François Peraldi après avoir complété une formation analytique a Paris
avec une analyste de l'IPA est venu s'installer a Montréal en 1973 ou il
a exercé jusqu'à sa mort en 1993 a l'âge de 55 ans.
Il avait une formation de linguiste, ayant complété un doctorat auprès
de Roland Barthes. Cette formation, outre qu'elle lui a permis
d'enseigner la psychanalyse au département de linguistique de
l'Université de Montréal où son séminaire a acquis une grande notoriété,
l'a rendu particulièrement sensible à l'œuvre de Lacan dont il fut un
ardent défenseur durant toute sa carrière.
Dans l'univers culturel américain où l'influence de Lacan se limitait au
champ philosophique et esthétique, il a su imposer un Lacan clinicien
accessible et convaincant. Il fut un formidable pédagogue qui savait
rendre audible en langage ordinaire un discours qui ne résistait pas,
comme certains vins, à la traversée de l'Atlantique .
Étant essentiellement verbale l'œuvre de Lacan devient incompréhensible
au profane sous forme écrite. Peraldi a prêté son souffle à Lacan ou
bien Lacan a prêté à Peraldi son oeuvre. Toujours est-il qu'à eux deux
ils ont créé un lieu magique: "le séminaire de Peraldi" auquel ont
assisté pendant plus de 15 ans des fidèles de tous les horizons
culturels et plus particulièrement des apprentis analystes.
Tous ces gens sont venus se délecter régulièrement d'une parole qui,
tout en étant limpide avait quelquefois une vigueur et une véhémence
ironique dont beaucoup d'auteurs tant parisiens qu'américains faisaient
les frais.
Peraldi a créé une tête de pont de la psychanalyse lacanienne à Montréal
de laquelle il a réussi, en habile stratège, à rayonner vers les
États-Unis et le Rest-Of-Canada. Il est vrai qu'il était d'origine
corse et qu'un de ses ancêtres avait croisé le fer aux élections avec un
certain Napoléon. Son dynamisme et sa ferveur lui venaient peut-être de
ce passé pas trop lointain mais aussi et surtout de cette étrange
entente, de cette résonance, entre sa pensée et une partie de celle de
Lacan.
François Peraldi fut emporté par une maladie qui nous a ravi bien
d'autres intellectuels, et n'a pu compléter son travail de formation
avec beaucoup de postulants et surtout poursuivre son enseignement qui
prenait d'année en année plus d'ampleur.
Est-ce l'Amérique pragmatique? Est-ce son départ prématuré? Toujours
est-il que la pensée de Lacan demeure, en Amérique du Nord, une
technique thérapeutique parmi d'autres et n'a pas du tout acquis ce
caractère de "vision du monde" qu'elle a en Europe et en Amérique
Latine. Les Lacaniens sont discrets et dispersés; et les tentatives
d'organisation succombent souvent à des dissensions intestines pas
forcément pertinentes.
Sont directement associés à son nom le "Lacanian Forum" qui existe
encore et le "Réseau des Cartels" qui a péri il y a quelques années
déjà. En dépit du passage, trop rapide, de François Peraldi l'esprit
aiguisé de la psychanalyse n'a pas encore réussi à s'associer à l'esprit
de conquête nord-américain.
Karim Jbeili