Qu'est-ce qu'un athée ?
1. Nous sommes le plus souvent endormi par la vie, le
succès, le confort, mais aussi par les soucis quotidiens, nos
petites occupations, nos loisirs "et chacun de nous meurt
affairé" comme dit si bien Épicure. Le réveille arrive
parfois, le plus souvent brutalement et dans la douleur : un
accident, un drame ou une quelconque épreuve vient bouleverser
notre petite tranquillité, notre petite indifférence paresseuse.
Et là l'essentiel s'impose : malgré tout le réconfort de nos
proches, y-a-t-il une raison à notre malheur ? un sens à notre
existence ? y-a-t-il une aide surnaturelle qui viendrait tout
régler pour le mieux ? y-a-t-il un réconfort absolu d'un Être
tout aimant ?
2. Être athée, c'est vivre sans ce
réconfort, sans cette aide, sans réponse à nos questions de
sens. Apprendre à vivre entre hommes, seul, sans Providence ni
réconfort transcendant : voilà l'exigence morale de l'athée.
Être athée c'est apprendre à voler de ses propres ailes, c'est
être responsable de ses valeurs et de sa morale. Dure exigence,
mais oh combien satisfaisante... Sincèrement, vivre sans notre
illusion qu'il existe quelque part quelqu'un ou quelque chose qui
correspond à nos désirs les plus forts c'est prendre un rude
chemin, le plus étroit de tous et le moins emprunté. Pourquoi
renoncer au réconfort et au sens ? Pourquoi l'athéisme ? Par
lucidité, par amour du réel, même indifférent et silencieux
qu'il est, par refus de se soumettre à nos illusions i.e. à
prendre nos désirs les plus chers pour la réalité qui n'a pas
l'habitude de coïncider avec nos désirs, même les plus infimes
: que penser du désir de tous nos désirs ? Être athée c'est
avoir le bonheur comme fin et la vérité comme norme. C'est
apprendre donc à être heureux dans la lucidité : telle est
l'exigence première d'une âme philosophique, telle est la voie
de la sagesse...
3. Être athée c'est comprendre qu'il
n'y a qu'un seul monde, celui-ci, notre monde naturel si
impitoyable et si indifférent à nos désirs ; un monde
silencieux qui n'a rien à dire et qui n'écoute pas, un monde où
tout est hasard et nécessité. C'est comprendre qu'il n'y a
qu'une seule vie, celle-ci. Apprendre à vivre seul sans dieux,
c'est apprendre à mourir, toutes nos petites morts, jusqu'à la
dernière. C'est apprendre que le devenir emporte tout, que rien
ne dure éternellement et donc que rien ne mérite qu'on s'y
cramponne, qu'on s'y enchaîne, pas même nos rêves...
Désespérance, la mort aura le dernier mot, qui n'en est pas
un...
4. Être athée pourtant c'est
s'apercevoir que tout est à faire, tout est à inventer. C'est
prendre conscience que nous avons à charge de devenir humain,
nous qui le désirons tant : humain, jamais trop humain... Être
athée c'est apprendre à être responsable du seul monde que nous
avons, à préserver ses richesses naturelles et culturelles et
donc apprendre le respect de la diversité. Tolérance et
miséricorde, nous sommes seuls, nous ne pouvons compter que sur
nous...
5. Être athée enfin, c'est lutter.
Lutter contre nos propres illusions, contre le fanatisme,
l'intolérance et l'indifférence. C'est lutter pour un monde plus
humain et en paix. Être athée c'est donc construire notre tour
de Babel sans que les dieux viennent semer la discorde entre les
hommes...
*** * ***
6. On pourrait me demander pourquoi tant de
philosophie et tant d'athéisme ? Et justement, à quoi bon tant
penser si la vie n'en devenait plus heureuse, plus vertueuse et
plus acceptable ? Mon maître en incroyance, athéisme et
matérialisme, André Comte-Sponville aime à répéter la
merveilleuse définition d'Épicure de la philosophie : "La
philosophie est une activité qui, par des discours et des
raisonnements, nous procure la vie heureuse." Ayons donc la
vie pour objet, la raison pour moyen, la vérité comme norme et
le bonheur pour but. Pardonnons à Dieu ou au Destin de n'être
pas et vivons du mieux que nous pouvons...
Septembre 2000
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