Mouvement des Chômeurs - 1998 le début d'une aventure :
L'Assemblée Générale de Jussieu.

 

 

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Déclaration de quelques individus sans qualité à propos du chômage et du mouvement de contestation qu'il suscite

La résolution d'un problème est toujours dépendante de son énoncé, ce qui revient à dire qu'un problème mal posé est condamné à n'être jamais résolu. S'agissant du chômage, dont on nous assure qu'il est la préoccupation première de tous nos gouvernements successifs, son aggravation continue depuis une vingtaine d'années aurait dû amener à cette conclusion de bon sens que s'il ne trouve pas de solution durable c'est que les termes de son énoncé empêchent peut-être précisément sa résolution; que le secret de l'impossibilité récurrente à le résoudre ne serait peut-être pas si mystérieux si l'on cessait de s'obstiner à opposer de manière factice travail salarié et chômage. Mais pour opérer un tel renversement, il faut bien sûr préalablement s'interroger sur la fonction du chômage dans les sociétés modernisées où l'identité de chacun est essentiellement déterminée par le travail. Il apparaîtrait alors que non seulement ces deux notions ne sont pas antagonistes mais sont au contraire en quelque sorte complémentaires et nécessaires à la bonne marche du monde marchand: le chômage s'apparentant en effet à un moment du travail par la menace permanente qu'il fait peser sur chaque salarié en même temps qu'il impose à chacun des conditions de vie sans cesse plus précaires car de plus en plus adaptées aux seules nécessités de l'économie de marché. Il apparaîtrait également que cette économie de marché a soumis les besoins de la vie humaine à ses propres besoins, laissant la place à une production falsifiée qui ne répond plus qu'à des besoins factices. Pour peu que l'on veuille ensuite rétablir rationnellement les termes de l'énoncé, il deviendra patent que la véritable alternative n'oppose pas le travail salarié au chômage, mais une activité libre et créatrice - qui reste à être collectivement inventée - au travail aliéné qui n'est qu'une passivité agitée, ce travail n'étant jamais au demeurant qu'un emploi dont la finalité s'apparente dans la plupart des cas à une occupation au moindre coût. Il suffit en effet de constater la place prépondérante des activités de gestion et
de contrôle dans le processus de production. En bref, il apparaîtra que la fonction dernière du travail est de nature policière, c'est-à-dire procède du maintien de l'ordre social et pourrait se résumer par cette formule: « Comment occuper les hommes quand pour l'essentiel ils n'ont plus d'autre utilité que celle de consommer ". C'est la raison pour laquelle l'organisation sociale présente se voit contrainte de réaliser ce miracle que chacun soit simultanément au comble de l'enthousiasme et au comble de la passivité.

La lutte des chômeurs et précaires engagée il y a un peu plus de deux mois a ainsi commencé à mettre en évidence ce fait que le chômage est la vérité du travail et que dans un monde où l'argent est tout et les hommes rien, la seule condescendance qu'on réserve à ceux qui sont encore moins que rien est seulement de ne pas les laisser mourir de faim. Si pour cette raison elle a rencontré une certaine sympathie dans la population, force est de constater que celle-ci ne s'est manifestée jusqu'à présent dans la plupart des cas que de manière virtuelle, par le biais de sondages et d'une commisération médiatisée. Quant aux chômeurs eux-mêmes, dans leur immense majorité, ils restent prisonniers de leur isolement. Cette lutte est aujourd'hui à la croisée des chemins: ou elle s'épuise dans l'exigence d'une impossible réforme du système d'indemnisation sociale qui pérennise le statut de chômeur, ou elle accède à la conscience supérieure de ce qui finalement la motive - une remise en cause des rapports marchands qui ont déjà dévasté tout ce qu'il y avait d'humain dans notre société. Dans ce cas, une des première réussites du mouvement serait de souligner le caractère mortifère des produits du travail dans cette société. Il pourrait alors contribuer à la convergence de toutes les luttes, même parcellaires, dans lesquelles on peut reconnaître le contenu universel du refus du totalitarisme de l'économie marchande. (La résistance à la
dégradation généralisée des conditions d'existence qu'incarnent, par exemple, la lutte contre le maïs transgénique ou celles contre toutes sortes d'autres projets suicidaires, ont évidemment à voir avec ce mouvement.) Puisque l'esclavage n'a pas été aboli mais s'est au contraire généralisé sous des formes plus sophistiquées, il ne s'agit plus désormais de lutter seulement contre la « direction " de cette société, mais de commencer également à réfléchir à la manière de réorganiser la vie. L'économie prétend coloniser le futur, il revient à ce mouvement, en misant sur son extension, de s'emparer du présent pour tenter de nous épargner cette sombre perspective.

Paris, le 7 mars 1998


 

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