette organisation avec le Parti. C’est tout. Et, si vous voulez mon avis, ces groupes qui ne veulent pas se séparer du peuple, ont besoin d’une direction politique et ils pensent l’avoir trouvée dans notre Parti, dans ses orientations et ses consignes. D’autre part, le fait que le P.C.E.(r) ait été le premier et presque le seul à les soutenir, que nous ne nous soyons pas joints à la campagne démagogique orchestrée par le Gouvernement et que certains de nos militants y soient entrés pour combattre au coude à coude avec ces combattants antifascistes, tout comme beaucoup d’autres sont entrés dans des organisations de caractère populaire, tout cela leur permet de se sentir étroitement unis à nous et d’accepter quelques’uns de nos conseils et de nos propositions. Mais la décision et la direction réelle et effective de ces organisations, dans ce cas les G.R.A.P.O., est une chose qui ne dépend pas de nous.

     Il ne fait aucun doute que nous exerçons une certaine influence sur eux, notre volonté est surtout de soustraire ces organisations des tendances anarchisantes ou purement militaires et, bien sûr, nous nous sommes solidarisés et nous continuerons à nous solidariser et à soutenir toutes leurs actions. Les critiques que nous leur avons faites ou celless que nous aurions à leur faire est une chose que nous n’allons pas communiquer à l’ennemi commun.

     Nous comprenons que ces relations soient la cause de nombreux déboirs pour le Gouvernement et la réaction en général. Mais qu’y pouvons nous ? Ils voudraient que les G.R.A.P.O. se convertissent en un groupe d’« extrême-droite », car ils auraient alors la garantie de pouvoir les contrôler pour les utiliser contre le mouvement ouvrier et populaire. Il faut se réjouir qu’il n’en soit pas ainsi —comme nous en avons de nombreuses preuves — et que les G.R.A.P.O. soient une organisation véritablement indépendante qui serve le peuple et admette volontiers en leur sein nos militants et les conseils du P.C.E.(r). Mais la réaction ne veut en aucun cas admettre une vérité si simple, souvent répétée et démontrée : les G.R.A.P.O. sont les G.R.A.P.O. et le P.C.E.(r) est le P.C.E.(r).

 

     Qui est Arenas ?

     Maintenant les biographies politiques sont à la mode. En ce qui me concerne, je ne crois pas qu’il vaille la peine d’occuper l’espace précieux que nous offre votre revue pour parler de choses aussi peu importantes. Mais puisque vous me le demandez et que l’on a lancé toute sorte de mensonges et de calomnies sur le P.C.E.(r) et ses dirigeants, je vais vous répondre. Je me considère un militant ouvrier communiste qui connaît bien — pour l’avoir vécue dans sa famille, dans son travail et dans la rue — la condition de sa classe ; qui depuis très jeune, encore enfant, a commencé à sympathiser avec les idées socialistes et qui, plus tard, est arrivé à en être pleinement convaincu que seul le communisme apportera une solution à toutes les souffrances, et les problèmes. En peu de mots, je suis comme beaucoup d’autres, un produit de l’après-guerre qui dure encore dans notre pays. Je suis né dans un de ces foyers comme des milliers d’autres, sans pain et sans lumière, que nous a légué le « glorieux » soulèvement.

     Mes parents émigrèrent du Maroc à Madrid en 1957, avec ce qu’ils avaient sur le dos et une famille nombreuse. Après avoir erré de nombreux jours dans les rues et avoir frappés à un grand nombre de portes, l’Assistance Publique nous concéda une baraque de 10 m carrés dans le « Pozo dello Raimundo ». Mes parents y vivent encore ainsi que quelques-uns de mes plus jeunes frères. Mes deux filles de 6 et 8 ans vivent également dans une baraque du « Pozo » avec leur mère.

     J’ai milité activement dans le parti carrilliste. Après mon service militaire, je fus convaincu que Carrillo et son groupe trompaient les ouvriers de la façon la plus misérable qui soit. Il me fut alors très dur d’abandonner ce parti pour lequel, avec mes capacités limitées, j’avais tellement fait et dans lequel j’avais déposé tous mes espoirs d’émancipation de la classe ouvrière. Mais je ne voulais pas continuer à être complice de Carrillo et, avec toutes les conséquences que cela représente, je rompis avec le révisionnisme. Depuis lors, j’ai mis le même acharnement et l’ardeur que j’avais mis au travail et à la défense du parti carrilliste à le combattre. J’ai beaucoup appris au cours de cette période. Plus tard, je me suis intégré au mouvement de gauche, en y combattant également les tendances politiques et idéologiques opportunistes et petites-bourgeoises. Dans ce mouvement de groupes et « partis » qui surgirent dans les années soixante comme conséquence de la crise du révisionnisme, tout n’était pas mauvais. Ce mouvement était très hétérogène et alors, les camps n’étaient pas aussi clairement délimités qu’ils le sont aujourd’hui. C’est pour cette raison que parmi les éléments opportunistes et petits-bourgeois on trouvait mélangés de nombreux hommes et femmes honnêtes et de valeur, véritables communistes. À leurs côtés, au cours de ces dernières années, j’ai centré toute mon attention et mes efforts dans la tâche de reconstruction du véritable Parti dont la classe ouvrière d’Espagne a besoin et dans l’élaboration de sa juste ligne marxiste-léniniste.

 

     Arenas a été accusé d’exercer une dictature personnelle dans le Parti, d’éliminer toute personne qui ne partage pas ses opinions. dans ce contexte, comment s’explique le cas de Pio Moa, expulsé pour être en désaccord ?

     Il est vrai que j’ai été accusé de dictateur et d’autres choses, non seulement ces derniers temps mais depuis le moment même où j’ai commencé à défendre clairement et ouvertement mes opinions. Mais vous oubliez un « petit détail ». Tous ceux qui ont lancé cette accusation contre moi sont sortis du Parti eux-mêmes, tous seuls, personne ne les a accompagné, d’où l’on peut en déduire clairement que je n’étais pas le seul à exercer la « dictature », mais tout le Parti contre un seul élément opportuniste ou perturbateur. Si on peut appeler cela une dictature !... Ce n’est qu’après être sortis du Parti que tous ces éléments ont commencé à dire que je suis un dictateur.

     Pour tous ces gens, si le Parti — c’est-à-dire l’immense majorité des militants — n’accepte pas leurs opinions après les avoir amplement discutées, pour eux, alors, le Parti n’est plus le Parti, mais un groupe de crétins qui se soumet à la dictature de quelqu’un. Qui est ou aspire à devenir dictateur ? Celui qui défend les idées justes et se joint à la majorité ou, au contraire, celui qui a tort, prétend embrouiller, semer la discorde, et qui veut faire de l’organisation communiste une bande de bons amis ?

     Le cas de Pio Moa n’en est qu’un parmi beaucoup d’autres, avec la seule différence que cet individu a fait plus de bruit que les autres, en voulant justifier ainsi sa mesquinerie et sa lâcheté. Il commença par parler de petites erreurs, nous avons prêté attention à ses raisonnements et nous avons discuté avec lui pendant deux ans ! Comme quoi la liberté de discussion n’existe pas dans nos rangs ! Mais en même temps que la totale liberté de discussion, pour que les choses se sachent et que nous ne dégénérions pas en un groupe d’opportunistes, il doit également y avoir unité d’action ! Ainsi lorsque Pio Moa acquis la conviction qu’il ne réussirait pas à nous orienter sur une fausse voie et que lui-même était entraîné là où il ne voulait pas aller, à partir de ce moment, il commença à perdre les pédales. Nous l’avons alors rappelé à l’ordre. Sa réponse fut la démonstration de son profond mépris envers tous les camarades, la manifestation la plus claire de son individualisme petit-bourgeois et de son anarchisme « señoril ». Vous comprendrez que dans nos rangs nous ne puissions pas transiger avec ces choses et encore moins dans les organes dirigeantes du Parti. Aussi avons-nous décidé de lui retirer toutes ses responsabilités et de le soumettre à une période d’observation jusqu’à ce qu’il donne la preuve de sa volonté d’union et de corriger ses fautes à fond.

     Moa attendait cette décision, il l’attendait pour pouvoir lancer ses attaques directes contre le Parti, contre sa ligne politique, contre sa direction et contre moi, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant.

     Dans le fond, dans toute cette affaire on trouve une question que Pio Moa partage avec tous les opportunistes et c’est ce qui l’a amené à choquer avec le Parti : son renoncement à soutenir, en tant que principe fondamental, la nécessité de la lutte armée révolutionnaire pour développer le mouvement de masses et abattre le fascisme, la repoussant aux calendes grecques « lorsque le Parti et le mouvement de masses seront plus développés », l’alibi qu’emploient tous les opportunistes pour couvrir leur désertion du camp révolutionnaire.

 

     Quelles sont les différences et les points communs qui existent entre le P.C.E.(r) et des organisations telles que les Tupamaros, les Montoneros ou le groupe « Baader-Meinhof » ?

     De ces organisations et d’autres qui leur sont semblables, nous ne connaissons que ce que daigne publier la presse légale et vous comprendrez que ceci soit insuffisant pour émettre un jugement en cannaissance de cause. Mais il y a cependant certaines choses qui sont bien claires et sur lesquelles nous pouvons donner notre avis. Ni les Tupamaros, ni les Montoneros, ni la Fraction de l’Armée Rouge allemande ne sont des partis ouvriers marxistes-léninistes et ils ne se considèrent pas non plus comme tels. Ce dont ils se rapprochent le plus c’est d’un mouvement de caractère populaire révolutionnaire.

     Il reste encore à voir ce que deviendront ces mouvements, bien que l’on ne puisse écarter la possibilité qu’une partie d’entre-eux, au moins, se transformeront en véritables partis d’avant-garde.

     Nous considérons que lorsqu’en Allemagne, en Uruguay et en Argentine surgira le nouveau parti révolutionnaire de la classe ouvrière, ce processus ne sera pas totalement indépendant de ces mouvements, car il ne fait aucun doute que ceux qui les forment constituent déjà aujourd’hui, d’une certaine façon, l’avant-garde de la lutte de ces peuples. Ils ont compris un des principaux problèmes de notre époque Que seule la lutte armée rendra ces peuples véritablement libres et que seule cette forme de lutte instruit et clarifie les rangs révolutionnaires.

     Notre Parti comprend parfaitement le nouveau phénomène de l’apparition de détachements armés dans des pays au développement économique relativement élevé. Ce qui nous différencie fondamentalement de ces détachements, c’est que nous avons constitué un Parti qui a pour base la classe ouvrière, qui se guide sur le marxisme-Iéninisme et qui fomente et tente d’organiser le mouvement de résistance populaire.

     Nous avons commencé par les fondements, alors que ces organisations l’ont fait à l’envers. Cela est peut être dû au fait qu’elles n’ont pas bien compris — et ceci est d’une importance cruciale — les nouveaux problèmes qui se présentent au mouvement révolutionnaire contemporain ; elles ont compris ce que sont les soi-disant partis communistes et elles veulent faire la révolution, mais en le tentant, elles se sont séparées (souhaitons que ce ne soit que momentanement) du marxisme-léninisme, de la seule doctrine qui puisse nous conduire à la victoire.

 

     En parlant du groupe « Baader-Meinhof », ton suicide et celui de certains d’entre vous dans les prisons espagnoles serait-il possible comme ceux des révolutionnaires allemands ?

     Oui, pourquoi pas, un « suicide » est possible. Et encore plus si l’on tient compte du fait que les « grises » ont occupé la prison et se promènent dans les couloirs mitraillettes en main et que nous sommes continuellement menacés de leur intervention à la moindre manifestation de désaccord que nous émettions avec le Règlement nettement fasciste qui régit la prison. Dans ce sens, un « suicide » individuel ou collectif pourrait être présenté sous une autre forme bien qu’il ne faille pas en écarter un du type de celui inventé par les nazis qui gouvernent l’Allemagne.

     La seule chose que l’on puisse dire là-dessus, c’est répéter ce qu’on déjà déclaré les martyres de la révolution de la résistance anti-nazi allemande : « Si la nouvelle d’un suicide était publiée, ne la croyez pas. » Les révolutionnaires peuvent commettre certaines « folies », selon le sens commun, mais jamais celle de mettre fin à leur propre vie, car ceci n’est pas révolutionnaire, mais un acte de lâcheté.

 

     On a l’impression qu’une série de « vérites indiscutables » du marxisme sont en révision profonde et en crise objective. le marxisme-léninisme est-il encore pleinement en vigueur ? Marx, Engels, Lénine ne se sont-ils jamais trompés ? Toutes les citations des livres sont-elles indiscutables ?

     Beaucoup de monde parle de la « crise du marxisme », mais très peu s’arrêtent sur la crise réelle dont souffre le capitalisme et le révisionnisme. ll ne fait aucun doute que toute une série d’idées et de thèses marxistes ont perdu leurvi gueur. Mais, d’un autre côté, aucun marxiste n’a dit ni ne pourra dire que les grands maîtres du socialisme scientifique ne se soient jamais trompés ni que les citations de leurs livres soient indiscutables, car personne plus que leurs propres auteurs ne les ont remises en question et les ont révisées à de nombreuses reprises. Il n’y a rien qui ne soit plus contraire au marxisme que le dogmatisme ; pour cela, nous, marxistes, plus qu’au texte imprimé dans les livres, nous nous attachons à son esprit révolutionnaire.

     Le marxisme-léninisme est en vigueur dans ses principes fondamentaux parce que les conditions objectives sur lesquelles il se base n’ont pas fondamentalement varié, du moins dans la société capitaliste dans laquelle nous vivons. Mais la vie et la société changent, elles ne sont pas immuables et c’est pour cela qu’il est nécessaire que le Parti révolutionnaire adapte toujours ses principes aux conditions qui sont en changement constant. C’est pour cela que je dis qu’il y a une série de choses qu’il devient nécessaire de réviser ; mais cela, il faut le faire du point de vue et de la position révolutionnaire du marxisme, non de positions révisionnistes bourgeoises.

     Nous, le P.C.E.(r), nous sommes en train de réviser le marxisme, non pas à la manière bourgeoise, mais comme de véritables marxistes révolutionnaires, comme Marx et Engels, comme Lénine, Staline et Mao Tsé-toung révisèrent la doctrine lorsque cela fut nécessaire pour l’adapter aux temps nouveaux et aux conditions nouvelles.

 

     Dans l’Espagne de 1977, la prise du Pouvoir comme en Russie en 1917 est-elle possible ?

     Non, ce n’est pas possible et vous avez là un exemple de révision révolutionnaire du marxisme. On sait qu’en Russie, la question du Pouvoir — qui est le problème fondamental de toute révolution — s’est résolue par une action insurrectionnelle. En Espagne, par contre, les masses populaires arriveront au Pouvoir après avoir livré une longue guerre révolutionnaire ; c’est là un principe qui est intangible. Mais les conditidns ont changé et, par conséquent, la forme de cette violence. Ce changement est dû aux conditions économiques et politiques dans lesquelles domine le monopolisme et sa forme de pouvoir militariste, policière et réactionnaire. Nous n’avons pas inventé ces conditions, pas plus que les formes de résistance des masses populaires qu’elles engendrent.

     On peut comprendre que dans ces conditions, la tactique, la stratégie et les méthodes de lutte révolutionnaires du prolétariat doivent nécessairement changer. Et ceci parce qu’il n’y a plus de révolution bourgeoise à réaliser, car la réaction ne se laissera pas surprendre par une insurrection générale qui éclaterait à un moment donné et parce qu’elle ne permettra pas non plus que les masses s’organisent et concentrent pacifiquement leurs forces en utilisant la légalité bourgeoise qui d’autre part, est déjà totalement hors d’usage pour le prolétariat.

 

     Le Parti unique est-il un concept applicable à la réalité complexe actuelle ?

     Cela dépend du type de parti. Ce concept est inapplicable aux partis fascistes, mais pas au Parti du prolétariat, car si la forme d’existence de la bourgeoisie se caractérise par la concurrence et l’égoïsme, pour le prolétariat l’unité est toujours plus nécessaire. Pour la classe ouvrière, unir ses forces est une question vitale et elle a réellement intérêt à faire éliminer toute concurrence en son sein.

     C’est dans la mesure où la classe ouvrière atteindra cet objectif que la création du parti fasciste unique sera plus difficile et ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra en finir avec le capitalisme et construire un société mille fois plus juste.

     Le fait que nous soyons pour l’unité de la classe ouvrière en un Parti unique ne veut pas dire que nous nions l’existence d’autres partis qui encadrent des ouvriers et avec lesquels, un jour, nous pourrons parvenir à un certain type d’accord. Nous pouvons dire la même chose au sujet d’autres forces politiques qui ne sont pas prolétariennes, qui sont d’accord de marcher aux côtés de la classe ouvrière pour abattre le monopolisme et créer ce nouveau type de société plus juste. Dans ce sens on peut dire qu’après la révolution, pendant une certaine période au moins, le Parti de la classe ouvrière ne devra pas monopoliser le pouvoir ; il devra le partager, mais en s’assurant toujours l’hégémonie. Après cette période, tôt ou tard, l’élimination de la bourgeoisie en tant que classe conduira à l’extinction de ses propres partis, le prolétariat restant l’unique détenteur du Pouvoir. Nous ne sommes pas partisans de la théorie révisionniste d’un socialisme dans lequel les classes exploiteuses et la classe ouvrière cohabitent, car c’est là un attrape-nigaud.

 

     Le centralisme démocratique et la discipline interne ne sont-ils pas des concepts au nom desquels on écarte des militants de la prise de décisions ?

     Écoutez, la bourgeoisie semble très préoccupée par cette « marginalité dans les décisions des militants de base » et elle accuse les véritables partis communistes d’enfreindre les principes de la démocratie. Cette préoccupation ne vous semble-t-elle pas suspecte ? On nous accuse d’être des dictateurs et d’exclure les militants de base des décisions les plus importantes du Parti, mais voyez la participation que les dirigeants des partis dits « démocratiques » ont donné à leurs militants dans la fameuse « magouille de la Moncloa ». Et ce n’est là qu’un exemple.

     Ce sont ces mêmes partis qui, avec leurs pactes honteux, non seulement n’ont absolument pas tenu compte de l’opinion de leurs bases, mais qui se sont moqués du peu de confiance qu’auraient pu avoir en eux ceux qui votèrent pour leurs candidats lors de la dernière mascarade électorale. Les Cortes, elles mêmes, qu’ont donc fait ces messieurs des Cortes ? Ces Cortes qui, d’après les programmes, allaient être quelque chose comme le centre de toutes les décisions importantes prises dans le pays. Elles ne jouent même pas le rôle de caisse d’enregistrement des décisions des monopoles ! Et la fameuse Constitution, quelque chose d’aussi important et qui affecte de façon aussi directe tous les citoyens, les ont-ils consultés ? Que savons-nous d’elle ? Et il en va plus ou moins de même, non seulement dans tous les pays capitalistes.

     Le centralisme démocratique, appliqué au fonctionnement du Parti révolutionnaire de la classe ouvrière et même aux relations des gouvernants avec les masses dans une société socialiste, voilà le seul principe qui puisse garantir la pleine participation et le contrôle des dirigés sur les dirigeants et empêcher que ceux-ci ne deviennent une clique de politicards séparés et opposés au peuple. Il est vrai que certains partis communistes et pays socialistes ont gravement attenté contre ce principe de la démocratie prolétarienne, mais cela ne met pas en question la justesse du principe de l’assujetissement de la partie au tout, de la liberté de discussion et de l’unité d’action pour atteindre les objectifs révolutionnaires et socialistes.

     Comme nous l’avons dit en d’autres occasions et la pratique l’a démontré, notre Parti est mille fois plus démocratique que le plus démocratique des partis bourgeois.

 

     Comment juges-tu la situation politique actuelle après le « Pacte de la Moncloa » et quel rôle y jouera le P.C.E.(r) ?

     Le « Pacte de la Moncloa », les élections du 15 juin, le référendum et la constitution qu’ils sont en train de préparer font partie de la même mise en scène pensée et réalisée par la droite et les monopoles, avec la participation active de l’opposition domestiquée. C’est dans cette mise en scène que l’oligarchie espagnole et l’impérialisme fondent la continuité du régime issu du soulèvement du 18 juillet.

     Pour le P.C.E.(r), dès le début les choses furent très claires. Nous étions convaincus que rien d’essentiel n’allait changer ni ne changerait tant que le fascisme ne serait pas abattu et que les ressources économiques fondamentales n’auraient pas passé aux mains du peuple. Mais si pour nous ces choses sont claires, cela ne veut pas dire qu’il en soit de même pour de larges secteurs populaires qui ont pu croire aux promesses de changement. Maintenant, après le « Pacte de la Moncloa » une grande déception se fait jour, certains pensaient que l’Espagne aurait au moins un parlement et que personne ne serait plus poursuivi pour ses opinions politiques. Mais on n’en est même pas arrivé là. Le soi-disant parlement joue le même rôle que celui que jouèrent les Cortes du temps de Franco. Le P.C.E.(r) et d’autres organisations véritablement démocratiques et patriotiques continuent à être interdites et Ieurs dirigeants emprisonnés et ne parlons pas des mesures économiques, du chômage, des bas salaires, de l’inflation, des lois « anti-terroristes » qu’ils préparent.

     Le résultat de ce décillement se verra très rapidement. On peut déjà l’observer. S’il a été relativement aisé pour les monopolistes et leurs laquais d’organiser leur mise en scène démagogique et de parvenir à quelques accords entre eux, aux dépens des intérêts des masses, dorénavant, contrairement à ce qu’ils ont pu croire, cela ne Ieur sera pas si facile de maintenir cette mise en scène sur pied ; ils ne vont pas pouvoir non plus remplir les engagements qu’ils ont pris. Le développement de la lutte de masses va le leur interdire. Comme déjà beaucoup d’autres choses les en ont empêchés antérieurement.

     Il faudra prêter une grande attention au résultat des élections syndicales et municipales. Elles seront le banc d’essai de la toute nouvelle démocratie qu’ils ont cuisinée au palais, avec l’accord des états majors, de l’Armée et de la banque.

     Dans ce contexte, le rôle du P.C.E.(r), et d’autres forces révolutionnaires et démocratiques ne peut qu’aller en augmentant. Du point de vue politique, le P.C.E.(r) est ressorti très à l’aise et plus uni du plus mauvais moment ; il a su surmonter la période où la démagogie et l’avalanche d’illusions fabriquées par les politicards innondaient tout et alors qu’il était vraiment difficile d’aller à contre-courant. Le P.C.E.(r) a rempli sa mission en démasquant les manœuvres politiques de la grande bourgeoisie qu’il a combattues de façon conséquente. Nous continuerons sur cette voie, persuadés que ce n’est qu’ainsi que nous parviendrons à gagner la symphafie et le soutien des grandes masses, ce qui est, en fin de compte, la seule chose qui nous importe.

 

     Comment voyez-vous la situation syndicale ?

     Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la situation du mouvement syndical de la classe ouvrière est très favorable. Il n’existe pas de Syndicat puissant qui permettait aux ouvriers de faire pression sur le capital pour défendre leurs véritables intérêts. Mais pourquoi se leurrer ? L’existence d’un syndicat ayant ces caractéristiques est impossible dans les conditions du monopolisme et c’est pourquoi la classe ouvrière a adopté les formes de lutte et d’organisation adaptées à cette situation.

     Les centrales et autres petits syndicats que s’efforcent avec acharnement de créer les partis opportunistes avec l’aide du gouvernement, du patronat et de l’impérialisme, ne représentent rien et, en réalité, ils ne peuvent qu’aspirer à jouer le même rôle de policiers que la défunte C.N.S. Ces petits syndicats ne donneront aucun résultat à la bourgeoisie. Si, à une autre époque, la division syndicale de la classe ouvrière lui fut préjudiciable, aujourd’hui, par contre, cette extraordinaire atomisation syndicale lui est favorable, car elle démontre, entre autre chose, le manque d’efficacité des syndicats conçus selon les patrons traditionnaux, adaptés à des conditions totalement différentes ; elle prouve que les patrons de ce type sont passés de mode et que, par conséquent, le mouvement spontané des grandes masses est en train de se doter de nouvelles formes de défense et d’action supérieures aux antérieures et dans lesquelles le problème de l’unité n’apparaît pas, parce que cette unité est la base de ce nouveau mouvement. En Espagne, sur ce plan, nous nous trouvons en avance par rapport à d’autres pays capitalistes et ceci favorise extraordinairement le travail du communisme à l’intérieur du mouvement ouvrier.

 

     Que va-t-il se passer avec les élections syndicales ?

     À mons avis, il se passera la même chose qu’en d’autres occasions, c’est-à-dire que les véritables résultats ne seront visibles qu’après le décompte des votes : il se verront dans l’essort du mouvement de grève et dans les manifestations de rue pour l’obtention de véritables améliorations, mouvement — comme c’est le cas — que les soi-disant centrales ne vont pas diriger. Ceci ne va pas cependant empêcher ces centrales de le torpiller de toutes les façons possibles afin de livrer les ouvriers pieds et poings liés. Croyez-moi, les possibilités qu’offrait ce syndicalisme sont épuisées, tout comme l’est le parlementarisme. Bien sûr, la lutte de caractère syndical va se poursuivre, mais en adoptant des formes différentes, toujours plus politiques et de méthodes d’organisation correspondantes.

 

     Quelle alternative presentez-vous et quelle est votre force dans les fabriques ?

     Le P.C.E.(r) a toujours préconisé le boycottage des élections au Syndicat vertical fasciste et nous ferons la même chose maintenant. En ce qui concerne le nombre incalculable de centrales et de syndicats qui cherchent à diviser les ouvriers, l’expérience a prouvé que nous avions raison. Que reste-t-il du syndicat vertical ? Il n’en reste rien. Je peux vous assurer que quelque chose de semblable va se passer avec ces centrales organisées sous la protection et avec le soutien officiel afin qu’elles occupent la place laissé vide par la C.N.S.

     Les ouvriers doivent boycotter activement ces mises en scène de la bourgeoisie et du gouvernement et poursuivre la magnifique tradition qui consiste à tenir des assemblées démocratiques et à élire des commissions de délégués qui négocient avec le patronat en position de force. Autrement, jamais on obtiendra de véritables améliorations des conditions de vie et de travail.

     Mais il faut être conscients qu’aussi bien les assemblées que les commissions de délégués ne constituent pas de formes d’organisations car elles apparaissent et elles se dissolvent avec chaque conflit. Les assemblées et commissions de délégués sont plutôt un procédé démocratique de lutte syndicale, procédé qui a déjà plus que fait ses preuves. Dans l’application et le développement de ces procédés, les ouvriers et ouvrières les plus avancés de chaque usine ou lieu de travail jouent un rôle de premier ordre.

     La classe ouvrière et notre Parti ont intérêt à ce que ni les centrales, ni la police ne parviennent à contrôler ces hommes et ces femmes de premier plan. Par conséquent, ils ne doivent pas présenter leurs candidatures aux « commissariats d’entreprise », ce qui est, plus ou moins, ce qu’ils tentent de créer.

     Contre de tel commissariats, nous proposons l’organisation de l’avant-garde prolétarienne de chaque fabrique en cercles restreints d’ouvriers, étroitement liés au Parti, cercles desquels nous pourrions donner sa continuité au mouvement syndical et faciliter, en même temps la réalisation des tâches politiques du Parti.

     En ce qui concerne nos forces dans les fabriques, comme je l’ai dit antérieurement, elles sont faibles, bien que, pour le moment, ceci ne nous préoccupe pas outre mesure.

     Justement, dans l’étape actuelle, un de nos principaux objectifs est de pénétrer et de créer des organisations du Parti dans les principales fabriques du pays et nous sommes bien persuadés d’y parvenir en appliquant la ligne que nous nous sommes fixée.

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BRIGADES ROUGES POUR LA CONSTRUCTION DU PARTI COMMUNISTE COMBATTANT :
REPLACER L’ACTIVITÉ GÉNÉRALE DES MASSES AU CENTRE DE L’INITIATIVE.

 

À tout le mouvement révolutionnaire.

     Ce n’est pas un hasard si ce procès a été préparé en toute hâte à la suite de la libération de Dozier, des trahisons et des arrestations de masse, alors que jusque-là, il semblait qu’il ne devait jamais se dérouler.

     L’État qui, avant cela, n’avait pas la force politique d’affronter le procès du moment le plus significatif de 12 ans de lutte armée, saisit l’occasion pour tenter de sanctionner de manière éclatante la défaite des Brigades Rouges et, avec elles, de la lutte armée pour le communisme.

     Cet objectif a envahi tout raisonnement mis dans la bouche des traîtres, toute intervention des parties civiles : il est le cœur même de chaque acte du procès et des déclarations du Procureur Amato. Un refrain obsessionnel qui devait devenir un lieu commun, une vérité indiscutable acceptée par tous.

     La nature de cet objectif est cependant d’une plus vaste portée. Il est une importante partie d’une attaque bien plus complexe que la bourgeoisie a menée contre la classe ouvrière et le prolétariat métropolitain. En ce sens, la ratification de la défaite des B.R. devait représenter un moment important pour réussir à effacer de la mémoire historique même du prolétariat la conscience de la révolution comme événement nécessaire et possible, le seul qui soit capable de donner une solution réelle aux intérêts et aux besoins prolétariens. La plus grande publicité au refrain de la défaite se trouve garantie par l’énorme amplification de tout, même le plus petit bégaiement du traître de service.

     La thèse qui rassemble tous les vautours qui se sont jetés sur la « pâture » politique que représente ce procès, est celle selon laquelle les « B.R. sont un groupe au service de quelqu’un de bien plus impodant ». Chacun tente d’apporter de l’eau à son moulin. Et, actuellement, même l’histoire, le patrimoine, les militants eux-mêmes de la lutte armée constituent un butin sur lequel les diverses forces de la bourgeoisie mettent les mains pour en tirer tout ce qui peut être utile à leurs propres jeux de pouvoir. Nous avons donc entendu une anthologie de thèses complotardes, selon lesquelles les B.R. seraient des marionnettes au service des projets les plus divers.

     À en croire les socialistes et une partie de la D.C., nous ne serions rien d’autre que des Russes parlant bien l’italien, parce que, comme le disait alors déjà Craxi 1, « il n’est pas pensable que les B.R. s’entrainent dans les basse-cours ». Pour le P.CI., nous étions évidemment des agents de la C.I.A. parce que Moro avait été l’artisan suprême de son insertion dans l’aire du consensus de la majorité gouvernementale. On a fait parler différents traîtres afin de soutenir, partiellement, les thèses complotardes sur le tapis, mais même eux n’ont pas été très utiles sur ces points. C’est ainsi que chaque parti bourgeois a continué à fournir sa propre vérité.

     Ce sur quoi les traîtres ont été le plus utilisés a par contre été la construction d’une campagne diffamatoire et provocatrice contre le peuple palestinien et les forces révolutionnaires qui luttent en Europe et en Méditerranée contre l’impérialisme américain.

     Ce n’est pas un hasard, et nous l’avions dénoncé dans cette salle d’audience avant que cela ait lieu, si la campagne menée en Italie et en Europe contre le peuple palestinien a précédé l’invasion génocide du Liban par l’impérialisme au moyen des bouchers sionistes et phalangistes.

     Dans les faits, donc, ce procès est un procès de guerre, une attaque non seulement contre les B.R., mais aussi contre toute hypothèse politique révolutionnaire présente en ce qui, dans les projets de l’impérialisme américain, doit être un terrain d’opérations pacifié à l’intérieur et agressif vers l’extérieur. C’est un procès de guerre parce que toutes les « entorses » faites à la législation courante, avec les diverses lois spéciales, ont trouvé un champ d’application dans ce procès et ont, par là, ratifié un bouleversement global de la sphère juridique, en direction d’une législation de « guerre civile ».

     C’est un procès de guerre parce que, dans cette salle d’audience, la torture et la disparition des prisonniers comme méthode « légale » d’enquête ont été officialisées, reconnues et revendiquées par l’État. En effet, alors qu’un de nos camarades inculpé dans ce procès était séquestré et torturé durant plusieurs jours dans les locaux de la D.I.G.O.S., la Cour et le Procureur, tout en le sachant, continuaient le procès en couvrant de la loi du silence ce qui était entrain de se passer. Le fait que la Cour ait disposé une soi-disant enquête sur cet épisode n’a été qu’une couverture consécutive à tel point que les photographies qui témoignaient des lésions subies par le camarade ont déjà disparu du dossier. C’est un procès de guerre parce qu’il est devenu évident dans cette salle quel est le rapport que l’État établit avec la société civile et les prolétaires en particulier.

     Ce système ne peut plus offrir aucune perspective d’expansion de la richesse sociale ni d’évolution des valeurs morales et culturelles. La barbarisation politique marque l’isolement progressif de la bourgeoisie et de son État. Son retranchement en défense du pouvoir et des privilèges. Il ne peut plus rien garantir au prolétariat.

     L’unique rapport que la bourgeoisie réussit à établir est représenté par les misérables figures qui servent à jeter de la boue sur l’histoire de la révolution prolétarienne : la trahison ! L’État bourgeois « acquiert » quelques traîtres afin qu’ils « parlent » à la classe, qu’ils la dissuadent de la possibilité de la révolution prolétarienne. L’État bourgeois encense la figure de l’espion, en fait le type idéal utile, le « modèle de vie » ; la misère humaine que cette politique révèle ne peut que renforcer la conscience prolétarienne de la nécessité d’abattre cet État.

 

Mais quelle est la vérité sur Moro ?

     Nous pensons que l’unique vérité soit la vérité historique, qui est légitimée aux yeux des masses par l’avancement du processus historique réel. Tout le reste n’est que bavardages, versions de parti, diétrologie d’agitateurs. La vérité d’Amato et de Savasta 2 peut-elle être considérée comme une nouveauté ? Que Moro ait été séquestré par hasard ? Soyons sérieux !

     Ce n’est là qu’une version pour les imbéciles, tout juste bonne à cacher l’unique fait certain : la « Campagne de Printemps » a été l’explication d’un projet politique révolutionnaire mis on œuvre par des avant-gardes communistes combattantes, qui visait à désarticuler le projet politique développé par la bourgeoisie avec la « solidarité ». Ce projet bourgeois se donnait pour objectif la pacification réactionnaire de l’affrontement social à travers l’utilisation de l’appareil politique révisionniste comme contrôleur, constructeur du consensus par la force et espion à l’égard de l’antagonisme de classe. Combien cette farce de procès semble ridicule face à ces années de lutte de classe et de lutte armée !

     Une farce construite autour de Via Gradoli 3, autour des fébriles réunions de parlementaires autour des tables bancales de quelque devin à la recherche de fortune, et en général autour des phantasmes créés par le « syndrome du complot ».

     Aujourd’hui, la vérité historique incontestable est sous les yeux de tous !

     Le projet de « solidarité nationale » est définitivement mort et enterré aux cotés de son inventeur, emporté non seulement et non tant par la simple action militaire que par les dynamiques de classe qui ont motivé cette action et qui, à partir d’elle, ont mûri un développement plus avancé. La mise en cage de la classe, de ses tensions et de sa force n’a pas été possible : le projet a failli. Et, avec cette faillite, s’est toujours plus développé dans la conscience de la classe qu’aucun compromis n’est possible entre exploités et exploiteurs, que l’unique rapport entre prolétariat et bourgeoisie est l’affrontement de classe !

     Nous revendiquons cependant le fait que les B.R. ont participé et contribué avec un poids décisif à la destruction de ce projet politique antiprolétarien. Il est donc indéniable que la Campagne de Printemps constitue un moment important du processus révolutionnaire en Italie et en Europe.

     Le nier maintenant est l’objectif de ce procès, et cela s’est avéré impraticable.

     Nous voulons être clairs sur un autre fait, relatif au mandat assigné à l’un de nos avocats de confiance dans ce procès.

     Chacune de nos pratiques a pour effet de produire préoccupation et confusion à la bourgeoisie. Cela s’est répété au moment où quelque chose ne cadrait pas, après huit mois de déroulement des audiences. Ce quelque chose est constitué par la nouveauté du fait qu’un avocat, même de manière limitée, est mis dans la condition d’intervenir sur des aspects déterminés que ce procès représente. Cette préoccupation et cette confusion se sont manifestées par la présence de notoires et hauts gros bonnets de la contre-révolution et par la diffusion officieuse du fait que ce que faisait notre avocat de confiance dans la salle d’audience constituait un délit. Cela est significatif du peu de solidité de nerfs face à quelque chose qui va dans une direction opposée à celle de la bourgeoisie. À partir de là, deux questions se sont posées : si le fait constituait une nouvelle « stratégie » des B.R. dans les procès ou bien s’il était un retour en arrière par rapport à la pratique du « procès guérilla ». Disons tout de suite que les B.R. n’ont jamais eu de stratégie de procès, mais appliquent dans les situations concrètes et spécifiques, et donc aussi dans les procès, leur ligne politique. Ligne politique qui n’a jamais été et ne peut pas être la somme de stratégies singulières. De fait, dans la phase où l’avant-garde doit affirmer la lutte armée comme rupture politique et la guérilla comme moment de cette rupture, nous développions dans les tribunaux une pratique qui tendait à la désarticulation de l’appareil juridique de l’État. Une pratique que nous avons appelé du « procès guérilla », répondant aux objectifs fixés par la ligne politique dans la phase de la « propagande armée ».

     Le changement du cadre politique général, et les tâches différentes qui découlent de la lutte entre prolétariat et bourgeoisie imposent une redéfinition de la ligne politique et de l’agir de l’avant-garde dans toute situation concrète, et donc aussi dans les procès. Face à cette situation, et en présence de nouvelles tâches, le « procès guérilla » ne parvient pas à incider efficacement ni sur le plan de la disfonctionnalisation du procès, ni sur le plan de la propagande et de l’agitation ; il se réduit ainsi, justement parce que les conditions ont changé, à un simple témoignage du passé. Au contraire, dans les procès, tout en étant conscients de leur rôle secondaire, nous ne devons pas manifester un antagonisme idéaliste et abstrait, incompréhensible à la classe, mais être un point de référence concret, politiquement clair et reconnaissable par le prolétariat, une force révolutionnaire qui sait utiliser sa capacité antagoniste non médiable avec les intérêts de l’État, pour être une indication de lutte et de programme. Donc, dans les nouvelles conditions aussi, les procès peuvent être un moment significatif de l’affrontement politique avec la bourgeoisie. À cette fin, il est nécessaire d’assumer la pratique de la politique révolutionnaire, en exploitant toutes les possibilités pour rappeler l’attention de la classe sur les problèmes concrets de la lutte de classe et de son développement. L’avant-garde se sert donc aussi des procès pour intervenir efficacement et désarticuler la manière dont laquelle la bourgeoisie voudrait actuellement les mener, en cherchant à donner d’elle-même une image de puissance et d’efficacité. Et, vice-versa, à donner une image de défaite de l’avant-garde révolutionnaire et de la possibilité révolutionnaire même. Tout cela peut être poursuivi dans les procès par une présence politique active et articulée sur plusieurs niveaux, capable d’entrer dans le vif des contradictions que justement la nature politique des procès produit.

     Nous clarifierons par la suite, afin qu’il n’y ait pas d’équivoques, qu’il ne s’agit pas d’accepter les lois de la bourgeoisie et de se perdre dans les mécanismes juridiques et de procès, mais de déterminer, à chaque fois, l’opportunité d’intervenir dans les diverses contradictions qui se présentent.

     Le processus révolutionnaire, dans chaque pays et à chaque époque, ne suit jamais un parcours linéaire, géométriquement croissant sur lui-même, mais est continuellement marqué par des sauts politiques qui se traduisent par des ruptures avec les précédentes formes de l’affrontement. Des moments où la classe et son avant-garde, portant un patrimoine consolidé de luttes et d’initiatives, doivent affronter une phase nouvelle de recherche, de bataille politique, d’expérimentation.

     C’est aussi notre expérience. La lutte armée naît en Italie aux débuts des années 70 comme hypothèse révolutionnaire pour le communisme. Elle naît donc comme rupture subjective de quelques avant-gardes communistes avec vingt ans de lâche révisionnisme, comme construction d’un point de référence stratégique révolutionnaire enraciné dans la classe. La légitimation de ce choix subjectif venait de la maturité de l’affrontement de classe qui, après les deux années 68/69, avait vu, d’un côté, croître le besoin stratégique de la classe de donner une réponse au problème du pouvoir et, de l’autre, avait vu la nécessité de répondre à la violente contre-attaque bourgeoise mise en œuvre contre le mouvement de classe par la répression, les licenciements d’avant-gardes d’usines, les massacres d’État et les consécutives « chasses au subversif ».

     Ce choix de rupture se manifestait comme initiative combattante pour propager et enraciner dans le prolétariat la conscience de la nécessité et de la possibilité de la lutte armée pour le communisme. Il s’agissait donc d’enraciner une idée-force parmi les avant-gardes de classe, d’une bataille politique parmi les communistes pour définir les contours essentiels d’un projet politique révolutionnaire absent depuis vingt ans. Dans ce cadre, les B.R. ont repris les catégories fondamentales du marxisme-léninisme et mis justement au centre de leur initiative l’agir en Parti, tout en n’étant évidemment pas un parti, et la centralité de la classe ouvrière, comme expression du plus haut niveau d’antagonisme contre le capital. Cela n’était pas une nostalgie livresque, mais une réalité quotidienne et visible. C’est en effet à partir du potentiel de lutte et de la conscience politique du nord, de la Pirelli et à la Fiat, que s’exprime et se concrétise le saut à la lutte armée, le passage nécessaire pour porter cette force à un stade supérieur, à se mesurer au problème du pouvoir.

     Centralité ouvrière, donc, comme synthèse de deux éléments de fond de notre analyse : la méthode marxiste-léniniste qui considère la production capitaliste de plus-value comme centrale, et donc la classe ouvrière comme centrale à l’intérieur du prolétariat métropolitain, et le matériel amassé de force et de proposition politique exprimé par les luttes au cours de ces années, à leur point le plus élevé. Cette capacité de rupture et d’affirmation d’une idée-force a depuis marqué toutes ces douze années de lutte. Cette capacité, que nous avons appelé « propagande armée », est un patrimoine prolétarien que personne ne peut nier ou liquider. L’accumulation de force atteinte à l’intérieur de l’usine par la rupture avec le révisionnisme imposait un nouveau saut politique qui mène cette force accumulée à un stade supérieur. Un saut capable de dépasser les limites des thématiques d’usine et les diverses déviations de l’opérisme et du syndicalisme armé qui existaient dans le mouvement révolutionnaire au cours de ces années aussi. Un saut politique qui transforme ce potentiel en projet global de pouvoir contre l’État. La détermination du projet néo-gaulliste et la séquestration de Sossi matérialisèrent pour la première fois le mot d’ordre de « attaque au cœur de l’État », dans lequel la lutte armée dépassa l’idée-force pour devenir une hypothèse politique stratégique, un point de référence révolutionnaire pour l’ensemble du prolétariat, en plus que pour la classe ouvrière. Si l’on doit relever l’aspect positif de cette période de propagande armée, celui d’avoir posé au centre de l’initiative l’axe stratégique de l’attaque au « cœur de l’État », dans le même temps fut négligé le problème de la tactique et d’une stratégie révolutionnaire qui puisse, dans ce contexte, orienter concrètement l’affrontement de classe. Ou bien l’on se limitait à s’opposer au coup par coup aux projets de l’ennemi, sans cependant expliciter aucun projet prolétarien. Durant ces années, cette limite était peu perceptible, du fait de la nature même des tâches que la guérilla se fixait. Elle est devenue explosive après 1978. Les années qui précèdent la Campagne de Printemps sont des années au cours desquelles l’on vit un développement croissant de l’antagonisme prolétarien. Dans toutes les plus grandes villes italiennes, ce développement se déroula hors des formes d’organisation prolétarienne traditionnelles et institutionnelles. Ce phénomène, que nous avons appelé « autonomie ouvrière », allait bien au-delà du mouvement politique autonome. Ce sont des années au cours desquelles la propagande armée crée une ample dialectique avec les avant-gardes prolétariennes de tous les secteurs de classe, en influençant le débat, la formation politique, les pratiques politiques de lutte. Les luttes ouvrières qui sortaient fréquemment des limites de l’usine, et aussi le mouvement de 77, avec la multiplicité et la radicalite de ses formes, donnaient corps et vitalité à un mouvement antagoniste et à un mouvement révolutionnaire de vastes dimensions.

     Dans le même temps, la bourgeoisie, aux prises avec la crise économique et avec la forte présence de l’antagonisme prolétarien, mettait au point un projet politique articulé qui permette d’affronter la nécessité d’une restructuration globale de la production en cherchant à contrôler, avec toutes les médiations possibles, l’affrontement de classe. C’est à cela que servait l’implication des révisonnistes, à qui était confiée la tâche de construire le consensus prolétarien aux choix du capital, en échange d’un « parfum » de participation au gouvernement.

     En d’autres mots, en plus que dans la conscience subjective des B.R., c’est la réalité même de l’affrontement qui mit sur le tapis l’exigence prolétarienne de « faire sauter » le projet néo-corporatif appelé « solidarité nationale » et de construire la force politique révolutionnaire de toute la classe, capable d’aggréger autour d’une stratégie tout le potentiel révolutionnaire présent. Avec la Campagne de Printemps, les B.R. opèrent la synthèse politique et la rupture subjective nécessaires qui permettent de donner une solution aux deux exigences.

     La D.C. est l’âme noire du système d’exploitation et de pouvoir en Italie, l’ennemi reconnu et attaqué par trente ans de lutte prolétarienne. Moro était le plus important stratège du projet de « solidarité nationale ».

     Comment la bourgeoisie a-t-elle réagi durant la Campagne de Printemps ?

     Elle était coincée entre deux possibilités qui étaient toutes deux des défaites. La Campagne de Printemps avait déjà détruit le projet de « solidarité nationale ». Pour cela, toute possibilité de « sauver ou de ne pas sauver Moro » n’était rien d’autre que le profit des différentes batailles en cours entre les partis pour récupérer à leur propre avantage le « cadavre » de la « solidarité nationale ». Avec la Campagne de Printemps, la capacité de désarticulation atteinte est telle qu’elle exalte et amplifie le rôle politique de la lutte armée à tel point que de nombreuses avant-gardes au sein desquelles sont représentées diverses couches du prolétariat métropolitain font leur la pratique combattante comme forme de lutte avec laquelle donner une plus grande force à leur propre « capacité contractuelle ».

     L’ample développement de la pratique combattante et des luttes autour des B.R. crée un climat de large attente politique. À la lumière de la Campagne de Printemps, les thèses qui défendent la lutte armée pour des secteurs de classe antagonistes particuliers, ou bien comme coordination de la « guérilla diffuse », apparaissent clairement comme inadéquates. Mais, plus que la bataille politique interne au mouvement révolutionnaire, le fait qui compte est que la critique de masse au révisionnisme et à la ligne liquidatrice du « compromis historique » posait le problème de la construction du Parti Communiste Combattant et de la définition d’une stratégie qui, en mettant au centre l’intérêt général de la classe, produise une tactique révolutionnaire adaptée au nouveau contexte.

     Elle posait donc le problème de dépasser la conception limitative d’Organisation communiste combattant, pour que soit assumée la tâche de commencer à recouvrir, avec une stratégie et une tactique révolutionnaires adéquates, l’espace politique que la conscience de classe elle-même à des niveaux de maturité divers, avait contribué à ouvrir. L’espace d’une force politique révolutionnaire et combattante en mesure de diriger l’ensemble de la classe, et non seulement les avant-gardes déjà militantes.

     Paraphrasant Lénine, disons qu’une force politique démontre son sérieux en déterminant sans réticences les erreurs commises, sans craindre les possibles instrumentalisations que l’ennemi peut faire de cette autocritique. Notre devoir révolutionnaire à l’égard du mouvement de classe est de faire ce bilan, afin que se construise une dialectique qui fasse vivre les contenus les plus avancés de cette expérience politique. Il est de notre devoir de défendre ce patrimoine contre tous ceux qui veulent le liquider, quand bien même en se cachant derrière une phraséologie pseudo-transgressive-extrêmiste, néo-anarchiste.

     La conclusion de la Campagne de Printemps nous a mis face à un très vaste antagonisme de classe, différencié dans ses niveaux de conscience, ses pratiques de lutte et ses formes organisées, qui nous déterminait comme moment de référence et comme possible direction révolutionnaire. Un mouvement qui nous demandait : « Que faire ? »

     Nous avons répondu à cette question en lançant le mot d’ordre : « Conquérir les masses sur le terrain de la lutte armée ». Ou plutôt, nous avons proposé à toute la classe les mêmes critères et formules organisationnels qui avaient caractérisé notre bataille politique parmi les avant-gardes communistes. Nous avons proposé la simple extension quantitative de la lutte armée, comme conception essentiellement guérillera du développement du processus révolutionnaire dans notre pays. La lutte armée dans les métropoles recouvre certainement la forme guérillera, mais ne doit pas en assumer la conception. L’assumer dans notre pays a été une erreur.

 

Sur quoi reposait cette erreur ?

     La lourde désarticulation du projet politique de la « solidarité nationale » avait remis en discussion les équilibres entre les bourgeois et entre les classes. Au-delà des déclarations belliqueuses des notables D.C., il apparaissait clairement que personne n’était en mesure de se proposer comme médiateur des coteries internes, mais surtout que personne n’était capable de formuler une proposition politique de longue haleine. Au cours des années suivantes, la « solidarité nationale » a en effet toujours plus été un « esprit » qui évoquait un projet politique mort et enterré. C’était là un fait concret et indiscutable. Tout comme l’était la fin de l’illusion berlinguerienne. Une donnée de fait que nous interprétions cependant comme l’épuisement de l’usage de la médiation politique interclassiste par la bourgeoisie. Nous en arrivions à dire que : « Dans les nouvelles conditions crées par la Campagne do Printemps, la bourgeoisie est contrainte à transférer ouvertement sur le terrain militaire le même contrôle qu’elle réussissait jusque là à exercer à travers les appareils politico-syndicale-idéologiques. »

     Cette manière de raisonner équivalait à nier que l’État, même gravement défait sur un projet politique précis, n’en continuait pas moins pour autant à assumer la fonction de régulateur bourgeois de l’affrontement social, à travers un calibrage d’interventions tant politiques que militaires. À tel point que la bourgeoisie, tout en ne réussissant pas à définir un nouveau projet politique global, réussissait malgré tout à prendre des initiatives, quand bien même contradictoires et à court terme, sur les nœuds de la politique économique et de la politique institutionnelle, et en retrouvant l’unité des forces politiques sur les soi-disant lois « anti-terrorisme » ou bien sur l’ensemble des mesures d’attaque tant contre la lutte armée que contre les formes consolidées de l’antagonisme prolétarien (comme la mobilisation de rue.) 

     De cette manière, nous avons perdu la capacité de déterminer et d’attaquer le projet politique qui constitue le vrai « cœur de l’État » et nous nous sommes engagés sur la voie de l’attaque aux structures de l’État, au réseau de ses articulations et de ses appareils. Une telle conception a produit deux erreurs symétriques et complémentaires sur le terrain de la pratique combattante où elle a fragmenté et intensifié l’initiative en la menant à reproposer l’intervention sur la D.C., les corps militaires et les chefs d’ateliers, sur le terrain de la direction du mouvement antagoniste où elle a limité la possibilité concrète de dialectique politique qui s’offrait à nous uniquement aux niveaux de mouvements qui pratiquaient déjà des formes de lutte armée. De ce fait, nous ne situions pas au centre de notre activité politique tous les niveaux de conscience et d’organisation prolétarienne qui, tout en n’assumant pas encore la pratique armée, se situait toutefois comme mouvement hors et contre les représentations parlementaires actuelles, hors et contre la politique bourgeoise. Le rapport entre qui, comme les B.R., agissait en parti révolutionnaire et la classe se dégradait et se limitait au rapport organisation-mouvement révolutionnaire, un rapport qui ne réussissait pas à voir le rôle décisif des masses dans l’affrontement politique général. À cela, l’analyse erronée de la crise capitaliste contribuait organiquement. La vision de la crise comme crise irréversible, permanente, servait de fond à la fin de l’existence de la politique dans le rapport d’affrontement entre les classes. La précipitation imminente des conditions de vie aurait contraint la classe à empoigner spontanément les armes pour défendre leurs besoins immédiats. Cela mène finalement à la vision de la lutte armée comme le tout de la politique révolutionnaire dans la métropole. À la fin de cette pente idéaliste, se situe la conception déformée de la réalité actuelle comme « guerre sociale totale », si bien illustrée par la pratique du « Parti-Guérilla ».

     C’est à ce point que l’idéalisme subjectiviste trouve l’accasion pour s’affirmer aussi au sein des B.R. Une fois perdue la possibilité de déterminer le projet politique dominant de la bourgeoisie, la ligne politique « conquérir les masses sur le terrain de la lutte armée » se concrétise comme pratique combattante sur les besoins prolétariens particuliers, comme propagande pour vaincre sur les besoins. Un tel dispositif théorique a produit la conception appelée « système du pouvoir rouge ». La caractéristique commune à toute cette construction théorique était la pratique armée, ce qui nous a amené à osciller continuellement entre le fait d’assumer comme unique référent les aires de mouvement déjà combattantes et le fait de considérer comme « sur le point de s’armer » les mouvements de masse qui s’opposaient et qui s’opposent aux procès de restructuration de la bourgeoisie. En d’autres termes, en parlant à tort et à travers de masses armées, nous nous sommes limités à des structures combattantes plus ou moins restreintes, ou nous voyions ces dernières comme l’anticipation du parcours que les masses auraient dû parcourir.

     Ce n’est pas là le parcours de la révolution dans les métropoles !

     Concevoir la lutte armée comme « forme de lutte », comme une manière de vaincre sur les besoins particuliers, a été la base théorique qui a d’abord mené au morcellement des initiatives politiques, puis aux scissions organisationnelles. Voyons pourquoi. Le prolétariat métropolitain n’est pas une totalité homogène, une somme de figures indistinctes et équivalentes, mais un ensemble de figures différenciées par leur propre position dans le procès de production et reproduction des rapports sociaux capitalistes. Ce sont des différences qui pèsent dans la compréhension des réels rapports existants, de sa propre disposition comme couche de classe particulière. Chaque couche du prolétariat a donc un ensemble d’exigences matérielles, culturelles et politiques (que l’on appelle généralement besoins), qui, d’un côté, l’identifient et la socialisent de manière précise et, de l’autre, la différencient de toute autre couche. Le fait de mettre au centre de l’initiative les « besoins » plutôt que l’attaque au projet politique dominant mène à diviser les initiatives elles-mêmes, en les claquant sur les différentes particularités. Et c’est ce qui s’est vérifié.

     À partir de 1980, chaque colonne de l’Organisation située dans les pôles métropolitains a affronté le problème de l’enracinement dans les situations en assumant certaines contradictions qui s’exprimaient localement, contradictions différentes d’une ville à une autre. Un plus grand enracinement et la désagrégation de la ligne politique sont allés de pair.

     Privée d’une ligne politique qui saisisse la contradiction principale (celle entre mouvement de classe et pratiques de la bourgeoisie) et l’aspect principal de cette contradiction, c’est-à-dire le projet politique dominant dans une conjoncture donnée, privée donc d’une identité de ligne, de stratégie générale, mesurée sur la situation concrète, l’Organisation Brigades Rouges a fini par assumer autant d’identités qu’il y avait de pôles principaux d’intervention. Les scissions de 1981 sont le couronnement organisationnel d’un processus de fragmentation politique en œuvre depuis longtemps.

     Pour renverser ce processus de désagrégation, il était donc nécessaire d’établir le rôle politique de direction qui se fonde principalement dans la détermination du projet politique dominant de la bourgeoisie. Celui-ci se saisissait dans l’aggravation de la crise de l’impérialisme qui le contraignait à une fonction toujours plus agressive dans les différentes aires de la chaîne impérialiste. En déterminait dans le rôle de l’O.T.A.N. en Europe et en Italie et de ses liens politico-militaires, en particulier dans notre pays, rôle qui devenait par conséquent celui d’augmenter les dépenses militaires aux dépens des dépenses sociales et, en général, celui d’attaquer les conditions d’existence du prolétariat.

     Il a certainement été correct d’exercer, avec l’opération Dozier, la fonction d’avant-garde qui a restitué une identité politique au « B.R. pour la construction du P.C.C. », aussi parce qu’elle se situait en stricte dialectique avec les initiatives combattantes développées par les autres forces révolutionnaires dans toute l’Europe. Mais, en attaquant l’O.T.A.N., en privilégiant le seul aspect de désarticulation du projet ennemi, selon la vieille conformation, sans se rapporter concrètement et politiquement à l’activité générale des masses, nous avons épuisé notre initiative dans un affrontement frontal (et dans ce cas perdant) avec l’appareil impérialiste. Et sans assumer, vice-versa, aussi la direction des mouvements de lutte qui, dans les usines et dans les rues, commençaient à recouvrir une physionomie précise, objectivement anti-impérialiste. L’opération naît et meurt dans la mer de problèmes mal posés qui l’accompagnait. La défaite subie avec l’opération Dozier et la vague d’arrestations qui l’a suivi grâce aux traîtres, la disparition contemporaine d’autres hypothèses guérilleras, nous a imposé de remettre en discussion, comme organisation communiste combattante, la vieille configuration politique générale, des nœuds théoriques à la ligne politique. En bref, la définition du rôle que doit avoir la lutte armée dans l’organisation et la direction du processus révolutionnaire en Italie.

     Au cours de la dernière année, les « Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant » ont commencé à prendre conscience de l’épuisement de la validité et de l’inadéquation générale d’une configuration théorico-politique qui, dans la pratique sociale, a donné place aux principales variantes de l’idéalisme subjectiviste. Elles ont donc commencé à rechercher le « Que faire ? » pour construire la nouvelle configuration, en critiquant dans les faits une configuration linéariste et progressive et en retrouvant le concept de processus révolutionnaire ininterrompu et par étapes. Un processus qui comprend des victoires et des défaites, des reculs et des avancées : un procesus qui ne peut être mesuré uniquement avec le développement de la forme-guérilla.

     De manière générale, nous n’avons pas placé au centre de l’autocritique les « écrits de l’Organisation », mais nous avons plutôt relu notre pratique sociale, notre rapport avec les masses, notre élaboration théorique, à partir de la récupération révolutionnaire du marxisme-léninisme. 

     L’initiative combattante est, aujourd’hui plus que jamais, la condition de l’existence et du déploiement de la politique révolutionnaire, justement parce que l’initiative armée, si elle se réfère exclusivement à la forme-guérilla, à ses projets et contenus révolutionnaires, n’a pas de capacité offensive concrète. À la longue, elle devient endémique et peut donc être facilement anéantie par l’État. Ce n’est pas par hasard que toutes les formes de guérilla qui ont dérapé sur la pente de l’idéalisme subjectiviste, si ce n’est tout bonnement sur celle du terrorisme pur et simple, ont non seulement été complètement anéanties, mais leur activité a été durement critiquée par le mouvement révolutionnaire et considérée comme étrangère par le mouvement de masse antagoniste.

     Pour pouvoir construire une configuration théorico-politique et une nouvelle ligne, les « B.R. pour la construction du P.C.C. » ont proposé la « retraite stratégique » 4 pour replacer au centre de l’initiative l’activité générale des masses. La proposition de « retraite stratégique » était cependant adressée aux organisations communistes combattantes et non à la classe, justement parce que l’on avait constaté l’arrièration, et donc l’absence de réelle direction de ces organisations, à l’intérieur desquelles, comme le dit Lénine, « il y a des gens qui sont prêts à présenter les insuffisances comme des vertus, et même à tenter de justifier théoriquement leur propre soumission servile à la spontanéité ». Une retraite, donc, d’une position qui n’était pas réellement avancée (comme quelqu’un l’a bêtement pensé), qui était une position concrètement inadéquate aux nouvelles tâches de la phase et donc, en dernière instance, à la traîne des masses. Se retirer dans les masses n’a cependant jamais signifié « se dissoudre dans le mouvement pour repartir à zéro », ni abandonner la stratégie de la lutte armée pour le communisme. Cela a au contraire signifié reconquérir la confiance et la solidarité de la classe, cela a signifié reconstruire la direction politico-militaire à l’intérieur de la classe, en se rapportant aux différents niveaux de l’antagonisme, sans pour autant perdre l’autonomie relative de notre Organisation. Cela a signifié éviter des erreurs encore plus graves que celles commises précédemment : abandonner une configuration qui, en ne plaçant pas au centre l’activité générale des masses, était évidemment arriérée par rapport à la demande croissante de direction révolutionnaire posée objectivement par le mouvement antagoniste.

     En ce sens, l’Organisation a entamé un processus de critique - autocritique - transformation au sein du mouvement révolutionnaire et du mouvement antagoniste du prolétariat métropolitain : elle a analysé la nature des erreurs pour chercher à les dépasser et pour se mesurer, à travers la définition d’une politique révolutionnaire, à la réalité concrète dans laquelle vit, et dans laquelle est possible et nécessaire, le développement de la révolution prolétarienne.

     Dans la dialectique continuité-rupture par rapport à la pratique sociale, dans les dernières années, l’Organisation a donné la priorité à la rupture pour abandonnor une configuration théorico-politique traversée par de profonds vices d’idéalisme subjectiviste, et qui n’était pas basée sur l’analyse concrète de la réalité concrète. La rupture avec les erreurs du passé implique aussi de récupérer la continuité avec l’histoire des B.R., avec leur pratique sociale de combat, qui a marqué ces dix années de lutte de classe en Italie, en récupérant en particulier cette pratique plus significative et plus efficace politiquement qu’est la Campagne de Printemps, qui a donné force et originalité au développement possible du processus révolutionnaire dans la métropole impérialiste.

     Ceci ne veut pas dire continuer sur la ligne de la propagande armée, pratique qui s’est objectivement épuisée avec cette Campagne, mais réévaluer et exalter la force politico-militaire que représente le fait de porter l’attaque « au cœur de l’État » dans cette conjoncture, de désarticuler un cadre politico-institutionnel.

     Ce patrimoine ne peut être annulé par la reddition d’une poignée de traîtres, ni encore moins par la ligne liquidatrice portée par une patrouille de « santons » convertis au rôle de « nouveaux philosophes ». On ne peut pas annuler un parcours historiquement déterminé de la lutte de classe que l’on ne peut effacer de la mémoire historique du prolétariat.

     Cela a été la signification de notre choix de « retraite stratégique », pour reproposor aujourd’hui un dispositif actif et combattant au sein de ces tâches nouvelles et complexes de cette phase du processus révolutionnaire.

     Les éléments acquis au cours de ce débat suffisent à permettre la reprise d’une initiative politique et combattante qui place au centre l’activité générale des masses. 

     Avant de poser des points de référence pour un projet politico - révolutionnaire, il faut entrer au cœur de l’analyse de cette phase, en analysant les vieilles confusions et approximations.

     La crise actuelle est une crise générale du mode de production capitaliste, elle est une crise de surproduction absolue de capital qui dure depuis plus d’une décennie. La crise générale caractérise donc la phase historique actuelle, dans laquelle l’exigence capitaliste de reprise de l’accumulation, et le saut en conséquence de la composition organique du capital, qui soit capable de valoriser au maximum la révolution technologico-industrielle contemporaine (qui est, du reste, déjà en œuvre), ne peuvent être donnés que par la destruction des forces productives surproduites et des moyens de production dépassés, tant en termes de valeur qu’en termes physiques.

     Les exigences du capital, mises à nu par la crise, induisent dans le système impérialiste une série de réponses économiques, politiques et militaires : en un mot, de projets politiques globaux qui visent à dépasser la crise même. La mise en pratique de ces réponses globales provoque des oppositions et des affrontements qui témoignent de l’aiguisement de la contradiction principale entre bourgeoisie impérialiste et prolétariat international, et de toutes les contradictions interimpérialistes et, parmi celles-ci, surtout celle entre l’aire à domination américaine et le social-impérialisme.

     Une fois encore, la tentative bourgeoise de dépassement de la crise générale du capital prend la forme de la guerre. Et donc, aujourd’hui, comme perspective de la guerre interimpérialiste. Si c’est là la tendance, c’est-à-dire l’issue obligée, la perspective dans laquelle se meut l’ensemble des dynamiques de restructuration capitalistes dans cette crise, cette affirmation doit cependant être précisée, en clarifiant à quel stade du processus de mûrissement de la perspective de guerre l’on se trouve.

     En effet, la guerre n’est pas une explosion de violence improvisée et imprévisible, mais la conclusion obligée d’un processus complexe au cours duquel les caractéristiques fondamentales de chaque formation économico-sociale se modifient globalement.

     En d’autres termes, chaque guerre mûrit dans cet ensemble de modifications même si le motif de déclenchement ou le lieu d’explosion sont fortuits, non prédéterminés par les parties en cause. Il est fondamental de définir en termes conjoncturels l’état concret de mûrissement de la tendance à la guerre pour esquisser une stratégie révolutionnaire et une tactique qui se base sur l’analyse concrète d’une situation concrète. En parlant de « tendance à la guerre », nous entendons la guerre entre l’impérialisme à dominante américaine et l’aire à dominante soviétique. Nous estimons donc que toute conception qui parle d’une guerre entre « système impérialiste mondial » et « prolétariat mondial » est absurde et déviante. Non parce qu’un impérialisme serait préférable à l’autre, mais plutôt parce que l’essence de l’impérialisme est d’être « l’époque de la guerre entre les grandes puissances pour l’intensification et l’accroissement de l’exploitation des peuples et des nations » (Lénine).

     En regardant les éléments qui caractérisent la conjoncture internationale actuelle, nous voyons que la récession productive constitue le principal phénomène économique. Récession veut dire mise à zéro ou, carrément, inversion des taux de croissance des activités productives. Et donc, diminution relative et absolue de la masse de marchandises produites, d’usines ouvertes, d’ouvriers employés, de capital opérant comme tel. Une récession aggravée par la restructuration technologique contemporaine et par les politiques de réduction de l’inflation. La gestion contrôlée de la récession constitue actuellement le « credo » économique de l’immense majorité des pays à capitalisme avancé. Mais, comme toutes les politiques « anticycliques », elle peut aussi constituer un élément freinant dans l’immédiat, mais elle amplifie et multiplie, sur le long terme, les caractères fondamentaux de la tendance dominante : la guerre impérialiste.

     La plus grande partie des procès de restructuration en cours qui opèrent dans tout l’Occident constitue un ensemble contradictoire d’initiatives dont la réalisation fait de toutes façons effectuer des sauts en avant concrets dans la perspective de la guerre, et que nous définissons comme « procès de restructuration en cours pour la guerre impérialiste ». C’est donc un procès qui naît de la nécessité, pour chaque capital particulier, de découper sa propre part de marché et de profits dans les marges d’une concurrence plus impitoyable et, pour cela, d’abaisser le niveau des coûts à un niveau moyen qui permette de continuer à exister comme capital. Mais, dans le même temps, ce procès n’est pas seulement spontané, mais se ressent d’une concertation internationale sur les éléments fondamentaux du flux des commerces et des marchés financiers. Les États sont donc les centres névralgiques où les diverses fractions de la bourgeoisie, autochtone et multinationale. et les représentations plus ou moins institutionnalisées du prolétariat médient leurs intérêts contradictoires en définissant les conditions générales, le « milieu économique » le plus adapté à exploiter la classe et à étendre la concurrence. La « restructuration pour la guerre impérialiste » n’est donc pas exclusivement économique. mais globale : elle bouleverse tout l’équilibre des formations économico-sociales de l’aire impérialiste.

     En Italie, les nœuds sur lesquels se définit le sens général de ces procès sont représentés par une restructuration de l’État :

     — sur le plan économique : l’adoption d’une politique déflationniste, qui détruit les mécanismes de défense automatique des conditions d’existence du prolétariat (comme l’échelle mobile), une politique économique qui inverse la priorité des dépenses, en réduisant de manière drastique toutes les dépenses d’assistance, de la santé aux retraites, des allocations à la cassa integrazione, dans le cadre d’une réduction des dépenses publiques, mais d’une augmentation, dans le même temps, des dépenses militaires et des investissements pour les restructurations.

     — sur le plan militaire : le fait d’assumer une fonction impérialiste active en Méditerranée, au Moyen-Orient et dans la Corne d’Afrique. Ce qui implique, en plus de l’augmentation des dépenses militaires, la redéfinition d’une stratégie internationale de l’Italie.

     — sur le plan institutionnel : où interviennent des modifications cohérentes avec la nécessité de rendre de telles transformations générales opérationnelles. Ce qui veut dire la fin de la poIitique de médiation interclassiste entre accumulation et distribution sociale : ce qui se traduit immédiatement par une attaque générale contre la classe, pour la battre tant sur le terrain des conditions de vie que sur le terrain politique. Cet aiguisement de l’affrontement a des conséquences sur le cadre politico-institutionnel et bouleverse la structure même des institutions étatiques, la sphère juridique, le rôle des appareils préventivo-répressifs, etc. En conséquence, le scénario politique subit lui aussi une polarisation autour des stratégies possibles. D’un côté, nous voyons apparaitre toujours plus clairement un tas de coteries qui s’aggrègent autour d’une ligne politique globale, en harmonie avec les exigences générales de l’impérialisme. Le rapport entre cet ensemble et la politique reaganienne n’est pas, comme nous l’avons simplifié par le passé, un rapport de dépendance mécanique. Il consiste plutôt à faire siens les intérêts impérialistes globaux, à tenter d’imposer dans la formation économico-sociale italienne les modifications déjà harmonisées avec ces intérêts, à mettre sur pied un projet politique articulé. Il ne s’agit cependant pas d’un groupe de « fonctionnaires de l’empereur », mais d’un personnel politique qui se propose comme régent et allié fidèle.

     C’est cet ensemble que nous appelons « parti de la guerre ».

     Non parce qu’il serait identifiable avec un parti ou banalisé en une série de structures et d’institutions. Mais parce qu’il se polarise autour de quelques éléments généraux de projet politique, à travers lequel il est possible d’harmoniser la politique italienne avec la perspective dominante accélérée par la politique américaine actuelle.

     Nous identifions dans les divers Merloni, De Mita, Craxi, Lagorio, Benvenuto 5, les chefs de file du « parti de la guerre », certes pas comme secrétaires d’un « super-parti », mais comme principaux dirigeants politiques qui, autour du projet impérialiste, luttent, entre eux aussi, pour imposer l’hégémonie d’une ligne particulière. La conquête du leadership du « parti de la guerre » est une bataille où tous les coups sont permis, et qui trouve un terrain fondamental dans le rapport privilégié avec l’administration Reagan et une destination de pèlerinage quotidien dans la Maison Blanche. En cela, De Mita et sont équipe se font la part du lion, tout comme le P.S.I. en a même trop fait quant il a attisé la polémique sur les « pistes de l’Est ».

     Sur le front interne, la D.C., alors qu’elle cherche un rapport organique avec le grand patronat et trouve en Merloni un répondant idéal, est à son tour contrainte à se restructurer comme parti et comme système de pouvoir, à pas comptés, puisqu’elle doit rompre avec dix ans de recherche de la gouvernabilité par le consensus. Dans ce passage, elle impose au P.S.I. de se situer sur le fond, en l’attaquant et en lui soustrayant le terrain sur lequel Craxi et sa bande avaient fondé leurs prétentions au rôle de régents : le rapport privilégié avec la grande bourgeoisie financière et industrielle.

     Les contenus essentiels du programme sur lequel s’aggrège ce « parti de la guerre » sont sous les yeux de tous. Le gouvernement Fanfani lui-même, en effet, après une première fanfaronnade programmatique, n’a pas du tout fait marche arrière en opérant des médiations, mais a au contraire effectué, avec d’opportuns dosages, un consistant pas en avant dans le démantèlement de l’État assistentiel. Si, d’une part, ces dosages sont rendus nécessaires par la forte opposition de classe (avec qui l’affrontement politique est toutefois anticipé et recherché), de l’autre, ils jouent la médiation avec la nécessité de sélectionner avec soin les aires et les intérêts qui sont à frapper à l’intérieur même des blocs sociaux qui soutiennent les partis de gouvernement.

     L’augmentation des dépenses militaires éclaire parfaitement la nature et la direction dans laquelle vont les procès de restructuration en cours. On cheche à construire une société « austère », où les coûts de reproduction sociale du prolétariat doivent être comprimés au maximum, et dont l’unique perspective est la participation active à la guerre interimpérialiste. L’armée italienne elle-même est conçue, en perspective, comme armée d’« expéditions », parfois sous l’étiquette de la « paix », et non plus comme « arrière-pays » de l’O.T.A.N. et comme « défense des frontières ».

     Dans la logique du « parti de la guerre », la politique de la Confindustria et la politique du gouvernement tendent à coincider dans les finalités et à se coordonner réciproquement dans les gestions de leur compétence. L’irrésistible affirmation de la politique du « parti de la guerre » a contraint la gauche institutionnelle à régler ses comptes avec la défaite de la ligne du « compromis historique », ligne qui a provoqué des dégâts incalculables dans le tissu prolétarien, en se faisant complice d’une furieuse attaque contre l’antagonisme prolétarien et la politique révolutionnaire qui, dans cette conjoncture, orientait la classe contre la D.C. et le projet néocorporatif.

     Cette nouvelle disposition du cadre politique conformera et sera conformée par l’affrontement de classe, et s’aiguisera sous la poussée des procès de restructuration.

     La « nouvelle » stratégie du P.C.I. est l’alternative démocratique. Cette hypothèse dans son imprécision se base sur la possibilité technique que s’affirme, dans le cadre d’alliances de l’O.T.A.N., une ligne autonomiste et de « gauche » européenne, capable de pousser à ce que prévale une politique de détente entre Est et Ouest, en mesure de rompre avec la bipolarisation. Sur le plan intérieur, les éléments de programme, de politique économique, etc., que soutient cette hypothèse, prétendent « faire face, en créant dans le même temps les conditions nouvelles pour le développement des forces productives ».

     En substance, alors que l’on repropose les « réformes » (peut-être une nouvelle fois de « structure »), on va à la recherche d’une nouvelle disposition des forces qui les soutiennent. Pour ce faire, on pousse d’un côté à la recherched’un rapport unitaire avec le P.S.I., et de l’autre, on met en œuvre des initiatives qui visent à récupérer les tensions du prolétariat et des mouvements antagonistes qui en érodent la base sociale. Le P.C.I. se trouve entraîné d’un côté à la reprise d’un rapport avec le P.S.I. et, de l’autre, à la tentative d’hégémoniser, en soutien à son hypothèse, les mouvements contenus qu’ils expriment. Et ceci tant sur le terrain de l’opposition à la politique économique du gouvernement que sur le terrain des contenus antiimpérialistes (paix, désarmement, etc.). Ainsi, dans l’hypothèse même d’alternative, un ensemble de contradictions se meut dès le début, qui commencera bien vite à macérer à l’intérieur du P.C.I., entre le P.C.I. et les autres forces de la gauche institutionnelle, mais surtout entre le P.C.I. et la classe. Du point de vue de classe, la nouveauté qu’une telle situation politique introduira dans l’affrontement pour les prochaines années doit être comprise et suivie. En premier lieu parce que la défaite (historique, celle-ci) du compromis avec la D.C. imposera au P.C.I. et à une partie du syndicat une politique d’affrontement sur les nœuds principaux. L’effritement contemporain de la chape créée par la « solidarité nationale » créera des conditions favorables au développement de l’autonomie ouvrière, en ouvrant des espaces objectifs pour une politique révolutionnaire qui sache définir son programme autour de ces nœuds et déterminer la force prolétarienne avec laquelle se dialectiser sur les terrains de l’affrontement actuel.

     Dans ce cadre général d’attaque politique et matérielle portée par le « parti de la guerre » contre le prolétariat, l’affrontement de classe va donc au-delà du différend sectoriel, de couches prolétariennes particulières, pour se situer au niveau auquel se redéfinit le rapport entre l’État et la classe. C’est là une donnée objective que la classe a saisi ces jours-ci, en déplaçant le terrain d’affrontement du spécifique de l’usine à l’opposition générale à la bourgeoisie, pour construire un rapport de force qui pèse réellement sur l’ennemi principal de ce moment : la politique économique du gouvernement. Face à l’attaque politique contre tout le prolétariat, la classe, et principalement la classe ouvrière, répond sur un terrain politique de pouvoir, fait apparaître dans la pratique la nécessité de s’opposer comme classe et non comme secteurs particuliers et dispersés. Contre les aspects immédiats de la restructuration politico-militaire, et donc contre les conséquences concrètes qui découlent du rôle qui est confié à l’Italie dans le dispositif de l’O.T.A.N., un vaste mouvement de masse contre l’installation des euromissiles et le doublement des dépenses militaires s’est aussi formé en Italie.

     Par sa valeur objectivement anti-impérialiste, ce terrain apparaît comme un important obstacle établi par les masses à la politique impérialiste dans la zone, et donc en opposition à l’État. De ce fait, il est dans le même temps un terrain fondamental de développement d’une politique de classe révolutionnaire et anti-impérialiste, parce qu’il ne peut y avoir aucune stratégie révolutionnaire qui ne tienne pas compte de l’appartenance à l’O.T.A.N., et donc qui ne mûrisse pas en son sein et avec la classe la conscience que tout processus de libération du prolétariat métropolitain de l’exploitation ne peut intervenir qu’à travers une dure et longue lutte contre la guerre et la barbarie impérialistes, qui mène l’Italie hors de la chaîne impérialiste.

     Ce terrain est aussi le terrain sur lequel se reconstruit un authentique internationalisme prolétarien qui, par les caractéristiques de masse qu’il peut et qu’il doit recouvrir, ne peut être contenu et circonscrit dans les seules formes combattantes.

     Le procès de restructuration en cours traverse aussi, évidemment, la sphère répressivo-préventive, bouleversant le droit bourgeois lui-même, introduisant la torture et organisent la police et les carabiniers en bandes spéciales.

     Cette redéfinition des appareils répressifs et préventifs est aujourd’hui tournée contre le mouvement révolutionnaire, mais ils seront dirigés, dans l’affrontement de classe, en termes différenciés, contre toute la classe. Cette redéfinition dirige aujourd’hui ses initiatives en particulier sur la prison et manœuvre pour liquider l’hypothèse révolutionnaire de la lutte armée pour le communisme.

     Le plan sur lequel se déroule l’affrontement est donc un plan politique général. Par les contenus des politiques contre lesquelles la classe est en train de lutter, c’est un plan qui est objectivement un plan de pouvoir. La conscience avec laquelle la classe descend sur ce terrain est cependant conformée par la position politique qui est encore hégémonique dans la classe, et donc par le P.C.I. qui tente d’orienter la lutte prolétarienne sur le terrain démocratico-réformiste, destiné à la faillite, vu le cadre de relations intérieures et internationales actuel. Pour la classe, vaincre ou perdre dans cette conjoncture se mesure d’un côté dans la capacité de généralisation de la résistance à l’attaque, d’entraver et de s’opposer au projet de restructuration actuel afin qu’il ne passe pas. Dès aujourd’hui donc, la spontanéité prolétarienne exprime son activité générale en luttant contre les mesures spécifiques de la restructuration pour la guerre : contre la politique économique de l’Exécutif, contre le doublement des dépenses militaires, l’installation des euromissiles et la perspective de la guerre.

     On peut prévoir l’aiguisement de l’affrontement de classe sur ces terrains dans le proche futur, étant donné que les mesures contre lesquelles on lutte aujourd’hui ne sont que des aspects d’une restructuration qui est encore toute à déployer comme attaque à venir contre l’emploi, le coût du travail et les dépenses sociales, mesures qui auront comme contrepartie la multiplication des bases de l’O.T.A.N. et des bases de missiles, en même temps que la croissance de la militarisation et du contrôle social.

     L’autre aspect sur lequel se mesurent les victoires et les défaites de la classe est la capacité de l’avant-garde communiste combattante à opérer dans cette résistance pour faire effectuer un saut au mouvement de classe contre la politique impérialiste.

     Opérer dans cette résistance signifie en premier lieu déterminer le projet politique dominant de la bourgeoisie impérialiste et la manière dont il se matérialise dans la conjoncture. L’initiative combattante doit être dirigée contre ce projet, pour recomposer tout l’antagonisme prolétarien actuellement fractionné en divers mouvements aux contenus spécifiques et différenciés. On peut et l’on doit réunifier et orienter le mouvement prolétarien antagoniste, afin qu’il s’oppose consciemment et unitairement contre ce même projet contre lequel il lutte actuellement de manière partielle et sur des aspects spécifiques. La politique révolutionnaire est alors précisemont cette capacité à exercer une direction politique en plaçant au centre l’activité générale des masses, et en opérant au niveau des contradictions à partir de la pratique combattante. Le travail parmi les masses ne part donc plus de l’indication « conquérir les masses sur le terrain de la lutte armée ». Il se propose au contraire d’orienter toutes les pratiques de lutte possibles et pratiquées par la classe, en généralisant et en reproposant les plus mûres dans leurs formes de masses, contre la contradiction de la conjoncture. La politique révolutionnaire est donc un ensemble complexe de pratiques différentes, qui comprend le combat, la critique, l’élaboration théorique, l’agitation, le travail d’organisation des masses aux niveaux et des manières historiquement possibles, etc. Mais elle est un ensemble de pratiques révolutionnaires parce qu’elles se situent toutes et unitairement dans une stratégie de conquête du pouvoir politique et dans la tactique de conjoncture qui en découle.

     Le caractère global des procès de restructuration est tel que sous la poussée de la sphère économique, le « politique » tend, avec toujours plus de force, à assumer le caractère dominant : ainsi, alors que le rapport entre classe et État se transforme, ce dernier se profile avec netteté dans le devenir et l’affrontement, opposant avec clarté les intérêts impérialistes aux intérêts prolétariens.

     C’est pour cela que nous réaffirmons que, dans cette phase, la question de l’État se pose avec force et clarté, et donc la question de la construction d’une stratégie révolutionnaire pour la conquête du pouvoir politique. C’est justement cette prédominance du caractère politique de l’affrontement qui nous fait réaffirmer avec une plus grande force la validité et la nécessité pour la lutte prolétarienne révolutionnaire de construire le Parti Communiste Combattant.

     Avec ces points synthétiques, points d’analyse de la phase et de la conjoncture, nous ne prétendons pas épuiser la compréhension des tâches révolutionnaires, et donc de les assumer nous seuls dans le cadre d’un projet défini et articulé à lancer aux masses.

     Nous voulons plus simplement, avec tangibilité révolutionnaire, établir un rapport avec les masses, avec leurs avant-gardes de lutte et avec le mouvement révolutionnaire un rapport nouveau au sein duquel construire une proposition politique révolutionnaire adaptée à la phase, pour interpréter l’antagonisme prolétarien et l’orienter vers l’unique solution positive et historiquement possible : la conquête du pouvoir politique.

     Nous voulons donc être extrêmement clairs sur ce point : notre Organisation ne constitue pas le « noyau fondateur » du Parti Communiste Combattant, même si elle agit, et veut agir, activement pour en promouvoir la constitution.

     Multiples sont les forces et les aires révolutionnaires qui reconnaissent la nécessité d’un authentique parti du prolétariat métropolitain, et avec lesquelles la confrontation est non seulement possible, mais nécessaire.

     Les formes et les structures du Parti découlent des tâches stratégiques et tactiques d’un processus révolutionnaire historiquement déterminé dans l’anneau-Italie.

     Il s’agit donc d’un Parti dont la pratique sociale et combattante générale est basée sur la politique révolutionnaire nécessaire pour faire vivre le général dans chaque particulier de l’activité de la classe : c’est-à-dire pour faire vivre dans le prolétariat métropolitain un programme général qui, faisant siens les intérêts politiques généraux posés par les masses, dirige et organise, dans chaque conjoncture, la lutte et le combat prolétariens contre les aspects principaux de la « restructuration pour la guerre impérialiste ». Un programme qui, dans chaque conjoncture, construise et atteigne une étape du processus révolutionnaire.

     En tant que militants des « Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant », nous proposons à une vaste aire de forces révolutionnaires et d’avant-gardes de la classe, une confrontation politique qui vise à redéfinir une politique révolutionnaire qui réussisse concrètement à généraliser et à réunifier les luttes prolétariennes, à développer et à renforcer les mouvements de masses, et à orienter l’activité générale des masses contre les piliers fondamentaux de la « restructuration pour la guerre impérialiste » et contre le « parti de la guerre ».

     En pratique, pour arriver à faire assumer un programme révolutionnaire et anti-impérialiste cohérent par les masses, et donc en réussissant à synthétiser ce qui émerge et vit, même de manière dispersée, dans les mille expressions de lutte et dans les mots d’ordre spontanés des cortèges prolétariens.

     Il s’agit de contribuer à construire une politique révolutionnaire qui ait la capacité d’intervenir avec un programme général dans les mille rigoles des spécificités dans lesquelles s’exprime la conflictualité prolétarienne pour que rien ne soit dispersé des potentialités de la classe, précisément dans un moment où la bourgeoisie impérialiste cherche à fragmenter la résistance de la classe elle-même, pour que chaque miette de la résistance prolétarienne contribue à réaliser le maximum de force contre les pivots centraux de la politique de l’ennemi principal.

     TRAVAILLER À L’UNITÉ DES COMMUNISTES POUR LA CONSTRUCTION DU PARTI COMMUNISTE COMBATTANT !

     LUTTER ET COMBATTRE POUR REPOUSSER L’ATTAQUE CONTRE LA POLITIQUE RÉVOLUTIONNAIRE !

     TRAVAILLER À UNIR, ORGANISER, ORIENTER LA LUTTE DE LA CLASSE ET LA PRATIQUE COMBATTANTE CONTRE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE DU GOUVERNEMENT, CONTRE LES POUSSÉES AU RÉARMEMENT ET LES DÉPENSES MILITAIRES, DANS LA PERSPECTIVE DE LA CONQUÊTE DU POUVOIR POLITIQUE !

Rome, le 17 janvier 1983
les militants des

Brigades Rouges pour la construction
du Parti Communiste Combattant

Arreni Renato, Belle Enzo, Braghetti Laura, Gallinari Prospero, Iannelli Maurizio, Novelli Luigi, Padula Sandro, Pancelli Remo, Petrella Marina, Piccioni Francesco, Ricciardi Salvatore, Soghetti Bruno.

 

Notes :

     1. Benito Craxi est Secrétaire général du Parti socialiste italien.

     2. Amato est le Procureur de la République du « procès Moro », tandis qu’Antonio Savasta est un dirigeants des B.R. qui est passé aux carabiniers à l’instant même où ceux-ci faisaient irruption dans la cache où était détenu le général américain Dozior.

     3. Lors de la séquestration d’Aldo Moro, une cache des B.R. fut découverte via Gradoli, à Rome.

     4. Le document par lequel les « B.R. pour la construction du P.C.C. » appelent à la « retraite stratégique » a été publié dans « Clash » numéro zéro, été 1982.

     5. Il s’agit de divers dirigeants politiques et syndicaux, de ministres, socialistes et démocrates-chrétiens.

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GUÉRILLEROS FEDAYINS DU PEUPLE IRANIEN :
LA LUTTE ARMÉE COMME STRATÉGIE ET COMME TACTIQUE (IV)

Examen de Révolution dans la révolution de Régis Debray.

 

     Comme nous avons dit, sous l’effet d’une série de préjugés, nous avons négligé de comprendre profondément les concepts fondamentaux que Debray avait présentés dans Révolution dans la révolution comme éléments internes de l’expérience cubaine. En fait, nous avons rejeté en pratique ces nouveaux concepts sans les avoir réellement compris.

     En réalité, nous n’avons pas dit que la voie décrite par Debray était incompatible avec les conditions spécifiques en Iran. Nous ne pouvions pas affirmer non plus qu’elle était impraticable dans les conditions d’Amérique Latine, d’autant que nous n’avions aucune connaissance précise de ces conditions ; cependant nous l’avons rejetée. Ce rejet ne se fit pas sur la base d’une série de considérations spécifiques objectives, mais plutôt sur la base des principes généraux du marxisme-léninisme. 13

     Il nous semblait que la thèse de Debray niait le rôle du parti marxiste-léniniste comme la seule force capable d’assurer l’ensemble de la direction pour réaliser la révolution. Il nous semblait que la thèse que Debray sous-estimait l’importance de la théorie du marxisme-léninisme en tant que théorie révolutionnaire et guide de la pratique. Il nous semblait que Debray ignorait le rôle dirigeant du politique sur le militaire et même qu’il privilégiait le militaire par rapport au politique. Debray cite Castro : « Qui fera la Révolution en Amérique Latine ? Qui ? Le peuple, les révolutionnaires, avec ou sans parti ! » (Régis Debray, Révolution dans la révolution, p. 184, Éditions Maspero.) Ensuite il affirme lui-même : « Fidel Castro dit simplement qu’il n’y a pas de révolution sans avant-garde ; que cette avant-garde n’est pas nécessairement un Parti marxiste-léniniste ; et que ceux qui veulent faire la Révolution ont le droit et le devoir de se constituer en avant-garde indépendamment de ces Partis... Il n’y a donc pas d’équivalence métaphysique Avant-garde = Parti marxiste-léniniste, i/y a des conjonctions dialectiques entre une fonction donnée — celle de l’avant-garde en histoire — et une forme d’organisation donnée — celle du Parti marxiste-léniniste —, conjonction qui résulte d’une histoire antérieure et dépend d’elle. Les partis sont sur la terre et sont soumis aux duretés des dialectiques d’ici-bas. S’ils sont nés, c’est qu’ils peuvent mourir, et renaître sous d’autres formes. » (Ibidem, p. 184.)

     Ces phrases furent accueillies par les intellectuels libéraux et soi-disant anti-dogmatiques, car ils croyaient y trouver la réfutation du rôle référentiel et d’avant-garde de tout parti marxiste-léniniste. Ceux-là veulent d’une part bénéficier du titre de révolutionnaire et d’avant-garde et d’autre part, leur libération les empêche de renoncer à leur libéralisme idéologique et leur éclectisme pseudo-marxiste et à accepter le marxisme-léninisme comme la seule perception scientifique du monde, la seule idéologie capable de diriger une révolution persévérente ainsi que la discipline nécessaire pour travailler dans une organisation marxiste-léniniste. Ils abusent ainsi des phrases de Fidel et de Régis Debray alors qu’à travers tout le livre il apparaît qu’il n’est pas question de nier le rôle de dirigeant et de guide du marxisme-léninisme. La question n’est pas de nier le rôle dirigeant du prolétariat et de son idéologie. Ici, le parti marxiste-léniniste est conçu comme une forme spéciale d’organisation. Pour citer Debray, si un parti ne bouleverse pas radicalement et profondément son organisation appropriée aux réelles responsabilités d’une véritable avant-garde, alors les révolutionnaires marxistes-léninistes ont le droit de mener la révolution en dehors de ce parti marxiste-léniniste, forme spéciale d’organisation, d’essayer de créer une nouvelle organisation qui puisse assumer les responsabilités d’une réelle avant-garde — une avant-garde véritablement marxiste-léniniste, et devenir en pratique dignes de porter ce nom que les soi-disant partis marxistes-léninistes ont usurpé. En réalité, nous sommes ici témoins d’une distinction entre la forme d’un parti et son contenu. Le contenu du parti, c’est la tâche de l’avant-garde marxiste-léniniste dans l’histoire, la tâche d’une organisation prolétarienne dans l’histoire.

     Et sa forme consiste en les différentes formes organisationnelles exigées pour accomplir une telle tâche historique. Alors que le contenu reste toujours le même, ces formes organisationnelles sont sujettes aux duretés dialectiques d’ici-bas. Ainsi le parti peut mourir et renaître sous d’autres formes nouvelles, c’est pourquoi nous sommes confrontés à la « reconstruction du parti », à la « renaissance du parti sous une nouvelle forme », etc... Debray lui-même réfute ces intellectuels petits-bourgeois qui veulent utiliser ces affirmations pour justifier leur libéralisme et il affirme d’une façon déterminée : « Entendons-nous bien. Le moment est passé de croire qu’il suffit d’être « au Parti » pour être révolutionnaire. Mais le moment est arrivé aussi de mettre un terme aux réflexes acrimonieux, obsessionnels et stériles de ceux qui croient qu’être « antiparti » suffit pour être révolutionnaires : ces réflexes ne sont que les premiers renversés, mais identiques dans leur fond. Le manichéisme du Parti (en dehors du Parti, pas de révolution) trouve son reflet dans le manichéisme antiparti (avec le Parti, pas de révolution) : les deux sont quiétistes. En Amérique Latine aujourd’hui un révolutionnaire ne se définit pas par son rapport formel au parti : avec ou contre. La valeur d’un révolutionnaire, comme celle d’un parti, est celle de son action. » (Ibidem, p. 189.) Et lorsqu’il est question d’action et particulièrement d’action armée, ces mêmes intellectuels, retranchés dans leur tour d’ivoire, reculent, et afin de justifier leur inactivité et leur propre existence, disent que la révolution a besoin de théorie et d’une analyse complète des conditions socio-économico-politiques. Ainsi, ils ignorent que justement, du fait de leur absence de lien avec l’action armée, ces partis sont déchus de leur position d’avant-garde, que l’ancienne organisation du parti marxiste-léniniste a perdu se relation avec la nouvelle responsabilité historique, que maintenant, une nouvelle organisation marxiste-léniniste, et une plus grande rigueur dans la discipline que celle de l’organisation précédente sont exigées et que la relation de chacun avec la révolution sera déterminée par sa relation avec la nouvelle organisation.

     Mais avant de nous occuper de l’idée principale de Debray, à savoir la question de la relation entre le parti et la guérilla, et entre le politique et le militaire, il est bon de clarifier la question de la relation entre la théorie et la pratique du point de vue de Debray.

     Dans Les erreurs de la théorie du Foco, Clea Silva constate que Debray tente de détruire le principe selon lequel « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire », lorsqu’il dit que « le meilleur professeur du marxisme-léninisme est l’ennemi dans l’affrontement direct ; l’étude et l’apprentissage sont nécessaires mais pas déterminants ».

     À mon avis cette conclusion de Clea Silva n’est pas correcte. Cependant voyons ce que l’on veut dire par théorie. Silva y répond elle-même : « ll y a lutte révolutionnaire seulement quand nous savons comment, contre qui et à quel moment nous devons lutter ». Est-ce que Régis Debray considère ces points comme des problèmes secondaires, sans importance ou pas nécessaire ? Je pense que non. Debray n’essaie-t-il pas d’avancer une théorie et une série d’acquis stratégiques basés sur l’expérience de la révolution cubaine ? Son livre n’est-il pas une tentative consacrée essentiellement à répondre à cette question : comment et par quels moyens combattre l’ennemi ? S’il ne présente pas dans son livre une analyse complète des conditions socio-économiques de l’Amérique Latine, cela indique-t-il qu’il considère ce problème sans importance et pas nécessaire ? Pourquoi considère-t-il alors l’absence de l’analyse politico-économique de la part des partis communistes latino-américains comme une carence ? Cependant l’attention illogique et excessive que Debray accorde aux formes et particularités spécifiques de la révolution cubaine, ou en réalité aux aspects exceptionnels de l’expérience cubaine, et sa tentative de les généraliser à travers toute l’Amérique Latine, provoquent une série d’erreurs qu’il nous faut mentionner.

     Si les révolutionnaires cubains mettaient en pratique les principes stratégiques, même inconsciemment, devrions-nous aussi nous mettre à l’œuvre sans avoir conscience de la stratégie, et sans une compréhension relativement claire des lignes générales de l’action que nous avons devant nous ? Si nous voulons entreprendre une guerre populaire, ne devrions-nous pas avoir une compréhension claire de la stratégie des guerres populaires et des conditions spécifiques de chacun des pays dans lesquels ces guerres populaires ont eu cours ? Si ce n’était pas nécessaire, alors pourquoi Révolution dans la révolution lui-même fut consacré à cette tâche ? Et si cela est nécessaire, on ne peut résoudre le fait que les œuvres théoriques concernant les guerres populaires « ont fait autant de mal que de bien » (Ibidem, p. 120) et qu’en réalité elles montrent la relation dialectique entre la théorie et la pratique, en procédant de cette façon superficielle et empirique, disant qu’alors, il ne faut pas les lire ou « c’est une chance que Fidel n’ait pas lu les écrits militaires de Mao Tsé-toung » (Ibidem, p. 119). S’il faut suivre pas à pas la voie cubaine, ce qui est indispensable, et généraliser chaque cas exceptionnel, il faut dire que les révolutionnaires cubains eux-mêmes n’avaient pas initialement l’intention d’entreprendre une guerre de longue durée, alors que pour nous la longue durée de la guerre est un fait établi. (Ils voulaient renverser le régime de Batista en menant une série d’actions militaires accompagnées d’insurrections urbaines. Au cours de l’action ce plan échoua et une nouvelle voie fut adoptée).

     En réalité, la révolution s’effectuant dans toutes les sociétés à partir d’une série de lois générales, et étant donné que même les guerres populaires possèdent une série de lois générales, elles contiennent des leçons qui doivent être assimilées et qui, par là même, « font du bien ». Mais si l’on considère que dans l’analyse finale, c’est l’action révolutionnaire qui est capable de découvrir la particularité des conditions objectives de chaque pays, de corriger et compléter la théorie de la révolution, il est hors de doute que les théories précédentes « font du mal » si elles doivent être généralisées d’une manière mécanique. C’est uniquement par la clarté des lignes générales et de la stratégie générale de l’action que l’on peut établir un lien organique entre les expériences et entre les principes tactiques, en tirer des leçons, corriger et compléter les erreurs tactiques en relation avec la stratégie générale et par là même corriger et compléter la stratégie générale elle-même et indiquer précisément les formes spécifiques d’action qui en dépendent.

     Debray dit : « La lutte armée révolutionnaire rencontre des conditions spécifiques dans chaque continent, dans chaque pays : mais elles ne sont ni « naturelles » ni évidentes. Elles le sont si peu qu’il faut à chaque fois des années de sacrifices pour les découvrir et en prendre conscience. » (Ibidem, p. 119.) Peut-on connaître les conditions spécifiques sans relation avec les conditions générales ? Et les expériences révolutionnaires ne sont-elles pas utilisables pour la connaissance de ces mêmes expériences générales ? Le fait que « Quelques années d’expériences militaires de toute sorte ont fait plus en Amérique Latine pour faire connaître la singularité de ses conditions objectives que des décennies de théorie politique recopiée » (Ibidem, p. 122), ne diminue en aucun cas l’importance de la théorie de la révolution, mais veut dire uniquement que la théorie politique recopiée ne peut être un guide correcte pour l’action révolutionnaire. Mais cette expérience ne peut être la source d’une théorie nouvelle et d’un guide nouveau de la pratique qu’en relation avec la théorie, avec les conditions générales et l’analyse des conditions spécifiques. Bref, c’est la pratique qui confirmera finalement la justesse ou l’erreur de notre théorie en faisant le bilan des théories et expériences précédentes. Avant de terminer sur cette question, il est bon de faire une remarque sur l’argumentation de ceux qui envisagent une étape relativement longue pour acquérir la théorie de la révolution et une connaissance complète des conditions objectives, une étape dont la caractéristique essentielle est l’apprentissage théorique et la lutte idéologique et qui disent que nous avons besoin de théoriciens comme Lénine. Et bien évidemment, ils ne considèrent pas Lénine comme celui qui a été formé au cours d’une lutte longue et active mais comme quelqu’un qui possède une vaste science théorique encyclopédique :

     Dans l’histoire des expériences révolutionnaires et du mouvement communiste international de ce siècle, nous sommes essentiellement confrontés à trois types de luttes : idéologique, économique et politique. Si l’on considère la succession historique de ces expériences, on peut bien observer comment le rôle de la Iutte théorique et économique a de plus en plus diminué et comment la lutte politique a de plus en plus dominé toute la lutte révolutionnaire. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les documents du mouvement communiste pour comprendre la diminution de l’importance de la théorie par rapport à la lutte politique pratique : le Capital, l’Anti-Dühring, Que Faire ?, Sur la Démocratie Nouvelle, etc... Bref, dans le mouvement communiste international, qui se déroule essentiellement aujourd’hui dans les pays dominés, nous sommes rarement confrontés à des œuvres théoriques comme le Capital, l’Anti-Dühring, ou le Matérialisme et l’Empiriocriticisme. Ceci ne montre-t-il pas que le mouvement communiste international, en général confronté à l’action directe révolutionnaire, n’a ni le temps ni le besoin de faire un travail théorique pure ? Ceci n’implique-til pas que plus que jamais nous avons besoin de praticiens plutôt que de théoriciens ? 14.

     Et c’est de même en ce qui concerne la lutte économique. Si l’on considère le processus de la lutte révolutionnaire dans chacun des pays où elle a pris de l’importance, nous nous rendons compte que la lutte économique devient de moins en moins importante. Cela aussi est la conséquence de la domination quotidiennement croissante de la politique sur l’économie, la conséquence de la domination de l’ennemi de classe par les moyens les plus répressifs dans des conditions de terreur et d’oppression, la conséquence de la domination mondiale impérialiste, en bref, la conséquence du fait que l’impérialisme mondial se trouve dans sa phase d’agonie. En réalité, le développement du processus révolutionnaire à l’échelle mondiale a d’une part mis de plus en plus à l’ordre du jour le problème de la conquête du pouvoir politique, le problème ardent qui est comment faire la révolution et briser la domination impérialiste, en bref, l’action directe révolutionnaire, et d’autre part, ce même processus révolutionnaire à l’échelle mondiale est une sorte de préparation théorique pour la révolution actuelle. Maintenant, le contenu de la révolution est de plus en plus clair, alors que ce qui doit être clarifié, et qui ne peut l’être que par l’action directe révolutionnaire, ce sont les formes spécifiques que prend ce contenu dans des conditions spécifiques. La difficulté ne réside pas dans la préparation du programme de la révolution, la détermination des objectifs de la révolution, la connaissance des forces de la révolution et de la contre-révolution, mais dans la détermination des voies et des moyens qui doivent être mis en œuvre pour mener la révolution à la victoire. 15 16

 

Notes :

     13. Nous affirmons encore qu’il n’est pas question de nier la généralité des principes généraux du marxisme-léninisme, mais de notre compréhension dogmatique et superficielle de ces principes, d’une part, et notre compréhension incomplète des thèses de Debray, d’autre part.

     14. Pour mieux exprimer le sujet, il faut dire que si, il y a un siècle, des hommes comme Marx étaient nécessaires pour répondre aux besoins théoriques du mouvement communiste, avec sa science vaste, et si la réponse aux besoins théoriques requérait un travail théorique vaste et de longue haleine, aujourd’hui ce n’est pas le cas, car le contenu de la révolution est claire, les directives générales de l’action ont été obtenues et la compilation de la théorie spécifique de la révolution dépend plutôt de l’action révolutionnaire que du travail théorique. Mais évidemment le besoin de la théorie spécifique et générale de la révolution n’a pas diminué.*/*

     15. Lénine dit : « Les économistes cachaient leur ignorance des tâches politiques immédiates en se référant aux réalités générales concernant la subordination de la politique à l’économie. »

     La conquête du pouvoir politique est un objectif évident et sa nécessité est une réalité générale. La question est de savoir ce qui est déterminant dans la conquête du pouvoir politique. Maintenant si, au lieu de répondre à ce besoin et de définir la ligne concrète de l’action et le moyen principal de lutte, nous disons que l’objectif est la conquête du pouvoir politique et pas la destruction de l’armée, qu’il faut intervenir intégralement à tous les niveaux, utiliser toutes les formes de luttes, etc..., nous aurons émis des généralités derrière lesquelles se cachent notre incompétence, notre lâcheté et notre ignorance politique.

     16. Pour que Debray ne soit pas justifié, il paraît nécessaire de souligner ses erreurs. Dans son article intitulé : « L’expérience du Vénézuela et la crise du mouvement révolutionnaire on Amérique Latine », Edgar Rodriguez énumère les erreurs de Debray comme suit : sous-estimation du travail d’organisation et suggestion d’un point de vue spontanéiste, sur-estimation de l’aspect catalyseur de la lutte armée et sous-estimation des affaires préliminaires et préparatives de la lutte. À notre avis, tout ceci peut découler de la généralisation des aspects secondaires de la révolution cubaine à l’ensemble de la réalité de l’Amérique Latine. On observe la même erreur en ce qui concerne la relation entre la ville et la campagne, le parti et la guérilla, la théorie et la pratique. Ainsi, Debray commet la même erreur qu’il critique : la construction de dogmes. Par exemple, alors que Debray lui-même montre que les différentes orientations au sujet de la relation entre le parti et la guérilla ou la ville et la campagne découlent d’un désaccord fondamental, désaccord qui résulte du fait de considérer la guerre de guérilla « comme une autre branche de l’activité du parti », et non pas la branche déterminante de l’activité ou son cadre fondamental dans lequel et en relation avec lequel seulement, les autres formes de lutte prennent de l’importance. Malgré tout cela il oublie ce point et commence à construire des modèles au sujet de la relation entre la ville et la campagne et à façonner une série de concepts métaphysiques : la campagne est équivalente au prolétariat et la ville à la bourgeoisie. La raison pour laquelle les dirigeants qui vivent dans la ville sont incapables de comprendre l’importance des problèmes et des difficultés de la guerre de guérilla, ne découle pas du fait qu’ils résident dans la ville, mais de leur croyance fondamentale qui est la sous-estimation de la guerre de guérilla en tant que voie déterminante.

     Mais le point qui doit être souligné est que nous avons examiné le livre de Debray en relation avec nos conditions et nos besoins et que nous nous sommes appuyés seulement sur les aspects du livre qui étaient fondamentaux et déterminants pour nous. À part une série de différences concrètes entre les conditions de notre patrie et celles de l’Amérique Latine, le mouvement révolutionnaire en Amérique Latine est fondamentalement plus avancé qu’en Iran et ainsi, nous ne pouvons pas examiner complètement le livre de Debray sans tenir compte de ces conditions. Prenons par exemple la surestimation de l’aspect catalyseur de la lutte. En Amérique Latine de 1967 (l’année de la rédaction du livre de Debray) qui, suite à la révolution cubaine, a fait des expériences diverses de lutte armée, dans la région des coups d’état et des instabilités continuelles, peut-être que la surestimation de l’aspect catalyseur de la lutte armée et la sous-estimation du travail d’organisation (en considérant l’organisation relativement avancée des révolutionnaires dans les organisations et les partis par rapport à l’Iran) est une erreur évidente. Mais en Iran, un pays appelé soi-disant l’« île de stabilité » dans un océan agité, un pays soumis à une oppression apparemment inaltérable depuis dix-huit ans, un pays où toute organisation doit être détruite par une violence indescriptible, il faut donner l’importance nécessaire à l’aspect catalyseur et stimulant provoquant l’espoir. Actuellement cet aspect de la lutte est fondamentalement déterminant. Ou bien en ce qui concerne l’organisation, les révolutionnaires possédant là-bas une certaine forme d’organisation, la lutte armée aussi doit posséder une forme et une organisation comparables au niveau général d’organisation des révolutionnaires et des militants d’Amérique Latine.

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FÉDÉRATION SYNDICALE RÉVOLUTIONNAIRE AU SALVADOR :
DÉCLARATION DE CHRISTINA MARIN À L’OCCASION DE LA FÊTE DU PREMIER MAI 1984.

 

     Bruxelles, le 26 avril 1984.

     Aux travailleurs belges,

     À tous les travailleurs d’Europe et du monde,

     En ce 1er mai, journée internationale de la classe ouvrière, recevez, de la Fédération Syndicale Révolutionnaire (F.S.R.) et de toute la classe ouvrière salvadorienne, nos salutations fraternelles, combattives et révolutionnaires.

     Nous voulons également remercier les travailleurs belges pour nous avoir invitées à participer à cette fête du 1er mai.

     Comme vous le savez probablement, au Salvador, la situation politique, sociale et économique des travailleurs est particulièrement difficile. Les différents régimes qui ont été au pouvoir depuis 1932 n’ont apporté au peuple que répression, exploitation et misère. En 1980, cette répression s’est institutionnalisée par une série de décrets anti-syndicalistes qui nous ont été imposés avec pour seul objectif d’arrêter l’avance des organisations syndicales, pour intimider la classe ouvrière et pour l’empêcher de lutter pour ses revendications immédiates. Je ne citerai que les plus importants de ces decrets : le décret no 507 qui légalise la détention arbitraire de citoyens, le décret no 296 qui supprime le droit à l’organisation syndicale, le decret no 44 qui militarise les centres de travail, le décret no 544 qui gèle les salaires, etc.

     Malgré tous ces décrets, qui violent le droit à l’organisation syndicale et les droits de l’homme, le niveau de conscience politique et d’organisation n’a cessé de s’élever. La classe ouvrière lutte avec conviction pour ses droits les plus élémentaires comme, par exemple, le droit au travail et le droit à la vie. C’est ainsi qu’à partir du mois d’août 1983, nous, les travailleurs, nous sommes mis en grève pour exiger une augmentation salariale, car les misérables salaires que nous recevons ne sont même pas suffisants pour couvrir nos besoins élémentaires. Nous exigeons également l’annulation de tous les décrets et la réintégration des ouvriers renvoyés injustement par les patrons.

     La seule réponse que nous donne le patronat face à ces exigences fondamentales est la répression, les arrestations, les assassinats, les disparitions. Ils arrêtent tous nos dirigeants. Au cours de l’année 1983, 113 ouvriers ont été assassinés et plus de 500 sont en prison ; beaucoup d’autres ont disparu.

     Malgré tout son appareil de répression, le gouvernement n’a pas pu écraser notre mouvement syndical ; bien au contraire, nous nous sommes unis pour pouvoir donner des coups plus forts à la classe dominante. Par exemple, depuis le 3 anvier de cette année, 70.000 travailleurs sont en grève pour exiger un salaire équitable ainsi que la liberté des 9 dirigeants de la F.S.R. arrêtés le 19 anvier lors du 5e Congrès ordinaire de la Fédération Syndicale Révolutionnaire.

     Grâce à cette lutte énergique, les travailleurs de certains secteurs (banques) ont obtenu une faible augmentation (15 %) de leur salaire.

     Cependant nous poursuivrons notre lutte pour conquérir notre libération définitive et pour construire un Gouvernement Démocratique Révolutionnaire. De même qu’ont lutté jadis les travailleurs de Chicago pour conquérir leurs droits et les droits de tous les travailleurs du monde, la classe ouvrière salvadorienne luttera jusqu’au bout !

     Nous profitons également de cette opportunité pour lancer un appel à tous les travailleurs belges afin qu’ils se solidarisent avec notre lutte. Nous remercions la Coordination Nationale des Comités de Solidarité avec le Salvador d’avoir organisé la campagne : « 100.000 francs pour les travailleurs en lutte au Salvador et pour soutenir les familles des camarades emprisonnés ». Nous vous demandons très fraternellement d’y participer en soutenant cette campagne, car ce serait une preuve concrète de solidarité internationale.

     Vive le 1er mai !

     Vive le Jour International de Travailleurs !

     Luttons tous contre l’impérialisme Yankee oppresseur !

     Pour le droit au travail et à l’organisation syndicale, les ouvriers sur pied de guerre !

     Nous triompherons grâce à la solidarité de tous les travailleurs du monde !

 

Christina Marin
de la F.S.R.

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     Ligne Rouge est un projet militant d’édition anti-impérialiste.

     Le collectif animant le projet des éditions Ligne Rouge limite les activités de Ligne Rouge à la seule production et distribution la plus large de recueils de documents anti-impérialistes offensifs dont il estime réel l’intérêt apporté par ces derniers au mouvement communiste révolutionnaire.

     Si le choix de ces documents est partisan dans la mesure où l’identité politique des militants animant Ligne Rouge détermine globalement cet outil, il est néanmoins large puisque la publication de textes vis-à-vis desquels certains membres voire la totalité du collectif se démarque politiquement est parfaitement envisageable, Ligne Rouge n’étant pas l’expression d’une organisation mais un outil d’information, de réflexion et ainsi de combat à la disposition de tous.

     Ces documents (textes, interviews, communiqués...) pris en charge par Ligne Rouge recouvrent donc des réalités multiples du combat anti-impérialiste, ils proviennent de pôles politiques différents, de plusieurs époques historiques, de divers pays et continents.

     Briser le black-out qui vise certaines facettes — et non des moindres — du combat anti-impérialiste, rompre d’avec les pratiques de censures et d’autocensure dans lesquelles on se réfugie frileusement, extraire les textes hors des cercles d’initiés couvrant jalousement et stérilement leurs monopoles militants, fouiller dans le passé du mouvement révolutionnaire pour confronter sereinement les expériences hâtivement oubliées avec notre situation, bref, arracher du silence et porter massivement au grand jour notre patrimoine — passé ou présent — de révolutionnaires et l’affirmer comme arme pour notre devenir.

     Voilà la tâche que s’est fixée Ligne Rouge, à travers un premier outil : le cahier mensuel des éditions Ligne Rouge.

     Ces cahiers présenteront plusieurs documents dont les origines différentes seront volontairement choisies, afin de briser les fausses cloisons de sectes, et d’obtenir des confrontations que nous espèrerons fertiles entre textes anciens et nouveaux, entre documents venant des centres impérialistes et de libération nationales, etc...

     Afin de nous restituer notre mémoire, de nous donner une vision plus large, plus précise et plus correcte de l’affrontement aujourd’hui, afin donc de nous donner ces armes dans notre combat présent et futur contre l’impérialisme, le collectif des éditions Ligne Rouge lance un appel à tous les éléments anti-impérialistes offensifs, à toutes les organisations révolutionnaires, à travers cet outil — qui est le leur.

Contact : BP 1682 Bruxelles 1 Belgique

   

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« Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
MARX ET ENGELS
(Manifeste du Parti Communiste, 1848.)

« Il est absolument naturel et inévitable que l'insurrection prenne une forme plus haute et plus complète, celle d'une guerre civile prolongée embrassant tout le pays, c'est-à-dire d'une lutte armée entre deux parties du peuple. Cette guerre ne peut être conçue autrement que comme une série de grands combats peu nombreux, séparés par des intervalles assez grands, et une masse de petites escarmouches dans l'intervalle. S'il en est ainsi, et il en est bien ainsi, la social-démocratie doit absolument se proposer de créer des organisations aussi aptes que possible à conduire les masses à la fois dans ces grands combats et, si possible, dans ces petites escarmouches. »
LÉNINE
(La guerre des partisans, 1905.)

« Les flics peuvent mettre les révolutionnaires en taule, les torturer et les assassiner, mais ils ne peuvent jamais tuer la révolution et la mémoire des communistes. »
CELLULES COMMUNISTES COMBATTANTES
(Lettre ouverte aux militants de base du P.T.B.... et aux autres, 27 mars 1985.)

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