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COMBAT
COMMUNISTE

textes pour le débat
dans le mouvement révolutionnaire

Comité de Paris « Domingos Teixero »
pour le Parti Communiste Révolutionnaire
(Marxiste-Léniniste)

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LIGNE ROUGE

No 3 — novembre 1983

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Sommaire :

Brigades Rouges : Véhicules de la mémoire et nouvelle organisation de la subjectivité.
Déclaration d’un groupe de communistes prisonniers dans la prison spéciale de Voghera.
Trostki : Le Terrorisme (fin).
Lénine : La Direction politique et militaire
dans la lutte de masse du peuple.
Brigades de la Colère (Angry Brigades) : Communiqués et chronologie.
Guérilleros Fedahyin du Peuple Iranien : La lutte armée comme stratégie et comme tactique (I).
Ligne Rouge.

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BRIGADES ROUGES :
VÉHICULES DE LA MÉMOIRE ET NOUVELLE ORGANISATION DE LA SUBJECTIVITÉ

 

     Reprendre aujourd’hui le fil du débat politique, donner une nouvelle finalité et perspective à la confrontation, à l’analyse, signifie en premier lieu rechercher et définir les causes qui nous ont conduit à ce qui peut sembler un cul-de-sac.

     La question que chacun de nous et le mouvement révolutionnaire dans son ensemble se posent en un moment de défaites tactiques lourdes et répétées est en quoi et où nous sommes-nous trompés pour être arrivés à ce point ?

     Pourquoi ? La question est dramatique, mais ne pas chercher à y répondre, continuer en feignant qu’il ne soit rien arrivé, que rien ne se soit modifié, peut être encore plus et irrémédiablement nuisible pour les perspectives du processus révolutionnaire dans ce pays.

     Les réponses que nous saurons donner sans feintes, hypocrisies et fausses illusions seront autant de points de départ pour une capacité renouvelée de projets et de prévisions, pour une capacité nouvelle et multiforme d’adhérence dialectique avec la réalité, ses dynamiques et ses mouvements.

     Il est nécessaire d’ouvrir une phase de profonde critique et autocritique, hors de tout conformisme, qui, en fouillant comme un bistouri au plus profond des déchirures produites par des maux antiques comme le subjectivisme, le militarisme et le mécanisme, réussisse à redonner intelligence au travail révolutionnaire, à nous rendre informés et adéquats.

     Ceux qui, aujourd’hui, ne se situent pas dans cette perspective, reproduisent un dangereux continuisme avec des dispositifs, des projets, des méthodes et des pratiques qui portent le signe de la défaite. Ils ne comprennent pas que les schémas d’analyse et les grilles d’interprétation avec lesquels nous nous sommes rapportés à la réalité et aux mouvements antagonistes portent en eux des vices de fond, que seule une rupture radicale — non formelle — avec le passé dans l’analyse et dans la pratique sociale peut permettre de dépasser, et d’ouvrir des processus novateurs.

     Cela ne peut vouloir dire liquider dix années de lutte, de pratique combattante, de développement de la lutte armée, avec tout ce qui en découle : patrimoine d’analyse, d’expérience, de modification de la réalité, mémoire historique sédimentée. Non, nous ne jetterons par le bébé avec l’eau sale, nous n’avons rien à voir avec les dissociés et le « parti de la reddition ». Il s’agit au contraire, en recomprenant les motivations historiques et sociales de la révolution, de réaffirmer — tout en en critiquant l’absolutisation — la validité stratégique de la lutte armée, en tant qu’instrument adéquat au développement des contradictions sociales, dans son devenir guérilla métropolitaine, guerre civile déployée.

     Une première considération doit être faite c’est la constatation de la défaite de phase que la lutte armée a subi. L’accepter comme une donnée de fait, mise en évidence par l’arrestation de centaines de camarades au cours des derniers mois, avec la mise en doute de pans organisés entiers du mouvement révolutionnaire, est nécessaire pour porter jusqu’au bout l’autocritique sans s’arrêter aux aspects secondaires et les plus apparents.

     La bourgeoisie a introduit de profonds éléments de transformation dans l’ensemble du tissu social et, donc, dans les figures qui le composent, à travers de gigantesques processus économico-productifs de restructuration et le déploiement massif et capillaire du contrôle social. Chaque aspect de la vie et de la journée est tendu, orienté, modelé et rapporté à une série de valeurs, de comportements, de manières d’être, appuyés et sollicités par des campagnes d’« opinion » massives et par les mass-média.

     Chaque plan régulateur de la vie sociale, formalisateur des rapports de force entre les classes, s’en trouve bouleversé — les plans juridique et syndical sont parmi les plus chamboulés. Chaque hypothèse de transgression de la règle est violemment refoulée, frappée à travers l’imposition déployée des idées-guide, des valeurs « dominantes », qui ne sont autres que la reproposition, à l’intérieur de la crise et de la restauration, de toute la merde idéologique, des conceptions productivistes, hiérarchiques et disciplinaires de la bourgeoisie impérialiste, à travers les nouveaux habits du développement de la crise, de la rupture de l’égalitarisme, de la « responsabilisation », du primat à l’initiative privée et, au centre du gâteau, l’« appel aux armes » dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité. De ce dernier point de vue, il faut aussi relever la tentative de donner une substance morale et civile, dans toutes les couches sociales, à la pratique de l’infâmité.

     Aujourd’hui, ces tentatives (qui tendent à s’accompagner de la tentative générale de désolidarisation à l’intérieur de la classe) ont des manifestations toujours plus visibles dans la « nouvelle organisation du travail » et dans la présumée co-responsabilisation aux intérêts économico-productifs.

     Contrôle et infâmité, coercition et imposition de l’éthique capitaliste, semblent être les aspects cardinaux sur lesquels l’État tend à redéterminer les rapports sociaux.

     Le capital a aussi appris à s’approprier la culture, l’idéologie, les dynamiques internes au prolétariat en en faisant un double usage comme fonction antiguérilla et, en les corrigeant, pour les introduire dans le cycle de valorisation. L’aspect le plus visible et le plus dangereux est la capacité qu’a acquise la bourgeoisie, dans des temps relativement brefs, de s’adapter aux dynamiques réelles de la guérilla et des mouvements de lutte.

     Cette capacité a engendré deux lignes directrices stratégiques « gagnantes » pour le capital : la différenciation et le repentir. Différenciation dans le prolétariat prisonnier et individualisation du traitement et différenciation sociale, c’est-à-dire des tactiques différentes d’approche et d’attaque des différents comportements antagonistes. Cela a créé une déshomogénéité profonde et complexe de la réalité sociale, dans les comportements individuels et dans les comportements collectifs. La tactique est ainsi devenue (chose par ailleurs toujours vraie) un élément fondamental de l’initiative ennemie. Le magma social est toujours moins réductible à une stratégie unique, les degrés de l’antagonisme sont multiples, les « figures-guides » se sont décomposées et ont disparu ? elles ne peuvent donc, matériellement et objectivement, être reproposées, la faculté de communiquer entre les pans du prolétariat métropolitain s’est réduite, la communication entre ce dernier et la guérilla s’est réduite à une faible lueur.

     Et, ici, nous entrons dans le champ de ce que sont les contradictions qui ont accompagné le parcours de la lutte armée au cours de ces années.

 

     Repentis, dissociés, rendus, réfugiés divers…

     À quelques années de distance de l’explosion du phénomène de la délation et de la trahison — et dans sa reproduction et sa reproposition constante — l’élément qui saute le plus impérieusement aux veux est la sous-évaluation du problème par le mouvement révolutionnaire et, par conséquent, son incapacité à le battre, en en comprenant pleinement les causes.

     Un des premiers motifs de cette incapacité a été une logique, qui a existé dans une partie du mouvement révolutionnaire, qui liquidait le problème comme manifestation de l’infiltration de l’idéologie bourgeoise à l’intérieur du mouvement et du fait que des lignes politiques erronées prévalaient à l’intérieur des entités organisées. Le problème était donc simple et pouvait se résoudre par l’affirmation de la ligne « juste » (la sienne, évidemment).

     L’histoire de ces années a tragiquement fait justice de cette manière de voir, tout comme de la logique totalisante des lignes « correctes » et « erronées », vu que les infâmes continuent d’exister — dans toutes les réalités organisées — et que les soi-disant lignes « justes » ont produit les plus grands actes de démence et de bestialité des dernières années (voir l’opération à la Banque de Naples à Turin et l’affaire Ligas).

     Le problème est donc plus complexe et sa solution n’est pas principalement une question militaire, même s’il reste clair que le rapport entre traîtres et mouvement révolutionnaire se pose, aujourd’hui comme toujours, en termes d’anéantissement. Un problème qui trouve ses racines, et donc sa clé de lecture, dans les erreurs, les limites et les contradictions qui ont accompagné et traversé le développement de la guerre sociale dans ce pays.

     Face à l’incapacité du mouvement révolutionnaire à régler ses comptes avec ses propres limites, à se rénover en se transformant, l’État a eu l’intelligence et la capacité de s’approprier les contradictions internes à la subjectivité communiste et au corps social prolétarien lui-même, pour les utiliser comme un coin, véritable tête de pont qui déchire en profondeur, qui détermine des processus irréversibles de destruction des liens éthiques et politiques internes au prolétariat. Ce projet, cette stratégie — désormais substantiellement érodée, faillie, par-delà les campagnes publicitaires — a maintenant besoin de s’affiner, de trouver de nouvelles figures, de nouveaux instruments de division/infiltration.

     Et, là, un nouveau type d’ordures entre en scène, que malheureusement chaque processus révolutionnaire a connu : les soi-disant « dissociés », c’est-à-dire ceux qui, ayant vécu des expériences de lutte armée ou, en tous cas, d’antagonisme radical, acceptent aujourd’hui, en plus de brader les identités collectives et les parcours historiques, de se faire les instruments actifs de la propagande et de la division, et d’assumer à la première personne la campagne pour la désolidarisation, pour la critique non seulement de la lutte armée, mais aussi de toute forme de lutte et de conflictualité non médiée, non régulée par la confrontation/tractation avec les institutions.

     Dans l’analyse de ce nouveau phénomène (nouveau en ce qu’il est actuellement la carte principale que la bourgeoisie entend jouer pour battre la subjectivité et l’antagonisme), les généralisations simplificatrices doivent cependant être évitées. L’aire qui se retrouve sous le nom de « parti de la dissociation et de la reddition », tant en prison qu’en dehors, est un ensemble composite, par certains côtés hétérogènes, dans lequel il faut opérer des distinctions et appliquer des tactiques et des réponses différenciées.

     Nous estimons que la lutte armée, l’internité à la militance révolutionnaire, est le fruit de et est porté par des analyses politiques précises. Elle est donc un choix et n’est une obligation morale pour personne. D’autant que, contrairement à ce que disent aujourd’hui les poux savants, chacun a toujours été parfaitement libre de sortir des organisations combattantes lorsqu’il l’a voulu.

     Pour cela aussi, pour rejeter l’image de la militance comme une chose imposée, un chantage, parce que nous ne sommes pas musulmans, nous estimons dangereux de ne pas opérer de distinctions et de séparations. Nous déterminons, schématiquement, trois catégories de dissociés :

     1) ceux qui, par fatigue, par manque de confiance ou pour des motifs « personnels », ont simplement abandonné la militance et se sont consacrés à l’élevage des moutons ou à un quelconque métier ou pratique individuelle ;

     2) ceux qui, critiquant ou jugeant dépassée la lutte armée, voient — plus ou moins tactiquement — la solution à une série de limites et de nœuds politiques (y compris la libération de tous les prisonniers politiques) dans une médiation avec les institutions ;

     3) ceux qui bradent des parcours collectifs pour des profits individuels — c’est-à-dire qui posent le problème de leur propre libération — et, en même temps et par voie de conséquence, se font l’instrument actif de la division et de la différenciation, et donc l’engrenage conscient du processus d’extermination et d’anéantissement des prisonniers communistes et des prolétaires antagonistes.

     Il est clair qu’il existe une « contiguïté » et une sorte d’affinité d’analyse entre ces catégories, mais il est aussi vrai que la critique révolutionnaire doit être capable de distinguer entre nature ennemie et nature externe, entre ce qui peut être récupérable ou en tout cas indifférent et ce qui est irrémédiablement de l’autre bord.

     Si la première catégorie n’est pas substantiellement intéressante, n’ayant pas d’épaisseur politique, la seconde a au contraire un certain type d’importance, étant porteuse de certaines propositions, en particulier celle de la « solution politique » — aussi appelée amnistie — pour les prisonniers politiques. Nous n’aborderons pas ces propositions, tant parce que le discours qui nous intéresse est celui de la libération non des seuls « prisonniers politiques », mais de l’ensemble du prolétariat prisonnier comme partie intégrante et référée à l’ensemble du processus de libération sociale, que parce qu’elles sont manifestement et matériellement sans fondements, en ce qu’elles sont déliées des lois des rapports de force et des dynamiques sociales qui les produisent et les mettent en mouvement — les discours sur les « pré-conditions » sont de pures abstractions — et, par conséquent, à la fin de la foire, une misérable, inutile et transparente d’une aire de se mettre en paix avec le peu de conscience qui lui reste et de se reproposer comme classe politique.

     Si cela est vrai, si l’opportunisme et la mauvaise foi sont évidents, il est aussi vrai que cette aire ne peut être tout simplement classifiée comme interne à l’État, à ses logiques, ses tendances et ses programmes.

     Par rapport à la troisième catégorie, nous ne pouvons que réaffirmer que la libération est un processus social et collectif. Celui qui pense pouvoir la réaliser individuellement, en plus d’être un idiot plein d’illusions, choisit précisément son camp et doit assumer les lourdes responsabilités de ce choix.

 

     L’unique rapport possible entre la révolution et celui qui se fait sujet actif, engrenage conscient de la différenciation qui vise à l’extermination des communistes et du prolétariat prisonnier antagoniste est la guerre et l’anéantissement !

     Sur ce terrain, le mouvement révolutionnaire devra s’exprimer et se mesurer concrètement.

     La question de la trahison représente seulement une excroissance, le sommet de l’iceberg, sous lequel vit la montagne de nos contradictions. Dans la classe, celles-ci ont mené à une crise de légitimité et de crédibilité sans précédents, dont le dépassement a les rythmes du saut de la lutte armée à la guérilla métropolitaine déployée, de la reconstruction de l’internité, de la dialectique entre subjectivité communiste et mouvements de lutte.

     Nous sommes convaincus que la racine de nos erreurs doit être recherchée dans la perte progressive d’enracinement, c’est-à-dire dans l’absence du rapport dialectique d’entrelacement, de complémentarité entre l’initiative des communistes et les mouvements de l’antagonisme social. À partir d’un certain point, les dynamiques de lutte et d’organisation prolétariennes et celles internes à la guérilla se sont séparées, en produisant des parcours en ciseaux que l’ennemi a su rendre toujours plus séparés.

     Dans ce cadre, un vrillage en spirale s’est déterminé dans la pratique sociale de la lutte armée, ainsi que dans le débat, qui est allé jusqu’à trouver sa fin, plus que dans la transformation, dans la survie gangrenée, politique et matérielle, du dispositif et de l’appareil.

     Une conception militariste de l’affrontement a ainsi prévalu sur la nécessité historique de transformer, massifier la pratique de la lutte armée en guerre sociale déployée, dans laquelle la lutte armée représente l’aspect stratégique et gagnant mais ne renferme pas en elle toutes les pratiques sociales antagonistes qui renvoient à un processus de libération.

     Ont ainsi été donnés pour acquis des rapports de guerre qui, objectivement, ont été produits par l’ennemi, mais qui, subjectivement, ne sont pas encore un patrimoine conscient, recueilli et transformé en pratique sociale adéquate par la classe. On a confondu le fait objectif et le fait subjectif. Le rapport de guerre qui vit objectivement entre la bourgeoisie impérialiste et le prolétariat métropolitain a été la rampe de lancement de théories et de pratiques militaristes et subjectivistes. Et, au même moment, le fait d’être externe aux dynamiques et problématiques prolétariennes n’a pas permis de percevoir que se déroulait désormais une sorte de « guerre de bandes », un affrontement entre appareils.

     Dans cette dégénérescence, d’amples espaces ont été trouvés par des analyses et des conceptions mécanistes du développement du processus révolutionnaire, une tentative d’enfermer le réel dans des schémas d’interprétation pré-établis.

     Et là, libre cours a été donné à la fantaisie, en s’inventant des organismes de masse « virtuellement actifs », des masses à l’assaut et des guérillas à l’offensive, dans laquelle la recomposition prolétarienne devenait un pur fait arithmétique et la guérilla se réduisait à une somme d’opérations militaires.

     Ce type d’approche renversée du problème de l’analyse des mouvements de la réalité, cet usage des lunettes de l’idéologie, massif et coutumier, a surtout représenté un décollement, arrivant à produire une opération comme celle de la Banque de Naples à Turin, dont l’unique mérite a été d’ouvrir les yeux, à ceux qui en avaient encore besoin, sur la profonde séparation entre les dynamiques réelles et la « synthèse de Parti ». La bourgeoisie a eu beau jeu de ressortir les thèmes de la folie et des bêtes féroces assoiffées de sang.

     Il n’y a pas eu une capacité d’articuler la tactique révolutionnaire, de construire l’assonance, la liaison dynamique, l’interaction, l’interdépendance des rythmes avec les mouvements de masse, avec les pratiques d’antagonisme social diffus, avec les exercices de la lutte et du pouvoir par le prolétariat. La lutte armée a été rendue absolue, comme unique élément valide d’affrontement avec l’État, comme unique instrument de lutte politique et de transformation. Le concept de subversion et d’antagonisme social, de guerre sociale déployée, s’est enfermé dans la seule pratique combattante.

     En attribuant la centralité absolue à l’explicitation des aspects stratégiques du projet, à la nécessité de provoquer des ruptures dans le cadre politique, de déstabiliser, désarticuler le cœur de l’État, aucune importance n’a été accordée aux multiples pratiques antagonistes qui ont vécu et se sont exprimées dans les dynamiques de lutte du prolétariat métropolitain.

     À l’intérieur du fluide magmatique du tissu social soumis à de constantes mutations, dans un cadre complexe, où rien n’est plus réductible à une synthèse et à une centralité, l’initiative ennemie s’est faite guerre totale, accélérant les processus, affinant les instruments. La cybernétique, l’électronique, l’industrie guerrière, le nucléaire, s’ils sont des secteurs stratégiques de la restructuration impérialiste, et donc de décomposition/transformation, deviennent aussi des vecteurs moteurs du processus d’enrégimentement, de mise au pas et de militarisation des rapports dans la société, de la domination déployée sur la métropole et sur l’individu social. L’initiative révolutionnaire n’a pas encore été en mesure de se rapporter à cet ensemble de questions, en se complexifiant à son tour.

     Certaines forces révolutionnaires sont restées attachées de manière fétichiste à une culture de la « centralité » de la classe ouvrière d’usine sans voir les bouleversements sociaux qui se sont produits au cours de ces années et sans lire les contenus nouveaux que le mouvement de 77 avait exprimés et qui ne pouvait pas, par la radicalité et la globalité de la critique à tous les aspects de la vie sociale, être synthétisés en un seul sujet prolétarien.

     À l’opposé, ceux qui en avaient saisi la « modernité », les éléments novateurs, ont pensé pouvoir les fixer, les bloquer, les enfermer dans quelques schémas, les ramener à une projetualité asphyxiante et misérable, privée d’articulations et riche de représentations à base de slogans, de mots d’ordre abstraits. À tous a de toute manière manqué la capacité, nécessaire et fondamentale, à donner équilibre et stabilité, dans un rapport d’enrichissement réciproque, aux tensions, aux aspirations, aux besoins matériels et vitaux que cette minorités sociale manifestait.

     Derrière les vagues que le magma social produit, et qui est sa manière d’être, il était — et il est — absolument nécessaire de donner un centre. Celui-ci se présente comme nécessité-capacité de faire lire et de faire vivre, à travers la pratique sociale, les éléments de communisme qui vivent souterrains dans les luttes que, de temps en temps, des couches du prolétariat métropolitain réalisent.

     Il s’agit de réaliser un entrelacement, le plus riche et articulé possible, entre la subjectivité communiste et l’antagonisme social, dans une dynamique constante avec les mouvements de masse, dans une pratique sociale attentive aux programmes de phase, dans un calibrage d’initiatives qui libèrent des espaces matériels et politiques.

     À partir de cela, nous pouvons avoir la mesure des pas et des efforts à accomplir.

 

     Europe et alentours…

     Une autre illusion sur laquelle a vécu le mouvement révolutionnaire dans ce pays a été de croire pouvoir faire avancer le processus de libération en dehors du — ou en oubliant le — contexte international, c’est-à-dire sans prendre beaucoup en compte, dans l’analyse et la pratique, les tendances, les tensions et les ruptures qui se développaient au niveau mondial.

     Là-dessus, la réflexion et le débat ont toujours eu un caractère marginal. Nous avons grandi en pensant — dans une dimension somme toute inconsciente et pour cela doublement erronée — pouvoir réaliser des ruptures en dehors des équilibres et des rapports de force définis internationalement.

     Aujourd’hui, plus que par le passé, les grands processus de restructuration économico-sociale répondent à deux exigences de fond : la première est l’exigence de soutenir la concurrence sur le plan international, c’est-à-dire de faire face à une véritable guerre économique qui se développe tendanciellement, où l’unité du monde capitaliste occidental n’est plus qu’un pâle souvenir. Les signes de ces contradictions nouvelles et plus aiguës sont sous les yeux de tous et la crise structurelle en accroît la lourdeur : depuis désormais des années, la C.E.E. ne réussit pas à accoucher d’un bilan et d’une répartition des charges et des richesses qui satisfasse tout le monde. Depuis des années, la politique sidérurgique, agricole, énergétique de chaque pays de la Communauté déchaîne des conflits toujours moins médiables. Chaque État-nation a ses problèmes, ses propres intérêts, ses propres corporations toujours plus tenaillées, aux prises avec la crise, d’entiers secteurs productifs nationaux au bord du collapsus, une inflation et un chômage en augmentation constante et exponentielle. Et puis, le chômage a atteint des chiffres astronomiques de l’ordre de 10-12 %, avec des pointes de 14-15 % dans certains pays de la C.E.E. Et les perspectives sont plus sombres que jamais, surtout dans une conjoncture où la crise n’est pas un élément de tassement-dépassement des étranglements du cycle, mais a un caractère endémique et permanent.

     La réduction du volume du commerce et de l’échange international, les mesures protectionnistes envahissantes, les économies soutenues par une intervention étatique massive rompent les règles du jeu, faussant la concurrence, produisant des contre-mesures et des « sanctions », en une spirale et un mouvement de vrille sur soi-même du système, qui ne peut que mener à la crise générale.

     Le système bancaire et financier international lui-même, véritable axe portant de l’économie mondiale, commence à se lézarder. La crise de solvabilité de nations entières du Tiers-Monde, qui ne survivent que par les prêts internationaux — et sont politiquement orientées par ceux-ci — commence à mettre en cause la tenue globale du système bancaire, sa capacité de régulation, de planification, d’équilibre et d’harmonisation des économies.

     Dans ce cadre, la poussée et la tendance à l’armement et à la confrontation directe inter-impérialiste n’est pas tant dictée par des intérêts économiques immédiats (développement de l’industrie guerrière et des productions apparentées et complémentaires, comme l’électronique, la chimie, l’informatique, etc...), qui sont d’ailleurs toujours présents, que par l’impossibilité de résoudre la crise qui est devenue structurelle, de reproposer le développement — même à l’intérieur de la permanence de la crise —, par l’impossibilité de trouver de nouveaux marchés à conquérir dans le cadre d’une concurrence enflammée. Désormais, les quotas de pénétration sur les marchés sont de l’ordre de très peu de points ou même moins ; trop peu pour assurer sa propre économie.

     Même la tendance à l’armement n’est pas un fait homogène et provoque des déséquilibres à n’en plus finir dans les différents camps : les contradictions d’ordre économique s’entremêlent aux choix militaires, les intérêts tactiques divergent, et les choix sont toujours plus imposés par les deux impérialismes que par une réelle homogénéité (à ce propos, l’affaire du pipe-line est tout à fait éclairante).

     D’amples secteurs du prolétariat, du travail dépendant coopté, d’intellectuels, ouvrent de nouveaux fronts de lutte comme riposte de masse à la tendance à la guerre et au contrôle militaire. Le cadre interne de chaque nation se fait plus précaire, riche et articulé.

     En soi, cela est déjà une raison d’ordre politique pour commencer sérieusement à user d’intelligence et à réfléchir, afin d’analyser et d’évaluer les questions et les rapports internationaux.

     L’autre motif est le fait que les caractères de la crise, au moins dans leurs principales motivations, se présentent sous des formes à peu près similaires. En conséquence, les recettes — les moments de restructuration — que le capital multinational propose présentent toujours plus d’éléments d’homogénéité.

     Il suffit de lire les rapports annuels des diverses commissions de la C.E.E. ou les déclarations d’intention du F.M.I. lorsqu’il s’apprête à aire des prêts à des secteurs du capital en crise aiguë, et l’on y entrevoit des analyses de la crise et des hypothèses de solutions qui ont de fortes analogies.

     En d’autres mots, même avec des disparités plus ou moins accentuées, avec des temps de mûrissement et des phases critiques différentes, avec un mélange différent des facteurs de déchirement, nous assistons, dans l’occident capitaliste, au déploiement du caractère homogène de la crise structurelle du système, avec des réponses, d’une part du capital, de l’autre du prolétariat, qui sont tendanciellement similaires.

     Ce fait a exprimé une tendance qui pousse à la recomposition qualitative et en termes de points de programme des mouvements de lutte du prolétariat international. La crise devient un élément unifiant de tout le prolétariat occidental, elle véhicule la circularité du débat, des expériences et des contenus de lutte. Des luttes pour les droits civils à celles contre l’inflation et le chômage, à la nouvelle vague de lutte contre la guerre inter-impérialiste qui menace, contre le nucléaire, jusqu’aux nouvelles expériences de lutte et d’organisation de contre-sociétés, communautaires, les besoins se massifient, une exigence générale d’une nouvelle qualité de la vie, de l’ouverture d’une phase nouvelle, radicalement nouvelle, dans l’histoire de l’humanité apparaît.

 

     L’Italie est, de tous les points de vue, un anneau fondamental.

     Pour l’État impérialiste multinational, elle est un gigantesque porte-avions, insérée au cœur de l’échiquier stratégiquement le plus important. Elle est un territoire de frontière qui dispose des bases de missiles les plus importantes d’Europe. Elle est un allié parmi les plus précieux et fidèles de l’impérialisme américain. Son appareil économique, comme son appareil militaire, est totalement complémentaire à celui de l’occident capitaliste.

     Il ne peut donc y avoir de croissance et de développement des contradictions dans ce pays sans que n’en soient aussi investis les autres pays. Compter sur un développement des mouvements de libération en Italie, hors et au-dessus du contexte international, sans tenir compte de ses degrés d’intégration, de l’interaction et de la réciprocité objectives des mouvements révolutionnaires et de libération, est pure cécité. C’est en ce sens que le mot d’ordre « détacher l’anneau Italie de l’O.T.A.N. » est erroné 1, qu’il révèle une logique troisième internationaliste du développement du processus révolutionnaire.

     La puissante poussée de l’Occident à résoudre de manière définitive et stratégique le problème énergétique avec le nucléaire tend à l’affranchir de sa dépendance des luttes des mouvements révolutionnaires et de libération du Tiers-Monde, en fonction d’un éventuel conflit mondial dans lequel les réserves énergétiques revêtiront une importance vitale.

     Là-dessus, il n’y a pas beaucoup d’illusions à se faire : la tendance est celle-là, la technologie impérialiste est, théoriquement et opérationnellement, en mesure d’affronter une guerre nucléaire à caractère local, comme terrain de confrontation et de vérification réciproque, en plus que de rééquilibre des rapports de force et de débouché aux contradictions économiques et sociales qui tenaillent l’Occident et, de manière mineure, l’Est.

     Que cela arrive ou non dépend de multiples questions, mais, parmi celles-ci, la principale est sûrement dans la capacité qu’auront les prolétaires, les mouvements sociaux antagonistes, de faire mûrir et exploser les contradictions, en catalysant le processus révolutionnaire. Il devient vraiment exact de dire, sans crainte d’être dogmatiques ou emphatiques, que la perspective se résout toujours plus à une alternative : communisme ou barbarie.

     L’extension et l’approfondissement en qualité et en contenu des luttes et des mouvements de libération en Italie, le patrimoine et la mémoire sédimentée au cours de ces quinze dernières années, l’expérience de combat et le mûrissement des motivations sociales de la lutte armée ; sa massification, font du prolétariat italien, tant objectivement que subjectivement, une pointe avancée de l’affrontement. L’actualité de notre histoire présente des spécificités uniques dans les sociétés capitalistes. Les réponses que le segment Italie du capital y a donné sont tout aussi spécifiques et exemplaires, comme le sont, par d’autres côtés, celles de l’Allemagne et de l’Espagne.

     Pour tout cela, et pour d’autres raisons encore, il est essentiel d’ouvrir une confrontation internationale avec toutes les forces révolutionnaires et les mouvements de libération, avec leurs expériences de lutte, pour dialectiser les programmes, les dispositifs et les stratégies qui les soutiennent, les visions respectives du monde, de la modification dans un sens général du rapport entre révolution et contre-révolution. Un jugement sur ce rapport ne peut plus se soustraire à une capacité de vision et de connaissance globale.

     Ceci ne veut évidemment pas dire fuir, éluder ou considérer comme secondaire la tâche principale des révolutionnaires dans notre pays : faire mûrir les conditions pour la libération.

     Si les sauts de phase, si les profondes variations de l’ordre social, la croissance et la radicalisation des comportements antagonistes, la détermination d’une composition de classe stratégiquement projetée vers la guerre sociale, si un rapport de guerre explicite ne peut qu’avancer par ruptures, l’adéquation de la théorie et de la pratique révolutionnaire ne peut que suivre ces sauts, les fractures profondes que le processus nous impose.

     Le moment est arrivé de faire l’inventaire du bagage que nous portons avec nous et de jeter à la mer tout ce qu’il s’y trouve de dépassé et d’inutile. La rupture avec les hypothèses, les visions déformées de la réalité, les dispositifs politico-organisationnels inadéquats, doit avoir comme débouché une manière d’être complètement nouvelle, adaptée à la complexité du social et à ce que les mouvements de lutte et de libération expriment.

     La fracture que cela suppose doit aussi se faire en nous qui sommes le résultat de cette histoire. Notre agir dans la réalité, en la modifiant, nous a modifié. Les superstructures que nous nous sommes construites dans la tête, en produisant des fétiches, sont profondes, enracinées.

     Nous sommes le résultat du comment nous avons conçu et vécu le rapport avec la richesse de la lutte de classe, mais aussi celui d’une longue confrontation, souvent idéologique, sur la projetualité, le programme communiste, les hypothèses de construction du Parti, les formes de militantisme, etc. Serons-nous en mesure de changer, de nous ouvrir au nouveau, en nous renouvelant, d’éloigner dans la militance concrète les schémas et les méthodes idéologiques et/ou morales de jugement ?

     Ce débat, cette transformation — étant une rupture, un passage historique, une refondation — ne peut se contenter de n’impliquer, de n’être l’œuvre que d’entités organisationnelles particulières et limitées, de telle ou telle formation, d’une aire « movimentiste » ou « partitiste », plutôt que d’une autre. Ce débat est un processus qui est — qui doit être — nécessairement collectif, adressé à l’ensemble du mouvement révolutionnaire, dans ses caractérisations passées et présentes, puisqu’il ne peut que s’adresser à une multiplicité/contradictoriété de comportements et de thématiques sociales antagonistes.

     Aujourd’hui plus que jamais, comprendre le « nouveau », se rendre instruits et adéquats, veut dire dépasser, enterrer définitivement les logiques et les pratiques sectaires, la fragmentation/circonscription du débat. Et, aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de mettre en crise les identités statiques, l’attachement fétichiste au résiduel.

     Il en découle que face et à partir d’une multiplicité, d’une pluralité de langages, de comportements, de formules d’expression et de communication de l’univers social prolétarien, de l’antagonisme social, il ne peut y avoir de présomption de synthèse, d’homologation, d’imposition de codes et de centralité. Comprendre cela veut dire, d’une part, mettre en crise les formes historiques d’agrégation et de centralisation — le Parti — et, de l’autre, ouvrir et s’ouvrir à une phase de rénovation/refondation de la militance révolutionnaire, de ses formes et de ses déterminations organisationnelles.

     Seule la dialectique entre les hypothèses et les analyses développées jusqu’ici peut nous mener à redéfinir un projet et des programmes qui s’insèrent dans les lignes directrices, dans des stratégies communes, en mesure de remodifier les rapports de force, de donner une valeur stratégique à l’actuelle composition du prolétariat métropolitain.

     Là-dessus, nous ne reconnaissons de « clés en mains », de solutions pré-établies, à personne. Les autocritiques non plus ne valent pas si elles ne s’accompagnent pas et ne produisent pas une modification réelle dans la pratique sociale. Nous insistons donc pour nous confronter avec tous les tronçons organisés du mouvement révolutionnaire qui partent d’une révision critique de l’histoire passée et qui sont prêts, à travers un effort d’autodétermination et de renouvellement, à trouver des solutions collectives à l’étendue des problèmes que la situation nous pose.

     Le rapport que, subjectivement, en tant qu’entité, nous avons construit l’an passé avec d’autres forces révolutionnaires, même s’il est en soi positif et correct dans les intentions (c’est-à-dire dans la recherche de terrains unitaires de pratique sociale, pour le dépassement, à travers celle-ci, des divergences politiques, pour aboutir à. des niveaux supérieurs d’analyse et de science), nous a trouvé dans une attitude subalterne et acritique. Nous n’avons pas développé une bataille politique suffisamment profonde et un effort théorique adéquat. Même si la déviation mécaniste et militariste de certaines positions nous était claire, nous avons confondu l’attitude unitaire avec l’unité au-dessus de tout, nous n’avons pas établi la clarté nécessaire et explicite sur les questions que nous estimions stratégiquement perdantes. À côté de cela, notre intervention, centrée sur le carcéral et complètement détachée des autres couches du prolétariat métropolitain, hors d’une vision globale de l’avancée du rapport révolution/contre-révolution, s’est référée de manière trop superficielle et peu analytique à des corps de thèses non dialectisées, en produisant à son tour schématisme et sectarisme.

     Nous entendons travailler à reconstruire les canaux de la communication interne et externe. Ce débat ne doit pas concerner les seuls « préposés aux travaux ». Il doit traverser l’ensemble du mouvement et des secteurs du prolétariat métropolitain, parce que les solutions ne peuvent que venir de celui-ci et de ses tensions souterraines, comme des puissants mouvements de lutte qui, ces mois-ci, interdisent à la bourgeoisie des solutions définitives. La nouvelle manière d’être, la modernité de ce prolétariat, doit être comprise, analysée et mise en relation une fois pour toutes, dans ses pluralités, dans ses caractéristiques et tendances qui se recoupent.

     Un langage doit être construit, une manière de communiquer les expériences, les luttes, les besoins, les tensions entre la subjectivité et les diverses couches sociales prolétariennes, qui ne soit plus celui du passé, obscur et abstrait. Communiquer dans la confrontation, dans le langage et dans la — avec la — pratique sociale.

     Le procès de lobotomisation du prolétariat métropolitain, le refoulement de la mémoire historique que la bourgeoisie tend à approfondir, doit être battu, avec tous les instruments à notre disposition, y compris ceux que l’extrémisme nous a fait abandonner. Nous devons transmettre ce qui nous appartient, qui est à cette classe et à son histoire : le sens des choses qui sont arrivées, le sens des luttes, les sens de la révolution. Nous pouvons et nous devons recommencer d’être le véhicule de la mémoire de ces années. C’est là l’une de nos tâches.

     L’autre est celle à laquelle nous faisions allusion au début, c’est-à-dire de ne pas jeter le bébé avec l’eau sale. S’il est vrai que les éléments de rupture avec le passé prévalent dans cette situation, il est tout aussi vrai que doivent être sauvegardés les aspects de continuité et les propositions stratégiques qui ont donné un sens à ce passé.

     Nous n’avons pas de certitudes statiques et encore moins de solutions stratégiques à proposer : nous estimons cependant que certains éléments communs du débat collectif sont en train d’apparaître et commencent à se montrer à l’horizon. Les langages commencent à s’entremêler. Cette tendance doit être forcée, les lignes directrices principales sur lesquelles progresser dans la définition d’un cadre général doivent être découvertes. Un cadre général dans lequel les forces révolutionnaires puissent se mouvoir en harmonie, même en partant des divergences d’analyses et de pratiques qui caractérisent actuellement les secteurs du mouvement révolutionnaire.

     Aujourd’hui, la possibilité que s’ouvrent des parcours unitaires, réels et profonds, entre les révolutionnaires n’est plus tant liée à des opérations subjectives que portée par le processus de compréhension du « nouveau », du fait réel.

     Compréhension qui renvoie au passé toute « disposition » et toute opposition possible.

     Lire et comprendre la complexité des comportements, des problématiques, des besoins et des pratiques dos divers sujets sociaux antagonistes veut dire reconnaître comme dépassée, inactuelle, comme ne répondant plus, toute attribution possible de « centralité » à telle ou telle figure sociale.

     À côté de cela et à partir de cela, un modèle de centralisation tel que pouvait l’être la forme-Parti léniniste s’avère épuisé. Celle-ci devient, rapportée au développement et au bariolage des sujets, une antiquité, propre à une composition de classe morte et enterrée.

     À la richesse contradictoire qui vit dans le prolétariat métropolitain, dans le prolétariat moderne, on ne peut apposer aucune présomption de synthèse et de représentation univoque.

     C’est à partir de, et dans, cette richesse que doivent être recherchées, définies et expérimentées de nouvelles formes d’organisation de la subjectivité communiste, de nouveaux modèles de rapports capables de promouvoir, de catalyser et d’organiser les parcours de libération sociale.

     C’est clairement une phase préalable de vérification et d’expérimentation. Si les vérifications opérées jusqu’ici du vaste corps de thèses et d’hypothèses mûries en 10 ans ne sont certainement pas réconfortantes, il reste un immense bagage d’histoire et d’expérience politique, sociale et combattante, une mémoire sédimentée et inaliénable.

     Les contradictions de la bourgeoisie impérialiste, destinées à s’aiguiser, restent un terrain fertile sur lequel travailler. Il y a une capacité historique des communistes à lire ces contradictions et il y a de vastes mouvements de lutte qui, ponctuellement, se présentent à l’horizon.

     C’est à ceux-ci que nous devons nous référer c’est avec eux que nous devons reconstruire le fil rouge, rétablir le contact, le code de réciproque appartenance.

     Ne pas compter sur ce qui et sur qui reste, mais travailler dans et pour le futur, dans le mûrissement et l’explosion du nouveau, afin que celui-ci ne nous trouve pas, une fois encore, interdits, à côté de la plaque et retranchés.

     En cette période do revérifications totales, il y a certaines questions fondamentales qui pressent fortement et impérieusement, Nous voulons parler de la question de la prison et de la libération. La centralité de ce terrain ne découle pas d’un problème moral à l’égard des prisonniers : elle est une question politique. Nous ne voulons pas ici refaire l’analyse de ce qu’est le projet de différenciation/anéantissement et du saut que représente l’article 90, et de comment celui-ci est intégré — comme terrain de vérification et d’expérimentation — à l’offensive en cours contre tout le prolétariat. Nous renvoyons à nos précédents textes et à tout le matériel produit par le mouvement des prolétaires prisonniers.

     Ce qui doit être clair, c’est que le rapport de force entre le prolétariat prisonnier, en tant que couche du prolétariat métropolitain, et la bourgeoisie impérialiste ne peut descendre au-dessous d’une certaine limite sous peine d’irréversibilité de la tendance, du processus d’extermination. Sur ce véritable banc d’essai, la plus grande capacité d’initiative politique, sociale et militaire des révolutionnaires doit tout de suite être investie.

 

     Empêcher par tous les moyens l’anéantissement des communistes et du prolétariat prisonniers !

     Fermer Voghera et tous les centres de torture, d’anéantissement psychophysique et d’avilissement de la dignité des prisonniers !

     Mettre en action tous les instruments — des représailles à la propagande — pour bloquer le processus d’extermination et modifier les rapports de force !

     Organiser et diffuser la libération !

 

P.S.

     Ces derniers temps, une campagne de contre-guérilla psychologique est en cours, qui met en relation certains sujets communistes et certaines réalités organisées — les ainsi-nommés « Noyaux communistes » et les « Communistes organisés pour la libération prolétarienne » 2 — avec une sale histoire — un triple homicide intervenu dans un bar de Milan, le 1er décembre 1978 — et de tout aussi sales et louches individus, tels Baldasseroni Maurizio et Tagliaferri Oscar.

     L’impudence de cette provocation, orchestrée par l’habituel Spataro et autres porcs semblables, et qui est aujourd’hui assumée par le tout aussi habituel — et aspirant porc — Crico, est parvenue à formaliser en une même instruction de tels faits répugnants et. la pratique combattante exprimée par la subjectivité communiste organisée au cours de ces dernières années à Milan.

     La limpidité et la correction de la pratique sociale et combattante que nous avons produit durant ces années n’a pas besoin d’être illustrée et documentée. Cela n’ôte pas que nous n’entendons pas subir de telles manœuvres.

     Il n’est pas de notre habitude de perdre notre souffle et notre temps en d’inutiles et rituelles menaces. Nous disposons d’autres instruments, bien plus pesants et « incisifs », pour répondre aux provocations et à toute tentative de souiller la dignité et la transparence de notre militance communiste.

     En tous cas, le mouvement révolutionnaire devra, même avec un coupable retard, assumer la tâche de faire la clarté, et de prendre les mesures voulues, sur ceci, de même que sur d’autres répugnants événements qui sont utilisés pour discréditer la lutte révolutionnaire.

Janvier 1983.

Diego Forastieri
et Sergio Segio

Notes :

     1. Le mot d’ordre « Détacher l’anneau Italie de l’O.T.A.N. » a été lancé par les Brigades Rouges en 1980 et explicité dans l’ouvrage des « prisonniers communistes des B.R. du camp de Palmi », L’Ape e il Comunista (L’abeille et le Communiste).

     2. Il s’agit de deux formations nées après la décomposition de Prima linea. Les « Noyaux communistes » ont revendiqué l’exécution de Francesco Rucci, vice-brigadier des surveillants de la section de haute sécurité de la prison milanaise de San Vittore, spécialiste des tabassages, le 18 septembre 1981, lors d’une importante lutte dans la maison d’arrêt, de même que plusieurs attentats contre des prisons.

     Les « Communistes organisés pour la libération prolétarienne » se sont fait connaître surtout par l’assaut à la prison de Rovigo, le 8 janvier 1982, au cours duquel quatre militantes furent libérées : Marina Premoli, Suzanna Ronconi, Loredana Biancamano et Federica Meroni.

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DÉCLARATION D’UN GROUPE DE COMMUNISTES PRISONNIERS DANS LA PRISON SPÉCIALE DE VOGHERA

 

     « Oui monsieur, vous êtes libre, pas seulement de nous inviter mais d’aller vous-même où vous voulez, même dans la boue. Du reste nous pensons que votre place est vraiment dans la boue et nous sommes prêts à vous aider à y transporter vos pénates. Mais lâchez-nous la main, ne vous agrippez pas à nous, n’éclaboussez pas la grande parole de liberté car nous aussi nous sommes libres d’aller où nous voulons, libres de combattre non seulement contre la boue mais aussi contre ceux qui s’acheminent vers elle. » (Lénine)

 

     Dans les derniers mois, qu’on le veuille ou non, nous avons dû mettre dans notre dictionnaire un mot « à la mode » : décarcérisation.

     En lui-même, il peut sembler un mot comme un autre, peut-être un peu « alternatif », mais en réalité il est le produit des projets politiques qui tendent à s’accorder avec l’État sur la fin de l’« état d’urgence », avec pour conséquence de proposer une solution politique au problème des prisonniers politiques. En bref pacification et reddition.

     Dans cette opération politique inhérente aux intérêts de la bourgeoisie se sont unies diverses forces institutionnelles ou non. L’État a toujours dit et continue à dire par la voix d’Amato qu’« il est nécessaire de favoriser la désagrégation du terrorisme par l’intérieur… » Comment serait-il possible que l’État bourgeois « désincarcère » ses ennemis déclarés sans recevoir de contrepartie ?

     Et la contrepartie arrive, plus seulement à un niveau individuel, mais sous forme de propositions collectives assurant ainsi une fictive « consistance » politique, de cette même nature qui est dissociation du mouvement révolutionnaire. Il est clair donc que ceux qui pensent à leur propre libération immédiate ne peuvent que rejeter quelque projet qui reconnaît la révolution prolétarienne et par la voix même de ceux-ci, qui hier se posaient comme avant-garde révolutionnaire de la classe, la bourgeoisie fait propager la « défaite de la lutte armée ».

     Aujourd’hui, ils deviennent des voix autorisées qui déclarent la « délégitimation sociale de la lutte armée », sa disparition... en proposant au contraire la confrontation pacifique avec les appareils de l’État impérialiste et la recherche d’une insertion dans la « gauche » institutionnalisée. Les chambres des tribunaux en deviennent même des scènes de théâtre pour véhiculer activement sa propre disponibilité à la réinsertion ; il y a ceux qui rendent les armes, ce qui améliore, sous couvert de vérité, la version des infâmes, ceux qui lancent des appels.

     Et tant que nous sommes à parler de cela, disons quelques mots sur la mobilisation de masse qu’il y a dans beaucoup de prisons. Le mécontentement qui encore aujourd’hui passe de prison en prison est le produit de la politique carcérale dont la question fondamentale est la très connue réforme. Les réformes sont des instruments du gouvernement, armes de différenciation entre les prolétaires, et ce n’est certainement pas l’intérêt de la classe que de s’accorder avec l’État sur la meilleure manière d’être gouverné !! Ça, c’est une affirmation de contenu, pas de principe, que nous retenons comme aussi valable pour la réforme du code de procédure pénale.

     Les prolétaires ont toujours lutté à partir de leur concret, se développant dans la lutte, et développant chaque fois la forme qu’ils pensent la plus opportune. C’est un fait. Mais autre chose est l’instrumentalisation de ce mouvement par ceux qui historiquement ont toujours essayé de « chevaucher le tigre du mouvement de masse », P.C.I. en tête, et ceux qui — incarcérés ou pas — prennent leurs distances du mouvement révolutionnaire et prétendent maintenant l’utiliser pour leurs propres calculs opportunistes.

     La réforme qui s’annonce à l’horizon ne peut pas être autre chose que la « tant attendue » (par les légalistes de tout genre) refonctionnalisation de la sphère juridique par le gouvernement anti-prolétaire de crise !! Ne nous illusionnons pas ! Car comme le disait Lénine : « Le prolétariat devra subir des épreuves beaucoup plus dures, il devra combattre un monstre face auquel une loi d’exception dans un pays constitutionnel paraîtrait un pygmée. » Nous sommes à un tournant très important de notre histoire révolutionnaire, les prolétaires ont bien d’autres intérêts que de courir derrière ceux qui se défilent, et la fraction la plus consciente a bien compris la nature de ce discours. Des exemples, nous en connaissons beaucoup, mais pour rester dans ce propos il suffit d’en citer un : la manifestation organisée contre le meeting tenté par Toni Negri, place Navona ; la banderole disait : « la libération des communistes prisonniers ne passe pas par l’État et ses larbins ».

     La politique économique du gouvernement de la bourgeoisie impérialiste, la politique impérialiste de l’installation des missiles et le spectre de la guerre impérialiste — ne font qu’accélérer l’explosion des contradictions dans le tissu social et la réorganisation du prolétariat. L’antagonisme croît qualitativement et quantitativement au sein des masses. La guerre révolutionnaire est en train de se requalifier et dans ce cadre global, nous le réaffirmons, la libération des prisonniers ne peut que passer par la concrétisation de la possibilité et nécessité de la révolution prolétarienne.

     Toutes ces précisions sembleront évidentes, mais cette brève esquisse qui n’a aucune prétention d’analyse, s’impose d’urgence en considérant la situation particulière qui se vérifie dans la prison spéciale de Voghera. Pour éviter l’ambiguïté de « qui ne dit mot consent »… il ne nous intéresse pas de répondre coup par coup aux manifestations les plus diverses (rapport avec les institutions, dialogue avec les mass-media, mise en scène, etc...), plus ou moins de « masses », qui ici sont produites à la chaîne. Il ne nous intéresse pas de réaffirmer que nous n’avons rien à partager avec toutes ces actions qui véhiculent des contenus politiques antagoniques aux intérêts de la classe.

     Un rocher en déséquilibre est bien plus dangereux que celui qui a déjà chuté ; pour ceux qui posent leur intérêt personnel avant celui de la classe, il vaut mieux qu’ils tombent rapidement dans le giron de la bourgeoisie. Il ne nous intéresse pas non plus de « convaincre » ceux qui avec des mots affirment des contenus communistes mais qui dans la pratique cautionnent ou avalisent ce que nous venons de dénoncer.

     Aujourd’hui, il s’agit de choisir clairement, la phase des ambiguïtés en notre sein est terminée et nous l’avons payée très cher ! Ce qui compte, c’est notre identité de communiste, identité vivante, active, aussi à l’intérieur de la prison. Nous sommes en train de revoir nos erreurs et déviations avec l’œil critique, non pour ramener à zéro notre parcours de lutte armée pour le communisme mais pour le requalifier et le renforcer.

     La prison n’est certainement pas la contradiction principale pour le prolétariat, ce n’est pas d’ici que l’on transformera le rapport de force ; mais aussi ici comme dans n’importe quel autre coin de la société impérialiste, un communiste prisonnier — conscient des limites de sa propre condition — peut et doit lutter pour contribuer au développement de la politique/pratique révolutionnaire, la seule qui construira le communisme.

Des prisonniers communistes
de la prison de Voghera.

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TROTSKI : LE TERRORISME

(Chapitre du livre Terrorisme et Communisme - Fin)

 

La « liberté de la presse ».

     Un point inquiète particulièrement Kautsky, autour d’un grand nombre de livres et d’articles il s’agit de la liberté de la presse. Est-il admissible de supprimer les journaux ?

     En temps de guerre, toutes les institutions et tous les organes du pouvoir d’État et de l’opinion publique deviennent, directement ou indirectement, des organes pour la conduite de la guerre. Ceci concerne en premier lieu la presse. Nul gouvernement soutenant une guerre sérieuse ne peut permettre la diffusion sur son territoire de publications qui soutiennent ouvertement ou secrètement l’ennemi. À plus forte raison en période de guerre civile. La nature de cette dernière est telle que les deux partis ont, à l’arrière de leurs troupes, des cercles importants de la population qui sont du côté de l’ennemi. À la guerre, où la mort sanctionne les succès et les échecs, les agents ennemis qui se sont faufilés à l’arrière des armées doivent subir la peine de mort. Loi inhumaine sans aucun doute, mais personne n’a encore considéré la guerre comme une école d’humanité, à plus forte raison la guerre civile. Peut-on sérieusement exiger que, pendant la guerre contre les bandes contre-révolutionnaires de Denikine, les publications des partis qui le soutiennent puissent paraître sans encombre à Moscou et à Petersbourg ? Le proposer au nom de la « liberté » de la presse équivaudrait à exiger au nom de la publicité la publication des secrets militaires. « Une ville assiégée, écrivait le communard Arthur Arnould, ne peut admettre ni que le désir de la voir tomber s’exprime librement en son sein, ni qu’on incite ses défenseurs à la trahison, ni qu’on communique à l’ennemi les mouvements de ses troupes. Telle a été la situation de Paris pendant la commune. » Et telle est la situation de la République soviétique depuis deux années qu’elle existe.

     Écoutons néanmoins ce que dit Kautsky à ce sujet :

     « La justification de ce système (il s’agit de la répression en matière de presse) se résume en la croyance naïve qu’il y a une vérité absolue (!) que seuls les communistes détiennent (!!). Elle se résume aussi, continue Kautsky, en cette autre opinion que tous les écrivains mentent de par leur nature (!) et que seuls les communistes sont des fanatiques de la vérité (!!), alors qu’en réalité, les menteurs et les fanatiques de ce qu’ils considèrent comme la vérité se rencontrent dans tous les camps. etc., etc.. etc. » (p. 119)

     Ainsi, pour Kautsky, la révolution dans sa phase la plus aiguë, quand il s’agit pour les classes en lutte de vie ou de mort, reste comme autrefois une discussion littéraire en vue d’établir... la vérité. Quelle profondeur !…

     Notre « vérité » n’est évidemment pas absolue. Mais du fait qu’à l’heure actuelle nous versons du sang en son nom, nous n’avons aucune raison, aucune possibilité d’engager une discussion littéraire sur le caractère relatif de la vérité avec ceux qui nous « critiquent » à l’aide de toutes sortes d’armes. Notre tâche ne consiste pas non plus à punir les menteurs et à encourager les « justes » de la presse de toutes les tendances, mais uniquement à étouffer le mensonge de classe de la bourgeoisie et à assurer le triomphe de la vérité de classe du prolétariat — indépendamment du fait qu’il y a dans les deux camps des fanatiques et des menteurs.

     « Le pouvoir soviétique, se lamente plus loin Kautsky, a détruit l’unique force qui puisse aider à extirper la corruption : la liberté de la presse. Le contrôle au moyen d’une liberté de presse sans limites aurait été le seul moyen de brider les bandits et les aventuriers qui voudront inévitablement profiter de tout pouvoir non limité, non contrôlé. » (p. 140). Et ainsi de suite. La presse, arme sûre contre la corruption ! Cette recétte libérale sonne bien lamentablement quand on songe aux deux pays de la plus grande « liberté » de presse, l’Amérique du Nord et la France, qui sont en même temps les pays où la corruption capitaliste atteint son apogée.

     Nourri des commérages désuets des arrière-boutiques politiques de la révolution russe, Kautsky s’imagine que sans la liberté des cadets et des menchéviks, l’appareil soviétique sera rongé par les « bandits et les aventuriers ». Tel était le son de cloche des menchéviks il y a un an, un an et demi... À l’heure actuelle, ils n’oseraient plus eux-mêmes le répéter. À l’aide du contrôle soviétique et de la sélection qu’opère le parti dans l’atmosphère intense de la lutte, le pouvoir soviétique a eu raison des bandits et des aventuriers qui ont fait surface au moment de la révolution, incomparablement mieux que ne l’aurait fait à n’importe quel moment n’importe quel autre pouvoir.

     Nous faisons la guerre. Nous nous battons pour la vie ou la mort. La presse n’est pas l’arme d’une société abstraite, mais de deux camps inconciliables, qui se combattent par les armes. Nous supprimons la presse de la contre-révolution comme nous détruisons ses positions fortifiées, ses dépôts, ses communications, ses services d’espionnage. Nous nous privons des révélations des cadets et des menchéviks sur la corruption de la classe ouvrière ? Mais en revanche nous détruisons victorieusement les fondements de la corruption capitaliste.

     Mais Kautsky va plus loin dans le développement de son thème : il se plaint que nous fermions les journaux des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks et même — cela arrive — que nous arrêtions leurs chefs. Est-ce qu’il ne s’agit pas ici de « nuances » d’opinion au sein du prolétariat ou du mouvement socialiste ? Notre pédant scolaire, derrière ses mots habituels, ne voit pas les faits. Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires ne constituent pour lui que des tendances dans le socialisme, alors qu’ils se sont transformés au cours de la révolution en des organisations travaillant en alliance avec la contre-révolution et qui nous font une guerre déclarée. L’armée de Koltchak a été formée par des socialistes-révolutionnaires (comme ce nom sonne aujourd’hui faux et creux !) et soutenue par des menchéviks. Sur le front nord, les uns et les autres combattent contre nous depuis un an et demi. Les dirigeants menchéviks du Caucase, ex-alliés des Hohenzollern, alliés présentement à Lloyd George, arrêtaient et fusillaient les bolchéviks en parfait accord avec des officiers anglais et allemands. Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires de la Rada du Kouban ont créé l’armée de Denikine. Les menchéviks estoniens, membres du gouvernement, ont participé directement à la dernière offensive de Youdenitch contre Petersbourg. Voilà de quelles « tendances » du socialisme il s’agit. Kautsky pense qu’on peut se trouver en état de guerre déclarée avec les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires qui combattent pour leur « nuance » socialiste avec l’aide des armées de Youdenitch, de Koltchak, de Denikine, créées grâce à leur concours, et accorder en même temps, à l’arrière de notre front, à ces innocentes « nuances », la liberté de la presse. Si le conflit entre les socialistes-révolutionnaires et les bolchéviks avait pu être résolu par la persuasion et le vote, c’est-à-dire s’il n’y avait pas eu derrière eux des impérialistes russes et étrangers, il n’y aurait pas de guerre civile.

     Kautsky est naturellement prêt à « condamner » (une goutte d’encre de trop) et le blocus, et le soutien apporté à Denikine par l’Entente, et la terreur blanche. Mais du haut de son impartialité, il ne peut pas ne pas trouver à cette dernière des circonstances atténuantes. La terreur blanche, voyez-vous, ne viole pas ses propres principes, tandis que les bolchéviks, en appliquant la terreur rouge, violent le respect du « caractère sacré » de la vie humaine qu’ils ont eux-mêmes proclamé... (p. 139).

     Que signifie en pratique le respect du caractère sacré de la vie humaine et en quoi se différencie-t-il du commandement : « Tu ne tueras point » ? Kautsky s’abstient de l’expliquer. Quand un bandit lève son couteau sur un enfant, peut-on tuer le premier pour sauver le second ? N’est-ce pas une atteinte au « caractère sacré » de la vie humaine ? Peut-on tuer un bandit pour se sauver soi-même ? L’insurrection des esclaves opprimés contre leurs maîtres est-elle admissible ? Est-il admissible d’acquérir la liberté au prix de la mort de ses geôliers ? Si la vie humaine en général est inviolable et sacrée, alors il faut renoncer non seulement à la terreur, non seulement à la guerre, mais aussi à la révolution. Kautsky ne se rend tout simplement pas compte de la signification contre-révolutionnaire du « principe » qu’il tente de nous imposer. Nous verrons ailleurs qu’il nous reproche d’avoir conclu la paix de Brest-Litovsk. Nous aurions dû, à son avis, continuer la guerre. Mais que devient donc le « caractère sacré » de la vie humaine ? La vie cesserait-elle d’être sacrée lorsqu’il s’agit d’individus qui parlent une autre langue ? Ou bien Kautsky considère-t-il que les assassinats en masse organisés selon les règles de la stratégie et de la tactique ne sont pas des assassinats ? En vérité, il est difficile à notre époque d’affirmer un principe à la fois plus hypocrite et plus inepte. Tant que la force de travail humaine, et par conséquent la vie elle-même, sont des articles de commerce, d’exploitation et de dilapidation, le principe du « caractère sacré de la vie humaine » n’est que le plus infâme des mensonges, dont le but est de maintenir les esclaves sous le joug.

     Nous avons lutté contre la peine de mort introduite par Kerensky parce qu’elle était appliquée par les cours martiales de l’ancienne armée contre les soldats qui refusaient de continuer la guerre impérialiste. Nous avons arraché cette arme aux anciens conseils de guerre, détruit les conseils de guerre eux-mêmes et dissout l’ancienne armée qui les avait créés. En exterminant dans l’armée rouge et en général dans l’ensemble du pays les conspirateurs contre-révolutionnaires qui s’efforçaient par l’insurrection, par l’assassinat, par la désorganisation, de restaurer l’ancien régime, nous agissons conformément aux lois de fer de la guerre, d’une guerre dans laquelle nous voulons nous assurer la victoire.

     Si l’on cherche des contradictions formelles, il va de soi qu’il faut avant tout les chercher du côté de la terreur blanche, arme des classes qui se considèrent comme chrétiennes, qui professent une philosophie idéaliste et qui sont fermement convaincues que la personne (leur propre personne) est la « fin en soi ». En ce qui nous concerne, nous ne nous sommes jamais préoccupés des bavardages des pasteurs kantiens et des quakers végétariens sur le « caractère sacré » de la vie humaine. Nous étions des révolutionnaires dans l’opposition, nous le sommes restés au pouvoir. Pour rendre la personne sacrée, il faut détruire le régime social qui l’écrase. Et cette tâche ne peut être accomplie que par le fer et par le sang.

     Il y a encore une différence entre la terreur blanche et la terreur rouge. Le Kautsky actuel l’ignore, mais aux yeux d’un marxiste elle a une importance capitale. La terreur blanche est l’arme d’une classe historiquement réactionnaire. Lorsque nous avons fait remarquer l’impuissance des répressions de l’État bourgeois à l’égard du prolétariat, nous n’avons jamais nié qu’au moyen des arrestations et des exécutions les classes dirigeantes peuvent, dans certaines conditions, retarder temporairement le développement de la révolution sociale. Mais nous étions convaincus qu’elles ne réussiraient pas à l’arrêter. Notre certitude provenait du fait que le prolétariat est la classe historiquement ascendante, et que la société bourgeoise ne peut pas se développer sans augmenter les forces du prolétariat. La bourgeoisie est, à l’époque actuelle, une classe en décadence. Non seulement elle ne joue plus le rôle essentiel dans la production, mais, par ses méthodes impérialistes d’appropriation, elle détruit l’économie mondiale et la culture humaine. Cependant, la ténacité historique de la bourgeoisie est colossale. Elle se cramponne au pouvoir et ne veut pas lâcher prise. Par là même, elle menace d’entraîner dans sa chute toute la société. Il faut l’en arracher, lui couper les membres... La terreur rouge est l’arme employée contre une classe vouée à périr et qui ne s’y résigne pas. Si la terreur blanche ne peut que retarder l’ascension historique du prolétariat, la terreur rouge précipite la mort de la bourgeoisie. À certaines époques, l’accélération, en faisant gagner du temps, a une importance décisive. Sans la terreur rouge, la bourgeoisie russe, de concert avec la bourgeoisie mondiale, nous aurait étouffés bien avant l’avènement de la Révolution en Europe. Il faut être aveugle pour ne pas le voir, ou faussaire pour le nier.

     Celui qui reconnaît une importance révolutionnaire historique au fait même de l’existence du système soviétique doit également sanctionner la terreur rouge. Et Kautsky, après avoir, au cours de ces deux dernières années, noirci des montagnes de papier contre le communisme et le terrorisme, est bien obligé, à la fin de sa brochure, de s’incliner devant les faits et d’admettre contre toute attente que le pouvoir soviétique russe représente actuellement le facteur principal de la révolution mondiale. « Quelle que soit l’attitude qu’on adopte à l’égard des méthodes bolcheviques, écrit-il, le fait qu’un gouvernement prolétarien est non seulement parvenu au pouvoir dans un grand pays, mais s’y maintient depuis déjà deux ans au milieu de difficultés inouïes, accroît considérablement, chez les prolétaires de tous les pays, le sentiment de leur force. Par cela même, les bolchéviks ont rendu un service inestimable à la révolution réelle » (p. 153). Cette déclaration nous surprend profondément en tant que reconnaissance d’une vérité historique, provenant d’un camp où on ne l’attendait plus. En tenant tête depuis deux ans au monde capitaliste coalisé, les bolchéviks ont accompli une œuvre historique considérable. Mais si les bolchéviks ont tenu, ce n’est pas seulement par les idées, mais aussi par l’épée. L’aveu de Kautsky est la sanction involontaire des méthodes de la terreur et, en même temps, la condamnation la plus sévère de ses propres procédés critiques.

 

L’influence de la guerre.

     Kautsky voit dans la guerre, dans son influence endurcissante sur les mœurs, une des causes du caractère extrêmement sanglant de la lutte révolutionnaire. C’est tout à fait incontestable. Cette influence, avec toutes les conséquences qui en découlent, on pouvait la prévoir plus tôt, approximativement à l’époque où Kautsky ne savait pas s’il fallait voter pour ou contre les crédits militaires.

     « L’impérialisme a arraché de vive force la société à son équilibre instable — écrivions-nous il y a quelque cinq ans dans notre livre en allemand La guerre et l’Internationale. — Il a rompu les écluses par lesquelles la social-démocratie contenait le torrent d’énergie révolutionnaire du prolétariat et l’a canalisé dans son propre lit. Cette formidable expérience historique, qui d’un coup a brisé les reins à l’Internationale socialiste, porte aussi en elle un danger mortel pour la société bourgeoise elle-même. On a retiré le marteau des mains de l’ouvrier pour le remplacer par l’épée. L’ouvrier, lié pieds et poings à l’engrenage de l’économie capitaliste, s’arrache soudain à son milieu et apprend à placer les buts de la collectivité au-dessus du bien-être domestique et de la vie même.

     « Tenant en mains les armes qu’il a lui-même forgées, l’ouvrier se trouve dans une situation telle que le sort politique de l’État dépend directement de lui. Ceux qui auparavant l’opprimaient et le méprisaient, le flattent désormais et recherchent ses bonnes grâces. Il apprend en même temps à connaître intimement ces canons qui, selon Lassalle, constituent une des parties intégrantes et les plus importantes de la Constitution. Il franchit les limites de l’État, participe aux réquisitions par la force, voit les villes changer de mains sous ses coups. Des changements se produisent comme la dernière génération n’en avait jamais vus.

     « Si les ouvriers avancés savaient théoriquement que la force est la mère du droit, leur façon politique de penser les laissait tout de même pénétrés d’un esprit de possibilisme et d’adaptation à la légalité bourgeoise. Maintenant la classe ouvrière apprend dans les faits à mépriser cette légalité et à la détruire par la violence. Les phases statiques de sa psychologie cèdent la place aux phases dynamiques. Les canons lourds lui ont enfoncé dans la tête l’idée que lorsqu’on ne peut contourner un obstacle, il reste la ressource de le briser. Presque tous les hommes adultes passent par cette école de la guerre, terrible dans son réalisme social, qui crée un nouveau type humain.

     « Au-dessus de toutes les normes de la société bourgeoise — avec son droit, sa morale, sa religion — est aujourd’hui suspendu le poing de la nécessité de fer. "La nécessité ne connaît pas de loi", déclarait le chancelier allemand le 4 août 1914. Les monarques viennent sur la place publique s’accuser les uns les autres de perfidie dans un langage de poissonnier. Les gouvernements foulent aux pieds les engagements qu’ils ont solennellement pris, tandis que l’Église nationale enchaîne son seigneur-dieu comme un forçat au canon national. N’est-il pas évident que ces circonstances doivent provoquer les changements les plus profonds dans la psychologie de la classe ouvrière, en la guérissant radicalement de l’hypnose de la légalité provoquée par une époque de stagnation politique ? Les classes possédantes devront bientôt s’en convaincre à leur grand effroi. Le prolétariat, qui a passé par l’école de la guerre, ressentira, au premier obstacle sérieux qui surgira de son propre pays, le besoin de tenir le langage de la force. "La nécessité ne connaît pas de loi !", jettera-t-il à la face de ceux qui tenteront de l’arrêter avec les lois de la légalité bourgeoise. Et les terribles besoins économiques qui se feront sentir au cours de cette guerre, et surtout à la fin, pousseront les masses à fouler aux pieds beaucoup, beaucoup de lois. » (p. 56-57) 1.

     Tout cela est incontestable. Mais il faut encore ajouter à ce qui a été dit que la guerre n’a pas exercé moins d’influence sur la psychologie des classes dominantes dans la mesure même où les masses sont devenues exigeantes, la bourgeoisie est devenue intraitable.

     En temps de paix, les capitalistes assuraient leurs intérêts au moyen du pillage « pacifique » du travail salarié. Pendant la guerre, ils ont servi ces mêmes intérêts en faisant exterminer d’innombrables vies humaines. Cela a ajouté à leur esprit de domination un nouveau trait « napoléonien ». Les capitalistes se sont habitués pendant la guerre à envoyer à la mort des millions d’esclaves nationaux et coloniaux, au nom des profits qu’ils tirent des mines, des chemins de fer, etc.

     Au cours de la guerre, du sein de la grande, de la moyenne et de la petite bourgeoisie sont issus des centaines de milliers d’officiers : ce sont les combattants professionnels, des hommes dont le caractère s’est trempé dans la guerre et s’est affranchi de toutes les retenues extérieures, des soldats qualifiés, prêts et capables de défendre, avec un acharnement confinant — à sa manière — à l’héroïsme, la situation privilégiée de la bourgeoisie qui les a dressés.

     La révolution serait probablement plus humaine si le prolétariat avait la possibilité de « se racheter de toute cette bande », selon l’expression de Marx. Mais le capitalisme, au cours de cette guerre, a fait retomber sur les travailleurs un fardeau de dettes trop écrasant ; il a ruiné trop profondément les bases de la production pour qu’on puisse parler sérieusement de ce rachat, au prix duquel la bourgeoisie se résignerait en silence à la révolution. Les masses ont perdu trop de sang, elles ont trop souffert, elles se sont trop endurcies pour prendre une semblable décision, qu’elles ne seraient pas en état de réaliser économiquement.

     À cela il faut ajouter d’autres circonstances, qui agissent dans le même sens. La bourgeoisie des pays vaincus, rendue furieuse par la défaite, tend à en faire retomber la responsabilité sur ceux d’en bas, sur les ouvriers et les paysans qui n’ont pas été capables de mener la « grande guerre nationale » jusqu’à la victoire. De ce point de vue, les explications d’une impudence sans exemple données par Ludendorff à la Commission de l’Assemblée nationale sont des plus instructives. Les bandes de Ludendorff brûlent du désir de prendre leur revanche de l’humiliation subie à l’extérieur, avec le sang de leur propre prolétariat. Quant à la bourgeoisie des pays victorieux, remplie d’arrogance, elle est plus que jamais prête à défendre sa situation sociale en recourant aux méthodes bestiales qui lui ont assuré la victoire. Nous avons vu que la bourgeoisie internationale s’est montrée incapable d’organiser le partage du butin dans ses propres rangs sans guerres et sans ruines. Peut-elle, en général, renoncer sans combat au butin ? L’expérience des cinq dernières années ne laisse plus le moindre doute à ce sujet. Si déjà auparavant c’était de la pure utopie d’attendre que grâce à la « démocratie » l’expropriation des classes possédantes se fasse insensiblement et sans douleur, sans soulèvements, sans affrontements armés, sans tentative de contre-révolution et sans répression impitoyable, aujourd’hui la situation que nous a légué la guerre impérialiste ne peut que doubler et tripler l’intensité de la guerre civile et de la dictature du prolétariat.

 

Note :

     1. Traduction française : La guerre et l’Internationale, in : Léon Trotski, La guerre et la révolution, tome 1, Paris, Éditions Tête de Feuille, 1974. Le passage cité (que nous avons préféré retraduire du russe à partir de la version donnée dans Terrorisme et Communisme) se trouve pp. 104-105.

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LÉNINE : LA DIRECTION POLITIQUE ET MILITAIRE DANS LA LUTTE DE MASSE DU PEUPLE

L’armée révolutionnaire et le gouvernement révolutionnaire.

 

     L’insurrection d’Odessa et le passage dans le camp de la révolution du cuirassé Potemkine ont marqué un nouveau, un grand progrès du mouvement révolutionnaire contre l’autocratie. Les événements ont confirmé avec une rapidité extraordinaire l’opportunité des appels à l’insurrection et à la formation d’un gouvernement révolutionnaire provisoire, adressés au peuple par les représentants conscients du prolétariat, réunis au IIIe congrès du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie. La nouvelle explosion révolutionnaire met en pleine lumière la portée pratique de ces appels et nous fait un devoir de déterminer plus exactement les tâches des militants révolutionnaires dans la situation actuelle de la Russie.

     L’insurrection armée du peuple entier mûrit et s’organise sous nos yeux, sous l’influence du développement spontané des événements. Il n’y a pas si longtemps que les émeutes, en d’autres termes les révoltes inconscientes, inorganisées, spontanées, parfois sauvages, étaient les seules manifestations de la lutte du peuple contre l’autocratie. Mais le mouvement ouvrier, mouvement du prolétariat, la classe la plus avancée, est rapidement sorti de cette phase primitive. La propagande et l’agitation conscientes de la social-démocratie ont produit leur effet. L’action gréviste organisée et les manifestations politiques contre l’autocratie ont succédé aux émeutes. Les sauvages répressions militaires ont, en quelques années, « éduqué » le prolétariat et le peuple des villes et les ont préparés à des formes supérieures de l’action révolutionnaire, la guerre criminelle et honteuse dans laquelle l’autocratie a jeté le peuple, a épuisé la patience populaire. Les premières tentatives de résistance armée de la foule aux troupes du tsar se sont produites. De véritables batailles de rues, des batailles de barricades, ont eu lieu entre le peuple et la troupe. Le Caucase, Lodz, Odessa, Libau nous ont offert ces tout derniers temps des exemples d’héroïsme prolétarien et d’enthousiasme populaire. La lutte s’est aggravée au point de se transformer en insurrection. Le rôle abject de bourreau de la liberté, le rôle auxiliaire de la police qu’on lui faisait jouer, ne pouvait manquer d’ouvrir peu à peu les yeux à l’armée du tsar elle-même. L’armée a commencé à hésiter. Ce furent d’abord des cas isolés de désobéissance, des mutineries de réservistes, des protestations d’officiers, l’agitation parmi les soldats, les refus de compagnies ou de régiments entiers d’ouvrir le feu sur leurs frères ouvriers. Puis ce fut le passage d’une partie de l’armée du côté de l’insurrection.

     L’énorme importance des derniers événements d’Odessa vient précisément de ce que, pour la première fois, une grande unité des forces armées du tsarisme, tout un cuirassé, a passé ouvertement à la révolution. Le gouvernement a fait des efforts désespérés, usé de tous les expédients imaginables afin de cacher cet événement au peuple et d’étouffer, dès le début, le soulèvement des marins. Tout a été vain. Les équipages des navires de guerre envoyés contre le cuirassé révolutionnaire Potemkine ont refusé de combattre leurs camarades. En répandant en Europe la nouvelle de la reddition du Potemkine et l’ordre du tsar de couler le cuirassé révolutionnaire, le gouvernement autocratique n’a fait que se déshonorer à jamais aux yeux de l’univers. L’escadre une fois rentrée à Sébastopol, le gouvernement s’empresse de licencier les équipages, de désarmer les navires de guerre ; des rumeurs circulent sur la démission en masse des officiers de la flotte de la mer Noire ; des troubles ont recommencé sur le cuirassé Georges Pobiédonossetz qui s’est rendu. À Libau et à Cronstadt, les marins se révoltent aussi ; les collisions avec la troupe se multiplient ; les marins et les ouvriers se battent sur les barricades contre les soldats (Libau). La presse étrangère annonce des troubles à bord d’un certain nombre d’autres vaisseaux de guerre (le Minine, l’Alexandre II, et autres). Le gouvernement du tsar est resté sans flotte. C’est tout au plus s’il a réussi, pour le moment, à empêcher la flotte de passer activement à la révolution. Quant au cuirassé Potemkine il est demeuré le territoire invaincu de la révolution et, quel que soit son sort ultérieur, nous sommes devant un fait indéniable et symptomatique au plus haut point : la tentative de former le noyau d’une armée révolutionnaire.

     Aucune répression, aucun succès partiel remporté sur la révolution n’annuleront la portée de cet événement. Le premier pas est fait. Le Rubicon est franchi. Le passage de l’armée à la révolution est déjà un fait acquis pour toute la Russie et pour le monde entier. De nouvelles tentatives, plus énergiques encore, de former une armée révolutionnaire suivront immanquablement les événements survenus dans la flotte de la mer Noire. Notre devoir est maintenant de soutenir de toutes nos forces ces tentatives ; d’expliquer aux plus larges masses du prolétariat et de la paysannerie l’importance que présente pour tout le peuple, dans la lutte pour la liberté, l’existence d’une armée révolutionnaire ; d’aider les détachements de cette armée à hisser le drapeau de la liberté cher au peuple entier, susceptible de rallier la masse ; de les aider à grouper les forces capables d’écraser l’autocratie tsariste.

     Émeutes, manifestations, batailles de rues, détachements de l’armée révolutionnaire, telles sont les étapes de développement de l’insurrection du peuple. Nous voilà enfin arrivés à la dernière étape. Naturellement, cela ne veut pas dire que tout le mouvement ait déjà atteint dans son ensemble ce nouveau degré supérieur. Non, son développement est encore très insuffisant, les évènements d’Odessa accusent encore bien des traits évidents des anciennes émeutes. Mais cela veut dire que les premières vagues du torrent spontané déferlent déjà jusqu’au seuil même de la « citadelle » de l’autocratie. Cela veut dire que les représentants avancés de la masse populaire elle-même ont déjà été amenés, non par des considérations théoriques, mais sous la pression du mouvement croissant, à s’assigner de nouveaux objectifs, supérieurs, de lutte ; ceux de la lutte finale contre l’ennemi du peuple russe. L’autocratie a tout fait pour préparer cette lutte. Elle a, durant de longues années, poussé le peuple à prendre les armes contre les troupes ; elle récolte maintenant ce qu’elle a semé. Des troupes mêmes sortent des détachements de l’armée révolutionnaire.

     Ces détachements ont pour mission de proclamer l’insurrection, de fournir aux masses la direction militaire indispensable à la guerre civile comme à toute autre guerre, à créer des points d’appui à l’action ouverte du peuple tout entier, de propager l’insurrection dans les localités avoisinantes, d’assurer, ne fût-ce tout d’abord que sur une minime partie du territoire de l’État, une complète liberté politique, de commencer la transformation révolutionnaire d’un régime autocratique entièrement pourri, de déployer dans toute son ampleur l’activité créatrice révolutionnaire des couches inférieures du peuple, qui ne participent à cette activité que faiblement en temps de paix, mais qui deviennent dans les époques de révolution un facteur de premier plan. Ce n’est qu’après avoir pris conscience de ces nouveaux objectifs, ce n’est qu’après les avoir définis hardiment et largement, que les détachements de l’armée révolutionnaire peuvent remporter une complète victoire et servir d’appui à un gouvernement révolutionnaire. Or, dans la phase présente de l’insurrection populaire, le gouvernement révolutionnaire est aussi nécessaire que l’armée révolutionnaire. L’armée révolutionnaire est indispensable pour la lutte militaire et pour donner une direction militaire aux masses populaires contre les restes de la force armée de l’autocratie. L’armée révolutionnaire est nécessaire parce que la force seule peut résoudre les grands problèmes historiques, et parce que l’organisation militaire est, dans la lutte contemporaine, celle de la force. Or, il y a, outre les restes des forces armées de l’autocratie, les forces armées des États voisins dont le gouvernement russe chancelant implore déjà l’appui, comme nous le relatons plus loin.

     Le gouvernement révolutionnaire est nécessaire pour assurer la direction politique des masses du peuple d’abord sur le territoire déjà conquis sur le tsarisme par l’armée révolutionnaire, puis dans l’État entier. Le gouvernement révolutionnaire est nécessaire pour procéder immédiatement aux transformations politiques au nom desquelles se fait la révolution, pour établir l’auto-administration révolutionnaire du peuple, pour convoquer une Assemblée émanant réellement du peuple tout entier et réellement constituante, pour instituer les « libertés » sans lesquelles l’expression exacte de la volonté du peuple est impossible. Le gouvernement révolutionnaire est indispensable pour grouper politiquement la partie insurgée du peuple qui a rompu en fait, définitivement, avec l’autocratie.

     Cette organisation ne peut, bien entendu, être que provisoire, de même que le gouvernement révolutionnaire lui-même qui prend le pouvoir au nom du peuple, pour assurer l’exécution de la volonté du peuple, pour agir par le moyen du peuple. Mais cette œuvre d’organisation doit commencer sans délai, en marchant étroitement de pair avec chaque progrès de l’insurrection, car le groupement et la direction politiques ne peuvent être ajournés d’une minute. La création immédiate d’une direction politique du peuple insurgé n’est pas moins indispensable à la victoire complète du peuple sur le tsarisme que la direction militaire des forces populaires.

     L’issue finale de la lutte entre les défenseurs de l’autocratie et la masse du peuple ne peut faire de doute pour quiconque a conservé la faculté de raisonner. Mais nous ne devons pas fermer les yeux sur le fait que la lutte sérieuse n’en est encore qu’à ses débuts et que de grandes épreuves nous attendent. L’armée révolutionnaire et le gouvernement révolutionnaire sont des « organismes » d’un type si élevé et exigent des institutions tellement complexes, une conscience civique si développée qu’il serait erroné de s’attendre à voir ces tâches s’accomplir simplement, immédiatement, sûrement, d’un seul coup. Certes, nous ne nous y attendons pas ; nous savons le prix du travail opiniâtre, lent, parfois imperceptible, d’éducation politique que la social-démocratie a toujours poursuivi et poursuivra toujours. Mais nous ne devons pas tolérer une chose encore plus dangereuse à l’heure actuelle : le manque de confiance dans les forces du peuple ; nous ne devons pas oublier l’énorme puissance éducatrice et organisatrice de la révolution, pendant laquelle de puissants événements historiques arrachent de force l’habitant de son coin retiré, de sa mansarde et de son sous-sol, et le contraignent à devenir un citoyen. Il arrive que des mois de révolution font plus vite et plus complètement l’éducation des citoyens que des dizaines d’années de marasme politique. La tâche des leaders conscients de la classe révolutionnaire, c’est d’être toujours en tête de leur classe dans ce travail d’éducation, de lui expliquer l’importance des nouveaux objectifs et de la convier à aller de l’avant vers notre grand but final. Les échecs qui nous attendent inévitablement dans nos tentatives ultérieures pour former une armée révolutionnaire et pour fonder un gouvernement révolutionnaire provisoire ne feront que nous apprendre à résoudre pratiquement ces problèmes et qu’attirer dans ce but de nouvelles forces populaires, des forces fraîches, tenues actuellement en réserve.

     Considérons la question militaire. Pas un social-démocrate tant soit peu versé dans l’histoire, formé à l’école du grand expert en art militaire que fut Engels, n’a jamais mis en doute l’énorme importance des connaissances militaires, l’énorme importance de la technique et de l’organisation militaires, considérées comme des moyens dont les masses et les classes du peuple usent pour résoudre les grands conflits historiques. Jamais la social-démocratie ne s’est abaissée à jouer aux complots militaires, jamais elle n’a mis au premier plan les questions militaires, tant qu’on n’était pas en présence des conditions d’une guerre civile à ses débuts. Mais aujourd’hui, tous les social-démocrates posent les questions militaires, sinon à la première, du moins à l’une des premières places ; ils ont mis à l’ordre du jour l’étude de ces questions auxquelles il s’agit d’initier les masses populaires. L’armée révolutionnaire doit appliquer en pratique les connaissances et les moyens militaires à décider des destinées ultérieures du peuple russe et à résoudre la première question, la plus urgente, celle de la liberté.

     Le problème de la création d’un gouvernement révolutionnaire est aussi nouveau et non moins difficile et complexe que celui de l’organisation militaire des forces de la révolution. Mais il peut et doit, lui aussi, être résolu par le peuple. Tout échec partiel dans ce domaine contribuera au perfectionnement des méthodes et des moyens, à l’affermissement et à l’extension des succès. Le IIIe congrès du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie a indiqué dans sa résolution les conditions générales de la solution de la nouvelle tâche ; il est temps d’aborder la discussion et la préparation des conditions pratiques de sa réalisation. Notre parti a un programme minimum, un programme achevé des transformations parfaitement réalisables sur-le-champ, dans les limites d’une révolution démocratique (c’est-à-dire bourgeoise), et nécessaires à la lutte ultérieure du prolétariat pour la révolution socialiste. Mais ce programme comporte des revendications fondamentales et des revendications particulières découlant des premières et sous-entendues par celles-ci. Il importe de faire précisément ressortir, à chaque tentative de constituer un gouvernement révolutionnaire provisoire, les revendications fondamentales afin de montrer au peuple entier, aux masses même les plus ignorantes, en de brèves formules, sous des formes nettes et rudes, les buts de ce gouvernement, ses tâches intéressant le peuple entier.

     Nous croyons pouvoir signaler six de ces points essentiels, appelés à devenir le drapeau politique et le programme immédiat de tout gouvernement révolutionnaire, et qui doivent lui acquérir les sympathies du peuple et concentrer toute l’énergie révolutionnaire du peuple sur les besognes les plus urgentes.

     Ces six points sont : 1o) l’Assemblée constituante du peuple tout entier ; 2o) l’armement du peuple ; 3o) la liberté politique ; 4o) l’entière liberté aux nationalités opprimées et frustrées de leurs droits ; 5o) la journée de travail de huit heures ; 6o) la formation de comités révolutionnaires paysans. Il va de soi que ce n’est là qu’une énumération à titre d’exemple, des titres, des indications sur les transformations immédiatement indispensables à la conquête d’une république démocratique. Nous ne prétendons pas épuiser le sujet. Nous voulons simplement illustrer notre idée sur l’importance de certaines tâches fondamentales. Le gouvernement révolutionnaire doit s’efforcer de s’appuyer sur les couches inférieures du peuple, sur la masse ouvrière et paysanne, sans quoi il ne pourra pas tenir ; sans l’activité révolutionnaire spontanée du peuple, il n’est rien, il est moins que rien. Notre devoir est de mettre le peuple en garde contre les promesses aventureuses, grandiloquentes mais ineptes (du genre de celles d’une « socialisation immédiate », incomprise de ceux-là mêmes qui en parlent), et de préconiser en même temps des transformations vraiment applicables à l’heure présente, vraiment indispensables à l’affermissement de la révolution. Le gouvernement révolutionnaire doit soulever le « peuple » et organiser son activité révolutionnaire. La pleine liberté des nationalités opprimées, en d’autres termes, la reconnaissance de leur droit à disposer d’elles-mêmes non seulement au point de vue culturel, mais encore au point de vue politique ; la garantie de mesures pressantes pour la protection de la classe ouvrière (la journée de travail de huit heures en tant que première d’une série de ces mesures), et enfin la garantie de mesures sérieuses en faveur de la masse paysanne sans tenir compte de la rapacité des grands propriétaires fonciers ; tels sont, à notre avis, les principaux points que doit mettre en avant tout gouvernement révolutionnaire. Nous ne parlons pas des trois premiers, qui se passent de commentaires tant ils sont clairs. Nous ne parlons pas de la nécessité d’appliquer pratiquement ces transformations, fût-ce sur un territoire restreint, conquis, par exemple, sur le tsarisme ; les réalisations pratiques importent mille fois plus que les manifestes les plus variés et sont aussi, bien entendu, mille fois plus malaisées. Nous nous contentons de signaler qu’il faut dès maintenant, sans tarder, répandre par tous les moyens une idée juste de nos objectifs nationaux et immédiats. Il faut savoir s’adresser au peuple, au sens véritable de ce mot, non seulement en le conviant de façon générale à la lutte (ce qui suffit avant la constitution d’un gouvernement révolutionnaire), mais encore en l’invitant directement à réaliser sur-le-champ, de son propre chef, les réformes démocratiques fondamentales.

     L’armée révolutionnaire et le gouvernement révolutionnaire sont les deux faces d’une même médaille. Ce sont deux institutions également indispensables au succès de l’insurrection et à l’affermissement de ses conquêtes. Ce sont deux mots d’ordre qui doivent nécessairement être formulés et commentés comme les seuls mots d’ordre révolutionnaires conséquents. Bien des gens se qualifient maintenant de démocrates. Mais il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Les bavards du « parti constitutionnel-démocrate » sont nombreux, mais les démocrates authentiques, c’est-à-dire les hommes qui veulent sincèrement la souveraineté sans réserves du peuple, et sont capables de mener une lutte à mort contre les ennemis de la souveraineté populaire, contre les défenseurs de l’autocratie du tsar, sont rares dans la fameuse « société », rares dans les zemstvos soi-disant démocratiques.

     La classe ouvrière n’a pas la pusillanimité, l’ambiguïté hypocrite qui sont propres à la bourgeoisie en tant que classe. La classe ouvrière peut et doit être conséquemment démocrate. La classe ouvrière a démontré, en versant son sang dans les rues de Petersbourg, Riga, Libau, Varsovie, Lodz, Odessa, Bakou et quantités d’autres villes, son droit au rôle d’avant-garde dans la révolution démocratique.

     Il faut qu’elle soit, à l’heure décisive que nous vivons, à la hauteur de ce grand rôle. Les représentants conscients du prolétariat, membres du P.O.SD.R., doivent, sans oublier un seul instant leur but socialiste et leur indépendance de classe et de parti, formuler devant le peuple entier les mots d’ordre démocratiques avancés. Pour nous, le prolétariat, la révolution démocratique n’est qu’une première étape vers l’émancipation totale du travail de toute exploitation, vers le grand but socialiste. Aussi devons-nous franchir au plus tôt cette première étape, en finir d’autant plus résolument avec les ennemis de la liberté du peuple, proclamer d’autant plus haut les mots d’ordre d’une démocratie conséquente : armée révolutionnaire et gouvernement révolutionnaire.

V.LÉNINE
Œuvres, t. VII, pp. 379-387, édit. russe.

Prolétari no 7, 10 juillet (27 juin) 1905.

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BRIGADES DE LA COLÈRE (ANGRY BRIGADES) :
COMMUNIQUÉS ET CHRONOLOGIE

 

Communiqué 5

     Camarades révolutionnaires,

     Nous nous sommes tenus tranquilles et avons souffert de la violence du système depuis trop longtemps. Nous sommes attaqués journellement — la violence n’existe pas seulement à l’armée, dans la police, dans les prisons ; elle existe dans la culture, camelote distillée à travers la T.V., les films, les magazines. Elle existe dans l’exploitation journalière de notre travail qui donne aux patrons le pouvoir de contrôler nos vies et de diriger la société à leurs propres fins.

     Combien de Rolls Royce, combien d’Irlande du Nord, combien de lois anti-syndicales faudra-t-il pour démontrer que dans la crise capitaliste la classe dominante peut seulement réagir en attaquant le peuple politiquement.

     Mais le système ne s’effondrera pas et ne capitulera pas de lui-même.

     De plus en plus d’ouvriers réalisent maintenant ceci et transforment leur conscience syndicale en une offensive politique militante. En une semaine un million d’ouvriers se sont mis en grève... Fords, les postes, B.E.A., les travailleurs des stations services…

     Notre rôle est d’approfondir les contradictions politiques à tous les niveaux. Nous n’atteindrons pas cet objectif en nous concentrant sur l’obtention de « résultats » ou en utilisant de fades platitudes socialistes.

     En Irlande du Nord, l’armée britannique et ses mignons ont un champ tout trouvé à leurs pratiques. Les gaz et les balles CS à Belfast seront à Derby et Dagenham demain.

     Notre attaque est violente.

     Notre violence est organisée.

     La question n’est pas de savoir si la révolution sera violente. Le combat militant organisé et le terrorisme organisé marchent côte à côte. Ceci sont les tactiques du mouvement révolutionnaire de classe.

     Où deux ou trois révolutionnaires utilisent la violence organisée pour attaquer la société de classe... il y a les Angry Brigades. Les révolutionnaires à travers toute l’Angleterre utilisent déjà ce nom pour populariser leurs attaques contre le système.

     Aucune révolution n’a pu vaincre sans violence, de la même manière que les structures et programmes de la nouvelle société révolutionnaire doivent être inclus dans toutes les organisations de bases à chaque point du combat, la violence organisée doit accompagner chaque moment du combat jusqu’à ce que la classe ouvrière en armes renverse le système capitaliste.

 

Communiqué 6

     Camarades,

     Il y a deux mois, nous avons fait sauter la maison de Carr. La violence révolutionnaire a percé les hauts murs du libéralisme anglais.

     Excepté un court communiqué nous sommes depuis restés silencieux. Pourquoi ? Qui sont les Angry Brigades, quels sont leurs objectifs politiques ? Beaucoup de critiques nous ont été faites devant notre manque de direction, on nous a appelé « branche spéciale », « front », « noyau anarchiste », « agents provocateurs ». Nous croyons que le temps est venu pour un dialogue honnête avec les camarades qui le désirent, soit à travers la presse clandestine, soit à travers d’autres voies. Regardez autour de vous, frères et sœurs. Regardez les barrières qu’ils ont dressées, ne respirez pas, ne luttez pas, n’aimez pas, ne faites pas le trouble…

     Les politiciens, les dirigeants, les riches, les gros patrons commandent, ils contrôlent. Nous, le peuple, nous souffrons. Ils ont essayé de faire de nous de simples fonctions du processus de production. Ils ont pollué le monde avec les déchets chimiques de leurs usines, ils ont déversé les poubelles de leurs média jusqu’à l’écœurement. Ils nous ont transformés en d’absurdes caricatures sexuelles, tous hommes et femmes. Ils tuent, napalment, mutilent, violent.

     Cela est depuis des siècles.

     Lentement nous avons commencé à comprendre la grosse escroquerie. Nous avons vu qu’ils définissaient notre possible. Ils ont dit : vous pouvez manifester entre des piquets de police. Vous pouvez faire l’amour dans une position normale et consommer le sexe comme une denrée. La consommation c’est bien. Vous pouvez défendre les syndicats car leurs directions sont sages.

     Ils ont utilisé des mots confus comme « public » ou « intérêt national ». Est-ce que le « public » est une catégorie noble auquel nous appartenons, tant que nous ne sommes pas en grève ? Pourquoi sommes-nous réduits à l’état de redoutables chapardeurs, ruinant l’économie ? L’internationale est-il autre chose que leur propre intérêt ? Plus tard, nous avons commencé à voir une autre escroquerie. Il y a une sorte de « professionnels » qui prétendent nous représenter... les membres du Parlement, le Parti Communiste, les dirigeants syndicaux, la vieille, vieille gauche. Tous ces gens pensent agir pour nous. Tous ces gens ont quelques choses en commun... Ils passent leur temps à nous vendre. Ils sont effrayés par nous. Ils prêchent la sauvegarde de la paix, mais nous sommes pauvres et fatigués de préserver la paix toujours à nos dépens. Les Angry Brigades sont devenues une réalité. Nous savions que chaque moment d’ennui mal payé au travail était un crime. Nous avons rejeté toutes les hiérarchies séniles et toutes leurs structures, les menteurs ; les pauvres entremetteurs, les Carr, les Jacksons, les Rawlinsons, les Bob Hop, les Waldron…

     Croire que notre combat pouvait être restreint au terrain qui nous était offert par les porcs était la plus grosse escroquerie. Et nous avons commencé à les frapper.

     Le 12 janvier fut important, nous brisâmes le blocus de la presse jaune. Des centaines d’années d’impérialisme, des millions de victimes de la colonisation... Toutes les frustrations, tout le flot soudain des énergies retenues faisaient irruption dans notre conscience. Carr était complètement sans importance, il était simplement un symbole. Nous aurions pu le tuer, lui, Powell, Davies ou un porc quelconque…

     Puis nous fûmes effarés... Comme tous les enfants ouvrant leurs veux à une gigantesque lueur. Nous fûmes effrayés, chaque coup, chaque mot devint une menace... Mais en même temps, nous réalisâmes que notre panique était très mineure comparée à celle du Mirror ou d’Habersons, et nous en eûmes conscience en un éclair.

     Nous étions invincibles car nous pouvions être n’importe qui. Ils ne pouvaient pas nous jeter en prison car nous n’existions pas. Et nous sortîmes, parlâmes à des amis, des voisins, aux gens dans les Pubs, dans les matchs de football... et nous sûmes que nous n’étions pas seuls. Nous étions vivants et grandissants. Nous savons bien que nos frères et nos sœurs qui ont été raflés Mac Carthy’s, Prescotts, Purdies sont innocents.

     Les porcs ont besoin de boucs émissaires. Notre force sont les six dépôts de pétrole attaqués le 13 janvier et le sabotage du générateur d’Altringham qui est la réponse du mouvement révolutionnaire à notre appel.

     Nous sommes certains que chaque jour où ces camarades resteront sous les barreaux sera vengé. Même si cela signifie que quelques porcs perdent leurs vies.

     Il y a trois semaines, nous avons presque réussi à faire sauter le quartier général de Jackson. Nous savions qu’il allait nous vendre. Nous voulions le frapper avant qu’il ne fasse du dégât. Mais nous-mêmes portons des restes de libéralisme et d’irrationalité. Fardeau de notre passé dont nous cherchons à nous défaire, Il fit ce que nous pensions, il nous vendit. Que nos frères et sœurs soient nos jurés.

     Cette fois, nous sommes plus clairs avec l’attaque contre Ford Tonight, nous célébrons le centenaire de la « Commune de Paris ». Nous célébrons notre révolution qui ne sera jamais contrôlée par personne. Notre révolution est favorable à l’autonomie d’action des masses laborieuses. Cette autonomie, nous la créons. Nous avons confiance à présent... Nous n’attendons pas que l’on nous tente avec un Powell, une nouvelle loi ou une pomme pour sauter comme des lapins. Nous ne nous accrochons pas désespérément à une illusion de liberté, notre stratégie est claire.

     Comment pouvons-nous combattre le système ?

     Comment le peuple peut-il prendre le pouvoir ?

     Nous devons attaquer, nous ne pouvons différer de prendre l’offensive.

     Le sabotage est une réalité... Sortir de l’usine n’est pas la seule manière de lutter. Restons dedans et prenons-les, nous sommes contre une quelconque structure extérieure, qu’elle s’appelle Carr, Jackson, I.S., P.C. ou S.L.L. n’a aucune importance. C’est tous les mêmes.

     Nous croyons à l’autonomie de la classe ouvrière.

     Nous sommes une partie de celle-ci et nous sommes prêts à donner nos vies pour notre libération.

     POUVOIR AU PEUPLE.

 

     Note du Traducteur :

     Jackson : Président du syndicat des Postes, il dirigea la grande grève des postiers, passa un accord et la brisa.
     Bob Hop : Il s’occupait de l’entraînement des troupes américaines au Vietnam. En outre, le « comique » présidait l’élection de Miss Univers.
     Mac Carthy : mourut en janvier 71 des suites de son arrestation et du mauvais traitement en prison.
     Prescott et Purdie furent inculpés des premières actions et mis à l’isolement.

 

Communiqué 7

     « Si vous n’êtes pas responsable de votre naissance, vous vous êtes responsabilisé pour consommer. »

     Toutes les vendeuses dans les boutiques tapageuses sont faites pour vendre, la même mode des années 40. Dans la mode, comme dans d’autres domaines, le capitalisme est seulement capable de reculer — ils ne peuvent aller nulle part ailleurs — ils sont morts, le futur est nôtre.

     La vie est tellement ennuyeuse qu’il n’y a rien à faire d’autre que de dépenser ton salaire pour la dernière robe ou la dernière chemise.

     Sœurs et frères. Quel est votre désir réel ?

     Vous asseoir au drugstore, paraître distant, vide, ennuyé, en buvant un café sans goût ?

     Ou peut-être le faire sauter ou le brûler ? La seule chose que nous pouvons faire avec les maisons d’esclavage moderne — appelées boutiques — c’est les détruire.

     Vous ne pouvez réformer l’économie de profit et son inhumanité. Frappez-la jusqu’à ce qu’elle s’écroule.

     RÉVOLUTION.

 

Communiqué 8

     Nous nous rapprochons.

     Nous détruisons lentement les longues tentacules de la machine oppressive de l’État.

     Les fiches secrètes dans les universités, dans les usines, à la sécurité sociale, les ordinateurs, les T.V., passeports, permis de travail, les cartes d’assurance, la bureaucratie et la technologie contre le peuple.

     Pour accélérer notre travail.

     Pour amoindrir notre réflexion et nos actions.

     Pour oblitérer la vérité.

     Les ordinateurs de la police ne peuvent donner « la vérité ». Ils sont juste là pour enregistrer nos « crimes ». Les meurtres des porcs ne sont pas enregistrés. STEPHEN MAC CARTHY, PETER SAVVA, DAVID OWALE. Le meurtre de ces frères n’est inscrit sur aucune fiche secrète.

     Nous vengerons nos frères.

     S’ils tuent quelqu’un d’autre, le sang des porcs coulera dans la rue.

     168 explosions l’année dernière. Des centaines de coups de fil, menaçant le gouvernement, les patrons, les dirigeants.

     Les Angry Brigades sont dans l’homme ou la femme assis à vos côtés. Ils ont des armes dans leurs poches et la colère dans l’esprit. Nous nous rapprochons.

     Finissons-en avec le système et la propriété.

     POUVOIR AU PEUPLE.

 

Communiqué 10

     Davies est un menteur.

     Il tente de cacher le déclin général de l’industrie lourde, le déclin des investissements dans les régions en difficulté depuis longtemps, qui d’ailleurs n’ont pas si bien tourné, en disant que la fermeture des U.C.S.S. est le résultat d’une mauvaise gestion. Et les sales gestionnaires bien sûr n’en pâtiront pas. Les conditions faites par la nouvelle campagne sont dues seulement pour les ouvriers qui doivent signer une fois pour toutes un contrat qu’ils ne peuvent pas combattre selon la loi sur les relations industrielles.

     Davies a déclaré « courageusement » que le gouvernement ne supporterait pas des canards boiteux. Déjà, il y a deux semaines, le gouvernement a fait de gros investissements dans Harland et Wolff. Un mouvement politique pour continuer à faire tourner la machine face au peuple révolté.

     Victoire aux ouvriers de la Clydeside.

     Nous n’avons pas à vous dire de faire attention aux vautours qui volent au-dessus de la Clydeside.

     Les mêmes gens qui ont signé les négociations sur la productivité et ne tarissent pas en pléonasmes, essayent maintenant de se nourrir de votre combat. S’il doit y avoir une occupation, elle doit être réelle. Prenons le chantier au patron et gardons-le. Le parti travailliste, les syndicats et leurs valets, le parti communiste avec sa manie productiviste, tous les salauds qui finissent toujours par nous vendre essayeront de vous refiler des propositions, comme un jour de grève, un jour d’occupation, des pétitions…

     Vous êtes vos propres dirigeants. Ayez votre propre tactique. Contrôlez votre combat.

     SOLIDARITÉ.

     BOGSIDE, CLYDESIDE, REJOIGNEZ LE CAMP DE LA COLÈRE.

 

Communiqué 11

     Plus de 5.500 réfugiés, 2.000 sans abris, plus de vingt morts en deux jours, 230 prisonniers sans inculpation ni procès, les six comtés d’Irlande sont terrorisés par les pistoléros en kaki. La guerre terroriste est portée au nom du peuple britannique. C’est une calomnie mensongère. La campagne de l’impérialisme britannique en Irlande a lieu uniquement dans le but de sauvegarder les gros profits de quelques riches porcs et de politiciens pourris.

     Nous avertissons tous les frères et sœurs chômeurs.

     Ne vous laissez pas avoir par la campagne de recrutement de l’armée. Une carrière dans l’armée, ce n’est ni une ballade au soleil ou un apprentissage enrichissant, si vous rejoignez l’armée, vous serez entraîné à Belfast, à Derry et dans tous les autres ghettos de la classe ouvrière en Irlande du nord, à tuer et à brutaliser les gens de la classe ouvrière.

     Cet entraînement deviendra utile quand les patrons enverront la troupe à Clydeside, Merseyside, Tyneside, Birmingham, London, et tous les quartiers ouvriers d’Angleterre. À tous les chômeurs qui se posent la question nous disons : de quel côté pointerez-vous vos fusils quand les officiers vous ordonneront de tirer sur votre propre ville ? Qui viserez-vous quand vos parents, vos frères et sœurs seront au bout de vos fusils ? La classe des patrons britanniques a rempli ses poches avec les profits accumulés par 700 ans d’exploitation des travailleurs du peuple Irlandais. Maintenant, ils tuent pour défendre ces profits.

     Les Angry Brigades conseillent à la classe dirigeante anglaise de quitter l’Irlande et d’emmener leurs poupées avec eux (Lynch, Faulkner, etc…)

     Angry Brigades

     Cellule du clair de lune.

     PRÉPAREZ VOS ARMES.

 

Communiqué 12

     L’attentat des Angry Brigades contre la maison de Chris Bryant à Birmingham a attiré l’attention sur ses activités immobilières.

     Depuis quinze jours, les ouvriers d’un chantier de Bryant sont en grève pour demander une augmentation d’une livre par heure et la fin de l’embauche intérimaire.

     L’explosion a détruit la façade de la maison de Bryant mais, comme les autres, elle n’a blessé personne.

     Le capitalisme est un cercle vicieux.

     Il nous oblige à produire de la merde.

     Il nous donne le minimum sur son argent de poche.

     Les Bryant sont de cette étoffe.

     Le peuple sue son sang, est exploité continuellement, puis lorsque nous « oublions » tout ça, que nous nettoyons le fumier qui recouvre notre figure, que nous prenons avec ennui l’autobus ou le train pour rentrer chez nous, et nous sommes soudainement transformées en consommateurs. En d’autres termes, quand nous ne travaillons pas, il nous faut acheter... la merde que nous avons produit.

     Le misérable petit salaire qu’ils nous donnent, ils nous le font dépenser en nourriture inutile, en machines spécialement étudiées pour péter ou en maisons qui ressemblent à des prisons.

     Ces prisons, nous avons aidé à les construire.

     Nous les avons payées (ou plus précisément, nous avons promis de les payer, car nous n’avons pas assez d’argent pour ça ou pour une voiture, sur les vingt ans à crédit : ils nous surexploitent donc, en nous faisant payer des intérêts.) Nous construisons ces prisons, puis nous vivons dedans. Nous produisons la merde et après nous la mangeons.

     Producteurs de merde, consommateurs de merde.

     Il y a beaucoup de frères et sœurs en prison.

     Un vieux révolutionnaire a appelé les prisons une fois un « risque du métier ». Un risque qui peut frapper quiconque a choisi de passer à l’action. Mais perdre un doigt, un membre, vos poumons, c’est aussi un risque du métier.

     Regardez les conditions de sécurité du travail sur un chantier de Bryant, il n’y en a pas, ce n’est pas une question de membre, mais de vie. Finalement, pour nous, quelle est la différence ?

     Chris Bryant a fait 17.148.57 L de profit l’an dernier, soit 25 % de plus qu’en 69.

     Il utilise un cocktail de haute finance, la haute société mélangée à beaucoup de corruption.

     Ainsi pour la rénovation de Birmingham, il a conclu ses marchés, sur l’achat des terrains de golf de Solihull avec les conseils municipaux. Ceux-ci lui ont « rendu service » en augmentant les prix de location des terres municipales comme Chelnisley Wood, afin de faire monter les prix des terrains.

     Bryant s’est mis à acheter des terrains autour de Solihull pour les revendre à la même municipalité qui lui donne les contrats pour l’aménagement, avec notre argent.

     Personne n’ignore que le journal Birmingham mail n’est autre que la feuille de Bryant. Un homme qui vit dans un village tudorz en tock (Wuidway’s) jacabeau road, knowle, n’a pas à se soucier de faucher un bidon de peinture à son travail pour que sa maison ait l’air décente, il n’a pas à s’occuper des plans.

     Pourtant, nous savons tous que la réalité n’est pas celle-ci.

     25 ans, nous avons attendu à Birmingham une grève du bâtiment. Bryant a tout rejeté en bloc. Nous aussi avons rejeté en bloc Bryant.

     La vallée de Woodgate est prête pour la solidarité de classe et la Révolution. Les ouvriers ont pris position. Le sabotage au travail est maintenant une réalité. Les patrons commencent à sentir le pouvoir concentré du peuple. Le peuple commence à se battre. Maintenant, nous sommes trop nombreux à nous connaître pour revenir en arrière.

     Déjà, nous reconnaissons tous ceux inculpés de crimes contre les biens, comme nos frères et sœurs. Les 6 de Neewigton, les prisonniers politiques en Irlande, sont tous des prisonniers de la guerre de classe.

     Nous ne sommes pas en position de dire si une personne est ou n’est pas des brigades. Tout ce que nous disons est : LES BRIGADES SONT PARTOUT. Sans un quelconque comité central, et sans hiérarchie. Pour classifier nos membres, nous pouvons seulement reconnaître les amis à travers leurs actions. Nous les aimons, les embrassons comme, nous le savons bien, d’autres le font. D’autres cellules, sections, groupes.

     Que dix hommes et femmes se rencontrent et soient résolus à allumer la violence, plutôt qu’une longue agonie dans la survie à ce moment, le désespoir prend fin et commence la tactique.

     POUVOIR AU PEUPLE.

 

Chronologie succinte des principales actions.

1971

18 janvier :

Attentat contre la compagnie aérienne à Glasgow.

19 janvier :

Attentat contre la maison de Lord Provost à Glasgow.

29 janvier :

Le Times rapporte : Scotland Yard est de plus en plus déconcerté et inquiet des activités des Angry Brigades, dont on voit à présent qu’elles ne peuvent être contrées comme un groupe de marginaux. Certains hauts fonctionnaires de la sûreté créditent même le groupe d’un degré de professionnalisme rarement égalé.

La police entreprend alors une vaste rafle dans les milieux de gauche extra parlementaire à Londres et Edimbourg.

30 janvier :

Attentat contre le bureau du Parti Conservateur à Slough.

9 février :

Attentat contre le domicile d’un Patron.

Du 11 février au 5 mars :

Multiples rafles, sans grand succès.

6 mars :

Ian Purdie est arrêté de nouveau, il sera incarcéré avec Prescott au Q.H.S. de Brixton.

10 mars :

Le Guardian fait état de brutalités pendant les interrogatoires de police.

18 mars :

Pendant la grande grève des ouvriers de Ford, attentat contre le siège de la société à Illford. Revendiqué par les Angry Brigades.

20, 23 et 24 mars :

Rafles policières.

1er avril :

Attentat contre le domicile de la Royal School.

5 avril :

Tentative d’incendie au Club Tory de Gasport.

22 avril :

Incendie de la Banque Barclays de Whitechapel.

24 et 26 avril :

Rafles policières.

29 avril :

Sabotage dans des installations nucléaires à Berteley et Gloucester. Rafles de plusieurs membres de International Socialist.

1er mai :

Attentat des Angry Brigades contre une boutique BIBA à Kensington.

22 mai :

Attentat contre l’ordinateur de Scotland Yard.

Simultanément, le Groupe Solidarité Internationale et le Groupe Marius Jacob détruisent les bureaux des chemins de fer britanniques et les bureaux de Rolls Royce et de Rover à Paris.

22 juin :

Lors du conflit entre la direction de Ford et le militant Shop steward John Dillon, les Angry Brigades font sauter la maison du directeur W. Betty dans l’Essex.

La même nuit, un transformateur explose dans l’usine Ford à Dagenham.

La police devient hystérique, le Premier Ministre ordonne à ses limiers d’arrêter et d’écraser les membres des Angry Brigades, considérées comme ennemi public numéro un.

31 juillet :

Malgré une protection énorme, le domicile du secrétaire au Commerce et à l’industrie, John Davies, est détruit par une puissante explosion. Davies avait ordonné la fermeture des chantiers de la Clyde. Action revendiquée par les Angry Brigades (communiqué numéro 1).

15 août :

Nombreuses perquisitions visant, entre autres, à intimider le mouvement de sympathie autour des prisonniers.

Après l’annonce faite par le gouvernement britannique de la loi d’internement en Irlande, une puissante explosion détruit un centre de recrutement de l’armée au nord de Londres. Revendiqué par les Angry Brigades.

21 août :

Chris Bott et Stuart Christie sont arrêtés et inculpés (détention d’armes, explosifs...)

29 août :

Attentat contre le poste militaire du Château d’Edimburg.

10 septembre :

Attentat au tribunal d’Ipswich.

16 septembre :

Une bombe est découverte au Mess des officiers de la prison de Dartmoor.

20 septembre :

Attentat dans des locaux militaires de Chelsea.

24 septembre :

La police prétend avoir démantelé les Angry Brigades.

Attentat contre des locaux militaires à Albanny Street, revendiqué par les Angry Brigades, en réponse aux interventions de l’armée britannique en Irlande.

15 octobre :

Attentat contre le Q.G. de l’armée à Glasgow.

20 octobre :

La maison de Bryant est détruite lors d’une grève des ouvriers du bâtiment. Revendiqué par les Angry Brigades.

30 octobre :

Attentat contre la tour des Postes à Londres. Revendiqué par les Angry Brigades.

1er novembre :

Attentat contre des réservoirs de l’armée à Londres. Revendiqué par les Angry Brigades.

6 novembre :

En solidarité avec les A.B. et les anarchistes italiens emprisonnés pour conspiration contre l’État, attentats simultanés contre la Lloyds Bank à Amsterdam, le Consulat italien à Bâle, l’ambassade britannique à Rome et à Barcelone.

11 novembre :

Angie Weir est arrêté.

17 novembre :

Chris Allen est arrêté.

26 novembre :

Pauline Conroy est arrêtée.

29 novembre :

Tribunal de Broadstairs… BOUM !

1er décembre :

Procès de Ian Purdie et Prescott. Toutes les inculpations de Purdie tombent. Prescott est condamné à 15 ans de prison.

18 décembre :

Kate Mac Lean est arrêtée et inculpée avec Angie Weir.

1972

1er février :

La Maison de la Rhodésie à Londres... BOUM !

3 février :

Bureau de recrutement de l’armée à Kirkgate... BOUM !

17 février :

Le Q.G. de l’armée à Liverpool saute (dégâts très importants).

22 février :

Attentat contre le Q.G. d’Aldershot ? 7 morts.

10 mars :

Les lignes aériennes Sud Africaines à Londres... BOUM !

15 mars :

Exécution du directeur de la prison de Wandsworth.

20 mars :

Mitraillage du bureau de recrutement de l’armée à Slough.

26 avril :

Le bureau Tory de Bellericay (Essex)... BOUM !

1er mai :

Explosion à l’usine de fabrication des gaz OS.

30 mai :

Procès de 8 accusés des Angry Brigades, le plus long procès de l’histoire britannique. Black out de la presse.

6 décembre :

Fin du procès.

Greenfield, Mendelson, Greek et Barker : 10 ans.

4 acquittements.

300 personnes manifestent devant la prison de Holloway.

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GUÉRILLEROS FEDAYINS DU PEUPLE IRANIEN :
LA LUTTE ARMÉE COMME STRATÉGIE ET COMME TACTIQUE (I).

 

Introduction.

     Plus de deux mois se sont écoulés depuis que les Guérilleros Fedayins du Peuple ont commencé la lutte armée. Durant cette période, de nombreux évènements se sont produits dont il est peut-être encore trop tôt d’analyser les effets et les résultats. Cependant, on peut en parler de façon générale.

     Pourquoi est-ce-que la guérilla a commencé à Siahkal ? Pourquoi a-t-elle essuyé une défaite ? Après avoir fait l’analyse des conditions en Iran, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était du devoir de chaque groupe révolutionnaire de commencer la lutte armée autant dans les villes que dans les campagnes. C’est ce qui a conduit les Guérilleros Fedayins du Peuple à préparer la guérilla dans la ville et à la campagne. Un noyau armé de guérilla fut organisé et partit pour les forêts du nord de l’Iran, sous le commandement du camarade martyr Ali Akbar Safai Farahani. Pendant environ 5 mois, le noyau traversa sans arrêt les forêts du nord de l’Iran, partant de l’est de Mazandaran à l’ouest de Guilan. Il effectua des recherches scientifiques sur la situation géographique et socio-économique de la région et, par de longues marches, en été comme en hiver, il s’adapta aux dures conditions de vie dans les forêts et les montagnes. Autant que nous sachons, une telle connaissance au point de vue durée et étendue de la région est sans précédent dans toute autre expérience de guérilla à travers le monde.

     Qu’est-ce-que nous attendions de la formation de ce noyau de guérilla ? Et comment envisageons-nous sa survie ? Comme nous l’expliquons dans ce texte, le but de la lutte armée n’est pas, au début, de porter des coups militaires à l’ennemi, mais de lui porter des coups politiques. Le but est de montrer le chemin de la lutte aux révolutionnaires et au peuple, de leur faire prendre conscience de leur propre pouvoir et de leur montrer que l’ennemi est vulnérable. C’est aussi prouver que la lutte est possible, démasquer l’ennemi, et rendre le peuple conscient. Aussi, la création de ce noyau de guérilla avait cet objectif.

     L’action de ce noyau se serait répercuté, non seulement dans toute la région mais dans tout le pays, vu le rôle de propagande de la guérilla urbaine pour la guérilla rurale, et aurait ainsi joué un rôle de propagande et un rôle politique déterminant dans le développement du Mouvement Révolutionnaire Iranien.

     Cette action aurait donné un nouvel espoir à tous ceux qui luttent et à tout le peuple, aurait montré concrètement la voie de la lutte et une fois qu’elle aurait progressivement pris pied dans la campagne, et qu’elle aurait peu à peu attiré les paysans vers elle, elle aurait été prête à jouer aussi un rôle militaire dans le mouvement révolutionnaire. Il aurait été impossible à l’ennemi d’isoler politiquement une telle lutte. Considérant les liens très étroits entre la ville et la campagne dans la région du Nord, la lutte de ce noyau de guérilla se serait largement répercutée dans les villes du Nord et, de là, la nouvelle se serait répandue à travers tout le pays. Le Nord n’est pas comme le Kurdistan ou l’Azerbaïdjan où les troubles semblent naturels. La moindre opération de contrôle est immédiatement ressentie et se répercute dans tout le pays. Le contrôle du va-et-vient des voyageurs dans la région du Nord, particulièrement au printemps et en été, serait très préjudiciable à l’ennemi, surtout si l’on envisage le grand nombre de voyageurs qu’elle attire de la capitale et du reste du pays, en tant que centre de loisirs.

     Le Nord est une des régions où l’ennemi est le moins établi militairement. Une partie de son potentiel militaire et de ses armements deviennent inutilisables grâce aux conditions géographiques de la région. Il est vrai que les conditions de vie des paysans du Nord sont plus faciles à supporter que dans le reste du pays, malgré cela leurs contradictions avec la bourgeoisie bureaucratique et financière augmente chaque jour, et ils sont de plus en plus écrasés sous le poids des dettes et sous la pression du capital financier du Ministère de la Réforme Agraire et des compagnies coopératives agricoles par actions. Le stade du développement de la conscience politique dans le Nord et particulièrement dans les villes, en comparaison avec le reste du pays, est relativement élevé. Il est très difficile pour l’ennemi d’encercler et de détruire la guérilla de la montagne si l’on considère sa grande mobilité dans toute la région du Nord, sa connaissance de la région qui fait défaut à l’ennemi (il doit changer de guides locaux d’une zone à l’autre), et si l’on considère que la guérilla évite la confrontation directe avec l’ennemi et se contente de lui porter une série de petits coups. Aussi, pourquoi le noyau de guérilla a-t-il échoué ?

     Nous ne savons pas exactement ce qui s’est passé, mais il semble que plusieurs facteurs aient provoqué la défaite :

     Négligence à l’égard de la mobilité nécessaire et le non respect de la méfiance absolue. Il faut mentionner que nos camarades de montagne avaient compris la nécessité de respecter la mobilité et la méfiance absolue, non seulement en théorie mais en pratique. Aussi, pourquoi une telle erreur a-t-elle été commise ? La seule raison que nous avons pu trouver est que les camarades de montagne n’imaginaient pas que l’ennemi réagirait violemment et mobiliserait tant de force pour détruire le noyau de la guérilla. Nous savons que nos héroïques camarades furent encerclés dans la région de Siahkal et que l’ennemi mobilisa principalement sa force dans les environs. Alors qu’il aurait été très facile pour nos camarades combattants de s’éloigner à des dizaines de kilomètres de la région en l’espace de quelques jours, et si une telle mobilité avait continué, l’ennemi aurait été obligé de militariser toute la région du Nord pour pouvoir encercler la guérilla, presque plusieurs milliers d’hommes pour tout le Nord, et de contrôler tous les moyens de communication. Ceci aurait été très difficile et aurait pris beaucoup de temps. Pendant ce temps, les guérilleros auraient pu renforcer leur base, augmenter leur pouvoir de feu et leur potentiel militaire.

     De ceci, nous pouvons conclure que la défaite du noyau de guérilla fut un accident. Un accident qui aurait pu parfaitement être évité. Mais la lutte révolutionnaire est accompagnée à tout moment d’un certain risque. De tels accidents sont aussi bien naturels qu’évitables. En tout cas, c’est d’expériences comme celle-ci que les révolutionnaires doivent tirer des leçons, et ce sont des défaites comme celle-ci qui constituent les étapes de l’ascension vers la victoire.

     Nous avons vu l’enthousiasme et l’espoir que le mouvement de Siahkal a soulevé parmi les révolutionnaires et le peuple malgré sa brève existence et sa défaite, et ceci avant même que la guérilla urbaine ait pu commencer sa lutte armée.

     La lutte armée de Guérilleros Fedayins dans la ville aussi a engendré des résultats remarquables. Ce fut sous l’influence de cette lutte, et afin de répondre à son appel que les étudiants révolutionnaires des universités se soulevèrent héroïquement et organisèrent leurs manifestations les plus importantes de ces dix dernières années, avec les slogans les plus révolutionnaires et les plus radicaux. Ce fut sous l’influence de cette même lutte armée que les ouvriers combattants de l’usine Djahan-Tchit insistèrent courageusement pour obtenir leurs revendications et répondirent à la violence contre-révolutionnaire par la violence révolutionnaire (bien que sans armes) venant ainsi rallonger de dizaines de noms la liste des martyrs de la Révolution Iranienne.

     Aujourd’hui, le peuple se pose de nouvelles questions. Il se demande pour qui et pour quoi les Guérilleros se battent. Comment un tel esprit de sacrifice et de don de soi est-il possible ? Il réalise qu’un tel sacrifice est possible et que l’on peut se soulever avec une petite force contre un ennemi aussi puissamment armé jusqu’aux dents.

     Le Mouvement Révolutionnaire Iranien vient tout juste de commencer à créer la tradition de la lutte armée. Il est dans la phase de recherche et d’ouverture de la voie, il fait ses premiers pas et tout ceci se réalise avec la formation de groupes. Le Mouvement Révolutionnaire Iranien est actuellement en train de montrer la voie avec son action armée, avec des victoires et des défaites, de nouvelles victoires et de nouvelles défaites et encore de nouvelles victoires. Il montre au peuple la possibilité de la lutte et sa nature prolongée. Et c’est dans ces conditions que le peuple comprend progressivement que la lutte est longue et difficile et qu’elle a besoin de son soutien pour sa survie et son développement. C’est ainsi que le peuple et ses avant-gardes se soulèvent peu à peu. Nous n’attendons absolument pas de sitôt le soutien direct du peuple. Nous ne nous attendons pas à ce qu’il se soulève immédiatement. Le peuple est actuellement représenté par ses avant-gardes, les groupes révolutionnaires et réellement révolutionnaires. Et ce sont ces groupes qui, sous l’influence de la lutte armée et le soutien moral du peuple, en ayant conscience de la justesse de la ligne de la lutte armée, prennent les armes, développent la lutte et augmentent progressivement la possibilité de soutien matériel à la lutte de la part du peuple.

     C’est pourquoi la défaite d’un groupe combattant armé n’a pas de conséquences décisives sur l’avenir de la lutte. Si nous acceptons le principe que la lutte est longue, si nous acceptons qu’elle commence par la formation de groupes, est-ce vraiment important si un groupe disparaît ? L’important, c’est que le fusil qui tombe de la main d’un combattant soit aussitôt repris par un autre combattant. Si un groupe échoue, l’important est que d’autres groupes soient prêts à prendre le relais. Il n’est pas nécessaire que le ou les groupes les plus à l’avant-garde survivent afin d’être témoins du résultat de leur action, d’en exploiter les conséquences et de transformer le soutien moral qu’ils ont engendré en soutien matériel avec leur organisation.

     Cela peut être accompli par d’autres groupes, groupes voulant s’acquitter de leur tâche révolutionnaire.

     Nous avons commencé notre lutte convaincus de ces principes. Nous-avons foi en notre peuple et en ses fils et filles d’avant-garde. Et notre vie est la garantie de cette foi. Nous ressentons profondément le besoin de la protection du peuple et nous savons que, sans une telle protection, notre disparition et la disparition de la lutte armée est certaine. Nous sacrifions notre vie dans cette voie. Durant la phase où les fondements et la tradition de la lutte armée s’établissent, des sacrifices aussi durs sont inévitables. Nos camarades sacrifiés, nos martyrs qui ont bravement résisté jusqu’à la mort contre l’ennemi, et nos camarades prisonniers qui résistent héroïquement aux tortures moyenâgeuses des bourreaux du Shah, feront sûrement fleurir l’arbre de la Révolution Iranienne, feront se soulever les fils et les filles de notre peuple et c’est ainsi que tôt ou tard la guerre du peuple commencera. Dans les conditions actuelles, l’avant-garde ne peut être l’avant-garde s’il n’est pas un Guérillero Fedayin. Laissons les abolitionnistes discourir à leur gré. Il est du devoir de tout cercle et groupe révolutionnaire de commencer la lutte armée et de porter des coups à l’ennemi avec tous les moyens dont il dispose et dans toutes les formes possibles. L’expérience a montré qu’il n’y a pas d’autre voie que celle de la lutte armée et que le peuple soutiendra cette lutte.

     Vive la lutte armée, le seul moyen d’atteindre la liberté !

     Vive la mémoire de nos martyrs qui se sont héroïquement battus contre l’ennemi jusqu’à la mort !

     Salut à tous les captifs et les prisonniers politiques qui résistent bravement aux tortures moyenâgeuses des bourreaux du Shah criminel !

     Vive l’unité de toutes les forces révolutionnaires et de tous les peuples d’Iran !

Khordad 1350
(juin 71)

 

Les conditions de l’apparition et du développement du Nouveau Mouvement Communiste.

     Durant les dix dernières années, notre pays a été le témoin d’une nouvelle phase dans la lutte révolutionnaire de notre peuple. Bien que le régime fantoche ait mis en œuvre tous les moyens pour réprimer cette lutte, allant de l’intimidation et la corruption à l’emprisonnement, la torture et le meurtre, il s’est trouvé à chaque instant face à des vagues de plus en plus déterminées de lutte. À la place d’un combattant tombé, des dizaines d’autres ont surgi et pendant ce temps les militants ont accumulé toujours plus d’expérience de la lutte. Le plus frappant dans la lutte actuelle du peuple est le développement sans précédent du Mouvement Communiste en Iran. Il faut dire que notre société n’a jamais témoigné jusqu’ici d’un tel mouvement, au point de vue de l’authenticité, au point de vue de la profondeur et de l’étendue. Le régime évidemment a dirigé la plupart de ses coups contre le Mouvement Communiste et ses combattants, parce que les communistes sont les révolutionnaires les plus persistants et sont munis de l’arme internationale du Marxisme-Léninisme. Les communistes attachent plus d’importance à l’organisation et remportent plus de succès que d’autres combattants. La preuve la plus évidente du développement du Mouvement Communiste et de son renforcement sans cesse croissant, sont les féroces attaques de la police et de la S.A.V.A.K. contre les groupes communistes, en même temps que la vaste propagande et la lutte idéologique étendue que l’État a entrepris contre le communisme. Des journaux tels que Djahané-now et autres, les livres publiés par le régime et la mascarade récemment mise en scène par des traîtres vendus comme Nik-Khah et Parsa-Nejad, sont très révélateurs de la peur du régime du Mouvement Communiste. Dans sa phase actuelle, ce mouvement est principalement caractérisé par le simple rassemblement des forces, son développement spontané 1 et son isolement par rapport aux masses. Pour en comprendre la raison, il faut se retourner vers le passé. Le coup d’État impérialiste du 19 août 1953 causa l’éclatement de toutes les organisations politiques nationalistes et anti-impérialistes. La seule force qui aurait pu tirer des leçons de cette défaite et, sur la base de son analyse, adopter une nouvelle ligne en accord avec les circonstances nouvelles et prendre la direction des forces anti-impérialistes qui étaient réellement prêtes pour la lutte, eût été un parti prolétarien.

     Mais malheureusement, notre peuple était dépourvu d’une telle organisation et la direction du Parti Toudeh, qui n’était qu’une pâle caricature d’un parti marxiste-léniniste, fut seulement capable de jeter ses éléments les plus dévoués et les plus combattants sous la lame des bourreaux avant de prendre la fuite. Ainsi, la lutte organisée s’arrêta radicalement. Et toute forme de lutte qui s’engageait était menée par des rescapés des organisations éclatées, dans le cadre des mêmes vieilles méthodes, et cela eut avant toute chose comme conséquence la répression accrue de tous ceux qui luttaient. Malgré cette situation, à la fin des années 50 et au début des années 60, le développement des contradictions et des crises répétées eurent comme résultat l’organisation rapide et spontanée des forces nationales, se regroupant autour du Front National ou d’organisations affiliées. Mais, limitées par des slogans galvaudés comme l’« instauration d’un gouvernement légal et des élections libres », et des méthodes paralysantes, ces luttes n’aboutirent à rien face à l’ennemi qui ne comprenait que le langage de la force et qui s’appuyait sur la foi des baïonnettes. Bien sûr, un des résultats de cette situation fut la prise de conscience accrue du régime. Les manifestations et les grèves essuyèrent successivement des défaites et, même si ces expériences et les mesures prises par le régime causèrent le changement des slogans (ce qui se refléta surtout dans le soulèvement du 15 Khordad-5 juin), les méthodes de lutte et les structures organisationnelles étaient toujours les mêmes.

     Ainsi, ces organisations (aux structures floues) furent décimées. L’ombre monstrueuse de la baïonnette s’étendit partout. Mais les nouvelles circonstances présentaient une différence fondamentale avec les conditions d’après le coup d’État : plus personne ne pouvait avoir confiance aux slogans précédents, ni aux vieilles méthodes de lutte, ni aux anciennes formes d’organisation. Le Parti Toudeh qui n’avait pas été capable d’être un exemple de Parti Communiste, même pour un court moment pendant son existence, avait maintenant toutes ses organisations démolies, ses cadres dévoués réprimés et ses dirigeants traîtres en fuite. Ce parti ne fut même pas capable de fournir un antécédent théorique aux pratiques empiriques pour les étapes suivantes de la lutte. Ainsi, dans des conditions de terreur et de répression, dans des conditions où la lutte de notre peuple avait essuyé une défaite, dans une situation où les intellectuels révolutionnaires étaient essentiellement dépourvus de tout passé théorique ou pratique, le travail était à redémarrer, donc le Nouveau Mouvement Communiste se mit sur pied, le simple regroupement des forces fut entrepris.

     L’objectif de ce regroupement n’était pas de rassembler les forces pour une nouvelle offensive mais de réfléchir sur les conditions afin de trouver une nouvelle voie pour la lutte. Dans les années précédentes, dans les conditions où les trahisons et les erreurs du Parti Toudeh lui avaient fait perdre toute crédibilité, et où aucun intellectuel révolutionnaire n’était prêt à coopérer avec lui, les organisations bourgeoises et petites bourgeoises du Front National étaient les seules organisations politiques existantes capables d’attirer ces intellectuels révolutionnaires. Ce qui amena finalement à l’infiltration des idéologies et des tactiques de la petite bourgeoisie de gauche, dans ces organisations. Après leur défaite cependant, leurs idéologies apparentées aussi perdirent toute crédibilité. Si durant ces périodes, les frontières entre le Marxisme-Léninisme d’un côté et le révisionnisme et l’opportunisme de l’autre n’avaient pas pris forme à une échelle internationale, le manque de confiance à l’égard du Parti Toudeh aurait au début pu aussi conduire à la méfiance du communisme en général. Mais il semble maintenant que la place du véritable Marxisme-Léninisme est vide et qu’il faut l’occuper. Ainsi, le Marxisme-Léninisme révolutionnaire, en tant que théorie de la révolution, devint le seul refuge des révolutionnaires les plus persistants. Ainsi, on constate que les révolutionnaires intellectuels manifestent un intérêt large et frappant envers le Marxisme-Léninisme, maintenant lié au nom et à la pensée du camarade Mao. Ainsi dans le processus d’échanges et de publication d’œuvres communistes, particulièrement les œuvres du camarade Mao, des cercles et groupes se constituaient. Sous l’influence des expériences révolutionnaires et des guerres populaires. la tendance (théorique) vers la lutte armée de masse grandissait de jour en jour. Pendant ce temps, l’expérience de Cuba aussi attira l’attention, certains apparurent qui voulaient s’engager dans l’action armée sous des formes qui ne sont pas encore définies pour nous. Cependant, ils furent arrêtés avant même d’avoir commencé et n’eurent pas le temps de faire profiter le Mouvement de toute expérience positive ou négative. Cependant, malgré les prétentions de certains, la défaite des groupes qui voulaient commencer l’action armée n’est en aucun cas la preuve de l’injustesse de l’action armée, parce que ces défaites résultaient d’une série d’erreurs organisationnelles et le non-respect des règles de secret.

     Alors qu’au début de l’apparition du simple rassemblement des forces, tout contact entre les intellectuels (du peuple) et le peuple était totalement rompu et qu’aucune relation sérieuse n’existait entre les intellectuels du peuple dont les intellectuels du prolétariat, maintenant, après le développement interne des groupes communistes, leur plus grand développement dépendait d’un lien sérieux avec les masses, d’une réelle participation dans leur vie (de tous les jours) et du lien entre les groupes communistes comme un premier pas vers leur unité. Alors que les éléments subjectifs d’une véritable avant-garde sont en train de se développer, l’horizon de l’unité des groupes et du contact réel avec les masses semble très sombre. Toute tentative de la part dos groupes, visant à établir des contacts avec les masses et les autres groupes communistes, et la participation à la vie et à la lutte politique du peuple, qui bien sûr ne sont en aucun cas très vastes, exposaient sérieusement les groupes au danger des attaques de la police.

     Notre groupe aussi passait à travers ce même processus. Il fut constitué dans l’objectif immédiat d’étudier le Marxisme-Léninisme et d’analyser les conditions socioéconomiques de notre pays. Au cours de son développement apparut une divergence : fallait-il travailler à la création du parti prolétarien ou à la formation d’un noyau armé dans les campagnes pour commencer la guérilla ? Nous croyons que la condition de la sincérité révolutionnaire était d’avoir une approche sérieuse envers ce problème. Car sans croire réellement que le commencement de la guérilla mènerait à la défaite, le rejet de cette solution aurait été synonyme de l’absence de courage révolutionnaire et la peur de l’action.

     Notre groupe cependant rejeta cette solution. Mais à mon avis cela se fit plus sur la base d’une série de formules théoriques que nous croyons être universelles (et qu’on ne peut pas changer) qu’elle ne fut le résultat d’une approche théorique et pratique sérieuse envers les réalités 2. Malgré tout, notre approche théorique concernant les conditions actuelles, notre estimation des prétendus changements apportés par le régime, le rôle de la réforme agraire, etc... ne nous conduisaient pas à réfuter ce choix, mais au contraire à le confirmer. Bien que nous croyons que la lutte armée était inévitable, nous pensions quand même que les prétendus changements donnaient plus d’importance au rôle de la ville et du prolétariat et que la campagne ne pouvait plus servir de base à la révolution comme par le passé. Ce point de vue renforçait notre conviction à former le Parti Prolétarien. Mais les prétendus changements étaient aussi évalués sous deux autres angles. Le Parti Toudeh voulait justifier son inactivité et sa ligne réformiste en professant qu’en tout cas, des changements positifs avaient eu lieu, et qu’ainsi le mode féodal de production avait disparu en grande partie, que la transition vers le capitalisme avait commencé, que de nouvelles contradictions et divisions de classes apparaissaient dans la société, que le prolétariat avait commencé son développement… Ce raisonnement du Parti Toudeh, stipulant que l’aide du soi-disant camp socialiste au régime fantoche, d’après eux à la nation iranienne, amènerait au développement de l’industrie, à l’accélération du développement du prolétariat, et la réduction de la dépendance du régime envers l’impérialisme, n’était pas une erreur théorique mais une justification de leurs tendances pratiques. En accord avec ce principe, si de nouveaux changements sont survenus, si de nouvelles contradictions sont apparues, il reste encore un long chemin à parcourir avant le moment de la « lutte décisive ». Ce que l’on peut faire est de rassembler les forces en entreprenant une série de mesures réformistes, de demander au régime l’accélération des mesures positives et d’essayer de forcer le régime à effectuer une série de replis tactiques. Le nœud principal de la lutte, dans ces conditions, n’est pas de renverser la « dictature du Shah » et d’établir la dictature du peuple, mais de demander la transformation de la dictature du Shah en démocratie du Shah.

     L’Organisation Révolutionnaire qui avait scissionné du Parti Toudeh précisément à cause de son opportunisme, de son révisionnisme et de sa ligne de compromission, afin de préserver la perspective de la lutte armée, et beaucoup d’autres communistes révolutionnaires, avaient une vue diamétralement opposée à celle du Parti Toudeh. De leur point de vue, toute reconnaissance de changement ou de développement revenait à altérer la nécessité de la lutte armée, à s’évader de la lutte décisive et à marquer le pas vers le compromis. C’est pourquoi ils croyaient que le féodalisme était encore intact et que les conditions objectives pour la lutte armée existaient. Mais cette conviction, même si elle était pourvue d’une authenticité révolutionnaire et de respect des principes révolutionnaires du Marxisme-Léninisme, différait de la réalité : tenir compte des réalités actuelles nécessite un point de vue différent, et l’Organisation Révolutionnaire, à cause de sa limitation dans le cadre d’une série de formules théoriques, fut incapable de résoudre le paradoxe entre la « reconnaissance d’un changement ou la révolution armée » et ainsi nia le changement. (Tout comme nous, dont les références aux formules théoriques firent que notre estimation à peu près juste des prétendues transformations furent utilisées illogiquement dans le sens d’une conception spécifique du parti et de sa création).

     Mais quelle est l’approche correcte ? Ne peut-on pas dire que des changements ont eu lieu, que le féodalisme a fondamentalement disparu, mais que la révolution armée n’a pas perdu sa nécessité, et que le moment de la lutte décisive peut être reporté ? Est-ce que la disparition d’une contradiction et l’apparition d’une nouvelle contradiction ont provoqué un changement dans la contradiction principale de notre société, ou cela a-t-il intensifié la même contradiction ?

 

Étude des conditions socio-économiques actuelles et le problème de l’étape de la révolution.

     Étant donné que la réforme agraire constitue la base de la soi-disant « Révolution Blanche », nous insisterons sur ce phénomène. Dans ce bref exposé, nous montrerons que l’objectif de la réforme agraire a été l’expansion de la domination économique, politique et culturelle du capitalisme bureaucratique et dépendant dans les campagnes. Le but de la réforme agraire n’était pas de remédier aux maux des paysans (de façon à éliminer la base de la révolution dans les campagnes en attirant le soutien des paysans envers le régime) mais plutôt, à cause de sa nature, le régime ne pouvait supprimer les bases de la révolution qu’à travers la répression et l’oppression économique et politique et culturelle sans cesse grandissante, en ramifiant son influence dans les campagnes et à travers l’expansion de la domination de la bureaucratie corrompue.

     Le but prétendu de la réforme agraire était de donner la terre aux paysans. Examinons comment cela se réalisa :

     — La terre appartiendrait seulement aux paysans travaillant comme locataires ou comme métayers sur la terre du maître. Ainsi, toutes les terres sur lesquelles travaillaient des salariés ou qui étaient sous la culture mécanisée, furent dispensés de la distribution. En conséquence, de vastes terres, dont celles appartenant aux princes, princesses, bureaucrates, ne furent pas distribuées, et un nombre considérable de paysans se retrouvèrent sans terre. Il faut rappeler qu’au moment où l’on était au point culminant de la réforme agraire, beaucoup de propriétaires chassèrent les locataires de leurs terres et se mirent à faire soi-disant de la culture mécanisée, et ainsi leurs terres furent aussi épargnées de la redistribution. D’autres encore réussirent à dispenser une grande partie de leurs terres de la redistribution en les donnant à leurs enfants et aux membres de leur famille.

     — Dans beaucoup de zones où les terres furent distribuées, tous les paysans n’en eurent pas possession, car ils n’avaient pas tous le contrat de location ou de métayage, autrement dit ils n’étaient pas cultivateurs et travaillaient la terre comme salariés. Il semble que d’après les statistiques gouvernementales (qui ne peuvent sans doute pas être crédibles) plus de 40 % des paysans iraniens ont été à jamais dépourvus de terre.

     — En tout cas, des terres furent redistribuées. Certains propriétaires vendirent leur terre et d’autres la louèrent. Naturellement, tout fut fait pour que les meilleures terres restent aux mains des propriétaires et les plus mauvaises soient confiées aux paysans.

     — Et finalement, dans certaines régions, le système féodal fut conservé.

     Ainsi, nous assistons actuellement à ces formes principales de relations dans le domaine agraire : le capitalisme est apparu à une vaste échelle. Même si cette forme de production existait avant la réforme agraire, son développement s’est accéléré par celle-ci. L’exploitation s’effectue sous les formes les plus sauvages, et l’ouvrier agricole n’a vraiment aucune sécurité financière. Le maître qui est toujours vraiment le maître, l’emploie et lui retire son travail quand il veut.

     Certains grands propriétaires, particulièrement ceux qui dépendent de la cour et du régime, y compris les princes, ne se privent aucunement de s’accaparer les terres des petits propriétaires. Nous avons été témoins de nombreux affrontements entre les grands et les petits propriétaires. Là où ces deux formes de propriété se côtoient, il apparaît une grande contradiction. Ce sont les grands propriétaires qui sont capables de creuser des puits profonds en cas de sécheresse, grâce à leur capital ou leur lien avec le capital financier et l’utilisation du prêt. Le petit propriétaire est obligé de louer son tracteur, de lui acheter son eau et le grand propriétaire lui vend de l’eau et lui loue un tracteur à ses propres conditions.

     La petite propriété. Cette forme de production est née essentiellement de la réforme agraire, même si elle existait déjà dans quelques régions avant la réforme agraire. Son ennemi principal est la bureaucratie de l’État. Partout où le pouvoir du féodal a été diminué, l’État a pris sa place. La bureaucratie et le capitalisme dépendant exploitent et oppriment les paysans sous différentes formes à travers le Ministère de la Réforme Agraire, les compagnies de coopératives agricoles, les différentes banques, et récemment les compagnies d’actions agricoles. Chaque année, à l’époque des récoltes. apparaissent les agents de la réforme agraire pour ramasser le loyer ou le crédit de la terre vendue ou louée au paysan. Les paysans opprimés, généralement ne sont pas en mesure de régler la somme demandée, et se trouvent jour après jour sous un fardeau de plus en plus lourd de dettes et de prêts à des taux très élevés. Partout où les paysans ont fait preuve de courage et ont refusé de rembourser leurs dettes, ils ont immédiatement été confrontés aux baïonnettes des gendarmes, à la confiscation de leur terre par le Ministère de la Réforme Agraire et à d’autres mesures répressives. En réalité, la formation de compagnies d’actions agricoles, auxquelles les paysans ont légitimement résisté et dont ils ressentent profondément la nature dans leur chair et dans leur sang, n’est qu’une conspiration pour priver les petits propriétaires de leur terre, l’inévitable conséquence de la réforme agraire. Les compagnies de coopératives soutirent les derniers deniers des paysans en distribuant des prêts, en vendant des semences et des engrais et en achetant d’avance les produits des paysans.

     Il faut enfin parler des régions où le féodalisme est encore en cours 3.

(Suite dans Ligne Rouge nos 4, 5 et 6.)

 

Notes :

     1. Il s’agit ici de l’étape de la naissance du mouvement communiste. Aujourd’hui, le mouvement communiste a atteint un stade de développement suffisant pour pouvoir donner des directives précises pour l’action. Transformer le rassemblement simple en rassemblement organisé, le développement spontané en développement conscient et trouver la voie pour se lier aux masses et à leurs luttes.

     2. Pour dissiper un malentendu éventuel, il est nécessaire de faire une remarque ici. Il ne s’agit point ici de nier les principes généraux du marxisme-léninisme. Mais nous parlons de la compréhension de ces principes et du fait de ne pas faire correspondre ces principes aux conditions spécifiques. Par exemple, le principe général selon lequel « La victoire de la révolution est impossible sans un parti révolutionnaire » ne signifie absolument pas que la révolution ne peut commencer sans le parti ou même que les révolutionnaires ne peuvent prendre le pouvoir, car ici, la « victoire de la révolution » doit être comprise dans un vaste contexte historique. Ceci parce que la victoire de la révolution se concrétise, non seulement par la conquête du pouvoir d’État, mais aussi par le maintien de ce pouvoir et la continuation de la révolution. Les exemples de Cuba et du Congo Brazzaville témoignent clairement de cette assertion. Contrairement à l’opinion du Che qui disait : « Il semble que la révolution cubaine est en contradiction avec le principe léniniste mentionné », la révolution cubaine n’a fait que prouver la justesse de ce principe (ainsi que le fit le Congo Brazzaville), car nous avons vu que le maintien et la continuation de la révolution rendirent inévitable la création d’un parti prolétarien.

     Dans notre approche de Debray, d’autres facteurs tels que ses glissements et ses déviations ainsi que les ambiguïtés de son œuvre ont joué un rôle. Mais il est bon de parler davantage de ce dilemne (le parti ou la lutte de guérilla sans parti) et d’étudier plus profondément le problème. Auparavant ce dilemne semblait naturel. Car notre compréhension du parti et de sa nécessité était superficielle et nous ne distinguions pas son contenu de sa forme. Mais maintenant, ce dilemne n’existe plus pour nous. Et quelle est notre attitude envers ce dilemne apparent, aujourd’hui ? Nous disons qu’il ne faut pas attendre le parti, il faut s’engager dans la lutte armée. Que faites-vous du parti ? Nous demandera-ton. Nous répondrons : pour nous, la question du parti se posera d’une façon concrète et non générale dans le processus de la lutte. Pourquoi nous voulons le parti indépendant de la classe ouvrière ? Pour assurer l’hégémonie du prolétariat, continuer la révolution jusqu’au stade du socialisme et... Nous avons la certitude que pour assurer l’hégémonie du prolétariat et... l’unité des groupes et organisations prolétariennes dans un parti unique sera nécessaire. Mais actuellement, cette questien ne se pose pas d’une manière précise et concrète pour nous. Sachant qu’elle se posera, nous formerons le parti unique de la classe ouvrière à temps et dans le procesus de l’unité du peuple autour de ces organisations. Mais maintenant, que la lutte armée commence ! L’unité des groupes et des organisations se pose aussi du point de vue de l’organisation politico-militaire plus vaste de la lutte. Nous résoudrons aussi ce problème au cours de l’action. Ainsi, la création du parti de la classe ouvrière n’est pas un objectif concret dont la lutte armée serait au service de la réalisation. Mais elle indique une nouvelle phase dans la lutte. La phase où la garantie de l’hégémonie du prolétariat se posera comme une question concrète et pressante. Dans le passé nous acceptions la nécessité de la lutte armée en général et la création du parti comme un problème concret. Mais aujourd’hui, la lutte armée se pose comme un problème concret et nous acceptons la nécessité de la création du parti en général.

     3. En parlant des relations de production établies dans les campanges de l’Iran, il faut précisément tenir compte de l’hétérogénéité de la croissance de la production, aussi bien dans les villes que dans les campagnes iraniennes. Malgré cela, on peut parler de la forme principale de propriété, c’est-à-dire la petite propriété. En Iran, la petite propriété est fortement soumise à la domination et l’oppression de la bourgeoisie compradore et bureaucrate (ici, la location, résultat de la Réforme Agraire, est considérée comme faisant partie de la petite propriété ; car le locataire actuel suit le petit-propriétaire exactement à un pas derrière lui. Selon les lois de la Réforme Agraire, ce locataire se transformera en un petit propriétaire misérable ou en un ouvrier agricole encore plus misérable, ou alors en un vagabond des villes). Mais lorsqu’on parle d’un changement qualitatif dans l’expansion de la domination du capitalisme compradore-bureaucrate (dans les villes et dans les campagnes), c’est-à-dire du contenu même de cette soi-disant « Révolution Blanche », il ne faut pas identifier tout de suite le capitalisme avec l’industrie et le développement de la production industrielle. Bien avant de se caractériser par le développement de l’industrie, l’extension de la domination capitaliste dans des pays comme le nôtre se caractérise fondamentalement par le développement du capitalisme bureaucratique et financier. Nous savons qu’un tel développement entraînera aussi inévitablement le développement de l’industrie, mais comment et à quel point ? Nous voyons que ce développement s’effectue d’une manière très hétérogène, incomplète et bureaucratique.

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     Ligne Rouge est un projet militant d’édition anti-impérialiste.

     Le collectif animant le projet des éditions Ligne Rouge limite les activités de Ligne Rouge à la seule production et distribution la plus large de recueils de documents anti-impérialistes offensifs dont il estime réel l’intérêt apporté par ces derniers au mouvement communiste révolutionnaire.

     Si le choix de ces documents est partisan dans la mesure où l’identité politique des militants animant Ligne Rouge détermine globalement cet outil, il est néanmoins large puisque la publication de textes vis-à-vis desquels certains membres voire la totalité du collectif se démarque politiquement est parfaitement envisageable, Ligne Rouge n’étant pas l’expression d’une organisation mais un outil d’information, de réflexion et ainsi de combat à la disposition de tous.

     Ces documents (textes, interviews, communiqués...) pris en charge par Ligne Rouge recouvrent donc des réalités multiples du combat anti-impérialiste, ils proviennent de pôles politiques différents, de plusieurs époques historiques, de divers pays et continents.

     Briser le black-out qui vise certaines facettes — et non des moindres — du combat anti-impérialiste, rompre d’avec les pratiques de censures et d’autocensure dans lesquelles on se réfugie frileusement, extraire les textes hors des cercles d’initiés couvrant jalousement et stérilement leurs monopoles militants, fouiller dans le passé du mouvement révolutionnaire pour confronter sereinement les expériences hâtivement oubliées avec notre situation, bref, arracher du silence et porter massivement au grand jour notre patrimoine — passé ou présent — de révolutionnaires et l’affirmer comme arme pour notre devenir.

     Voilà la tâche que s’est fixée Ligne Rouge, à travers un premier outil : le cahier mensuel des éditions Ligne Rouge.

     Ces cahiers présenteront plusieurs documents dont les origines différentes seront volontairement choisies, afin de briser les fausses cloisons de sectes, et d’obtenir des confrontations que nous espèrerons fertiles entre textes anciens et nouveaux, entre documents venant des centres impérialistes et de libération nationales, etc...

     Afin de nous restituer notre mémoire, de nous donner une vision plus large, plus précise et plus correcte de l’affrontement aujourd’hui, afin donc de nous donner ces armes dans notre combat présent et futur contre l’impérialisme, le collectif des éditions Ligne Rouge lance un appel à tous les éléments anti-impérialistes offensifs, à toutes les organisations révolutionnaires, à travers cet outil — qui est le leur.

Contact : BP 1682 Bruxelles 1 Belgique

   

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« Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
MARX ET ENGELS
(Manifeste du Parti Communiste, 1848.)

« Il est absolument naturel et inévitable que l'insurrection prenne une forme plus haute et plus complète, celle d'une guerre civile prolongée embrassant tout le pays, c'est-à-dire d'une lutte armée entre deux parties du peuple. Cette guerre ne peut être conçue autrement que comme une série de grands combats peu nombreux, séparés par des intervalles assez grands, et une masse de petites escarmouches dans l'intervalle. S'il en est ainsi, et il en est bien ainsi, la social-démocratie doit absolument se proposer de créer des organisations aussi aptes que possible à conduire les masses à la fois dans ces grands combats et, si possible, dans ces petites escarmouches. »
LÉNINE
(La guerre des partisans, 1905.)

« Les flics peuvent mettre les révolutionnaires en taule, les torturer et les assassiner, mais ils ne peuvent jamais tuer la révolution et la mémoire des communistes. »
CELLULES COMMUNISTES COMBATTANTES
(Lettre ouverte aux militants de base du P.T.B.... et aux autres, 27 mars 1985.)

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