Chapitre 3 : Des horizons de sang
Par Dvzk
La
dame de Mortelune sa vie claire a perdue, ressuscitée par la connaissance, elle
mène à présent les armées du vaste désert aux cheveux d’or. Attisée par son
désir de vengeance, la colère pure est un venin dont il ne faut pas abuser,
loin de ses anciennes habitudes, la noble dame est passée reine de la mort.
Méfiez vous ainsi de ne point tomber dans la cruauté, mais les hommes sont ils
aptes à juger le bien du mal ? Ils ne réfléchissent que dans leur propre
intérêt et leurs esprits cupides se bornent à leur petite vie misérable, eux
qui ne sont que les éléments indépendants d’un grand Tout qui les dépasse…
Le soleil rougeoyant baignait de lumière le
visage gracieux d’Elanore, l’or et le bronze qui la paraient scintillaient
autour de son visage. Elle avait pris de l’assurance, se tenait plus droite,
plus autoritaire qu’autrefois, ce qui lui donnait un charme impénétrable, une
aura de mystère et d’ombre qui ne laissait rien transparaître de son passé.
Elle tenait à la main une longue lame effilée couverte de runes de protection,
ses sourcils se froncèrent à l’approche du village, il était temps de faire
payer à ces mortels leur impudence ! Sa voix claire et douce était teintée
de fureur, ce fut avec grâce et colère que les mots qui sortaient de ses lèvres
se perdaient dans les tourbillons de vent qui rasaient le sol.
« Peuple de Nekheara, Lorsque les terres
qui vous appartenaient furent abandonnées, elles ont été envahies par la
vermine. Les parasites des autres peuples se sont appropriées vos fiefs, il est
temps de montrer à ces impies qui règne ici ! »
Les compagnies de squelettes, rangées en ordre
s’alignèrent devant elle, des gardes des tombes, même, formaient deux garnisons
protégés par de lourds boucliers d’airain et des casques de bronze. Le vent se
souleva en portant des nuages de sable sur la cité, abritant ainsi l’armée de
la surveillance d’une quelconque sentinelle. Lorsqu’ enfin, ils arrivèrent aux
portes, ils les trouvèrent grandes ouvertes et les quelques soldats qui
montaient la garde au dessus des remparts de bois n’avaient rien vu venir. Il
était trop tard pour reculer, les soldats sonnèrent l’alerte. Un vent de
panique souffla alors à l’intérieur des murs, chaque homme vaillant fut
réveillé en sursaut et n’eut que le temps de saisir une arme pour se rendre sur
la place. Elanore ordonna l’avance de ses troupes, les rangs serrés des
squelettes étaient protégés par de larges boucliers qui empêchaient les flèches
de les atteindre , les rares qui passèrent ne firent que traverser la cage
thoracique des guerriers qui avaient au visage une expression amusée. Chaque
squelette passa la porte, leurs orbites creux tournés vers le fort. Elanore
ordonna à l’aurige qui dirigeait son char de franchir le mur, les brides claquèrent
et les destriers squelettiques commencèrent à galoper, soulevant des nuages de
poussières autour de leurs sabots. Elle brandit sa lame et le fil trancha la
gorge d’un milicien, son sang se répandit sur le sol, se mêlant au sable et
rougissant le chemin. La première fois qu’elle avait tué, elle s’était sentie
affreusement coupable, cette fois, c’était différent. Elle porta l’arme à sa
bouche et fit couler le sang sur sa langue, le char repartit à vive allure,
fauchant de ses roues ferrées un autre soldat. Elanore tendit le bras,
frappant, frappant encore, les victimes de sa cruauté jonchaient la route,
comme le sillage funèbre de son engin de mort, elle traça son chemin vers le
fort, là, le capitaine qui l’avait reçue il y a quelques jours, si longtemps, une
éternité. Il tenait dans sa main un grand sabre et un mousquet à crosse de
nacre, tétanisé par le massacre perpétré autour de lui, le métal tranchait la
chair, coupait les artères, délogeant la vie de son écrin. D’un revers de bras
il broya la cage thoracique d’un squelette , celui ci s’affaissa dans la
poussière, pour se relever, quelques côtes brisées, mais sans plus de dégât. Le
char continuait inexorablement, des râles d’agonie s’échappant des gorges des
mortels mutilés par les coups. Le capitaine, ravi de trouver une cible de chair
et d’os ajusta son tir, en quelques secondes, la détonation projeta la petite
bille d’argent au milieu d’un nuage de fumée. Le temps se ralentit, le
projectile mortel trouvait son chemin, se rapprochant mortellement d’Elanore.
La balle percuta de plein fouet sa poitrine et
la projeta par terre. Au milieu des cris de bataille. Elle leva les yeux vers
le ciel, se releva, consciente, vivante, pas une goutte de sang n’avait coulé,
la douleur s’est rapidement estompée, elle porta la main à sa poitrine, sentit
le petit trou que la balle avait perforé dans ses chairs. La rage la submergea
en même temps qu’un léger sentiment d’incompréhension, elle leva les yeux vers
le cheval qui la chargeait, ses sabots ferrés d’airain battant le sol. Un
revers de bras, des étincelles giclent, le fer rencontre le fer, le regard des
deux combattants se croisent, l’un reconnaissant son visiteur de l’autre fois,
l’autre ne pensant qu’à tuer. Encore une fois le bras du capitaine s’abat, plus
hésitant cependant, cette hésitation lui sera fatale. Le fil de l’arme
d’Elanore vole, la lame du grand sabre d’argent ricoche sur la garde, le fer
rencontre la chair. Les cordes vocales tranchées, le fier capitaine n’est
plus et s‘effondre dans un sifflement
aigu, sans pouvoir crier, muet dans l’éternité. Mais elle n’en a pas assez, il
en faut plus pour pouvoir rassasier la soif vengeresse de la reine des morts,
elle plongea sa main dans la gorge du cadavre, le sang coulant abondamment de
la plaie tachant sa peau d’ivoire. Sa main se reposa sur le siège de l’âme, le
cœur, l’organe de vie, essentiel, sacré. Elle arracha consciencieusement cet
objet précieux, le retira délicatement, presque comme on retirerait le fruit
d’une coquille de noix, elle laissa retomber la dépouille mutilée, leva ce
trophée, ce cœur qui ne battrait plus, qui répandait sa vie comme un fleuve
bouillonnant sur les bras blancs d’Elanore. Elle porta ce fruit interdit à sa
bouche gracieuse, lentement, s’en délectant comme on peut se régaler d’un repas,
d’un événement heureux ou se réjouir pour tout autre raison. Un sentiment
d’extase la traversa quand elle sentit cette vie, ce sang couler dans sa gorge,
étancher sa soif, horrifier ses ennemis, ce sang chaud, épais, délicieux…
Rien ne saurait décrire cet instant, partagé
entre la honte de s’abaisser à un acte aussi vil et le bonheur intense
qu’apporte cet acte.
Le silence retombe, entrecoupé seulement par la
voix des malheureux qui ne purent s’enfuir. Parmi ceux que les morts n’avaient
pas tués, le désert prendrait son tribut.
De retour dans la cité Nekhéarienne, Elanore
s’assit sur son trône d’or, sans aucun trouble, comme si rien ne s’était passé,
comme si aucun massacre odieux n’avait été perpétré.
Trois longues années passèrent. Trois années de
règne glorieux, Nekkehara a retrouvé une part de sa gloire d’antan. Les
alentours se sont vidés de toute vie. Elanore règne en souverain avisé, gérant
les armées avec un talent que l’on aurait pas pu soupçonner d’une femme aussi
discrète autrefois. Ses troupes remportaient victoire sur victoire et c’est
grâce à elle si la nouvelle de la venue des morts du désert s’est répandue dans
le vieux monde, laissant derrière elle un sillage de terreur. Elanore et ses
armées écrasaient savamment toutes les défenses rencontrées sur leur passage.
En trois ans, Nekheara était redevenue une puissance avec laquelle il faudrait
compter.
Elanore dormait. Elle rêvait. Poursuivie sans
cesse par une ombre, elle avait beau courir, elle n’avançait pas. Soudain,
alors que l’ombre allait l’engloutir, un gouffre s’ouvre sous ses pieds et elle
tombe. Elle tombe lentement, puis de plus en plus vite, ne rencontrant aucun
obstacle, aucune prise à laquelle s’accrocher. L’ombre la suivait toujours, et
c’était d’habitude à ce moment là qu’elle se réveillait, apeurée dans son lit
d’or. Mais pas cette fois. Cette fois la chute s’accéléra encore. Une main, une
main humaine sortit de l’ombre et la saisit par le bras. Le contact de cette
main la réveilla et elle eu à peine le temps d’apercevoir le visage sévère qui
avait surgi lui aussi après la main, un visage qu’elle n’avait jamais vu, et
cette main, ces doigts dont émanaient une puissance trop ancienne pour être
connue des vivants et des morts de ce monde. Une puissance qui remontait
jusqu’à l’aube des temps, ces doigts… ce visage…
C’était Ihmarhi, le grand prêtre liche. Le
visage tendu et un air inquiet sur le visage. Il demanda dans le souffle
doucereux qui lui tenait lieu de voix :
« Est-ce que les démons t’ont
quittée ? Ce rêve qui t’agite depuis tant de lunes est habité par un
homme, c’est lui la cause de tous tes troubles, il te faut le trouver et le
tuer !
-Mais, je… Je ne l’ai jamais vu, je ne le
connais même pas ! »
Sa voix aussi avait changé, elle était loin à
présent la petite voix infantile et discrète, empreinte de gaieté et
d’émotions, ses paroles étaient à présent froides, dures et immuables à
l’instar de la pierre des tombeaux et surtout elle ne trahissait plus aucun
sentiment : ni peur, ni doute, ni chagrin ni joie.
« Cet homme lui te connaît, il hante ton
esprit et cherche à t’écarter de ton destin.
Ses méfaits vont à l’encontre du dessein des
dieux, il agit sous différents noms, sous différents aspects, et ses actions
contrecarrent nos plans. Je ne connaît ni son nom ni son logis s’il en possède
un des deux, mais une chose est sûre : vos destins sont liés. Quitte ce
royaume, Elanore de Mortelune, reine des morts et maîtresse de Nekheara, quitte
ce royaume et tue-le, tue cet impudent qui veut nuire à notre destinée !
-Qu’il en soit fait selon le désir des
dieux !
-Qu’il en soit fait selon ton destin et ton
supplice prendra fin !
La nuit passée à réciter des prières
incantatoires, les préparatifs à son départ étant terminés, elle confia à
Ihmarhi les brides du royaume et monta prestement sur son char. Les squelettes
des montures eux, ne possédant pas de Kâ qui leur est propre, ne bronchèrent
pas et une incantation lancée par Elanore leur donna l’autorisation de
s’élancer rapidement dans le désert. Elanore n’avait plus qu’une chose en tête,
elle avait vidé son esprit comme seuls les morts peuvent le faire, elle devait
tuer ce mortel misérable, débarrasser la surface du monde de cet être infect et
malveillant. Une fois de plus, c’est la vengeance qui la pousse à travers le
désert où flamboie un soleil ardent, qui n’arrive pourtant pas à réchauffer ce
cœur froid comme la mort qui l’a pris. La vengeance qui dirige le pas leste des
montures squelettes.
La vengeance encore qui brille dans les yeux
durs d’Elanore.
Loin de là, Dans la grande cité
Nekhearienne le prêtre liche Ihmarhi
affiche un sourire satisfait et contemple le soleil couchant qui rougeoie
derrière le petit nuage de poussière soulevé par les sabots des squelettes. Sa
ruse a marché comme il l’entendait
Il déclara pour lui même :
« Ainsi finit Elanore de Mortelune. »
A suivre…