Kariahn commençait à être franchement intrigué. Durant son précédent sommeil, la porte n'avait pas bougé mais l'ombre, s'était tournée vers lui. Elle l'avait regardé et lui n'avait pas détourné la tête, il avait alors croisé deux puits de malfaisance et lui avait renvoyé un regard haineux. Il pensait qu'il devait s'agir d'une autre créature de la nuit, sans doute un ancien Seigneur Vampire, car une terrible puissance maléfique s'échappait de l'apparition. Il se demandait ce qu'on voulait lui montrer et surtout, qui le faisait. S'il avait encore été en Saphery, il lui aurait suffit de se tourner vers son mentor ou d'effectuer des recherches dans les nombreuses bibliothèques du pays. Dans une telle circonstance, sa solitude et son ignorance le pesait. Il lui fallait trouver de l'aide. Mais qui voudrait aider un vampire ? Tout le problème reposait là-dessus. Seule une autre créature des ténèbres le ferait peut-être. Un autre vampire, un sorcier maléfique, Kariahn n'aimait pas ce genre d'individus. Il se souvint alors d'une amie qu'il avait avant d'être mordu. Une enchanteresse elfe qui résidait alors dans la ville de Bordeleaux.. C'était la seule personne qu'il connaissait dans le Vieux Monde. Kariahn sortit sa vieille carte, un magnifique travail d'un maître cartographe de la Tour de Hoeth. Cadeau de son vieux mentor, elle était aujourd'hui gribouillée de notes et de taches diverses. Il eut tôt fait de se repérer puis de trouver la ville de Bordeleaux, à tout au plus deux ou trois nuits de marche à l'ouest de l'endroit où il se trouvait
Alors que l'aube poindrait bientôt, Kariahn se trouvait enfin en vue de Bordeleaux, il était épuisé par ces trois nuits consécutives de marche forcée et son dernier repas remontait maintenant à six jours. Il trouverait certainement à se ressourcer dans la ville elle-même, en attendant, le jour allait bientôt poindre et il lui fallait un abri. Il se renfonça dans la forêt et après quelques minutes de marche, il arriva dans une petite clairière au centre de laquelle se dressait une chapelle en ruine. Le ciel s'éclaircissait, il courut, ouvrit la lourde porte déglinguée et entra. L'intérieur sentait le renfermé, mais cela ne l'incommodait guère. Un autel, un bénitier et une sorte de vieux siège en pierre, voilà ce qui occupait la chapelle dont le toit d'ardoise commença à laisser passer les premiers rayons de l'astre solaire. Il souleva une petite trappe et descendit dans une crypte où reposait un gisant. Le vampire se roula en boule dans un coin et s'endormi rapidement.
La porte semblait pulser et l'ombre se faisait plus nette, prenant peu à peu une forme humanoïde. Il regarda à nouveau la porte, une voix ou plutôt une pensée tentait de pénétrer sa conscience, elle émanait du portail. " Trouve viens " c'est tout ce qu'il réussissait à saisir.
Il se réveilla, ces deux mots pulsaient toujours dans sa mémoire.
La nuit ne tarderait guère à se lever. Il attendit un moment,
réfléchissant à ses songes et à son but actuel.
Il avait du mal à se rappeler du nom de l'enchanteresse
Cyl
Oui, cela commençait ainsi, cela allait lui revenir, il avait oublié
tant de choses. Un bruit au-dessus de sa tête le tira de ses pensées.
On marchait pesamment à l'étage au-dessus. Kariahn se leva souplement,
son épée en main. Les bruits indiquaient déplacement, puis,
plus rien. Kariahn gravit les marches sans le moindre bruit et repoussa doucement
la trappe. Une sombre forme occupait le trône de pierre. Une armure, certainement
un chevalier bretonnien venu se recueillire
Avec un peu de chance, il
arriverait à sortir sans être repéré. Il traversa
la pièce, dans l'obscurité et avec le champ de vision réduit
par le heaume qu'il n'avait pas retiré, le guerrier humain ne le vit
pas. Mais les cieux n'en avaient pas décidé ainsi et, lorsque
Kariahn tira la porte à lui, les charnières cédèrent
et, sans sa vivacité surnaturelle, elle lui serait tombée dessus.
Cependant, le fracas généré n'avait évidemment pas
manqué d'alerter l'humain. Il se leva et se retourna sans grâce,
il fixa quelques secondes la silhouette de Kariahn puis sa voix, aux consonances
métalliques et grave, se fit entendre :
- Créature du mal, tu as profané de ta simple présence
ce lieu sacré. Par la beauté de la Dame, je déclare ta
mort prochaine pour ce sacrilège.
- Et qui va me la donner cette mort ? demanda Kariahn en ricanant.
- Moi, pour la Dame !
Et le chevalier s'élança, sortant son épée disgracieuse
comparée à celle du vampire. Ce dernier sortit à reculons,
il voulait de l'espace pour mettre sa mobilité à profit et fatiguer
son adversaire. Il était affaibli par la faim, mais suffisamment fort
pour venir à bout d'un pauvre humain primitif. L'homme le chargea et
abattit son épée en direction de sa tête, Kariahn évita
d'un simple pas en arrière le coup. Le Bretonnien tenta plusieurs fois
de frapper de taille, mais sa lame ne rencontrait ni le corps ni l'arme de Kariahn.
Celle-ci tournait autour de lui et évitait tout ses coups. Puis, le vampire
sembla se lasser et, prenant son épée à deux mains, garde
haute, para pour la première fois un coup. Les coups du chevalier se
faisaient de plus en plus espacés. Et, bientôt, Kariahn passa de
la défense passive à l'offensive. Il s'avança, portant
une série de coups fulgurants mais inoffensifs. L'humain s'épuisait
cependant à les parer. Le vampire referma sa prise avec sa main droite
sur la garde de son épée et sa main gauche se porta sur la lame,
non-aiguisée à sa base. Il bloqua ainsi un coup venant du haut,
repoussa au loin l'arme de son ennemi et, pivotant sur lui-même, frappa
de son pommeau le heaume du Bretonnien. Sous la force du coup, celui-ci se cabossa
et les attaches lâchèrent, il vola au loin. Le chevalier tituba,
presque assommé, un filet de sang coulait de sa tempe. Kariahn en profita,
reprenant son épée à deux mains, son épée
s'abattit juste sur la zone non protégée de l'intérieur
du coude, dangereusement exposé. Les tendons furent tranchés dans
une gerbe de sang, le chevalier hurla, son bras était en lambeaux et
il ne pouvait plus tenir son arme. Il recula, l'air hagard. Kariahn s'avança
et le frappa à la tempe de son poing ganté de fer. Le chevalier
s'écroula. Le vampire se pencha et se rassasia au cou du malheureux en
train d'agoniser. Quand il fut repus, il posa son épée bâtarde
à la base du coup de l'humain, et l'enfonça verticalement. Le
pitoyable chevalier expira dans un gargouillis immonde lorsque la plupart de
ses organes vitaux furent transpercés.
Kariahn se trouvait dans le quartier des docks, il se souvenait qu'il y avait
un quartier elfe dans la ville. Après avoir demandé à un
ruffian, qu'il avait remercié du renseignement en lui tranchant la gorge,
Kariahn savait que " l'quartier des folles ", comme l'avait lui-même
nommé le lascar, se trouvait à l'intérieur des murailles
de la ville. Cela posait un léger problème à l'elfe corrompu
Il devait sans doute exister des passages ou autres moyens de rentrer discrètement
dans la haute ville. Et certains " résidants " des bas-quartiers
devaient certainement connaître un ou deux de ces moyens. Kariahn, rabattant
le capuchon de sa cape, entra dans la plus proche taverne. Une foule bruyante
et malodorante d'humains, plus quelques nains, occupaient les lieux. Le vampire
s'assit dans un coin peu éclairé, quelques minutes plus tard,
une serveuse fort peu avenante vint le trouver.
- Qu'est-ce que vous voulez ? son haleine empestait.
- Un cidre, déclara posément Kariahn, et
un service
- Quel genre ? éructa la serveuse.
- Je désirerais me rendre discrètement dans la haute ville, cette
nuit.
- J'vais voir c'que j'peux faire, dit-elle en tendant la main.
Kariahn sortit trois couronnes d'or, somme considérable, et les posa
sur la table.
- Il se pourrait que j'en aie plus
- C'est pas prudent d's'promener 'vec tant d'argent m'seigneur.
Kariahn se contenta de sourire et de sortir doucement la dague encore pleine
de sang avec laquelle il avait tué le ruffian. La serveuse le regarda
quelques secondes nettoyer consciencieusement la lame, puis se fondit dans la
clientèle crasseuse de la taverne.
Une quinzaine de minutes plus tard, un homme malingre, mal-rasé et
borgne déposa deux choppes sur la table et s'assit sans dire un mot.
Il regarda quelques instant l'elfe ténébreux, dont on ne voyait
pas grand chose mis à part quelques mèches de cheveux noirs ainsi
que des pommettes et un menton blanc laiteux.
- Y paraît que vot'bourse est un peu trop plein
- Ca dépend, fit énigmatiquement Kariahn en attirant à
lui sa choppe.
- Ouais, pour entrer dans le ville, pour une exemple
- Vous savez comment y pénétrer ? il renifla le liquide.
- Ptêtre bien
dit le gredin en avalant une copieuse gorgée.
Kariahn reposa la choppe et déposa à nouveau trois couronnes sur
la table. L'humain crasseux faillit s'étouffer.
- Ouais, sûrement même. Il avança sa main, la dague de Kariahn
se planta entre deux doigts avant que l'argent ne fut à portée.
L'homme retira précipitamment sa main.
- Je vous conseille de savoir ce que vous faites, si c'est un coup fourré,
vous le regretterez amèrement, mais pas très longtemps. Le vampire
fit une pause et le voyou dégluttit. Par contre, Kariahn sourit, si ça
marche, il y en aura d'autres pour vous. Il arracha sa dague et la remit au
fourreau.
- Vous faites pas des soucis. Venez donc avec moi, j'vais vous montrer un passage.
Kariahn se leva à la suite de l'humain et sortit dans la nuit.
*
* *
Le jour commençant à tomber, les ténèbres s'emparaient
des cieux C'était le moment qu'attendait Sirhion Rhenarte. Quittant la
grotte où il avait élu domicile, il enfourcha Cassander, son fidèle
coursier noir afin de reprendre sa quête. Les noirceurs insondables de
la nuit allaient lui permettre de passer inaperçu à travers la
terre dépravée du Vieux-Monde. Ces pauvres créatures appelées
humains allaient peut-être lui permettre de trouver les traces de l'existence
du lieu antique qu'il recherchait. Ses cartes, rédigées par un
de ses éclaireurs d'élite, lui avaient indiqué la présence
d'un avant-poste impérial possédant une importante bibliothèque.
Cette forteresse était à plusieurs jours à cheval et il
ne pouvait se permettre de voyager le jour.
- Essayons de parcourir le plus de distance possible, se dit-il, lorsque la
nuit tombera, je m'évanouirai dans la nature.
Talonnant sa monture, il partit au triple galop vers le nord-ouest de l'Empire.
Une sorte de sixième sens le poussait vers cette destination. Il aurait
pu envoyer ses soldats mais, presque sans y penser, il avait répondu
qu'il s'en chargerait.
- Si une voix intérieur me pousse vers cet endroit, c'est que la solution
y réside !
Tout en se plaignant, Karl Gulfel, modeste paysan d'un bourg avoisinant Nuln,
ferma la barrière du village.
- Pourquoi est-ce toujours moi qui m'occupe des corvées ? se demanda-t-il.
Il fit demi-tour pour se diriger vers sa ferme mais un grondement lointain lui
fit se retourner. Un bruit qui venait de la route.
- A cette heure ? Qui peut bien venir dans un endroit comme celui-la ?
Il s'avança légèrement et, du regard, essaya de détecter
un quelconque mouvements dans le noir. Le grondement se rapprocha à une
vitesse incroyable et, prit de panique, Karl se retourna pour prendre ses jambes
à son cou. Il ne fut pas assez rapide. Cassander sauta la barrière
d'un mouvement gracieux pour atterrir de tout son poids sur le malheureux. Ses
os furent brisés en d'odieux bruits et son crâne, fracassé,
se vida de son sang. Passant son chemin comme si de rien n'était, le
cavalier noir sembla disparaître dans la nuit comme une ombre. Sirhion
connaissait ce bourg, il y avait mené de nombreuses actions de guérillas
et il savait que la ville la plus proche était Nuln. L'avant-poste était
à 200 miles et le jour allait ce lever dans quelques heures. Il avisa
une petite grotte où il pourrait passer la nuit sans attirer l'attention.
Il alla au plus profond de la grotte et y établi son campement. Après
s'être assuré que rien ne manquait à son équipement
et qu'aucune créature ne vivait dans la grotte, Sirhion sombra dans le
sommeil. Et, comme les autres nuits, ses étranges visions le reprirent.
Un lieu toujours aussi inaccessible et la présence d'un individu qui
se faisait de plus en plus forte. Cependant, une voix semblait l'appeler. Une
voix qui semblait gorgée de pouvoir. Sirhion ne savait pas s'il s'agissait
d'un homme ou d'une femme mais elle provenait d'un être d'une grande puissance.
Il serait volontiers resté endormi afin de percer à jours ces
mystères. La dernière chose qu'il entendit fut un rire maléfique
mais qui possédait une certaine beauté. Il se réveilla
à ce moment-là, la nuit lui avait paru durer une seconde et son
désir de connaître le fin mot de cette histoire se faisait de plus
en plus intense. Il repartit quelques secondes après.
Se cacher comme une vermine voulant se protéger du soleil le révoltait
mais la discrétion était son alliée.
Quatre nuits plus tard, Sirhion arriva à destination. A peine à
un mile de lui, se levait l'imposante forteresse impériale. Une attaque
de front aurait trop attiré l'attention et Sirhion ne désirait
pas que sa présence soit repérée trop tôt. Il contourna
l'imposante construction et choisit une cachette derrière des arbres
de grande taille pour y laisser Cassander et se débarrasser de son armure
ainsi que de ses armes qui ne feraient que gêner les mouvements de sa
musculature. Restant quelques heures à l'abri, Sirhion étudia
les horaires des tours de gardes. Il s'aperçut que deux minutes passaient
avant que le nouveau garde ne vienne prendre sa fonction. Au moment donné,
Sirhion escaladerai le rempart nord pour se glisser dans une des fenêtres
quelques centaines de mètres plus haut.
Son attente se prolongea jusqu'au moment où le garde s'éclipsa
pour aller prévenir son remplaçant. Sirhion courut aussi vite
qu'une antilope jusqu'au pied du rempart et, d'une course fluide, effectua un
gracieux saut qui le propulsa plusieurs mètres plus haut. Ces vieux remparts
possédaient de nombreuses prises et escalader ne fut pas difficile. Il
arriva au balcon juste au moment ou le garde arrivait mais il ne fit pas attention
à l'ombre fugitive qu'il ne put distinguer exactement, ce devait être
un chat !
S'assurant que la pièce était vide, Sirhion plaça sa
cape sur la vitre et donna un léger coup de poing qui la brisa partiellement.
Il n'eut plus qu'à ouvrir la fenêtre de l'intérieur. A en
juger par la décoration de la pièce, il était dans les
appartements d'un noble ou d'une personne de grande importance. Un léger
grincement de porte le fit se retourner. Quelqu'un entrait dans la pièce
! " Ils en ratent pas une ces abrutis " maugréa Sirhion pour
lui-même. Un marchand bouffi et obèse fit son apparition dans la
chambre. Le Druchii était suspendu au plafond comme une araignée
s'apprêtant à piéger une mouche. Lorsque le bourgeois passa
au dessous de lui, l'ombre atterrit dans son dos, sans un bruit. D'un geste
vif il attrapa l'un de ses poignards et égorgea l'humain avant de lui
transpercer le cur par précaution. Puis, il traîna le corps
dans l'une des alcôves de la pièce. Il ramassa les clés
et ferma la porte avant de s'aventurer dans les couloirs. Malheureusement pour
lui, les plafonds étaient trop bas, sans aucune charpente pour permettre
une progression discrète, et les corridors étaient éclairés
par des dizaines de torches. Rien ne permettait à Sirhion de progressait
sans être vu ou entendu. Profitant du calme ambiant, il se permit de faire
une analyse rapide. Devant lui, le couloir s'étendait sur une vingtaine
de mètres pour déboucher sur un vaste escalier menant aux niveaux
supérieurs. De nouveau, Sirhion se précipita en espérant
qu'aucune patrouille de viendrait le surprendre. Au pied de l'escalier, un plan
du niveau indiqua que la bibliothèque était au l'étage
supérieur. Il pu monter sans qu'aucune personne ne vint le déranger.
Trouver la bibliothèque ne fut pas difficile, la seule pièce de
l'étage était celle-la. Aucun garde en vu. Sirhion se dirigea
vers la porte et colla son oreille contre la porte pour déceler une source
de bruit. Après une brève analyse, il s'introduit à l'intérieur.
Une large collection d'ouvrages en tout genre s'étendait sous ses yeux.
La pièce était vide, normal, à une heure pareille. Il ferma
la porte et s'assura qu'il n'y avait aucune autre entrée. La pièce
faisait plusieurs mètres de longueur et une grande partie des ouvrages
traitaient de histoire du Vieux Monde. Mais les visions n'avaient pas été
très précises jusqu'à aujourd'hui. Il laissa vite de côté
l'idée d'un lieu très connu et donc plusieurs rangées de
livres ne lui était d'aucune utilité. Il se concentra sur les
autres uvres et sa recherche commença. Cela allait être long
mais le jeu en valait la chandelle !