Chapitre premier

La Prétendante

 Par Lorindil

 

  L’aube se levait sur le forêt endormie. Lentement, une lueur rosée déchira l’horizon, bientôt traversée de reflets orangés.

  Peu à peu, la lumière estompait l’éclat des étoiles, effaçant leur scintillement argenté dans le ciel mauve foncé, détaillant la masse sombre de la forêt silencieuse.

  La brume, blanche écharpe de crème aérienne, s’élançait à présent à l’assaut des cimes noires. Au loin, un cerf bramait. Son souffle puissant résonnait à travers toute la forêt.

  A son appel, mille oiseaux s’éveillèrent, lançant un après l’autre leurs notes flûtées. Leurs chants vibraient à présent dans l’air atone.

  Au loin, un pic martelant un tronc d’arbre creux donnait le rythme. Les flûtes légères s’empressaient de l’accompagner, sous les puissants brames graves des cerfs. La symphonie triomphante saluait l’éveil du Soleil Roi, lui rendant grâce pour cette nouvelle aurore d’or et d’argent.

  Lentement, l’astre lumineux brisait son halo de lumière orangée. Ses rayons triomphants pénétraient la douce brume humide, s’y réfractant en mille éclats blanchâtres. Le ciel, inondé de chauds rayons jaunes, achevait de chasser les ombres de la nuit.

  Les trois Lunes, surprises, s’empressaient de rendre hommage au monarque des cieux. Sillonnant avec grâce le ciel contrasté de mille nuances jaunes et bleues, elles entamaient à présent un élégant ballet cosmique, devant l’astre rayonnant de fraîcheur.

  Alda la Blanche s’éclipsait déjà. Son règne nocturne achevé, ses pâles lueurs couleur de lait semblaient se perdre dans le ciel bleuissant de cette mâtinée de printemps. Peu à peu, elle regagnait la sécurité de la Nuit, son domaine sombre où sa douce présence rassure le cœur des créatures nobles.

  Haliä, l’épouse du Soleil, jaillissait à nouveau du Sud lointain. Elle avait revêtu son bel habit couleur miel, et se jouait des rares nuages gris, qui dans leur jalousie, tentaient de la dissimuler au regard des mortels.

  Valdelia la Verte, enfin, revenait du Nord glacial. Son halo bleuté s’estompa rapidement dans le ciel maintenant d’azur. Ses vertes étendues brillaient telle une émeraude sertie de deux blanches calottes de glace en chaque pôle.

  Peu à peu, le concert s’estompa, relayé par les appels lointains de quelques rapaces. Les brumes se levaient déjà, charriées par un vent frais, découvrant une forêt verdoyante, s’étalant à perte de vue…

  Yvralïn s’attarda encore quelques instants au sommet du vieux chêne qui lui avait servi d’abri pour la nuit. Depuis son observatoire, Le Landha’Nith contemplait la belle forêt de Landarwöel ; encore étincelante sous la rosée du matin. Une brise rafraîchissante rougissait son long visage blanchâtre. Le vent se prenait dans sa longue chevelure châtain clair, soulevant avec légèreté de longues mèches rebelles.

  Il avait passé la nuit à la belle étoile, à l’abri sur une branche maîtresse du vieil arbre, protégé de la pluie et du vent par l’imposant feuillage. Avec grâce, il s’était hissé jusqu’au sommet de son hôte, assistant en silence au sacre de l’aurore. Maintenant, le soleil brillait sur la forêt bénite, et son regard ému par tant de beauté se perdait vers l’est, devinant les derniers reflets d’Alda derrière les cimes enneigées des Monts Perdus …

  Mais sa béatitude se brisa, lorsque plissant les yeux, il crut deviner de sombres nuages s’agiter derrière les pics de roches abruptes couronnés de neiges éternelles. Son visage devint sévère face à cette vision sinistre, et le Landha’nith se souvint que par-delà ces monts s’étendaient les Steppes Arides, et les ruines maudites de Naghhirayn l’ Ancienne …

  Ce fut là-bas, sur ces terres désolées, que l’Age d’Or des Enfants de Nithlar se brisa, dans le sang et les larmes, lorsque éclata la grande bataille de Nimin Azagoth…

  Un vent d’est siffla dans ses oreilles, charriant avec lui les échos lointains d’armes s’entrechoquant et de clameurs de mille guerriers désespérés. Yvralïn frissonna. Les Esprits des Vents se souviennent de tant de légendes perdues ! Et bien rares sont les mortels qui, comme lui, connaissent encore leur langage aérien … Le Landha’nith, les larmes aux yeux, fredonna en réponse quelques couplets d’une vieille chanson en Nith, aux intonations mélancoliques :

 

Aïla athem, nothanle !

Aïla athem, firmandle!

 

Nan thë Nithlar, non my fän

Fir thamensö, gandlaendle !

 

Can thalenbë, authefiel

Can malentho, thiamo !

 

Lo mandewë, Niminan

Lo Azagoth perienthë !

 

  Détournant ses yeux verrons des cimes enneigées, il ne releva son regard rougi que pour admirer la douce frondaison des arbres s’achevant bien loin au Nord, allant se perdre dans de vastes étendues forestières de pins et d’épicéas. Forte et belle, Landarwöel, la forêt de la Déesse Landha,  s’étendait à perte de vue ! Le vert joyau de la Déesse-Mère de la Nature, à jamais florissant, recouvrait bien la moitié du Ponelion, la grande terre de l’Ouest.

  Au nord, elle cédait le pas aux landes d’Uralia, domaine des Hommes des Marches. Yvralïn se souvenait parfaitement de la toundra sauvage, de ses grands lacs sombres, et de ces immenses glaciers léchant l’herbe roussie de la plaine. Les terres du nord du Ponélion avaient conservé quelque chose de primitif, malgré les quelques villes fortifiées des clans humains qui les parsemaient, surtout vers le sud, là où le sol est encore cultivable. Que ce soit au cœur des forêts de pins séculaires comme aux abords des pics enneigés des Montagnes de Glace, le pays tout entier reflétait la rude vie menée par ses habitants…

  Un aigle planait haut dans le ciel. L’oiseau lui lança un cri strident, auquel l’éclaireur ne put s’empêcher de répondre en agitant son bras droit. Le rapace frôla de ses ailes le croissant d’or de la Lune Haliä, avant de continuer sa course vers le Sud. Yvralïn pointa son regard vers les vertes vallées du Ponelion, et le domaine de ses Rois. La race mortelle des Hommes avait su bâtir de grands royaumes, depuis la Chute de sa Race, et le début des Ages Sombres. A présent, ils prospéraient dans la lumière de leur Dieu, se croyant assez fort pour vaincre quiconque s’opposant à leur règne triomphant. Mais si leurs Rois sont puissants, leur existence en ce monde reste bien éphémère ... Bien des légendes furent perdues, dans le flot de générations passées depuis l’éveil de leur race. Qui se souvenait donc à présent des chants anciens ? Existait-il encore des prophètes pour les préserver de leurs démons ?  Désormais, leur courage n’avait plus d’égal que leur cupidité … Yvralïn soupira. Et pourtant, c’était ces mêmes hommes au cœur fragile qui se dressaient, encore et toujours, face aux hordes de l’Est ; Yvralïn les avaient vues, les armées hirsutes des Clans d’Uralia, en ordre de bataille, chargeant torse nu les légions de throggs descendus des Pics de l’Oubli ; il avait combattu à leurs côtés, défiant la mort en personne en une course effrénée contre l’acier de l’ennemi…

  Comment pourrait-il oublier le spectacle des colonnes de chevaliers resplendissants dans leurs armures d’acier, menant au combat miliciens, hallebardiers, épéistes et arbalétriers, face aux Adorateurs fanatiques de l’Indicible, lors de la grande bataille des Marches de Cuivre ? A jamais, il se souviendrait de la chevauchée tonitruante vers le sud des dix mille lances du Ponelion, leurs destriers balayant les rangs ennemis sous leur poids de chair et d’acier ! Ce jour-là, les sultans du Virdinion et leurs prophètes noirs avaient été défaits, repoussant la terrible menace de leur culte profane…

  Et comment pourrait-il oublier les fières murailles d’Algaroth resplendissantes dans la lumière du crépuscule ? Comment ne pas s’extasier face à la Cité aux Mille Bannières, puissante place forte fondée par les Dieux eux-mêmes en des temps immémoriaux, et gardant désormais les Portes du Ponelion, face aux terrifiantes Steppes Arides ?

 

  Le cœur battant la chamade, le Landha’nith se tourna vers l’ouest, et l’échos de la mer vint jusqu’à ses oreilles. Devant les côtes sauvages du Ponelion, le long des terres du Ponant, s’étendait la majestueuse mer des Sept Iroises, et leurs îles perdues. Yvralïn se languit en humant le vent de l’Ouest, charriant dans son sillage une nostalgique touche iodée. Qui donc se souvenait encore parmi les Hommes du mythe de la cité-île d’Aëlyias-Valdir ? Quel Landha’nith pouvait se venter d’avoir un jour croisé les Valynaïens aux ailes blanches ? Tant de printemps s’étaient écoulés depuis la Chute de l’Age d’Or ; tant de ses ancêtres avaient veillé sur le domaine de la Déesse depuis ce jour funeste, que bien des routes avaient été oubliées, le long des côtes sauvages comme au plus profond des bois endormis …

 

  Poussant un soupir mélancolique, l’Enfant de Landha redescendit de son perchoir, sautant de branche en branche avec une agilité déconcertante. Sur ses épaules, une cape de voyage brune flottait dans son sillage, caressait l’écorce craquelée du chêne millénaire, dévoilant une élégante tunique beige brodée d’or. A sa ceinture s’agitait une fine dague et une petite flûte de bois.

  S’arrêtant sur une branche basse du vieil arbre, le barde saisit sa besace, et empoigna avec tendresse l’anse de sa harpe.

  « Allons, vieille compagne… » Lui murmura-t-il. « La route est encore longue avant le Sanctuaire ! » dressant ses yeux verrons devant lui, il discerna une ombre verdâtre, l’observant en silence derrière le feuillage d’un tilleul. « Mais qui sait ? peut-être qu’un nouvel auditoire prêtera attention à tes accord cristallins, douce Newäla ? » Le barde caressa une dernière fois l’instrument, avant de l’accrocher en bandoulière sur son dos. Saisissant la garde d’une étrange épée courbe à la lame à double tranchant, il admira un instant le reflet de son doux visage sur l’acier éclatant. Décrochant un sourire amusé, il rangea l’épée dans son fourreau, et l’accrocha à sa ceinture. Puis, d’un pas léger, il sauta à terre, se remettant en route.

 

C’est sur les flots  que vogue mon âme

Damdoulidedan, damdoulidedan

C’est sur les flots que vogue mon âme

Mon brave courage je l’ crie au vent !

 

Sur un bateau craquant hurlant

Damdoulidedan, damdoulidedan

Sur un bateau craquant hurlant

Je voguais loin du vieux Ponant !

 

Dans les tempêtes, sous les brisants

Damdoulidedan, damdoulidedan

Dans les tempêtes, sous les brisants

Ma Belle Fleur me manque tant !

 

Quand la bataille s’en s’ra venue

Damdoulidedan, damdoulidedan

Quand la bataille s’en s’ra venue

Pour toi j’tuerai, jusqu’en peux plus

 

Et si la Mort m’y surprend

Damdoulidedan, damdoulidedan

Et si la Mort m’y surprend

Me pleur’ras tu ma belle enfant ?

 

Si un beau jour j’rentre au Ponant

Damdoulidedan, damdoulidedan

Si un beau jour j’rentre au Ponant

C’est couvert d’or et  l’épousant

 

C’est sur les flots  que vogue mon âme

Damdoudidelan, damdoudiledan

C’est sur les flots que vogue mon âme …

 

« Quel étrange spectacle que voilà… Un Barde clamant une chanson à boire … » La voix venait d’au-dessus de la tête d’Yvralïn. Le Landha’Nith, fredonnant encore, s’immobilisa, tout en répondant à l’inconnu :

- C’est un chant de marins d’Uralia, éclaireur. Il raconte le courage d’un jeune guerrier, voguant avec les siens jusqu’aux Marches de Cuivre… Te plairait-il d’entendre la suite ? »

  Une silhouette jaillit hors du feuillage, et amortit sa chute en une agile pirouette, pour se tenir droit, face au barde. Yvralïn afficha de nouveau un sourire amusé.

« Je la connais déjà, Barde. Un ami avait pour habitude de le fredonner, lors de nos longues veillées au coin d’un feu de camp… »

  L’éclaireur s’avança, le visage grave. Ses longs cheveux argentés s’écoulaient le long de ses épaules, dissimulant sa cape et ses habits bruns foncés. A sa ceinture, une courte lame pendait dans son fourreau richement décoré. Accroché en bandoulière, un carquois et un arc achevaient de constituer son équipement.

  « Vraiment ? Et qu’est-il donc advenu de cet ami ? » Lui répondit le Barde.

- Il est de retour, après tant d’années d’errance. Yvralïn … » L’éclaireur prit le barde dans ses bras.

- Thorandël … » Le Barde lui rendit l’accolade, avant que son regard ne fixe les yeux couleurs d’émeraudes de l’éclaireur. « Landha veille sur toi, mon ami ! Maints printemps se sont écoulés depuis notre dernière rencontre, mais te revoir aujourd’hui me remplit d’aise. Raconte-moi, quelles nouvelles du Clan de la Licorne ? »

- L’herbe a donné les fleur, et les fleurs ont redonné la graine. Louée soit la Déesse.» Répondit l’éclaireur selon la formule consacrée. Une belle manière de conclure que tout allait pour le moins selon son cours normal.

- Bénie soit son Nom, mon ami. Mais dis-moi, que fais-tu si loin de ton Clan ? Te rendrais-tu également à la Fête du Printemps ?

- Ci-fait, Yvralin. J’escorte la prétendante de mon Clan à l’Epreuve de la Déesse… » Acquiesça  Thorandël.

- Je sais déjà tout cela, mon ami… Les arbres murmurent qu’elle y triomphera … De quelle belle enfant  peut-il donc s’agir, pour qu’une Lame de grand renom telle que toi l’ait prise sous ta protection ?

-  Yvralïn, je t’en conjure, ne te mêle pas de ça ! Notre voyage touche à sa fin, et je n’ai nul envie que tu viennes troubler la quiétude de la princesse de mon Clan ! » L’avertit Thorandël, posant une main autoritaire sur l’épaule de son vieil ami.

- Allons donc, que redoutes-tu ? » Le Barde lui sourit, ses yeux verrons pétillant de malice. Un craquement sec retentit derrière eux. Thorandël bondit, la main sur la garde de son épée. Abandonnant son ancien perchoir tombée au sol, un pic vert traversa à grands cris le sous-bois, frôlant de ses ailes les cheveux argentés de la Lame. Se retournant, Thorandël poussa un juron : le Barde avait disparu.

 

   Yvralïn voletait de branche en branche, frôlant à peine les belles feuilles vertes encore couvertes de rosée. Ses ailes chatoyaient dans la lumière du jour, et son appel moqueur emplissait la forêt. Atteignant un petit campement installé dans un vieil orme, il se posa au-dessus des têtes des gardes Landha’Niths, sur une large branche plane. Là, une silhouette encore emmitouflée sous sa couverture y sommeillait.

  Le Barde s’approcha en silence. A ses pieds, une élégante tête de jeune fille endormie dépassait à peine du duvet. Yvralïn la contempla, ravi. S’accroupissant à côté d’elle, il glissa délicatement ses doigts dans les longs cheveux roux de la jeune rêveuse.

  « Ainsi est-ce toi … Alandëlle… » La jeune fille entre-ouvrit ses paupières, dévoilant ses yeux verrons.

 « Qui êtes-vous ? » Murmura-t-elle d’une voix rêveuse.

 « Rien qu’un songe… Pour le moment  … » Le visage du Barde vacilla. La jeune femme se redressa, contemplant avec surprise le pic vert posé devant elle. Alandëlle tendit une main hésitante, caressant ses doigts tremblants le doux plumage de l’oiseau.

  Un bruit de botte crissa contre l’écorce, et l’oiseau s’envola dans un cri moqueur. Alandëlle se retourna, et reconnu la Lame Thorandël grimper jusqu’à elle. La princesse fit mine de se rendormir.

 

  « Ma Dame, C’est l’heure ! Vous avez plus que suffisamment dormi ! » Thorandël la secoua doucement. S’asseyant à côté d’elle, la Lame tira de sa besace une galette de graines et une petite gourde de cuir.

- Hum… Encore un peu… » Ronchonna la jeune fille.

- Hors de question, Ma Dame ! Vous devez être au Sanctuaire de la Déesse avant la nuit, souvenez-vous en !

- Oui, je sais, je sais… » La jeune elfe se dégagea péniblement des couvertures, s’offrant un long bâillement. « C’est le grand jour ! » Lui sourit-elle.

- La Fête du Printemps… Vous devez vous tenir prête, Ma Dame ! » L’éclaireur lui tendit un morceau de galette.

- Et comment ! » la jeune fille s’empressa de l’engloutir. « Je vais enfin être ordonnée Magicienne ! ». Déglutissant avec peine, elle saisit la gourde, et avala d’avides gorgées. « Thorandël, mon cher, cela va être mon jour de gloire ! »

- Ma Dame, vous oubliez l’Epreuve de la Déesse… L’on raconte qu’aucune nouvelle magicienne n’a été nommée depuis dix siècles, et que beaucoup des prétendantes qui tentèrent leur chances en revinrent folles, lorsqu’elles ne périrent pas sur place…  »

- Je sais, Thorandël, je sais… Mais je me sens prête ! comment pourrais-je échouer ? »

- Je vous souhaite de réussir, Ma Dame… »

  L’éclaireur s’inclina respectueusement. Regardant en contre-bas les branches voisines, il inspecta leur escorte, une dizaine de guerriers et de servantes, lever le campement en silence.

«  Le sous-bois du Sanctuaire n’est plus qu’à quelques miles d’ici, vos gens ne devraient-ils pas vous préparer pour repartir dès maintenant, Ma Dame ? » questionna l’éclaireur tout en remballant le frugal petit déjeuner.

- Maître Thorandël, apprenez qu’il me faut pour cela attendre l’arrivée du Druide Valewen, qui comme vous le savez ne se présentera pas avant que le soleil ne pointe au zénith. Aussi ai-je tout mon temps pour revêtir mes plus beaux atours. Maintenant, faites monter mes servantes, et disparaissez, allez !» La voix de la jeune dame se voulait ferme et autoritaire, mais le timbre de sa voix restait celui d’une enfant. Malgré sa silhouette de jeune femme mûre, Alandëlle venait à peine d’atteindre l’âge adulte, et son comportement fier et hautain lui donnait des allures de gamine capricieuse… Thorandël ne put s’empêcher de sourire en coin, avant de s’incliner profondément et de prendre congé de sa maîtresse.

 

  Descendant les branches basses, il transmit les instructions de la jeune princesse aux servantes de sa suite, qui s’empressèrent de rassembler de riches échoppes. L’éclaireur ne s’attarda pas plus longtemps, et s’empressant de se joindre aux cinq guerriers rassemblés autour d’une gourde d’hydromel. Tous portaient une cape verte, sous la tunique brune traditionnelle. Trois d’entre eux ne possédaient qu’un carquois et un long arc en bandoulière, un poignard pendant à la ceinture. Les deux autres, quant à eux, portaient au fourreau une longue épée, et en bandoulière un large bouclier rond.

  « Thorandël, nous te saluons. » l’accueillit l’un des soldats, un archer au regard de fouine. « La nuit a été douce. Louée soit Landha. »

- Louée soit Landha, Kalendol. Une fois prêts, je veux que vous sortiez à votre tour vos tenues d’apparat. Dame Alandëlle doit se présenter avec tous les honneurs dus à son rang.

- Bien, Lame de la Forêt. Il en sera fait selon tes ordres. » Salua le soldat.

- Maître Thorandël ! » l’appela une petite voix aiguë. L’éclaireur se retourna. Alandëlle, escortée de son cortège de servantes, descendait avec grâce les branches du vieux chêne. « Je désire que vous et vos guerriers vous retiriez durant mes ablutions… » Précisa-t-elle. « Nous ne serons pas loin, n’ayez crainte ! ». A son passage, les guerriers se levèrent, et s’inclinèrent profondément.

- Il en sera fait selon vos désirs, Princesse… » Lui répondit la Lame.

   La jeune fille sauta avec grâce jusqu’au sol, foulant de ses pieds nus l’herbe verte du bois. Elle portait une longue robe blanche, ses longs cheveux roux ramassés en une longue natte touchant le sol. D’un pas lent mais assuré, elle se dirigeait vers une proche rivière, ses servantes apportant à sa suite une carafe d’argent, de grandes flasques transparentes remplies d’essences parfumées, et de magnifiques vêtements tissés d’or et de soie.

  Thorandël le premier se rassit, détournant rapidement son regard du cortège. Bien qu’il désapprouvait de ne plus pouvoir assurer la protection de sa protégée durant ce temps, il respectait avec fierté les coutumes de son peuple, et surtout celles qui interdisaient à tout mâle, quelle que soit sa Race, d’assister aux ablutions d’une vierge  Landha’Nith…

 

  La mâtinée s’écoula lentement. Les guerriers s’affairaient en silence, sortant de leurs malles leurs plus beaux uniformes, apportés tout spécialement pour l’occasion, reluisant armes et armures, et astiquant les cuirs.

  La Fête du Printemps représentait pour les Landha’Niths la célébration la plus importante de l’année. Traditionnellement, chacun des vingt clans la fêtait en un grand banquet autour de l’Arbre du Conseil, un énorme érable au tronc titanesque, dont les racines noueuses jaillissant du sol avaient formé au cours des siècles deux trônes majestueux. C’était là que tout au long de l’année, le Seigneur et la Grande Prêtresse de Landarwöel tenaient leur cour, parmi les Rois de Clans, les Druides et les Lames de la Forêt. Et c’était devant ce même arbre, que chaque année, en cette période, plus de mille Landha’Niths se remémoraient la naissance de leur monde, et louaient la Déesse Landha.

  Mais cette année, alors que le Seigneur de Landarwöel et sa suite festoyaient ensemble, la Grande Prêtresse et les Druides se réuniraient dans le Sanctuaire de la Déesse, pour y mener une célébration encore plus ancienne.

  Cet endroit sacré, caché au cœur même de la forêt, restait pour la plupart des Landha’Niths  une légende. Seuls les plus sages druides et quelques Lames initiées aux secrets de la Déesse en connaissaient le chemin.

  Et pourtant, tous les siècles, chaque clan y envoyait une jeune vierge, choisie par un Druide pour ses dons de magie, afin d’y subir l’Epreuve de la Déesse : une cérémonie d’intronisation mystique et redoutable, à l’issue de laquelle les candidates élues deviendraient Magiciennes ..

 

  La Race bénie avait hélas perdu de sa grâce, et son pouvoir allait en diminuant. Désormais, bien peu de jeunes filles Landha’Niths naissaient avec le don de magie. Seules quelques enfants du sang le plus pur manifestaient encore ce pouvoir.

  Un jour, il disparaîtrait à jamais, et son Peuple s’éteindrait lentement.

  Landhëwel le savait. Depuis des siècles maintenant, elle pouvait sentir la magie s’amenuiser. A chaque printemps, la nature perdait de sa force magique, inexorablement…

  Durant toute la jeunesse de son peuple, les prophètes l’avaient annoncé, mais qui donc les avait écoutés ? Qui s’était soucié de leurs prédictions, en ces temps lointains d’ Age d’Or éternel ?

  Mais les cieux s’obscurcirent. Dans leur arrogance, les Yvrach’Niths violèrent l’Interdiction Divine, et les Fils de Nithlar s’affrontèrent en une lutte fratricide.

  L’Age d’Or fut brisé. La grande bataille de Nimin Azagoth ruina à jamais les enfants de Nithlar. Les serviteurs des Dieux Noirs se répandirent à travers le Monde, triomphants. Les peuples survivants s’exilèrent loin de leurs cités en flammes, tendis qu’en Naghhirayn l’ Ancienne, la Déesse Invisible répondait à l’appel des Yvrach’Niths…

  Qui donc depuis lors avait eu le courage de contempler les murs de la cité maudite ? Quel héros assez fou pour traverser les Terres Sombres avait pu apercevoir ses colossales tours de basalte, leurs dômes crochus s’élançant dans la nuit éternelle telles des griffes acérées cherchant à déchirer les ténèbres ?

  Au cœur même de ces ruines maudites siégeait désormais l’Indicible. Son pouvoir noir n’avait de cesse de croître ; absorbant l’essence magique de ce monde en un monstrueux malstrom psychique…

  Peu à peu, le vent se taisait, et l’eau des ruisseaux cessait de murmurer. A présent, la terre de Landarwöel n’enfantait plus de Sylvales. L’une après l’autre, les esprits des Bois disparaîtraient, avant que la Nature n’agonise à son tour…

  Alors, il ne resterait plus aucun souffle de magie dans l’air. Le vent tomberait, les rivières se tariraient, et les océans se figeraient en un sinistre miroir opaque. Seul le souffle funeste de l’est viendrait soulever la poussière des terres à jamais stériles, charriant dans son sillage la sinistre sorcellerie des Dieux Noirs…

  Landhëwel le savait, et craignait cet avenir funeste. Elle, la Grande Prêtresse de Landha, l’épouse de Ginkowën, Seigneur des bois de Landarwöel ; elle, dont la mémoire remontait aux premiers âges de sa Race ; elle qui avait combattu maintes fois pour les siens, bravant les dangers les plus fous, brisant des sortilèges tissés par les Dieux Noirs eux-mêmes ; elle, dont la beauté n’avait d’égale que sa sagesse, sanglotait telle une enfant perdue aux pieds de la statue de sa Déesse.

  « Non, pensait-t-elle. Je peux plus, je n’ai plus la force d’y résister… Mais je ne veux pas de cette fin-là ! Je ne veux pas mourir ! ». La Reine poussa un long sanglot. Existait-il encore un espoir pour les terres du Ponélion ? Les Dieux s’étaient depuis longtemps retirés de ces terres après la perfidie d’Yvrach… Pouvait-elle croire en leurs prophéties, lorsqu’au lendemain de la Chute de l’Age d’Or, ils avaient révélé aux derniers prophètes la vision d’un futur Renouveau ?

  Landhëwel avait perdu espoir. Tristement, elle s’apprêtait à célébrer une nouvelle Cérémonie du Printemps. Elle savait quelle terrible épreuve attendait les prétendantes. Aucune d’entre-elles n’avait triomphé de la Caverne Maudite, depuis de longs siècles… Alors pourquoi s’acharner ainsi ? Pourquoi continuer ce sacrifice imbécile ? Landhëwel soupira. Peut-être était-il déjà trop tard pour son peuple. Le monde était déjà condamné. Ses jours comptés. Le destin du Ponélion scellé...

  Des pas résonnèrent dans la grotte, et Landhëwel, surprise, se releva, les yeux rougis. Un druide s’avança, s’inclinant respectueusement.

« Ma Reine, Elles sont arrivées… ». La Reine remua lentement la tête. Ainsi continuerait-elle à accomplir ses devoirs de Grande Prêtresse, siècle après siècle, jusqu’au crépuscule de ce Monde... Elle se releva lentement, le visage sombre. Fixant une dernière fois le doux visage blanchâtre de la statue, un verset du Livre de Landha traversa son esprit.

« Même sur la pierre la plus froide germe la graine de l’espoir… »

« Et si cette graine avait déjà germé ? » Pensa-t-elle, tout en tournant le dos à l’autel de la Déesse…

 

« Druide Valewen ! Enfin ! » Alandëlle accourut vers le sage au visage sévère. Sa longue robe de cérémonie, brodée de motifs d’or et d’argent et incrustée de rubis, rayonnait de mille feux. De sa coiffe, un diadème serti d’une énorme opale, quatre rubans verts s’échappaient, retenus par quatre servantes vêtues de longues robes vertes.

 « Alandëlle ! Je vous en prie, quand apprendrez-vous à vous tenir correctement ? »

- Ho Druide, pardonnez mon enthousiasme… » La jeune fille, penaude, tenta de reprendre un semblant d’attitude calme et hautaine. « Où est mon escorte ? Ha, vous voilà Maître Thorandël … » Lança-t-elle à la Lame, portant une élégante toge blanche d’aristocrate, et un long manteau de cape vert aux motifs d’or s’entrecroisant dans son dos.

- Ma Dame, nous sommes prêts… » l’éclaireur s’inclina, aussitôt imité par les fiers soldats de son escorte. Tous portaient une cuirasse de cuir sous leur cape de cérémonie. Les guerriers, le bouclier au bras, arboraient fièrement leur épée à la ceinture, et tenaient en leur main droite une lance empennée aux couleurs de leur clan ; une tête licorne sous fond d’un imposant chêne d’or. Leurs heaumes d’or et de fer sur leur tête s’achevaient en une longue natte de crins de chevaux. Les archers, quant à eux, se contentaient d’une simple capuche, portant dans leur main droite de magnifiques longs arcs de bois blanc.

  La jeune fille s’avança lentement. Le druide lui tendit la main. Alandëlle la lui refusa, lui lançant un regard chargé de reproches.

  « Je suis une princesse de Clan, Maître Valewen; personne sauf mon père ne peut prétendre guider mes pas ! » Et la fière jeune femme s’avança, le regard haut et froid, vers le sanctuaire.

« Peste soit de cette gamine.. » Ronchonna le Druide.

« Allons Valewen, elle a juste le tempérament bien trempé !» Lui renvoya Thorendël, en passant devant lui.

 

  L’escorte avança lentement, trois heures durant, à travers les sous-bois de chênes et de châtaigniers. Au fur et à mesure de leur marche, les escortes des vingt autres Clans les rejoignaient, ne formant plus qu’une seule colonne défilant avec grâce parmi les arbres millénaires.

  Selon l’étiquette, les Clans devaient défiler par ordre de fondation, le plus ancien ouvrant la marche. Cette règle, remontant à des temps immémoriaux, restait de vigueur lors des cérémonies officielles. Mais aucune ambassade ne tirait de sa position une quelconque fierté. Car tous se souvenaient qu’aux premiers âges des Landha’Niths, trente Clans au complet s’avançaient sur ce même chemin, pour rendre hommage à la Déesse …

 

  La colonne déboucha sur une clairière délimitée par d’imposants monolithes gravés de runes. Se séparant, chaque escorte marcha d’un pas sûr jusqu’à son monolithe. La jeune elfe eut un battement de cœur en reconnaissant les runes de son clan, gravées sur un des imposants blocs de pierre.

  Au milieu de la clairière, un tumulus marquait l’entrée d’une caverne. Une délégation de druides en sortit, marchant d’un pas calme et fier. Un groupe hétéroclite de Lames, en armure complète de cuir et de fer, et de femmes, vêtues d’une simple cape verte jetée sur leur nudité, en franchirent à leur tour le seuil. Aucun des guerriers ne portait d’armes, et ils escortaient chacun une des femmes. Alandëlle eut un hoquet de surprise, lorsqu’elle remarqua leur chevelure verte, recouverte de lierre. Quant à leur cape, c’était un manteau de mousse habilement tissé ! « Des Sylvales ! » Murmura-t-elle à voix basse, ébahie. Ces créatures sylvestres devenaient de moins en moins nombreuses, et bien peu de Landha’Niths avaient encore occasion d’en croiser. Pour la jeune fille, en voir défiler autant relevait plus du rêve que de la réalité !

  Alandëlle ne perdait pas une miette de cette cérémonie. Autour d’elle, tout n’était que splendeur et raffinement: Les autres jeunes femmes, rivalisant de beauté ; leurs escortes, fières délégations armées aux couleurs de leur Clan ; les druides, si sages et austères ; les Lames et leurs compagnes Sylvales, sortant tout droit d’un comte pour enfants… Et enfin la Grand Prêtresse, auréolée d’un halo de magie blanche, franchissant avec grâce le seuil du tumulus …

 

  Landhëwel s’avança devant les Clans réunis. Soudain, son regard s’attarda sur un monolithe resté sans délégation, et ses pas se figèrent.

« Fils de Landha, où sont donc les Clans absents ? Où flottent donc leurs bannières perdues ? » Clama-t-elle à l’assemblée réunie.

  Une Lame du Clan d’Erable, le plus ancien des clans de la forêt, s’avança en silence. Puis, tirant son épée de son fourreau, il la planta dans le sol, et s’agenouilla devant sa Reine.

« Grande Prêtresse, Fille de Landha, Que ton cœur retienne ses larmes, car ceux que tu appelles à ta Cour ne sont plus. »

  Un barde s’avança, et de ses longs doigts fins, pinça les cordes de sa harpe. Alandëlle frissonna en le dévisageant. Elle se rappelait avoir déjà croisé ce regard, mais où ?

  Le Barde s’inclina devant la Reine, et l’auditoire retint son souffle lorsqu’il joua les premiers accords du Chant des Clans Perdus.

 

Pleure Déesse, que coulent tes larmes d’or

Pleure Ceux-là même que tu as perdus

Pleure, Race bénie, pleure les clans vaincus

 

Grande est ma peine, forte est ma douleur

Car plus jamais ne résonneront les cors

Des Fils de la Forêts ravis par la Mort !

 

Aïla athem, nothanle ! Aïla athem, firmandle!

Sur la Plaine de Nimin Azagoth s’affrontèrent

Les Fils des Déesses au sang si fier !…

 

 

  L’assemblée écoutait en sanglotant la complainte du barde. Le souvenir des Clans perdus lors de la Chute de l’Age d’Or restait puissamment gravé dans leurs cœurs. Les derniers accords achevés, la Lame reprit la parole.

« Ma Reine, Nous avons fait une longue route jusqu’à Toi, pour te conduire nos filles les plus chères. Vois ! Tous sont venus, pour recevoir ta bénédiction ! »

  La Grande prêtresse s’avança, en silence, et bénit la Lame. Le guerrier se releva, et la guida jusqu’à chaque délégation.

  Alandëlle retint son souffle lorsque la Reine se présenta devant ceux de son Clan. S’inclinant en une élégante révérence, elle attendit, frémissante, que la Reine la bénisse, et la relève de ses propres mains. Landhëwel avait toujours le même mot pour chaque jeune fille. Une formule traditionnelle répétée depuis des millénaires. Mais l’on disait que durant ce rituel, la Reine sondait le cœur des prétendantes, d’un seul clignement de cil. Alandëlle attendait avec appréhension ce contact psychique. Qui sait ce que la Reine sentirait dans son âme ? Aussi son cœur ne fit qu’on bond lorsque la Grande Prêtresse prit son visage entre ses mains.

  « Enfant, que ta grâce te guide à travers les étapes de ton intronisation… » Lui déclara-t-elle avec douceur. La jeune femme releva la tête, et l’espace d’un instant, son regard croisa les yeux d’or de la Reine. « Serais-tu celle que nous attendions, Alandëlle la Magicienne, mais sais-tu seulement quelle épreuve t’attend ! » Les yeux d’or s’écarquillèrent subitement, et la jeune femme, surprise, recula la tête. La Grande Prêtresse lui sourit, avant de se diriger vers la prétendante suivante.

  Les paroles secrètes de la Reine résonnaient encore dans son esprit, lorsque les Druides enchaînèrent la cérémonie par un puissant chant grégorien. La plupart des prétendantes, nerveuses, trépignaient maintenant d’impatience, malgré les voix douces et lancinantes qui plongeaient les autres spectateurs dans une torpeur mélancolique. Alandëlle ne leur prêta pas attention, laissant son esprit s’enivrer de cette mélodie envoûtante, sa tête bourdonnant à l’écoute de chaque syllabe. S’abandonnant à l’hypnose, la jeune femme ferma les yeux. Derrière ses paupières, elle voyait s’imprimer en lettres de feu les paroles de la Reine…

  La cérémonie touchait à sa fin, et la Grande Prêtresse reprit la parole.

 « Maintenant, que les Prétendantes pénètrent dans le Sanctuaire ! »

  Alandëlle rouvrit les yeux et s’avança en silence. Ses servantes, surprises, se précipitèrent pour détacher les rubans de son diadème, sans que la jeune femme n’y prête la moindre attention.

  La princesse pénétra ainsi la première dans le sanctuaire, suivie des autres prétendantes. Plus rien ne semblait compter pour elle, pas même les moqueries de jeunes filles, qui dans son dos, commentaient avec sarcasme l’épisode des rubans. Peut-être aurait-elle pu remarquer que les commères, rentrées les dernières, formaient un groupe fort nerveux, tranchant avec l’impressionnante torpeur dans laquelle étaient plongées la princesse et une poignée de prétendantes.

  Le tumulus ressemblait à un grand atelier déserté. Le long du couloir de terre battue, de nombreuses jarres s’entassaient contre ses parois de pierre brute. Des bouquets de jonquilles, de roses et de tulipes avaient été déposées aux pieds de petites idoles de bois, curieuses statuettes d’humanoïdes nus à tête d’animaux, représentés assis en tailleur. Le tumulus s’achevait bientôt devant un impressionnant portail de basalte sculpté. Terminant leur progression, les retardataires qui n’avaient cessé de critiquer la jeune femme aux cheveux roux poussèrent un petit cri alarmé en contemplant les crânes humains encastrés dans la roche noire.

 « On doit vraiment pénétrer dans ce boyau ? » Demanda l’une d’entre-elles, en indiquant d’un doigt inquiet le tunnel plongé dans une pénombre angoissante.

  Les premières prétendantes s’y engagèrent à la suite d’ Alandëlle, sans même prêter attention à la remarque de la pleutre enfant. Les autres prétendantes hésitèrent un instant, comme déconcertées. L’une d’entre-elles déclara qu’il ne pouvait rien avoir au fond de ce trou à rats, et que la Reine s’était bien moquée d’elles. Faisant mine de rebrousser chemin, elle lança un regard de mépris vers ses camarades, qui d’un pas peu rassuré, s’engageaient à leur tour dans la grotte.

  Le tunnel évoquait un long couloir mortuaire. Haut de deux mètres, pour seulement un mètre de large, il obligeait les prétendantes à progresser lentement, à la file indienne. Depuis leurs cavités, encaissées contre le plafond, des lampes à huile distillaient une faible lueur, éclairant avec peine la grotte. Sur les murs d’argile compacte, de morbides icônes avaient été sculptés : humains horriblement mutilés, animaux déchiquetés, Sylvales égorgeant leurs victimes, Landha’Niths au regard cruel... Ces personnages inquiétants semblaient onduler sous l’effet de la lumière. Dans des alcôves crasseuses, des milliers d’ossements s’entassaient. Certains semblaient appartenir à des humains. Elles pouvaient même, pour les plus complets, apercevoir entre leurs mains squelettiques les gardes rouillées de leurs armes rongées par le temps. D’autres, dont les tibias s’achevant par des sabots craquelés rappelaient des ossements de bovidés, avaient une cage thoracique disproportionnée, un bassin assez large pour appartenir à un cheval, un crâne cornu à la face prognathe fortement développée, et une forte mâchoire enchâssée de dents aussi pointues qu’une rangée de couteaux. Plus d’une prétendante frissonna à la vue de ces dépouilles démoniaques.

  Désormais, les autres jeunes filles semblaient avoir perdu leur langue. Alandëlle leur lança un regard en coin. Une quinzaine d’entre elles, le visage dégoûté, avançaient avec effroi. quatre autres prétendantes seulement osaient braver les morbides dépouilles, suivant elles aussi en silence le chemin ouvert par la jeune princesse.

  La descente à travers ces catacombes leur sembla interminable. Les murs changèrent bientôt d’aspect, et l’argile céda le pas à une roche granitique continue, englobant aussi bien les parois, le sol que le plafond de ce couloir répugnant. Progressivement, les lampes à huiles se raréfiaient, et les alcôves, de plus en plus petites, ne contenaient plus que quelques ossements brisés. Les jeunes femmes s’avançaient à présent dans une semi-obscurité, lorsque les ossuaires disparurent définitivement, et avec eux les dernières lampes à huile. Désormais, la roche ne semblait n’avoir été que très peu taillée, renforçant l’idée qu’elle ne formait en réalité qu’un seul bloc naturellement percé d’un boyau sinistre. Comment une même et seule pierre pouvait-elle avoir été taillée de la sorte ? Alandëlle s’interrogeait en silence, tout en cherchant à tâtons la moindre trace de burin sur la pierre glacée. Ses doigts engourdis ne poursuivirent pas très longtemps leur investigation. La jeune femme se concentra à nouveau sur le couloir, de plus en plus obscur. Les paroles de la Reine lui revinrent à l’esprit, et la poussèrent à poursuivre son chemin, inexorablement.

  Les jeunes filles progressaient désormais dans les ténèbres absolus. Au loin, les échos monotones de gouttes d’eau s’écrasant contre le sol froid et glissant se répercutaient le long des parois de pierre. Le bruit, d’abord faible, grandissait au fur et à mesure que les prétendantes progressaient dans la grotte. Maintenant, c’était un cliquetis entêtant qui n’avait de cesse d’exacerber les nerfs déjà à vif des jeunes femmes. Au bout d’une autre éternité passée à marcher à travers le boyau obscur,  il résonnait dans leur tête tel le bruit d’un énorme marteau frappant une enclume… Une des jeunes filles poussa un hurlement rageur, et fit demi-tour, bousculant les prétendantes qui la suivaient Les autres candidates, prises d’une violente migraine, continuèrent malgré tout leur progression.

  Le martèlement cessa soudain. Ou du moins c’est ce que crut remarquer Alandëlle au bout d’un moment. Une forte odeur de souffre s’éleva en retour, chassant le peu d’air sain encore respirable. Quelques jeunes filles suffoquèrent. Alandëlle s’arrêta, et sans qu’elle n’y prête attention, respira à pleins poumons. Son inspiration s’acheva en une violente quinte de toux. Quatre autres jeunes filles avaient elles aussi ressenti ce besoin insensé, et crachaient à présent une bile amère à l’arrière-goût de sang. Les autres prétendantes arrivées à leur hauteur leur tapotèrent l’épaule, inquiètes.

« Est-ce que ça va ? » S’hasarda l’une d’entre elles.

  Alandëlle racla sa gorge, et cracha au sol. Dégageant son épaule, elle fut prise d’une nouvelle quinte de toux, qui s’acheva en un ricanement moqueur, bientôt repris par le rire frénétique des quatre autres candidates intoxiquées. Les autres prétendantes reculèrent, effrayées.

« Mais enfin, que se passe-t-il ? » Demanda l’une d’entre-elles. Cherchant à se blottir l’une contre l’autre, elles se tenaient maintenant en retrait. Leurs yeux cherchaient à percer les ténèbres, à la recherche de leurs infortunées camarades, lorsqu’elles croisèrent en retour quatre paires d’yeux rouges qui les fixaient intensément.

« Par la Déesse… » Frissonna une prétendante.

  Le martèlement repris, suivi d’un autre, plus grave encore, puis d’un autre, aussi aigu que le son d’un triangle. Cinq prétendantes poussèrent un cri d’effroi, et s’enfuirent en courant. Les quatre paires d’yeux se détournèrent, et les bruissements de leurs pas indiquèrent qu’elles s’étaient remises en marche.

  Bientôt, une lumière intense éclaira le fond du couloir, leur révélant que le granit avait laissé la place à son tour à une roche noire, plate, aussi lisse qu’un miroir, mais totalement mat. Alandëlle pouvait cependant y distinguer d’étranges ombres distendues s’y refléter. Encore quelques pas, et les jeunes femmes pénétrèrent dans la lumière. Une fournaise étouffante les y accueillit. Des parois rayonnaient maintenant une lumière orangée, aussi intense que le foyer d’un immense feu de bois. Contre la pierre lisse, les ombres de forgerons s’activaient sans relâche, battant et frappant le fer écarlate, versant le liquide en fusion dans des moules démesurés… Dans le boyau résonnaient les martèlements des marteaux, les bruissements des énormes soufflets ravivant la flamme de la forge, le crépitement du fer blanc écrasé sous les coups puissants des artisans, le sifflement de l’eau s’évaporant au contact des lames rougies, et les cris des maîtres-forgerons hélant leurs ouvriers dans une langue inconnue. Suffoquant, les prétendantes avançaient, hébétées par ce curieux spectacle d’ombres. Leurs longues robes trempées de sueur leur collaient à la peau. La lumière perdit en éclat, et le foyer s’estompa pour laisser place à une lueur bleu foncé, rappelant une nuit sans étoile. La chaleur retomba. L’air se fit doux comme une nuit d’été. Les ombres changèrent aussi ; c’était désormais des guerriers, se préparant au combat. Leurs équipements étaient variés ; certains portaient des haches, d’autres des épées, d’autres encore des lances ou bien des fléaux d’armes. Tous hurlaient des cris de guerre incompréhensibles, s’encourageant les uns les autres, poussant de curieux cris d’animaux aux abois. Les ombres semblaient courir à l’avant d’un danger, se hâtant vers une bataille qui devait avoir lieu à quelques pas de là, le long des parois lisses. Les prétendantes s’avançaient désormais vers la scène du combat, leurs pas tremblant et leurs regards fixés sur la scène surréaliste. La température devint subitement glaciale. De la condensation s’échappait de leurs gorges haletantes. Sur leur visage, le givre figeait leur sueur en de petits cristaux blanchâtres.

  Sur les murs, les guerriers cessaient de se hâter, ne dépassant plus de leurs silhouettes massives les jeunes filles perplexes. Désormais, les murs irradiaient une lumière verdâtre, et les ombres se massaient à l’approche de l’ennemi. Du fond du couloir, d’autres ombres, monstrueuses, lancèrent un hurlement bestial. Alandëlle sentit les poils de ses bras s’hérisser lorsqu’elle crut discerner en ces silhouettes les fantômes des sinistres créatures réduites à l’état de squelettes, et entassées dans leurs alcôves tout le long du tunnel. Les guerriers s’élancèrent à la rencontre des assaillants. Le choc fut brutal. Le couloir tout entier résonnait des cliquetis d’armes s’entrechoquant. Des ombres agitaient leurs armes avec violence, tranchant à mort d’autres silhouettes. Les créatures lançaient de curieux beuglements lorsqu’elles étaient touchées, couvrant les râles des guerriers agonisants.

  Mais hélas, peu à peu, les ombres démoniaques prenaient le dessus, et les échos tonitruants de la bataille diminuaient. Les derniers guerriers poussaient d’horribles hurlements, tendis que les créatures s’acharnaient à achever leurs adversaires, poussant des bêlements de satisfaction. La lumière décrût, et les dernières ombres s’estompèrent. Un courant d’air glacial se leva alors dans leur dos, et le tunnel replongea dans l’obscurité la plus totale. Les prétendantes s’étaient arrêtées, comme pour guetter d’une oreille inquiète le moindre bruit. Une voix gutturale murmurant d’étranges incantations résonna faiblement en réponse.

  La lumière revint, éclairant d’une lueur verte maligne les visages alarmés des prétendantes les plus terrorisées. De temps à autres, une ombre aux contours indiscernables traversait les parois, longeait les murs lisses, et se frayait un passage entre chaque jeune fille. Le courant d’air forcit. Le murmure devint mélopée. Et devant elles, au fond du couloir, l’ ombre s’était massée en une forme vague, semblant se mouvoir avec peine en leur direction .

  Une autre prétendante poussa un cri strident, et voulut s’enfuir, mais percuta de plein fouet la jeune fille derrière elle. Les deux Landha’Niths chancelèrent, heurtèrent une troisième camarade, avant de chuter lourdement au sol. La fugitive, poussant un hurlement d’horreur, plaqua au sol les deux autres jeunes filles qui cherchaient à se relever, et mordit la première à la jugulaire. La seconde prétendante, à la vue du sang s’échappant de sa compagne mortellement blessée, poussa un cri surhumain. Les prétendantes fermant la marche criaient, affolées, et frappaient de leurs poings les parois de roche opaque. Alandëlle et les quatre autres prétendantes qui la suivait voulurent intervenir, mais la vue des deux compagnes déchiquetant furieusement les viscères de l’infortunée prétendante leur donna la nausée, et elles détournèrent leur regard en un violent vomissement. Avec peine, les dernières prétendantes se tendirent une main tremblante, et reprirent leur marche en direction de l’ombre.

  Un vent violant se leva. La lumière vira au bleu, puis au mauve. L’ombre mouvante se rapprochait inexorablement d’elles. La mélopée devint hurlement, et la bise sifflait ses paroles impies dans leurs oreilles gelées. Les deux jeunes femmes possédées s’en prenaient désormais à leurs camarades devenues folles, à en juger par les cris émanant du fond du couloir. Mais déjà elles n’étaient déjà plus que des souvenirs, leurs cris affolés se perdant dans le souffle démoniaque.

  Alandëlle fixait intensément cette ombre mouvante. Elle ondulait désormais telle une masse visqueuse, des remous dessinant de temps à autre sur ses contours les visages horriblement déformés de leurs malheureuses compagnes. La jeune princesse inspira une nouvelle fois à fond, et serra dans sa main la paume de sa compagne. Le couloir déboucha sur une salle immense, aux parois floues se perdant dans des brumes opaques. Alandëlle saisit de sa main libre celle de la dernière de ses compagnes pénétrant dans la pièce, et toutes les quatre se tinrent ensemble, main dans la main, en un cercle face à l’ombre maintenant grandissante.

 

  « Elle ne passera pas, mes sœurs. Nous en avons la force. » 

  Sa pensée traversait l’esprit de ses camarades.

 

  « Je la sens ! »

 « Elle est en moi ! »

« Non, elle est Nous ! »

« Qui est-ce ? »

 

  Les voix de ses compagnes résonnaient dans sa tête.

  Le hurlement du vent devint strident. Peu à peu, l’ombre se matérialisa en un millier de visages fluctuants, tantôt ricanant, tantôt hurlant à gorge déployée, sans qu’aucun autre son que celui du vent ne jaillisse de leur bouche d’huile.

 

 « Elle n’a pas de nom… »

« Elle n’a point de visage… »

« Elle n’est qu’Ombre parmi les Ombres… »

« Sa puissance nous aspire vers elle ! »

 

  Le vent, dépassant toute puissance, charriait maintenant dans son sillage les cadavres des jeunes filles mortes. L’ombre se fendit d’une immense gueule, et avala les corps mutilés.

 

 « C’est… l’ Indicible ! »

 « Alandëlle ! Que devons-nous faire ? »

« Aidez-moi, mes sœurs ! Laissez vos âmes s’ouvrir, la réponse est déjà en nous … »

 

  La jeune princesse gonfla le torse, et concentra toute la puissance de son esprit en une seule pensée. Les autres prétendantes l’imitèrent, d’instinct, et toutes ensembles, elles hurlèrent à l’ombre la même invocation salvatrice :

 

 « Landha ! »

 

  Un halo bleuté naquit au centre du cercle, d’abord hésitant. Mais bientôt, la lumière se fit plus intense, et un éclair blanc fondit triomphalement sur la masse visqueuse. L’ombre poussa un hurlement strident, et disparut dans la lumière éclatante.

  Le vent retomba. La salle s’estompa, se disloqua, laissant s’échapper de toutes parts de chauds rayons de lumière. La lumière aveugla les prétendantes, encore haletantes, et une arche de grès se matérialisa devant elles. Folles de joie, les jeunes femmes franchirent l’arche, et pénétrèrent dans une vaste caverne. Une douce chaleur vint caresser leur visage gelé, rougissant leurs lèvres et leurs oreilles gercées. Toutes les quatre marquèrent un temps d’arrêt, en découvrant ce refuge souterrain.

  En son centre, un lac d’eau bleue turquoise s’étendait à perte de vue. Des milliers de stalactites de calcaire s’agglutinaient à intervalles réguliers, formant les piliers d’une voûte blanchâtre soutenant un plafond constellé de diamants.

  Dans cette grotte emplie de paix et de sérénité, nul besoin de torche pour éclairer son chemin. Une douce et réconfortante lumière inondait de ses rayons bénis les lieux, sans qu’aucune ouverture dans le plafond de calcaire ne permit de discerner le ciel. Dans ce temple souterrain, la nature semblait rayonner elle-même de mille feux.

 A quelques brasses du bord du lac se dressait une île, recouverte par un autel de marbre. Sur le monument, une imposante statue de cristal tendait ses bras translucides vers ses adorateurs, dans un signe d’amour et de paix éternel.

   « Le Sanctuaire… » Murmura Alandëlle, le souffle coupé par tant de beauté.

  Une silhouette traversait lentement le lac à leur rencontre. Solennellement dressée sur sa barque blanche, elle semblait laisser son embarcation voguer d’elle même sur les eaux turquoises du lac. Malgré la distance, les jeunes filles reconnurent le noble visage aux yeux d’or de la passagère, et un sourire béat se dessina sur leurs mines lorsque la Grande Prêtresse Landhëwel accosta.

  Les prétendantes s’avancèrent à sa rencontre, et s’inclinèrent profondément devant elle. La Grande Prêtresse leur sourit, ses yeux remplis de douceur.

  « Bienvenue dans le Sanctuaire de la Déesse, jeunes magiciennes… »

  Les jeunes filles se regardèrent, éberluées. Ainsi avaient-elles réussi l’Epreuve de la Déesse… Leurs yeux rougis se remplirent de larmes, et toutes s’étreignirent dans un cri de joie. Leur épreuve venait de s’achever, et avec elle le souvenir des périls surmontés. La Reine les prit entre ses bras, comme pour calmer leurs nerfs cédant peu à peu en des sanglotements irrépressibles.

  « Vous avez su vaincre le plus grand danger de notre Race, en déjouant les pièges des Cavernes Maudites. Beaucoup échouèrent en mille ans… Mais vous, vous êtes désormais des Magiciennes, maîtresses des arcanes de la magie de Landha ! Votre pouvoir est grand, très grand, mes sœurs… » Leur murmura-t-elle, tout en les serrant contre sa poitrine.

 « Je vous ai bien appelées sœurs, et à ce titre je n’ai plus d’hommage à recevoir de vous. Car toutes les magiciennes sont unies par le même lien fraternel » La Reine relâcha son étreinte. « Ce seul titre dépasse de loin ceux que les autres Landha’Niths pourraient vous donner… » reprit-elle. « Vous faîtes désormais partie des rares Filles de Nithar capables de contrôler les puissances magique de ce monde !»

- Ma Reine… » L’interrompit Alandëlle « Je vous en prie, répondez-moi. Qui était-ce en vérité, dans la galerie ? ». Ni les autres magiciennes, ni la Reine, ne semblèrent pas remarquer sa question – l’avaient-elles seulement entendue ? – et Landhëwel continua son discours, affichant toujours le même sourire radieux.

- Le Savoir vient à qui sait l’attendre, mes sœurs. Votre intronisation est achevée, mais votre apprentissage reste à venir. Sachez cependant que la réponse à votre question se trouve dans la genèse de notre monde ; que même les plus grands prêtres des Hommes ne connaissent que par bribes éparses. Il vous faut l’apprendre, et en tirer de son enseignement la force suffisante pour veiller sur notre peuple. »

  Les jeunes magiciennes ne l’écoutaient à peine, leurs esprits s’embrouillant entre leur joie, leur soulagement d’avoir surmonté l’Epreuve, et le souvenir sinistre de leurs infortunées camarades mortes sous l’emprise de l’Ombre.

  La Reine leur sourit, et leur tendant sa main, les guidant jusqu’à sa barque blanche.

« Aussi vais-je vous conduire à l’autre bout du lac, jusqu’au Havre de la Déesse. » Leur annonça-t-elle, tout en les aidant à embarquer. «  Vous y trouverez repos et paix de l’esprit … Mais également le savoir qui vous fait encore défaut. »

  La Reine se hissa à son tour à bord. L’embarcation s’engagea lentement sur les eaux transparentes jusqu’à l’autre bout de la caverne, voguant tout droit vers les rives encore invisibles du Havre de la Déesse. Alandëlle se retourna, et s’aperçut que l’arche de grès par laquelle elles avaient pénétré dans la caverne avait disparue, remplacée par un immense stalactite de calcaire. L’espace d’un instant, la jeune magicienne douta de ses souvenirs, et fixa sur la Grande Prêtresse un regard perplexe. La Reine souriait distraitement à ses disciples. En un clin d’œil, elle croisa le regard de la jeune fille et sa voix résonna à nouveau dans son esprit:

« Ce n’était qu’un début, Alandëlle. Votre cœur ne sait que trop bien quel adversaire se dissimulait derrière ces ombres… Son pouvoir grandit de jour en jour, et son attention est désormais fixée sur VOUS ! »

A suivre...

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