Le premier jour de l'an, Ennayr * http://www.tamazgha.fr/article.php3?id_article=421 samedi 10 janvier 2004 Au souper de la premi�re nuit de janvier, les Ntifa mangent, avec le couscous, une pr�paration appel�e les "sept l�gumes" [1] o� rentrent sept vari�t�s de plantes vertes telles que l'artichaut, l'asperge sauvage, le cresson, le ch�vre-feuille, le poireau. Apr�s le repas, il est d'usage qu'une des femmes de la maison prenne une poign�e de couscous et la pr�sente � tour de r�le � chacun des membres de la famille en disant : "Tiens, mange." On doit r�pondre : "Je n'ai plus faim !" La m�me femme d�pose ensuite la boulette sur le montant sup�rieur de la porte de l'habitation. Le lendemain, � la pointe du jour, elle l'examine et tire des pr�sages d'apr�s la nature du crin, du poil, du brin de laine ou de la plume, que le caprice du vent y a d�pos�s. Cette coutume a re�u le nom de talkimt n djiwnegh [2] Au cours de la deuxi�me nuit, on mange des poules et des oeufs. Il faut que petits et grands, chacun ait une volaille enti�re pour sa part. La femme enceinte en mange une en plus pour l'enfant qu'elle porte en son sein. Chacun emporte les coquilles des oeufs qu'il a mang�s et les serre dans un nouet fait dans le pan de son v�tement o� elles restent toute la nuit. On les jette le lendemain ; les anciens pr�tendent qu'agir ainsi, c'est s'assurer de ne point manquer d'argent dans le cours de l'ann�e. Il est encore d'usage de proc�der ce jour-l� au renouvellement des pierres du foyer. La ma�tresse de maison dit en jetant ses vieilles pierres sur le tas du fumier : "Je vous change, o pierres, et en apporte de nouvelles dans la paix et la prosp�rit� !" En reb�tissant son foyer elle prononce ces paroles : "Au nom de Dieu ! veuille, � Dieu ! qu'il soit b�ni, heureux et prosp�re !" Par ailleurs, l'usage d'�lever des b�chers
� l'occasion d'Ennayr a �t� capt� par l'Achoura, qui de m�me qu'Ennayr,
marque le commencement d'une ann�e. Toutefois, la termilnologie, qui leur
�tait appliqu�e, s'est g�n�ralement conserv�e. On trouve : tabennayut
Illaln, Ihahan, Woult, Imettouggan ; tabeliwt, Imesfiwan ; tabernayut.
Igliwa, Ida Ouzal ; taberninut. Ras el Oued, tabenrayut, Ida Ou-Ka�s.
Parfois m�me le nom a �t� donn� � la f�te de l'Achoura ; celle-ci, en
effet, est appel�e : byannu, Todghout, ou tafaska n lalla babiyanu,
Ouargla. Dans ce dernier cas, l'expression para�t s'appliquer � une vague
divinit� sans l�gende. Les Ida Ousemlal, qui nomment leur feu de joie tam L'expression est particuli�rement usit�e dans les chants, des paroles rituelles, sans que les Chleuhs, qui les emploient, puissent fournir, � leur sujet, quelques indications utiles. Le soir de l'Achoura les enfants chez les A�t Idaffen, passent de maison en maison en chantant : Bennayu ! Bennayu ! Bennayo ! Bennayo ! Ceux de Dad�s disent : "Bayannu kerkanu ! fk-agh-t-id a lalla ! tcan-agh yurdan ; mkagh-t-id ur tfkit, ad am id'er ud'ar n ughul g terkut !" "Bayanno, kerkano ! donne-le nous o lalla ; les puces nous d�vorent ; si tu ne nous donnes rien, que le pied de l'�ne renverse ta marmite !" Dans la province de Demmat, chez les Infedouaq, en particulier, les enfants chantent, dans les m�mes circonstances : "tikeddad n �acur' ! "morceaux de viande dess�ch�e de l'Achoura, Mais l�, comme ailleurs, baino est un
terme incompr�hensible pour eux. L'expression est �galement connue des Touaregs. D'apr�s le Lieutenant Jean, les Touaregs de l'A�r donnent le nom de byanu � une f�te, qui a lieu le 20e jour de Mo�arrem, et dure deux nuits et un jour. C'est une "f�te d'amour" d'o� sont exclus les enfants, les personnes non mari�es et les vieillards. Il s'y d�roule des sc�nes �rotiques qui rappellent celles de la "nuit de l'erreur" des Zekkara ; la "nuit de la confusion" des Bedadoua ; la "nuit de l'an" ou la "nuit du bien-�tre" des Beni Mhassen (Bran�s) ou encore celle du "bonheur" que nous avons signal�e chez les A�t Isaffen. Ajhoutons que chez les Touaregs de l'A�r, les gar�ons n�s pendant le mois de Moharrem, portent tous le nom de Bianno. Par ailleurs, Bennayu, Byanu, tabennayut et leurs variantes nombreuses, sont fr�quemment relev�s en toponymie, et d�signent, des villages, des montagnes ou des grottes, qui rappellent, sans doute, les lieux o� les gens, autrefois, avaient coutume de se r�unir pour f�ter le Renouveau en allumant d'immenses feux de joie, et en se livrant, entre eux, dans une promuiscuit� compl�te, � des sc�nes de d�bauche rituelle et sacr�e. Citons entre autres : Tabennayut, nom d'une montagne qui domine la petite ville berb�re de Khenifra, en pays zayan. Des expressions de ce genre ne sont pas sp�ciales au maroc. On sait que les Berb�res de l'Aur�s appellent : bu-ini, leurs f�tes d'Ennayr. � Tlemcen, on appelait, il y a quelques ann�es encore, ddu nom de bubennani ou bumennani, le personnage masqu� qui parcourait, � l'occasion du nouvel an, les rues de la ville, suivi des �l�ves des �coles coraniques. Enfin, une expression qui para�t se rapporter aux pr�c�dentes : mununu, a �t� relev�e, � Rabat, dans les paroles chant�es par les enfants, qui prennent place dans les roues de l'Achoura (Castels, l'Achoura � Rabat, in Archives Berb�res, 1916). C'est au latin bonus anus que Masqueray a identifi� le bu-ini des Chaouia de l'Aur�s. Mais, cette etymologie, admise par Doutt� et Westermarck, s'applique-t-elle vraiment aux diff�rents termes que nous avons rapport�s ! C'est possibles ; en tout cas, on peut affirmer qu'ils se pr�sentent, dans le vocabulaire berb�re, avec la figure d'�trangers. Sur l'Ennayr, cf. Destaing, "Ennayer chez les Beni-Senous" in "Revue Africaine, 1905" ; - Doutt�, "Marrakech", p. 373-377 ; "Magie et Religion" 554-550 ; - Westermarck, "Ceremonies and Beliefs connected with agriculture, certain dates of the solar year, and the weather, in Morocco". Les �v�nements qui marquent le premier jour de l'an passent pour avoir leur r�percussion sur l'ann�e enti�re. S'il pleut, l'ann�e sera bonne ; parfois m�me, pour s'assurer d'une ann�e pluvieuse, on proc�de � des rites d'aspersion d'eau. Ainsi chez les Amanouz, les gens se rendent au bord des rivi�res o� ils se livrent au jeu des baignades forc�es, comme il est fait, partout ailleurs, � l'occasion de l'Achoura. L'usage est partout r�pandu de tirer des pronostics sur l'ann�e agricole en cours. Chez les Ibahan, avant de se coucher , les femmes d�posent sur la terasse, trois boulettes de tagulla correspondant aux trois premiers mois de l'ann�e : janvier, f�vrier, mars, sur lesquelles elles jettent une pinc�e de sel, et ce, dans la pens�e "d'eassayer" la pluie. L'examen des boulettes leur fournit, le lendemain, des renseignements sur la nature des �v�nements m�t�orologiques qui vont survenir : la boulette, sur laquelle le sel est tomb� en d�liquescence, indique, en effet, celui de ces mois qui sera particuli�rement pluvieux. A l'Ennayr, on formule encore des voeux. Les hommes et les femmes vont �couter aux portes, et tirent, bon ou mauvais augure, des conversations entendues. � Timgissin, la jeune fille, qui d�sire se marier, se livre au m�me man�ge en ayant soin, pendant tout le temps qu'elle op�re, de l�cher la cuiller qui a servi � remuer la bouillie. Parmi d'autres pratiques non moins
curieuses, signalons que chez les A�t Mzal, avant de servir la bouillie,
on a coutume de jeter dans la marmite un fels, ou petite pi�ce de monnaie,
un noyau de datte, a�urmi n tiyni, et un morceau d'�corce d'arganier, yerg
n wargan qui trouvera le fels dans sa boulette sera riche ; celui qui
tombera sur l'�corce d'arganier deviendra pauvre ; et, qui trouvera le
noau de datte sera propri�taire de nombreux troupeaux. Cette c�r�monie
fait songer au G�teau des Rois qu'il es, chez nous, d'usage de partager en
soci�t� � l'Epiphanie. in. Mots et choses berb�res, de Emile Laoust, Augustin Challamel-Editeur, Paris, 1926.
(*) La "nuit de Janvier", Id' n Ennayr, porte des noms qui diff�rent selon les r�gions. Les A�t Yousi l'appellent : asugg�as ujdid "l'An neuf", et, les A�t Seghrouchen, Izayan, Ichqern : id' n h'aguza "la nuit de la vieille" ; en effet d'apr�s les croyances populaires, un d�mon, sous les traits d'une vieille, passe, cette nuit-l�, par toutes les maisons et par toutes et par toutes les tentes. Les A�t Wara�n l'appellent : byannu, terme qui se retrouve dans l'expression : bennayu n id' n usegg�as n innayr "bennayu de la premi�re nuit nuit de janvier" par laquelle les ksouriens de Timgissin d�signent le feu de joie, qu'ils ont alors l'habitude d'allumer. � Aoulouz, le feu, allum� � la m�me �poque, se nomme : tabennayut. [1] Le rituel des f�tes d'Enna�r, en pays chleuh, appara�t extr�mement r�duit. Il est possible qu'un certain nombre de ses �pisodes aient �t� capt�s par les f�tes musulmanes, en particulier par l'Achoura. D'une mani�re g�n�rale, la f�te se r�sume en un repas copieux suivi de pratiques propres � fournir des pronostics sur l'ann�e nouvelle. On mange de la tagulla, bouillie �paisse qui poss�de, croit-on, des propri�t�s fortifiantes : A�t Mzal, Ida Oukensous, A�t Isaffen, Tlit Izenaguen, Idouska, Igliwa, Ihahan, - du couscous � gros grains appel� : berkukes, Illaln - des produits v�g�taux "les sept l�gumes, sb�a lxuddari, Tlit ; sat lxudrat, A�t Isaffen -de l'urkimen, pr�paration compos�e de toutes sortes de grains cuits avec les pieds de l'animal �gorg� � l'A�d Kebir -des volailles ; mais cette pratique n'est pas g�n�ralis�e ; chez les A�t Tamemt, l'usage est de manger deux poulets "autant qu'on a d'oreilles". [2] Litt. "la boulette de je n'ai plus faim" de djyun "�tre rassasi�". On dit, en effet : qui n'est pas rassasi� ce jour- l�, ne le sera pas de l'ann�e : �wanna ur-icb�an, ar gis itili ughni ar iduwwur usegg�as,Tlit ; winna ur isb�an ghyi n-innayr, ur sar ir icba� ar-d-isutel usegg�as, lllaln.
Nedjima
Plantade est anthropologue. Elle a soutenu une th�se de 3�me cycle
intitul�e "Magie f�minine et sexualit� en Kabylie :
�tude ethnopsychiatrique" sous la direction de Georges Devereux,
� l�EHESS en 1984. Source : www.tamazgha.fr
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