1. L'athéisme est-il de mise aujourd'hui ? Pour
un athée dogmatique, cette question n'aurait pas de sens : elle
reviendrait à se demander si la vérité est encore de mise
aujourd'hui. Mais pour un sceptique comme moi, une telle
confiance ne va pas de soi. Même après plus de trois
siècles de combat, une certaine odeur de soufre se dégage
toujours de l'athéisme. Il est vrai que ses victoires sont impressionnantes : la
science moderne, la laïcité de l'État, la tolérance
religieuse, les droits de l'homme, la liberté de conscience et
d'expression, l'émancipation de la femme... Toutes ces avancées
culturelles se sont faites contre les religions et c'est bien
malgré elles qu'elles doivent maintenant vivre avec. La religion
comme simple piété intérieure est une invention toute récente
en réaction à ces avancées. Face à ce refoulement contre-nature
du religieux, l'athéisme semble bien d'un autre âge ! On se le
présente souvent en effet comme une croyance comme une autre,
comme une foi comme une autre, comme une certitude comme une
autre... pire encore, comme une doctrine dogmatique fermée à
tout questionnement fondamental ou simplement et classiquement comme un
immoralisme grossier et égocentrique.
2. Voyons ce qu'il en est. De même
qu'il y a plusieurs façons de concevoir les dieux et de les
affirmer (religions), il y a plusieurs façons de les nier (athéismes).
Il existe toute une constellation d'opposants aux dieux et aux
religions : anticléricalisme, athéisme, agnosticisme,
incroyance, irréligion, impiété, indifférence, incrédulité...
Il est remarquable que tous ces mots soient des négations et non
des affirmations. Cette appellation suggère que nous ne sommes
pas a priori dans le dogmatisme, mais dans la critique. Et cette
critique est plurielle ; l'athéisme lui-même n'y échappe pas.
Voici l'athéisme dans lequel je me reconnais...
3. Premièrement, l'athéisme
n'est pas une croyance mais une incroyance. L'athéisme est
une négation de l'existence des dieux. Mais il y a plus. On peut
parler de scepticisme radical et généralisé dans mon cas :
scepticisme sur les prétendues preuves de l'existence de Dieu
(agnosticisme), et sur la connaissance (anti-dogmatisme), mais
aussi scepticisme moral (pas de morale absolue), scepticisme
doctrinal (critique du Salut, de l'enfer, du libre arbitre...),
scepticisme ontologique (le fond de l'être n'est pas d'ordre
spirituel)... Une incroyance donc, une négation qui, loin de nous
enfermer dans un dogme, est une porte ouverte sur l'infini de nos
découvertes et inventions, un scepticisme radical et libérateur.
4. Mais cette incroyance n'est pas
gratuite, elle est rationnellement justifiée. Il
n'y a pas de "preuves" de l'inexistence des dieux bien sûr
(il faudrait avoir la foi pour admettre de telles preuves), par
contre il y a de bonnes raisons de ne pas croire outre
l'insuffisance des preuves adverses : par exemple l'argument
anti-finaliste (comment expliquer ce qu'on connaît à peine, le
monde, par ce qu'on connaît encore moins, Dieu ?), l'argument
moral (il y a trop d'horreurs, trop de souffrances en ce monde
pour qu'un dieu à la fois tout amour et tout puissant puisse
gouverner ce monde)... L'athéisme, sans être un savoir, une révélation,
une croyance vraie ou un dogme appuyé sur des preuves, n'en est
pas moins une incroyance justifiée, un scepticisme radical mais
rationnel et critique.
5. Cette incroyance critique n'est
cependant ni une indifférence ni une certitude, elle est une revendication
pleinement assumée. L'athéisme n'est justement pas une
certitude : s'il en était ainsi, alors pourquoi tant me consacrer
à ce site et à l'étude des religions, de l'athéisme et de la
philosophie ? Mieux vaudrait me contenter de vivre sans dieux et
laisser la croyance et l'incroyance en dépouille aux nécrophages.
De toute façon dit le dogmatique, la vérité triomphera : restons indifférent ! Hé
bien non, l'athéisme n'est pas une certitude, elle est une
attitude critique militante : elle n'est pas un programme ou la réalisation
d'un idéal (le Salut, les lendemains qui chanteront...), elle est
un combat contre l'illusion et le cauchemar du délire religieux.
6. L'athéisme comme incroyance
justifiée et revendiquée est donc d'abord et avant tout un combat
: à la fois une contestation théorique de la prétendue vérité
des dieux et des religions (ouvrant la voie à une libération de
l'esprit), et un refus pratique de leurs funestes desseins (en
particulier l'imposition de leur ordre moral, l'oppression des
libertés, la persécution des différences et la propagation de
l'intolérance). L'athéisme est ainsi un combat libérateur
contre le dogmatisme, l'imposture et le despotisme religieux. Que
le reflux du religieux dans ses derniers retranchement
d'impuissance (la piété intérieure) et d'ignorance (les
mystères des origines...) ne masque pas sa véritable nature :
les religions, certaines de posséder LA vérité, contraignent
puis oppriment, autant que l'époque leur en offre les moyens.
L'histoire passée et présente nous le montre dans toute sa
cruauté : ce sont les religions qui sont immorales, pas ceux qui
combattent leurs horreurs. Lorsqu'un télévangéliste prêche à
ses millions d'auditeurs que l'union libre est un pêché qu'il
faut éliminer, on l'approuve ou on l'ignore ; mais si un néonazi
prêchait la même chose, on l'emprisonnerait sur le
champ ! Lorsque la Bible affirme que le tiède en croyance sera
vomi
de la bouche de Dieu et sera banni en enfer, on rigole ; mais
quand Staline écrit la même chose du capitaliste, alors on
charge les canons ! Et pourtant, quelle différence entre ces
idéologies criminelles ?
7. Pour ma part, je pense que les
religions ont mis le doigt sur quelque chose d'essentiel qu'il ne
faudrait pas abandonner : je ne tiens pas à jeter le bébé avec
l'eau de bain (i.e. rejeter une réflexion fondamentale et un vécu
authentique sous prétextes des illusions dogmatiques des
religions et de leurs horreurs réels). D'où l'importance d'une
justification rationnellement éclairée de l'athéisme : mieux
penser pour mieux vivre dira-t-on. Mais en même temps, les
religions sont la source de tant de souffrances inutiles, les
dieux ont tellement semé la discorde entre les hommes, que je me
sens en devoir de combattre ce fléau déshonorant. C'est pourquoi
je poursuis mon combat libérateur rationnellement justifiable et
existentiellement revendiqué d'incroyance.
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A noter que sous ce terme générique de
religion, j'entends particulièrement les trois monothéismes
maudits : Judaïsme, Christianisme et Islam. Abraham, tu aurais
dû immoler ton fils, on s'en serait senti mieux aujourd'hui !
Août 2000
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