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attitudes face aux agressions

question 54




Quelles réponses face aux agressions ?

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Réponse :
Votre question est intéressante. Si vous le voulez bien je retiendrai seulement la deuxième partie de votre question, "quelle attitude prendre face à un individu qui nous humilie, nous rabaisse ou nous fait du mal ? "

Concernant la première partie de votre question, on s'aperçoit que malheureusement la loi du karma telle qu'elle est connue, vécue et pratiquée dans le pays d'Asie et je pense en particulier aux pays d'Asie du sud-est, n'a pas empêché les tueries les plus atroces durant ces cinquante dernières années, ou l'existence de situations sociales particulièrement dures qui ont été réalisées par des bouddhistes. Je pense en particulier au Cambodge avec le génocide d'une large part de la population par des cambodgiens eux-mêmes, je pense également à la société thaïlandaise où la prostitution, le racket, la corruption, les meurtres, les trafics en tout genre sont monnaie courante et concernent la plupart des postes à responsabilité et jusque dans les écoles et les universités (il est possible d'y acheter son diplôme …). Concernant la Thaïlande, certains scandales ont touché d'éminents bonzes bouddhistes aussi. On peut être surpris et déçu d'un aussi grand divorce entre les principes nobles du bouddhisme et la réalité de certaines sociétés dans lesquelles le bouddhisme est élevé au rang de religion d'état. Je n'ai malheureusement pas de réponse à ces phénomènes.

Revenons à votre question. Je trouve la problématique soulevée intéressante et juste. Vous allez voir que les bouddhistes ont répondu de très nombreuses manières différentes à ce type de problème.



Bouddhisme et non violence

Le type de réponse qui vient tout de suite à l'idée et qui montre aussi qu'une action de cette nature a pu avoir des conséquences politiques et historiques au delà de la seule valeur philosophique, c'est la non violence (ahimsa). Le bouddhisme ne répond pas à la violence par la violence, mais par la non violence, quitte à subir des défaites, quitte à perdre ses combats (encore faudrait-il admettre que le bouddhisme puisse être en tant que tel impliqué dans des combats, implication qui peut être induite avec des personnalités partageant les deux fonctions), quitte à prendre des coups, quitte même, et les exemples sont nombreux, à y laisser la vie. Ce qui sous tend cette position, c'est justement la vision karmique, du devenir et des conséquences des actes, qui tend à éviter de produire de la violence en réponse à la violence. Ce principe a été illustré dans de nombreuses situations, parfois avec succès, et il est également largement illustré dans les Jataka du bouddha, quand le bouddha dans ses vies antérieures, se laisse dévorer par un tigre par exemple …

Naturellement, une issue fatale à la démarche n'est pas l'objectif premier des bouddhistes et l'action non violente sera toujours dirigée de manière opportune afin d'atteindre son but. Il est bien connu que le meilleur moyen de faire cesser une agression est de ne pas y répondre. Le bouddhisme considère que c'est déjà concéder une victoire à l'autre qui agresse que de rentrer dans sa logique et dans la logique de la violence qu'il installe. Ainsi l'indifférence, le non agir, l'absence de réponse est souvent un moyen très efficace pour stopper une attitude agressive. C'est pour cela que toute la démarche bouddhique, de non distraction, d'attention aux phénomènes internes et aux phénomènes externes, de concentration, de méditation, doit conduire le sujet à une parfaite maîtrise de ses émotions et à une parfaite assurance dans son comportement. Dans ce type de confrontation, c'est aussi la notion de moi qui est en cause, l'humiliation dont vous parlez, ne peut fonctionner que si on se fait une idée de soi même erronée basée sur l'attachement au moi. Si vous considérez que votre moi est illusoire, vain, sans consistance, sans réalité intrinsèque, sans valeurs, l'autre n'aura aucune prise sur vous, ne saura pas où vous toucher, où vous faire mal, où vous affaiblir, les insultes ou les humiliations glisseront sans aucun effet sur votre caractère, car ce que vous adversaire croiera attaquer justement n'a ni consistance, ni réalité. Ces insultes cesseront d'elles même car leurs auteurs se seront eux, ridiculisés et déconsidérés gravement devant les tiers. (Faites en l'expérience). Si vous considérez votre moi, pour ce qu'il est, c'est à dire rien, c'est à dire une certaine manière de se représenter à soi même et aux autres, mais rien qui ne soit ni durable, ni stable, alors vous aurez une force contre laquelle personne ne pourra rien.

Un exemple historique très connu nous a montré l'efficacité redoutable de cette méthode. Le mahatma Gandhi, avec sa force de conviction, a conduit avec tout un peuple une réponse non violente à une situation particulièrement violente de l'occupant britannique et à conduit un véritable combat non violent pour obtenir le départ total de l'occupant et l'indépendance complète de l'Inde. Ces succès ont certainement été facilités par le contexte historique de déclin de l'empire britannique à cette époque, par sa grande faiblesse au sortir de la seconde guerre mondiale, par son état financier très dégradé suite aux ruineux efforts de guerre, par une situation politique plus démocratique et par un contexte international plus enclin à la liberté des peuples qu'à la perpétuation de l'impérialisme et du colonialisme d'un petit pays européen. On peut penser que Gandhi n'aurait pas eu les mêmes succès s'il avait engagé sa lutte ne serait-ce que cinquante ans auparavant et que lui et ses supporters se seraient fait purement et simplement massacrés par un empire britannique qui a montré toute la brutalité, la violence et l'absence de scrupules dont il était capable dans ce domaine (guerre des Boers, guerre de l'opium, élimination des souverains indiens, etc. … Si cette question vous intéresse vous pouvez lire le livre de Guy Deleury intitulé "L'Inde, contient rebelle" ). La répression, qui est l'unique réponse des systèmes totalitaires, aurait alors certainement réduit cette révolution non violente à néant.

Il n'en a pas été ainsi, au contraire, les méthodes mises en place par Gandhi et ses fidèles sont aujourd'hui répandues et mises en œuvre par de nombreuses organisations humanitaires ou de défense de l'environnement avec un succès, me semble-t-il, grandissant.

Pour poursuivre avec un autre exemple historique, on peut voir avec le cas du Tibet combien la politique exemplairement non violente du dalaï-lama est mise en échec par la sauvagerie de l'occupation chinoise. Ce choix non violent commence aussi à lui être reproché par certaines parties du peuple tibétain en exil. Pour autant, cette option a sans doute permis une issue moins grave à cette situation que si une réponse violente avait été mise en place les Tibétains à l'agression chinoise. On peut voir que malgré ses succès, la réponse non violente est ici inopérante, car à l'action non violente des tibétains, la réponse est la violence de l'extermination, la violence de la torture et la violence du nettoyage ethnique…

En outre, on peut aussi déceler une position ambiguë et difficile d'un chef spirituel qui est aussi un chef d'état et en quelque sorte un chef des armées. A mon avis, c'est un des aspects qui fragilise le dalaï-lama, à la fois dans son action politique (ses principes ne le mettent-t-il pas dans des situations nécessairement perdantes face à la logique totalitaire qui l'agresse ? , Les nécessités découlant de la virulence de cette confrontation où seuls les Tibétains meurent, sont-elles indéfiniment compatibles avec une action non violente ?) et dans son discours philosophique (peut-on être à la fois "politique" et chef spirituel bouddhiste ?).



Bouddhisme et arts martiaux

Un autre type de réponse a été mis au point par des bonzes bouddhistes face à l'agression. Il s'agit des arts martiaux. Autour du sixième siècle, alors que le bouddhisme se développait en marge de l'organisation traditionnelle de la société chinoise, des bonzes bouddhistes ont formalisé un ensemble des techniques permettant de faire face aux agressions physiques.

L'insécurité qui régnait en Chine à cette époque était importante, avec des brigands, des déserteurs, des aventuriers errants, les mauvaises rencontres étaient fréquentes. Les bonzes qui circulaient beaucoup sur les routes pour mendier leur nourriture ou pour rejoindre les différents temples du pays, risquaient aussi de se trouver face à des véritables expéditions armées contre eux et contre les temples ou de se trouver pris en tenaille entre deux états en guerre.

Bien que la violence reçue produise des effets similaires quel que soit son degré, il s'agit naturellement d'un niveau d'agression supérieur à la simple agression verbale. Il s'agit de confrontations violentes et physiques où l'intégrité corporelle ou la vie même est mise en jeu par l'agresseur. Les bonzes se trouvaient ainsi dans la nécessité de se défendre. Ils développèrent donc tout un ensemble de techniques appelées wushu ou kung-fu, vraisemblablement autour du temple ch'an de Shao-Lin ou Shaolin) pour faire face à ces situations extrêmes.

Il ne s'agit pas de techniques de combat, comme on le dit trop souvent et comme cela est devenu le cas dans certains arts martiaux, mais il s'agit de techniques de défense. Il s'agit non pas d'attaquer mais de répondre d'une manière graduée, mesurée, proportionnée à une agression physique non sollicitée et qui n'est pas la conséquence d'une provocation verbale antérieure. Dans cette réponse, nécessairement physique à son tour, le bonze veille à ne pas blesser son agresseur et à répondre à la mesure de l'agression reçue. Il s'agit de neutraliser l'agresseur, sans le blesser gravement, ni le tuer.

Cette technique est éminemment bouddhique, car bien que le bonze s'investit dans un combat avec son agresseur, il aborde le combat avec une philosophie non violente, il répond à l'agression physique sans passion.

L'approche bouddhiste est présente avec la notion de prise en compte globale de l'action. Le corps, les mouvements du corps, la position du corps en mouvement dans l'espace, sont perçus et intégrés comme autant d'éléments faisant partie d'un tout. La force même de l'adversaire introduite dans le combat par la violence qu'il engage, est intégrée dans la dynamique générale du combat. Vous savez peut-être que certaines écoles ont poussé cette vision globale jusqu'à s'appuyer sur la force que l'agresseur initie pour la retourner contre celui-ci, sans avoir à produire un effort supérieur, et tout en prenant le contrôle des forces mises en présence.

On peut penser que ces techniques ont pu s'inspirer pour l'aspect physique d'exercices de gymnastique anciens associés à des techniques spécifiques de respiration. En Chine, sous l'influence du tao, différents exercices existaient et des techniques de culture physique et de relaxation avaient pu être mises au point pour détendre les bonzes après les longues séances de méditation et faire travailler le corps. Le wushu et les écoles du kung-fu découlant notamment du xingyiquan. Les exercices de ces arts martiaux originels ont de nombreuses choses en commun avec certaines techniques de la méditation. La recherche du calme intérieure, l'élimination de l'impulsivité émotionnelle, le rejet de l'ego susceptible de s'impliquer dans un engrenage d'actions et de réactions, au profit de la maîtrise totale du corps et de la pensée au moyen de la respiration, de l'attention et de la concentration. En Inde, une technique de défense appelée le kalaripayat associe de la même façon des gestes physiques à des techniques de respiration et de concentration tirées du yoga insistant sur la visualisation du corps et les positionnements des mouvements dans l'espace.

Par rapport à l'attitude de non violence absolue, cette réponse élaborée par des bonzes dans des situations d'instabilité sociale et politique montre qu'il est possible de réagir, plutôt que de subir, d'opposer avec succès une résistance à l'agression, de supplanter son agresseur sans nécessairement avoir à engager une violence supérieure à celle reçue, et tout cela sans déroger, à aucun moment, aux principes fondamentaux du bouddhisme.



J'espère avoir répondu à votre question.





Texte complet de la question

Une question pratique sur le karma... Je veux bien qu'une personne paie dans une autre vie pour des mauvaises actions mais dites-moi... quelle attitude devons-nous prendre maintenant face à un individu qui nous humilie, nous rabaisse ou nous fait du mal. On a beau se dire qu'il paiera plus tard mais en attendant, c'est nous qui devons le subir. Comment voyez-vous la chose ?

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