Le Roi Phoenix
Chapitre 2 - Renaissance

Il heurta violement le tronc d'un sapin. Des étoiles lui voilèrent les yeux quelques secondes. Il se massa le front… les épaules et les bras et regarda l'arbre qu'il venait d'embrasser si fougueusement. Se retournant il grimaça en imaginant les pierres qui l'avaient fait glisser du haut de… il leva les yeux… du haut des pics ! La pente était si raide qu'il voyait aussi les différents rochers qui avaient dû ralentir sa chute. Il jeta un coup d'œil alentour et se rendit compte qu'il ne connaissait pas ce paysage, pourtant les pics dans son dos… une idée saugrenue lui traversa l'esprit, non ce n'était pas possible. Et pourtant ses mains semblaient déchirées par une ascension dans les pierriers. Il était passé de l'autre côté de la crête, la baie des… se trouvait de l'autre côté de cette falaise abrupte. Il devait revenir de l'autre côté pour… il ne savait plus pourquoi. Que… Qui… ?!
Qui suis-je ?
Il regarda ses vêtements, ses mains et toucha son visage comme s'ils allaient lui rappeler son prénom. Il songea à l'arbre qu'il venait de percuter et pensa que le choc avait du l'affecter. Cela lui reviendrait plus tard… gardant son sang froid il réfléchit à retourner de l'autre côté de la crête. Si ç'avait été là une des ses premières pensées après sa chute, c'est qu'il devait y aller, que de l'autre côté quelqu'un saurait sûrement… que voulait-il savoir à nouveau ? Son nom, sa famille… d'où venait-il et… il sentait que quelque chose lui vrillait l'estomac, une image allant et venant dans son esprit…
N'arrivant pas à refaire le point dessus il se leva, grimaçant en songeant aux bleu qui allaient lui couvrir le corps et entreprit de contourner la crête qui lui était impossible à remonter dans ce sens. De quel côté. Il regarda vers le nord mais son instinct lui fit comprendre que le sud serait plus judicieux… qu'il devrait suivre la chaîne rocheuse, la contourner par le sud afin de regagner l'entrée de la baie des… il n'arrivait pas à se souvenir des noms. Quelle distance… il réfléchissait si fort… il tentait d'abattre une barrière dans son esprit l'empêchant d'accéder à ses souvenirs personnels. Non, il savait qu'il y avait une centaine de lieues avant de rejoindre la passe mais à chaque fois qu'il tentait de tricher avec son esprit et de savoir qui le lui avait appris, comment, où, il se heurtait à cette barrière.
Après quelques pas il se passa les doigts sur le crâne qui lui faisait cruellement mal. Massant avec dextérité ses tempes et l'arrête de son nez. Il fit disparaître la douleur et se détendit.
Tout en marchant il essayait de se rappeler d'où il était… puis au bout d'une bonne heure, se rendant compte que chaque vaine tentative faisait croître un sentiment de peur en lui, il préféra laisser son esprit se reposer. A l'ombre des sous bois il sentait la fraîcheur monter de la vallée. Le soleil était haut dans le ciel narguant les gigantesques nuages dérivant du nord, annonciateurs de l'hiver, mais quelque chose en lui d'inconscient le tenait dans l'ombre des sapins… à l'écart de la lumière.

L'après midi était entamée et inconsciemment il évitait toujours de se porter en plein jour. Malgré tout il ressentait le besoin de s'en approcher. Une partie de son esprit gardait en mémoire une cicatrice récente due au soleil, l'autre attendait avec impatience de s'y exposer. Il sentait l'ombre l'éroder, lui stimuler la mémoire, la fraîcheur des bois lui aspirait le moral, le faisant se sentir plus proche de ses souvenirs, lui avalait ses forces et bientôt il ne put avancer très vite, sentant ses jambes se dérober sous son corps. Une image dansait encore dans son esprit… Il resserra son gilet de laine autour de son torse, sentant la fièvre monter. Il se voyait avancer vers la silhouette, s'en approcher, tendre la main et presque toucher son châle… Quel était son nom ? L'ombre le rongeait… un visage fin apparut, un large sourire et des yeux bleu profond… le front du jeune homme se couvrait de sueur… la chevelure de la fille, longue, noire et nacrée se perdait en fines bouclettes… Anissa ! L'image devint soudain sombre comme perdant de sa couleur. Non ! Revient, je… Quel était son nom ?
Il avança encore pour toucher l'apparition diffuse et sortit des bois en plein soleil. Elle disparut et à nouveau il ne pouvait plus mettre un nom sur cette pensée furtive. Il reprit quelque peu ses esprits. Une grande prairie s'étendait devant lui et en son centre un village autour d'une église. Dans les champs des hommes emmenaient leurs ballots de paille à l'abri. Le soleil tapait fort pour une journée d'automne et il se surprit à vouloir lever les yeux, quitte à se les brûler en fixant l'astre de feu.
De la chaleur… j'ai besoin de chaleur…
N'arrivant plus à s'accrocher à ses propres envies il se laissa à nouveau porter dans cette douce léthargie.

Il reprit conscience dans une vision opaque de son environnement. Des gens passaient autour de lui mais il ne pouvait les discerner, ses yeux lui faisant un mal atroce. Il ne voyait presque rien, des formes, quelques couleurs froides… chaudes… la fraîcheur de l'air lui indiqua que les nuages avaient du obscurcir le soleil à moins que la nuit soit tombante.
Ses sens lui revinrent tout doucement…
Ses bras étaient douloureux. Il se tenait debout, semble-t-il en équilibre sur quelque chose de rond et pourtant il ne sentait pas qu'il devait fournir d'effort pour se maintenir droit. Ses bras étaient ligotés dans le dos par ce qu'il pensait être des liens métalliques autour d'un cylindre. Il sentait sur sa tête une sorte de cagoule lui laissant uniquement les yeux libres, pourtant incapables d'appréhender son entourage.
Une forte odeur lui parvint, âcre et lourde, lui irritant le nez, s'insinuant dans ses poumons, le faisant tousser. Il lui semblait connaître cette odeur sans pouvoir pour autant la nommer. Une vive angoisse le submergea, il ne se sentait aucune attache à cette réalité et pourtant il avait peur de subir quelque chose. Il chercha au fond de son esprit ce qu'il faisait ici. Que se passait-il ? Où était il ? Au fur et à mesure que les réponses sonnaient par la négative il ne lui resta plus qu'une question.
Qui suis-je ?
Il lui semblait s'être déjà posé la question… quand ? Une faible réponse, une voix dans le vent, un murmure dans le lointain lui parvint. Il ne put la discerner.
Qui suis-je ?!
Il avait envie de hurler dans son crâne, crier à quel souvenir pouvait l'entendre… il sentit le délire monter en lui mais quelque chose le stoppa, lui percutant le crâne. Un coulis frais lui coula dans le coup alors qu'il sentait et entendait des gens s'approcher, rire et crier autour de lui. Quelques instants plus tard il se sentait entouré de centaines de personnes qu'il ne pouvait discerner. D'autres projectiles le touchèrent pendant plusieurs minutes. Il refusait, ne comprenait pas.
Qui ?
Des rires autour de lui, de plus en plus tonitruants. Il tournait la tête de droite et de gauche espérant apercevoir un détail net. Ses yeux rougis par les larmes lui coulant sur les joues se brouillèrent encore plus. Il entendit à nouveau un murmure dans son esprit ajoutant à son désespoir. Il poussa un cri qui s'étouffa dans sa gorge, noyé par les sanglots.
Quoi ? Pourquoi ?
Il ravala ses plaintes tentant de réunir ses pensées… vides. Tentant de rassembler ses souvenir… absents. Il tremblait de tristesse et les cris de joie continuaient à s'amplifier.
La voix revint dans sa tête comme un écho.
Soudain un cri bref et perçant dans son esprit. La foule se calma au même moment comme si elle avait put entendre le fruit de son imagination.
Il ne put pour autant comprendre, il se sentait piégé mentalement, enserré. Il entendit des pas, sentant sous ses pieds le "sol" vibrer. Puis le silence se fit totalement.
Seuls le murmure du vent et une légère vibration de ses tympans.
L'odeur s'était amplifiée. Etaient ses sanglots ? Quelqu'un venait le libérer peut-être ? De quelle injustice…
_ Oyez, Oyez ! Ici se trouve un jeune homme qui a été reconnu par les ecclésiastiques comme un hérétique !
_ Je l'ai vu ! Cria une voix.
_ Moi aussi cria une autre, il avait les yeux retournés, fixant le ciel et marchant bizarrement !
_ Silence ! Cria à nouveau la personne près du jeune homme. Il se trouve que les dieux ont tranché et ont jugé qu'il devait mourir sur ce bûcher aujourd'hui, sans perdre de temps afin de garder au loin les mauvais esprits qu'il aurait put attirer avec ses manigances.
La foule approuva par un grand cri. Accroché à son poteau par les bras dans le dos, il sursauta. Ouvrit des yeux ronds ne lui rendant pas l'image des alentours.
Mais !
De nouveaux projectiles lui parvinrent. Il ne les sentait plus. Il était figé.
Comment ?
Dans son esprit l'écho d'un murmure le narguait. Un mot revenant de temps à autre. Un mot qu'il n'arrivait à saisir. Le délire remontait à nouveau le long de ses tripes. La peur le prenait à la gorge. Il ne savait que faire, il ne pouvait rien faire.
Il entendit les pas redescendre de ce qu'il savait maintenant être son bûcher.
_ Noooon ! Vous ne pouvez pas… Je n'ai rien fait !
La foule parti dans une série de huées violentes. Les insultes fusaient et il ne pouvait que tenter de s'échapper de cette situation se réfugiant dans ses pensées… désespérément vides… dans ses souvenir… irrémédiablement absents. Il était si jeune !
Jeune ?
Comment le savait-il ? Un nom revenait tambouriner à ses oreilles alors qu'il sentait une soudaine chaleur s'élever d'en dessous. Le craquement du bois se fit entendre et les premières flammes vinrent lécher ses pieds nus. Des forces semblèrent monter en lui.
Il poussa un cri à s'en déchirer la gorge. Le mot lui parvint :
Marian !
Les flammes montaient le long de ses jambes ruisselantes de jus dégoulinant des fruits lancés dans sa direction.
Qui est-ce ?
C'est ton nom.
La foule autour s'était lancée dans un chant religieux glacial.
Qui êtes vous ?
Je serais toi.
Il criait, souffrait et hurlait à travers les flammes entamant ses vêtements. Il sentit ses capacités remonter. Ses souvenirs lui revinrent en bloc. L'Ascension. Bryen. Une présence. Bryen gisant au sol. Une plume de feu et une silhouette. Un jeune homme se tenant entre les Pics Dentelés les bras en croix, accueillant le soleil. Le même jeune homme dans une prairie les bras levés vers l'astre de feu, les yeux révulsés, psalmodiant.
La foule chantait d'une note grave. Le bois crépitait et le feu lui dévorait la peau. Il criait encore inconsciemment cherchant à dissiper toute cette souffrance brûlante. Pourtant il semblait que le feu l'érodait autant qu'il le revigorait. Il se réfugia à nouveau dans ses pensées, traumatisé.
Anissa !
Il ne pouvait pleurer les moments qu'il aurait voulu passer avec elle. Une vague de douleur commençait à le faire chavirer. Il cherchait à fuir ce moment à partir loin de son propre corps et pourtant il sentait une force extérieure l'empêchant de s'évanouir afin de le purger du mal. Les ecclésiastiques. Il n'en avait cure.
Il hurlait à pleins poumons, ses cordes vocales menaçant de lâcher. La douleur était insupportable. Le feu le mordait, le guérissait.
Aidez moi !
Tu veux partir ?
Les brûlures cloquaient sa peau qui était aussitôt remise.
Oui ! Je veux retrouver Anissa !
Tu veux quitter ce moment ?
Ouiiii ! Anissaaaa !
Il s'accrochait à ses pensées se réfugiant dans sa tête comme s'il pouvait recroqueviller son âme dans son crâne, ramenant ses effluves contre lui, le protégeant de la chaleur insupportable qui lui grillait et lui vivifiait le torse.
Bien.
La souffrance diminua. La douleur se fit moindre puis disparut. Il se sentit quitter son corps poussé par une force extraordinaire vers l'extérieur. A présent libéré de toute chose il se retourna et contempla sans aucune émotion une colonne de feu s'élevant d'un monticule de bois, au milieu duquel se trouvait, attaché à un poteau par des fers, un jeune homme la tête pendante, inconscient comme accueillant les flammes qui pourléchaient déjà son cou cloqué.
Marian. Je suis Marian.
La foule avait stoppé son chant funèbre.
NON.
Sursaut de sensation. Il prit un ton plus assuré, comme tentant de se convaincre.
Qui ?! … Je suis Marian.
NON. MAINTENANT, JE SUIS TOI.
Il se sentit alors tiré vers le corps plongé dans les flammes, inexorablement aspiré par la même force qui venait de le libérer.
TU ES A MOI
Non ! Pourquoi ? NOOON !
Il contorsionna son esprit, étirant sa conscience, tendant son âme pour se retourner et tenter de fuir cette chaleur qui le gagnait à nouveau. Il aperçut une estrade avec une dizaine de prêtres en robe noire qui semblaient consternés par la mort prématuré du condamné. Le ciel était sombre comme à la veille d'une tempête et la lueur des flammes dansait sur les toges des villageois.
Il sentit des fers chauffés à blanc lui enserrer les poignets et les chevilles, son âme venait de regagner son foyer. Il se voyait retenu spirituellement par une lanière de feu lui lacérant l'esprit et ne pouvait se débattre contre ce pouvoir dantesque.
Il perdit conscience de lui-même et dès lors ne fut plus.

La tête du condamné se releva. Les yeux rouges d'une lueur braisée.
La foule entonna à nouveau son chant d'une manière plus angoissée. Les prêtres ouvrirent grand les yeux.
Le feu sembla partir en vrille autour du poteau. Les fers du jeune homme fondirent sous l'effet de la chaleur intense. Les bras libérés du condamné se levèrent au dessus de sa tête à la verticale…
Un échange de force avait lieu, les prêtres contrant le pouvoir s'élevant des flammes, le condamné semblant y puiser sa force.
Il abaissa brusquement les bras. Le pilier de flamme implosa et s'étouffa en un instant éteignant le bûcher de la même façon. Seuls une bouffée de cendres remplaça le jeune homme qui se tenait quelques secondes auparavant au milieu du bûché.
Le foule se tu. Un vent chaud soufflait les cendres et les dernières fumées au loin. Tous les villageois se tenaient cois. Les prêtres se regardèrent. Ils savaient qu'un cauchemar venait de renaître.

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