Le Chant Inachevé
Chapitre 9 : L’Achèvement de la
Destinée
La lame à
double tranchant de l’archimage n’avait de cesse de s’abattre contre le
bouclier noir de la Vipère. Jamais combat ne lui avait semblé aussi éprouvant,
tant l’issue de la lutte restait incertain. Dulmorwen lançait dans chacun de
ses assauts toute la rage de sa folie, et l’archimage parait à grand peine les
coups mortels portés par la hallebarde ensanglantée.
La Vipère
exultait : la victoire lui paraîssait désormais acquise ; et la tête
de ce mage présomptueux trônerait bientôt au sommet de sa hallebarde ! Talonnant
sa monture, elle força la garde du mage, l’obligeant à éviter de justesse les
crocs acérés du sang-froid. Effectuant une agile pirouette vers les flancs de
l’animal, l’archimage para les coups de griffe, avant d’enfoncer entre les
écailles du ventre de la bête la lame de sa longue épée. L’arme magique émit un
crépitement d’étincelles, tandis que la bête reptilienne hurlait un râle
d’agonie. Un sang ocre s’échappa de la plaie, et la Vipère, surprise, n’eut que
le temps de bondir de sa selle, avant que sa monture ne s’effondre au sol,
terrassée.
« Trop
longtemps tu t’es crue au-dessus de nos Lois, Elëa… Mais ces temps sont
désormais révolus ! Subis maintenant le châtiment de ma faux ! »
Lança la banshee à la mage, tout en faisant tournoyer son arme au-dessus de sa
tête.
- Retourne d’entre les morts, fantôme ! »
Lui hurle l’elfe, invoquant contre son adversaire un éclair magique.
La banshee
stoppa le mouvement de balancier de son arme, pour mieux dresser sa faux face à
la décharge d’énergie blanche. Le choc éblouit le champ de bataille, et un
roulement de tonnerre retentit dans la vallée. Elëa, sous la violence du choc,
se retrouva projetée au sol. Son adversaire détendit sa garde, ricanant de plus
belle.
« Ma chère, vous achever sera un jeu d’enfant
… » Ironisa le spectre, tout en s’avançant vers la mage, au sol.
Elëa se
relèva péniblement, s’aidant de son bâton de mage. Il ne lui restait que peu de
forces encore pour lutter contre cet adversaire immatériel, et elle n’était pas
sans l’ignorer. Il lui fallait donc gagner du temps, au plus vite… Concentrant
son esprit, elle tente une nouvelle fois de bannir le spectre. Pressant ses
bras contre sa poitrine, elle entama alors le rituel sacré … Une décharge
d’énergie blanche s’échappa de son bâton, frappant de plein fouet la tête de la
banshee. Les serpents livides de sa chevelure sifflèrent de douleur, mais le
visage du spectre resta hautain.
« Croyais-tu que je me ferais avoir une
nouvelle fois ? » Lui répondit-t-elle, tout en dressant sa faux vers
le ciel. « Voici Faucheuse d’Âmes, ma plus puissante
compagne ! Inutile de te fatiguer plus longtemps, sorcière, Son champ
d’énergie me protège de ta pitoyable magie ! »
Mawraël
combattait désormais à pied. Sa monture, tranchée nette par la hache du démon,
gîsait non loin d’elle, dans une mare de sang. La lame d’Isha chantait à chaque
échange de coups, encourageant sa Gardienne à triompher du démon.
Mais la
créature demeurait bien trop puissante, même pour une arme divine, bénie par
les larmes de la Déesse-mère. La demoiselle d’honneur n’avait pu pénétrer la
garde de son adversaire, et se contentait désormais de rester sur la défensive.
Le démon ricanait : il savait que la frêle elfe ne fera pas long feu à ce
rythme-là.
D’un
violent coup de queue, il frappa son adversaire au visage, la projetant au sol.
Mawraël se releva péniblement. Du sang coulait le long de ses lèvres. Reprenant
sa garde, elle tenta une attaque éclair. Dans un hurlement, elle bondit vers la
gorge de son ennemi. Le démon, tout à fait alerte, ne fut en aucune manière
surpris par l’assaut, et para le coup d’un violent coup de poing à l’estomac.
La guerrière s’effondra au sol, son armure d’or défoncée. Toussotant, elle rampait
avec difficulté. Son ventre lui arracha un cri de douleur atroce, alors qu’elle
s’aidait de son épée pour se relever. Le démon la fixait intensément. Cette
frèle adversaire n’était qu’un amusement, dans l’attente de sa véritable proie.
Mais il prenait tout de même un malin plaisir à l’observer souffrir de la
sorte.
La
guerrière, à bout de forces, tremblait sur ses membres mal assurés. Le
serviteur du Chaos s’avança. Lui assènant un violent coup de pied dans l’abdomen,
il la fit rouler au sol, le visage déchiré de douleur. Marchant à pas lents, il
ss’arrêta devant la guerrière, péniblement agenouillée. Le démon dressa sa
hache au-dessus de sa tête, s’apprêtant à récolter son trophée. Mawraël le laissa
venir, sa garde mal assurée. Au moment où la hache s’apprêta à s’abattre sur sa
tête, la guerrière effectua une roulade avant, se retrouvant sous le démon, et
profita de l’effet de surprise pour le frapper violemment à l’entrejambe. La
créature hurla de douleur, tout en asseinant des moulinets de hache rageurs
dans le vide. La guerrière se dégagea lentement, se releva et tenta de parer un
coup de hache revanchard. Mais sa fatigue eut raison de son adresse, et la lame
parvient à lui trancher la jambe droite, à hauteur de la cuisse. La guerrière
s’écroule au sol, hurlant de douleur, son sang vermeil giclant sur l’herbe
foulée …
Lorindil perçut
le râle de la Guerrière. Son cœur cessa alors de battre, tandis que de son
regard il cherchait désespérément la silhouette de Mawraël. Mais la Gardienne
de la Lame gisait désormais au sol, crispée de douleur.
Fou de
rage, l’archimage tenta de se dégager de son duel. Bandant son énergie magique,
il projetta contre son adversaire une puissante boule de feu. La Vipère tente
d’éviter le projectile, baissant l’espace d’un instant sa garde. Lorindil
profita de l’occasion : bondissant sur Dulmorwen, il lui trancha le
poignet droit. La hallebarde tomba lourdement au sol. Surprise, la Druchi n’eut
pas eu le temps d’éviter l’attaque. Elle ne réalisa que trop tard la menace, et
dressa en vain son bouclier contre l’archimage, déjà prêt à frapper la Vipère à
l’aine.
L’armure
noire cèda sous la puissance de l’arme magique, et Lorindil infligea une sévère
blessure à son adversaire. Dans un râle de frustration, la Vipère s’écroula au
sol, agonisante.
Ne
profitant pas plus longtemps de sa victoire, Lorindil s’élança à la rescousse
de sa maîtresse.
Mawraël, à
terre, dressait désespérément son arme contre le démon : la créature
maléfique, dans un ricanement pervers, la désarma, envoyant la Lame d’Isha se planter
dans la terre à quelques mètres de là. La Gardienne soupira : son heure
est venue, pensa-t-elle. Le démon s’apprêtait à achever son adversaire, lorsque
soudain, une claeur détourna son attention : Dulmorwen venait de tomber.
Couinant de plaisir, il abaissa son arme, et se dématérialise sous les yeux
médusés de la Gardienne …
Lorindil
accourut à grands pas. Son cœur battant la chamade. Il venait lui aussi de voir
le démon disparaître, et priait pour que Mawraël soit encore en vie. Mais alors
qu’il s’approchait de la Guerrière, une voix familière d’alerta :
« La banshee ! Garde ta droite,
Lorindil ! » Le prévint Elëa.
Le mage
exécuta un rapide quart de tour, pour faire face au fantôme enragé.
« Non, non NON ! Tu ne devais pas survivre
à ce duel ! Elle l’avait prédit ! Tu dois mourir Lorindil, c’est ton
DESTIN ! » Lui hurla le spectre.
Lorindil,
contemplant son ancienne épouse, baissa sa garde, partagé entre l’effroi et la
stupeur. Sa main lâcha la garde de son épée. La lourde lame chut à ses pieds. L’archimage,
tétanisé par l’apparition, n’osait bouger. La banshee se rapprochait de lui, sa
faux prête à récolter son âme. L’archimage, affichant un sourire mélancolique, n’avait de cesse de fixer les yeux
étincelants du spectre.
« Laetheniä… Tes yeux sont restés si purs, si
beaux, comme de ton vivant… Pourquoi devrais-je t’affronter ? Non, je ne
peux tuer celle qui fut mon épouse, mon cœur, mon adorée… » Le visage
éthéré de la banshee avait abandonné tout aspect belliqueux pour reprendre les
doux traits d’une jeune femme elfe. Lorindil l’observait avec fascination. Ce
serait donc elle. Sa Laetheniä. Son amour perdu, qui ravirait son âme. Telle
était donc son destin. Lorindil s’agenouilla pieusement face au fantôme.
- Lorindil ! Non !» Hurla Elëa, se
ruant de nouveau à l’assaut. La banshee balaya la menace d’une main distraite, projetant
la mage au sol tel un fétu de paille.
- Ton destin ne t’appartient pas, Lorindil. Toute ta
vie durant, tu n’as fait que suivre la voie qui t’était tracée. Mais
aujourd’hui, ta mission terrestre s’achève ici, mon amour. Tu dois désormais me
suivre, et rejoindre les rangs de la Déesse Ridée … » Déclara la banshee d’un
ton envoûtant.
Lorindil
psalmodiait à présence une prière funèbre. Le long de ses joues coulaient de
longues larmes.
- Mon Destin… Je ne fais que suivre mon Destin … Et
me voici donc face au sacrifice final… » Lui répond-t-il, en pleurs.
- Laisse-toi guider par ton cœur, mon amour. Lui
seul sait que la délivrance est proche… » La banshee semblait vouloir le
consoler, juste avant de d’appliquer a sentence. Lorindil releva ses yeux
rougis.
- Je sais désormais quel est mon Destin » Lui
répondit-il. « Pardonne-moi, mon amour… » Un halo jaunâtre illumina
le mage, éblouissant dans un éclair de lumière le champ de bataille. La banshee,
surprise, marqua un temps d’arrêt. Lorsque la lumière décrut, Lorindil se
tenait debout, sa garde dressée.
- Sois maudit ! » Lui cria-t-elle, avant
de s’élancer à l’assaut. Dans la vallée, les derniers Druchii venaient de
tomber, sous les coups redoublés des défenseurs d’Avelorn et de leurs alliés
Dryades. La victoire était désormais acquise pour le camp des Hauts Elfes. Mais
tous regardaient en silence le dernier acte de cette tragédie se jouer sous
leurs yeux, entre l’archimage Lorindil et son Destin …
Lorindil
échangeait avec violence les passes d’armes. Son visage ruissèlait de sueur. Lentement,
ses forces diminuèrent, et il craint sa fatigue. Le combat s’éternisait depuis
une bonne demi-heure déjà. Aucune de ses parades n’avait trouvé de répondant,
aucun de ses sorts n’avait pu terrasser son adversaire. Il lui fallait une arme
bien plus puissante pour bannir une telle abomination. Une arme Divine… Mais
bien sûr ! Esquissant une nouvelle attaque, il roula sur sa gauche, et se
précipita vers la Lame d’Isha. La banshee devina sa pensée, et s’élança à sa
poursuite. Mais trop tard. Le mage empoignait déjà la garde de l’épée.
La lame,
promise à des mains de femmes elfes bénies, lui brûla d’abord la paume. Mais
Lorindil ne relâcha pas son emprise. Au contraire, , l’empoignant à deux mains,
il la retira du sol et la dressa au-dessus de sa tête.
« Lame Sacrée, Vois l’ennemi qui
m’assaille ! Notre combat est le même, accepte d’unir nos forces ! Isha ! Au nom de l’Amour que je porte pour deux de tes filles, accorde-moi le
droit de combattre en ton Nom ! »
- NON ! Tu ne peux renier Morai Hegg !»
Lui hurle la Banshee.
Mais il était
déjà trop tard. La Lame se mit de à nouveau à chanter, et crépita de mille
feux. La garde cessa de brûler la main endolorie de l’elfe. Elle se faisaiit
désormais douce et soyeuse au toucher. La Déesse avait accepté son bras, et
contre toute attente, Lorindil devint Le Gardien de la Lame d’Isha…
Tous les
elfes contemplant le duel s’agenouillèrent en signe de piété devant un tel
miracle divin.
Lorindil
regarda avec hargne la banshee, et d’un pas assuré, s’approcha de son
adversaire. Le spectre s’élança contre l’archimage, Faucheuse d’Âmes
prête à frapper. Lorindil para le coup à l’aide de la Lame d’Isha, brisant sous
le choc le fer glacial de la faux. La banshee lâcha avec stupeur son arme
vaincue, qui se désagrègeait lentement entre ses doigts squelettiques.
L’archimage
se tenait désormais devant la banshee. Cette dernière usa de ses griffes et de
sa chevelure reptilienne pour tenter de blesser son ancien époux. Mais en vain.
L’un après l’autre, ses serpents translucides furent décapités par la Lame
chantante.
Le spectre,
hurlant de douleur, tenta de se jeter sur l’archimage. Ce dernier, n’esquivant
pas l’attaque, y répond au contraire par un violent revers de lame. Sous la
puissance de la réponse magique, la banshee se retrouva tranchée en deux, juste
au-dessus du bassin. Le fantôme poussa un gémissement inhumain, brisant à tout
jamais les tympans de nombreux soldats. Dans un halo de lumière violette, son
visage s’étiola, et sa longue robe livide, tombant en lambeaux, se disperça
dans le vent.
Lorindil
abaissa son arme, avant de s’effondrer à genoux. Elëa se précipita vers lui.
L’archimage sanglotait.
« Dieux ! Oh ma chère Luthilenal ! Maintenant, je
comprends tout … Mon destin, ce combat, Mawraël… Comment ai-je pu t’abandonner
ainsi, sombre égoïste que je suis ? C’est moi qui aurait dû tomber, et non
elle !
- Lorindil… » Sa tante le serra tendrement
contre elle. « Lorindil, mon cher neveu ! Les Dieux avaient
tord ! Un destin n’a pas d’autre maître que son propre propriétaire !
Tu as choisi la Vie, Lorindil ! Tu ne peux regretter un tel
choix ! »
- Mais je n’ai fait que verser le sang d’êtres chers
à mon cœur ! Mawraël est morte, n’est-ce pas ? C’est pour cela
qu’Isha a fait de moi le Gardien de sa Lame !
- Allez, viens par ici… » Lui sourit Elëa, tout
en le menant auprès de sa maîtresse. Là, allongée sur une civière, Mawraël lui
sourit. Des apothicaires s’activaient autour d’elle. L’archimage s’agenouilla
auprès d’elle, en pleurs.
« Allons, Lorindil, mon amour… Sèche donc ces
larmes ! Je suis si fière de toi… » Lui murmure-t-elle, tout en
caressant son visage d’une main mal assurée.
- Nous sommes toutes les deux fières de toi, Lorindil
… » Sanglota à son tour Elëa.
Dulmorwen
dressait péniblement la tête vers la scène. Les soldats d’Ulthuan, bien trop
absorbés par le duel, avaient délaissé la druchie gravement blessée divaguer au
sol. Pestant sa rage, elle contemplait d’un air narquois le tableau. « Ils
ne perdent rien pour attendre ! la Vipère sait frapper aux moments les
plus propices ! » songea-t-elle, tout en tentant de se relever. Mais
en vain. Sa plaie crachait beaucoup trop de sang, et ses dernières forces
l’abandonnaient.
Le démon
réapparût devant elle. Son visage affichait un sourire pervers, et sa langue
reptilienne humait l’odeur du sang versé.
« Te voilà enfin, toi. Arrache-moi d’ici, et
conduis-moi en mon Arche Noire ! Immédiatement ! » Lui ordonna-t-elle.
La créature ne répondit pas. S’avançant lentement, il dressa au-dessus de sa
tête sa hache maléfique.
« Tu m’entends ? Je t’ordonne de m’obéir ! »
Sa voix frisait l’hystérie.
Le démon
s’immobilisa devant elle. Sa longue queue fouettait l’air avec impatience.
« Je suis ta Déesse ! » Lui
hurla-t-elle, son regard trahissant une pointe d’angoisse.
- Non, mortelle. Tu es mon repas … » Lui répondit-il,
avant de la décapiter.
S’agenouillant devant le cadavre, le démon s’empressa de boire le sang
chaud s’échappant du cou tranchée. Puis, repus, il déploya deux paires d’ailes
membraneuses, avant de s’élancer vers le Nord, dans un gloussement moqueur…
A suivre …