A   C   A    O   H
Tiddukla Tadelsant Tamazight di Ottawa - Hull
Association Culturelle Amazighe à Ottawa-Hull
 Amazigh Cultural Association in Ottawa - Hul

1980-2006 : d’un printemps à l’autre

Comment sortir des crises récurrentes ?

http://www.depechedekabylie.com/read.php?id=20051&ed=MTE3OQ==

Par Hacène Hirèche

10 mars 1980. Cela fait déjà plus d’un 1/4 de siècle, ce qui correspond à une génération et quelques années ! Ce jour-là, un paisible savant, Mouloud Mammeri, se dirigeait vers la toute nouvelle université de Tizi Ouzou pour y faire une conférence sur les “Poèmes kabyles anciens”, poèmes qu’il avait collectés avec amour, consignés, traduits, commentés et publiés dans un ouvrage aux Editions Maspéro à Paris.
Les étudiants et certains de leurs professeurs l’attendaient fébrilement. Ils étaient naturellement grisés de bonheur, à l’idée de pouvoir écouter celui qui était déjà à l’époque l’un de nos plus grands mentors.
Tout semblait aller au mieux quand la nouvelle de son interpellation tomba !
Immédiatement, nous l’avions appris à Paris. C’est que, à l’époque, bon nombre d’acteurs de la revendication identitaire étaient militants du FFS, parti clandestin qui refaisait surface après une éclipse de 15 ans. J’étais personnellement de ceux-là. La nouvelle était pour nous un couperet. Nous étions sérieusement ébranlés. Nous avions terriblement peur que nos militants se fassent “démasquer”, arrêter puis torturer. Nous étions alors avertis des méthodes brutales utilisées par les différents services de répression (police, SM, gendarmerie). Ali André Mecili, numéro 2 du FFS nous en a racontées des vertes et des pas mûres à ce sujet.
Après consultations aussi bien à Paris que sur le terrain, à Tizi Ouzou, il a été décidé de réagir en organisant une manifestation pacifique devant le siège de la wilaya de Tizi Ouzou. La suite des événements, tout le monde la connaît. Arrestations, manifestations s’enchaînaient et le 20 avril El Hadi Khediri, alors patron de la DGSN, envoya les CNS pour investir le campus universitaire. L’effet fut effroyable et la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre ! Toute la région kabyle  (puis une partie de l’algérois) se trouva impliquée et prit la rue d’assaut. Des rumeurs des plus alarmantes circulaient. Quelques mois plus tard, 24 détenus sur des centaines d’autres étaient présentés devant la cour de sûreté de l’Etat. Avec le recul, je reste convaincu que sans la mobilisation de l’émigration qui a alerté l’opinion internationale et notamment les médias européens, certains de ces prévenus auraient risqué la peine capitale. L’assassinat des 126 jeunes du Printemps noir confirme, si besoin est, cette crainte de l’époque. C’est que, en ces temps-là, l’Algérie était encore sous l’influence du boumédianisme triomphant. Le sombre colonel-président n’avait pas hésité à éliminer physiquement ses adversaires : Mohamed Khider, Krim Belkacem (Medeghri ?), pour ne citer que les plus célèbres.
Pour comprendre la portée des évènements du Printemps berbère, il est nécessaire de se replacer dans le contexte de ces années là.

Le contexte de l’époque
Au plan politique, l’Algérie, indépendante depuis peu (18 ans), ne se préoccupait pas de mettre en place un Etat de droit fondé sur des élections libres et sur la reconnaissance de l’ensemble de ses réalités culturelles et politiques. Le régime algérien s’inspirait largement du nacérisme (socialo-arabisme) et du communisme version Pays de l’est. Sa légitimité se résumait à de vagues références révolutionnaires. Il ignorait le censensus populaire et son corrolaire, la cohésion sociale. La censure permettait d’étouffer toute expression divergente et les hommes du sérail s’estimaient seuls à avoir une idée exacte de “l’avenir radieux” du peuple pour reprendre l’expression du célèbre écrivain dissident russe Alexandre Zinouiev, expression devenue le titre d’un de ses ouvrages majeurs.
Au plan culturel, beaucoup de pays dont la France jacobine également modèle de nos élites dirigeantes, ne toléraient pas le pluralisme. Une société sans divisions, sans spécificités régionales, un Etat tout-puissant, omniprésent était la représentation unique que se faisaient les tenants du système en place. La violence institutionnelle se drapait du voile socialiste et révolutionnaire. Du coup, l’Algérie est officiellement arabe, le Maghreb aussi et aucune autre référence n’était tolérable. L’ethnocentrisme est le terme technique de la psychologie sociale pour désigner cette vue des choses selon laquelle notre propre groupe est le centre de tout, tous les autres groupes sont évalués par rapport à lui. Chaque groupe nourrit sa propre vanité, se considère comme supérieur, exalte immédiatement ses références et considère les autres avec une bonne dose de mépris. Chaque groupe considère que sa propre langue, ses propres coutumes sont les seules valables et toute autre expression culturelle provoque sa méfiance. L’ethnocentrisme conduit un peuple et surtout ses prétendus représentants à survaloriser tout ce qui, dans sa culture, le différencie des autres. C’est donc une attitude qui consiste à faire du groupe de son appartenance le prototype de la nation, voire de l’humanité ! C’est ainsi qu’à l’époque du Printemps berbère, l’arabo-centrisme érigé en idéologie du nouvel Etat algérien, confère au concept de la culture arabo-islamique un caractère absolu, une norme exclusive pour le pays. Dans une telle situation, l’attitude des dirigeants consiste à “répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques... (des autres), considérées comme sauvages...”, comme le dit le célèbre anthropologue Levi Strauss. Dans les années 1970-80, il y avait pour le régime algérien une certaine impossibilité à admettre le fait même de la diversité culturelle, soit tenue pour aussi valables.
Dans le contexte du printemps 1980, les tenants du régime se jetaient hors de la culture tout ce qui ne se conformait pas à la norme arabo-musulmane au sens politique étroit qu’ils lui donnaient. Le fait berbère était frappé de vice de forme et ne pouvait alimenter le patriotisme verbal dont se nourrissait le régime. Revendiquer la langue et la culture berbères, c’était, pour les dirigeants d’alors, refuser d’adhérer au sentiment de loyauté dont avait besoin la nation, nouvellement indépendante ! C’est se situer dans l’out-group et refuser d’épouser les ambitions du FLN parti-Etat entièrement dévouées à l’intérêt du peuple !
Ce qu’il faut comprendre à travers mon propos, ce n’est pas de justifier l’attitude des dirigeants de l’époque en stipulant que l’ethnocentrisme est une attitude universelle mais, 26 ans après le printemps berbère et 5 ans après le printemps noir, il est utile de mesurer l’ampleur de la régression que peut provoquer l’arabo-centrisme pour le pays.
L’ethnocentrisme et tous les ethnocentrismes représentent la racine des intolérances des nationalismes chauvins, des xénophobes et des racines. Ils rendent compte des manifestations d’attitude, entre groupes culturellement différents et particulièrement lorsqu’un groupe possède les moyens politiques de domination, quand la survie d’un groupe est menacée, un certain degré d’ethnocentrisme est quelques part “nécessaire” : La peur de ne désagréger, de disparaître produit de sentiment de sarvalorisation de sa propre culture, de ses propres valeurs et croyances. Ainsi, s’il advenait que les Kabyles (les berbères en général) cessent de croire dans les inestimables richesses de leur langue, de leurs culture, ils cesseraient vite d’exister. C’est cette menace de désagration finale qui a présidé à l’irruption du MCB et un peu plus de 20 ans plus tard, à l’émergence des archs !

Aujourd’hui quelles solutions pour sortir de la crise ?
Quand on observe les plate-formes de Yakourène (1980) et celle d’El Kseur (printemps noir), un point central et général reste récurrent : l’alternance au pouvoir comme mode idéal de gestion du destin de l’Algérie.
Si le contexte du Printemps berbère était celui du parti unique, celui du Printemps noir et frappé du sceau du pluralisme politique quelle que soit la faiblesse de celui-ci. L’alternance au pouvoir est tout simplement un transfert de rôle menant de grands partis ou coalition majoritaires à exercer tantôt le pouvoir tantôt le rôle d’opposition. Un tel système est-il viable en Algérie ? L’arrêt du processus électoral en Algérie de 1992 montre bien que les dirigeants de l’époque ne croyaient pas encore à la cohérence de ce système ici et maintenant. L’alternance doit garantir aux groupes qui perdent le pouvoir la possibilité, légal, électorale, d’y accéder à nouveau si tel est le choix du peuple. Cette garantie à surtout besoin que la confiance s’instaure dans notre pays et c’est à la classe dirigeante d’aujourd’hui de travailler dans ce sens. L’alternance politique a besoin d’un consensus minimum entre les grandes forces politiques sur les relations internationales, la politiques de défense la pérennité de la République etc… C’est le minimum requis pour assurer la continuité de l’Etat quelle que soit la couleur politique de l’alternance. Là aussi, c’est à la classe dirigeante actuelle de mettre en place les réformes nécessaires pour stabiliser les institutions. Cela suppose que toute nouvelle majorité doit gérer la société en faisant des réformes qui ne démontèlent pas de fond en comble les structures en place. Cela a été possible en Turquie avec l’arrivée des “Islamistes”. Qu’en sera-t-il en Palestine ?
Le respect de ces conditions passe nécessairement par le dialogue entre toutes les forces politiques y compris lorsqu’elles ont des projets de société diamétralement opposés. C’est au prix de ce dialogue qu’un nouveau contact pour l’Algérie est possible.
A mes yeux c’est la peur  des plates-formes des mouvements printaniers de Kabylie.

Pour Tamazight quel compromis possible
Les mouvements de 1980 et 2001 sont certes des mouvements culturels. Mais comme je viens de le souligner, ils portent en eux des aspects politiques majeurs. La culture berbère est bien sûr envisagée comme un acquis socio-historique à sauvegarder. Mais elle est aussi un élan créatif, une “recherche-action”, un mouvement lié aux besoin de mutations des rapports sociaux. La culture berbère, aussi ancienne soit-elle, forte en son sein (ne serait-ce que sa différence), un processus dynamique novateur, une vision du monde, une manière autre de décrypter les réalités du pays. Pour  que les Algériens puissent s’en servir il faut travailler à rendre officiel son véhicule : la langue. Un des freins psychologiques, qui ont empêché le chef de l’Etat de consacrer le berbère comme langue officielle, est celui de mettre cette langue, toujours réprimée, au même niveau que l’arabe, langue impériale pour lever ce frein qui continue de creuser la fossé entre la Kabylie et les représentants de l’Etat. Je propose à ces derniers et aux militants berbères un compromis possible. Faire du berbère une langue nationale et officielle et de l’arabe une langue officielle internationale.
Débloquer de la sorte la situation permettait aux uns et aux autres de sortir de la crise par la grande porte et laisser à la génération suivante le soin d’ajuster une telle disposition selon l’évolution du dialogue national. Alors, et seulement alors, l’Algérie pourra enfin construire le présent à partir du futur et en associant l’ensemble de ses enfants.
Après tout, les rêves ont souvent débordés sur des réalités tangibles. Alors rêvons !

H. H.
(Université de Paris 8)


(1) Ali André Mecili : ancien officier du MALG. A rejoint le maquis du FFS (1963-65) alors qu’il était cadre de la SM. Il fut exécuté en plein Paris le 7 avril 1987 par les services algériens.

Il y a cinq ans, Guermah Massinissa était assassiné

Le dernier printemps de la raison

http://www.depechedekabylie.com/read.php?id=20016&ed=MTE3OQ==

On est le 18 avril 2001. Une journée quelconque, presque anodine, dans une Kabylie qui ne vit, depuis quelques jours, que pour la 21e année de son Printemps berbère. Une Kabylie qui, sans qu’elle le sache, ni qu’elle le veuille vraiment, vient de prendre un autre rendez-vous avec l’histoire pour vivre (et commémorer par la suite) l’un des printemps les plus sanglants de son histoire.

On ne saura peut-être jamais ce qui s’est réellement passé dans les sous-sols de la brigade de gendarmerie de Béni Douala en cette maudite journée, pour que le jeune Moumouh y perde la vie. Cinq ans après les faits, les mystères qui ont entourés ce meurtre ne sont toujours pas élucidés et, aujourd’hui encore, personne ne sait vraiment s’il s’agit d’un acte délibéré, d’une manigance arrangée ou d’un simple concours de circonstances. Ce qui est sûr, par contre, c’est que le tragique destin qu’a connu le jeune Guermah Massinissa allait mettre Béni Douala, Tizi Ouzou et bientôt toute la Kabylie est à feu et en flammes. A peine la nouvelle de sa mort connue, les Ath Douala, offensés et scandalisés, entreprennent d’assiéger la caserne des gendarmes pour tenter de venger leur jeune innocent. Des escarmouches très intenses ont eu lieu dès la journée du 19 avril. Au soir du même jour, la situation devient inquiétante : Béni Douala s’enfonce définitivement dans la violence. Pire encore, l’agitation s’est rapidement propagée vers d’autres localités de la wilaya où les émeutes ont dangereusement gagné en intensité. Les populations d’Azazga, Fréha, Ifigha, Bouzeguène, Larbaâ Nath Irathen et bien d’autres se sont mises à reproduire, mécaniquement presque, le même procédé que celui initié par les Béni Doualis. Les brigades de gendarmerie sont, de ce fait, systématiquement prises d’assaut et attaquées à coup de pierres et de cocktails molotov. Le 22 avril au soir, les affrontements qui ont déjà atteint une quinzaine de communes, deviennent plus violents que jamais. On recense les premiers blessés sérieux. Les jeunes manifestants ne reculent plus devant rien. Devenus insensibles au gaz lacrymogène et totalement indifférents aux tirs de sommation, ils laissent exploser une telle fureur que certaines brigades, pourtant bâties en un solide béton, commencent à subir d’importants dégâts. L’embrasement est général !
Côté politique, c’est la totale banqueroute. Les incessants appels au calme lancés par les responsables politiques locaux demeurent lettre morte. Les jeunes manifestants ne se reconnaissent plus dans les discours des politiques. Ils s’entêtent à persévérer dans la violence. Cette même défaillance est également décelée aux plus hautes sphères du pouvoir. Les erreurs d’appréciation se suivent et se succèdent et les officiels (notamment le ministre de l’Intérieur), tombent dans de graves — mais surtout regrettables — inadvertances. Leurs attitudes provoquent un dangereux regain de violence. Cette fois, c’est irrémédiable, les politiques et les officiels s’affichent incapables d’endiguer la colère montante des jeunes émeutiers kabyles. Entre temps, le corps de la gendarmerie organise sa “riposte”. Celle-ci sera d’une brutalité inouïe puisque les Darkis n’ont pas hésité à tirer sur les manifestants : c’était un véritable carnage. Les premières victimes tombent le 27 avril 2001, le jour-même où la localité de Seddouk à Béjaïa enterrait sa première victime, tombée le 25 du même mois. Les 28 et 29 avril ont été des journées particulièrement sanglantes. Azazga, une ville où les émeutes se poursuivent à un rythme effréné depuis plus d’une semaine, est le théâtre d’une terrible boucherie : neuf jeunes manifestants y sont assassinés en une seule journée. La situation a définitivement dégénéré. La Kabylie est à feu et à sang.

L’ascension des archs
La Kabylie sera livrée à la répression des gendarmes un mois durant. Vers la mi-mai, les appels au calme reçoivent, enfin, un écho favorable. La région connaît ses premiers moments de répit. Une structure, à la dénomination archaïque, commence à faire parler d’elle. En ces quelques jours de trêve, cette dernière entreprend de canaliser, même momentanément, la colère des émeutiers. Le Mouvement citoyen des archs vient de naître. Il sera officiellement baptisé le 18 mai 2001 lors d’une rencontre tenue à Illoula. Trois rencontres préliminaires étaient, néanmoins, nécessaires pour accorder les violents et discuter des dernières consignes organisationnelles. Elles ont eu lieu à l’université de Tizi Ouzou, Ath Djennad puis Béni Douala. Au sortir de la réunion d’Illoula (les réunions finiront par changer d’appellation pour devenir conclaves), les participants avaient accouché de la toute première plate-forme de revendications de l’histoire des archs. Mieux, un appel solennel est même lancé pour l’organisation d’une marche populaire à Tizi Ouzou-ville et ce, pour la date du 21 mai  2001. Le Mouvement citoyen des archs entamera, suite à cela, plusieurs campagnes de structuration, lesquelles seront peaufinées et améliorées à la veille de la marche historique du 14 juin 2001, dont le principe était entériné trois jours auparavant (le 11 juin) à El Kseur. Le code d’honneur et les principes directeurs des archs n’ont pas tardé à voir le jour. La plate-forme d’El Kseur sera explicitée à Larbaâ Nath Irathen en date du 31 octobre 2001.

De la colère naquit l’espoir
Durant les cinq années qui ont suivi les douloureux événements de 2001, la Kabylie a   connu (et a subi parfois) plusieurs événements qui y ont latéralement bousculé l’ordre établi avant ce fameux 18 avril 2001. Les archs se sont définitivement imposé sur l’échiquier politique local et tenaient, à une cadence infernale, de multitudes de conclaves à l’effet de gérer un contexte fort délicat. Il faut dire qu’à cette époque, la région, toujours endeuillée et meurtrie, a quasiment fini par tomber sur ses deux genoux sur le plan social et économique. L’inertie tous azimuts était le lot incontesté de tous les Kabyles. Les émeutes deviennent plus espacées et moins violentes. A l’appel des archs, la Kabylie a tourné le dos aux législatives de mai 2002 et aux municipales d’octobre de la même année. Les partis politiques, eux, ne font leur réapparition qu’à l’occasion des partielles de 2005 qui, il faut le rappeler, ont eu lieu suite à la condition préalable des archs, consistant à révoquer les “indus élus” avant l’entame de tout processus de dialogue. Entre temps, la Kabylie connaîtra trois consultations électorales et les délégués entament leurs premiers rounds de pourparlers avec les représentants de l’Etat algérien. La mise en œuvre de la plate-forme d’El Kseur peut enfin avoir lieu. Les résultats définitifs de ces 28 mois de dialogue seront rendus publics le 25 avril prochain. Aujourd’hui, cinq ans après le Printemps noir, la Kabylie semble comme vouloir aspirer à un lendemain meilleur. Une Kabylie qui, il faut le noter, ne regrette absolument  rien de ses pulsions coléreuses envers ceux qui l’ont méprisée, puis endeuillée. Trop de larmes et trop de sang. La région voudrait bien réapprendre à vivre... sans amnésie envers les douleurs du passé.

Ahmed Benabi

La chanson kabyle et la lutte identitaire

Mots du terroir, paroles de la subversion

http://www.depechedekabylie.com/read.php?id=20050&ed=MTE3OQ==

Les vers de Si Mohand U M’hand, les strophes de Youcef U Kaci et les apologues de Cheikh Mohand U L’hocine accordés à la sapience kabyle constituent des exemples édifiants d’une construction littéraire née et promue au sein d’une société qui a eu à subir une vie tumultueuse faite d’occupations, d’oppressions et de luttes sans fin. Ce qui est appelé chanson kabyle est le prolongement de cette poésie exécuté ou accompagné avec les instruments matériels que permet le monde moderne.

Par Amar Naït Messaoud

La poésie kabyle constitue l’un des rares produits littéraires vivants, à côté du conte, que notre société ait hérités des temps immémoriaux de l’art et de la culture berbères. Société à tradition orale très puissante, mais sans ancrage graphique notable, le monde kabyle a fait de cette tradition orale un instrument de perpétuation de la culture et de l’imaginaire collectif, de résistance à l’oppression et de revendication d’un mieux-être social, culturel et économique.
La chanson kabyle est la continuité logique d’une tradition de bardes et d’aèdes. Tradition riche de la richesse de la vie sociale, avec ses heurs et malheurs, ses lumières et ses ombres, ses cimes et ses abysses. ‘’Race de véhéments qui ont faim et soif de justice’’, selon la formule de Vincent Monteil, orientaliste français. A travers le temps et les épreuves qu’il a charriées avec lui, les Kabyles ont utilisé la chanson comme moyen de communication, de sensibilisation et de résitance.
Les vers de Si Mohand U M’hand, les strophes de Youcef U Kaci et les apologues de Cheikh Mohand U L’hocine accordés à la sapience kabyle constituent des exemples édifiants d’une construction littéraire née et promue au sein d’une société qui a eu à subir une vie tumultueuse faite d’occupations, d’oppressions et de luttes sans fin. Ce qui est appelé chanson kabyle est le prolongement de cette poésie exécuté ou accompagné avec les instruments matériels que permet le monde moderne.
Le caractère de résistance et de revendication était déjà suffisamment perceptible dans les hymnes révolutionnaires réalisés dans les années 1940 par de jeunes lycéens à l’image de Idir Aït Amrane et Ali Laïmèche. Après l’Indépendance du pays et sous le climat de terreur et d’inquisition ayant frappé la Kabylie (1963-66), chanter en kabyle relevait d’une gageure, et le seul fait de chanter dans cette langue était considéré comme un défi à l’ordre politique négateur de l’identité berbère. C’est à cette époque qu’émergèrent Taleb Rabah, Cherif Khessam et Slimane Azem après leurs premières activités enregistrées à,la fin des années 1950. Après l’interdiction de la chanson de Slimane Azem à la radio nationale, celui-ci devint un symbole, symbole de la lutte contre l’arbitraire par le seul moyen de la parole, proscrite des canaux officiels, où se trouvait mêlée la morale kabyle, la fable de La Fontaine et la sagesse d’Ésope. Au début des années 1970, la conscience identitaire s’aiguisait au fur et à mesure que les jeunes rejoignaient l’université d’Alger où ils ont été en contact avec d’autres personnes qui ont connu Mouloud Mammeri et ses travaux sur la culture berbère. Apparut alors le groupe Imazighène Imula dont la cheville ouvrière était Ferhat Mehenni. Les premiers 33 tours et 45 tours annonçaient déjà la couleur d’une immersion totale dans le combat identitaire amazighe. L’on se souvient qu’à l’époque, pour exprimer certaines vérités ou revendiquer les droits culturels, les auteurs de chansons prennent certaines précautions de style en usant à volonté de métaphores fort expressives tirées de notre patrimoine oral. Cela ne pouvait pas se passer autrement sous une dictature oppressive où la moindre contestation est assimilée à une rébellion.
En revisitant ce musée de la chanson des années 1970, Ferhat Imazighene Imula paraît comme une véritable étoile scintillante même si son public était majoritairement composé d’étudiants et de lycéens. ‘’Ighsène n’lmegget ur nemmut’’ (les os d’un mort qui n’en est pas un) est une éloquente allégorie à notre culture vivante, considérée comme morte par les décideurs. Une autre chanson de Ferhat qui figure dans le disque 33 tours collectif (M’djahed Hamid, Sidi Ali Naït Kaci,…) “Tichemlit’’ appelé reprend sensiblement le même sujet. C’était ‘’Aneftiyi ad chnugh’’ (laissez-moi chanter) :
"Ghef laâyun ttmeslayen
U nukni ur nezri dacu ;
Wissen ttimi negh dallen
Negh dayen nnidhen nettu.
Teggirnagh deg meslayene,
Yiwen ur izi anda t-tteddu.
Akwit awidek ittsen
Idles nnegh la irekku"
C’est un ensemble d’allégories se terminant par un appel solennel : "Réveillez-vous, ô vous qui dormez, notre culture tombe en ruine".
Les nouvelles étoiles de la chanson kabyles ont utilisé des néologismes issus du monde universitaire, comme Idles, Tilleli, Agdud. Ces termes ont fait florès du fait qu’ils étaient modérément employés et qu’ils s’inséraient dans un registre de langue somme toute adapté au contexte des luttes de l’époque.

Racines de la terre et malaise identitaire
La dernière moitié des années 1970 fut sans doute la période la plus riche, la plus palpitante et la plus décisive dans le combat identitaire porté par le combat identitaire. Il est évident que c’était l’étape cruciale du réveil de la conscience berbère dans notre pays. Beaucoup d’éléments à la périphérie du mouvement culturel commençaient à constituer une constellation de petits événements, peut-être plus ou moins anodins, pris isolément, mais qui, pris dans leur ensemble en l’espace de quelques mois ou quelques petites années, allaient servir de décor explosif que prendra en charge, sur le plan littéraire et esthétique la chanson kabyle. Ainsi, la guerre du Sahara Occidental dans laquelle était impliquée l’Algérie (affaire d’Amgala) en 1975, l’affaire des poseurs de bombes à El Moudjahid (1976), les incidents graves qui ont émaillé la Fête des cerises à Fort-National et qui ont vu l’intervention de la caserne de l’ANP(1974), les échauffourées permanentes entre les universitaires de la gauche clandestine et les islamistes à Alger, la percée du boxeur kabyle Hamani et la victoire de la JSK en coupe d’Algérie (1977), tous ces événements ont constitué un véritable chaudron qui a inspiré les chanteurs kabyles. Ces dernier ont ‘’contextualisé’’ les faits en leur conférant style et poésie a fin d’en faire de véritables épopées et des textes de dénonciation, de sensibilisation et de résistance.
La culture qui tire ses racines et sa substance du fond des âges, culture faite de labeur, de lutte et d’efforts d’insoumission, est merveilleusement portée par Idir, étoile montante des années 1970. Le génie du poète Ben Mohamed trouve parfaitement son terrain d’expression dans le texte ‘’Vava Inuba’’ chanté par Idir. Cette chanson fera le tour de la planète et apportera au monde entier le message de la renaissance de l’une des plus vieilles cultures de la mer Méditerranée. De même, l’hymne ‘’Ay Azwaw s umendil awragh’’, du même interprète, sera rapidement perçu comme le symbole et la personnification de l’homme amazigh. Ferhat, lui, a su marier l’authenticité berbère (Yemma asif iccayi) avec la revendication d’identité et de justice  (Tizi Bwassa). Il convient aussi de rendre un hommage appuyé à un poète et dramaturge de talent tombé dans un quasi anonymat ces dernières années. Il s’agit de Mohand Uyahia, disparu il y a une année, et dont les textes ont été interprétés par les meilleurs chanteurs de Kabylie (Takfarinas, Ferhat, Idit, Djurdjura, Brahim Izri, Ideflawen,…).
Dans la même période, Lounis Aït Menguellet sort son album ‘’Amjahed’’ (33 tours) que, par un court texte, Mouloud Mammeri a ‘’préfacé’’ au verso. C’était l’expression d’un désenchantement général par rapport aux espoirs nourris par la guerre de Libération. Serments trahis, veuves oubliées et idéaux de justices partis en fumée vont se mêler au sentiment d’humiliation et de mépris généré par un comportement arrogant et tyrannique des nouveaux gouvernants. "Si je pouvais dire toute la vérité, la mule procréerait !", disait Lounis. Le même Aït Menguellet chantera la JSK comme symbole de kabylité et de réussite. Dans son album ‘’Aâttar’’, il a rêvé d’un " arbre doux qui se serait régénéré et d’une chaîne de fer fermée par un fil de fer au milieu ". Le tapis au style ancestral (Aâlaw) que le poète a confectionné a été sollicité par plusieurs visiteurs venus de toutes les contrées. Lorsqu’ils lui ont proposé un prix fort pour pouvoir l’acquérir, il répondra : " Je ne te le céderais pas/Fût-ce contre des lingots d’or ". Le tapis en question est, bien sûr, une image, une allégorie, de la dignité kabyle et de l’authenticité qui n’ont pas de prix. Dans le même album, ‘’Semmeht-as’’ est un texte qui se termine par une sentence d’une puissante éloquence par laquelle l’auteur déclare l’immortalité du verbe :
"Ameslay ha ur t ineq, (La parole, personne ne peut la tuer)
Wammag laâbd ittmettet.(Mais,l’homme est bien mortel)
Ameslay ma d itterdeq,(Quand la parole vient à exploser)
L’djil i tibghen yufat. (La génération qui la cherche la trouvera)
Waqila xir lmantaq,(Mieux vaut sans doute parler)
Init-id qebl ak ifat" (Dis-le [le mot] avant qu’il ne soit trop tard).
Dire le mot, la vérité et le courroux avant qu’il ne soit trop tard ! C’est ce que continueront de faire les chanteurs de cette génération que la société a chargés d’un ‘’fardeau’’ qui a fait d’eaux plus que des poètes ou de simples chanteurs. Ils étaient vus et considérés comme des démiurges, les faiseurs de destins, les hérauts et les héros d’une cause historique. Les poèmes ‘’Ardjuyi’’, ‘’Ayagu’’, ‘’D-nubak frah’’, ‘’Amcum’’ d’Aït Menguellet, ‘’Tahya Pésident !’’, ‘’Tidi Ukheddam’’, ‘’Awidek ighihkmen’’ de Ferhat et les premières chansons du jeune Matoub Lounès qui sortiront à la fin des années 1970 constituent le levain ‘’intellectuel’’ du Printemps berbère de 1980.

Le chant général de la révolte
Contre l’injustice, l’arbitraire, le mépris et le déni historique de l’identité berbère, ces animateurs de la conscience sociale kabyle appellent à la résistance, à la fraternité et à la lutte pour réaliser les espoirs déçus de la révolution et consacrer le destin de liberté, d’authenticité et de modernité pour les nouvelles générations. Sur les épaules frêles de nos poètes pèse une espèce de responsabilité historique pour libérer la parole enchaînée et reconquérir les espaces perdus de liberté. Peut-être n’est-ce là que la reproduction ou le prolongement d’une réalité historique qui avait fait des poètes et aèdes de Kabylie des ‘’oracles’’, ou, du moins, des ‘’agents de la culture dans une situation d’impasse’’, comme a eu à l’étudier dans une thèse Farida Aït Oufroukh pour le cas de Cheikh Mohamd Oulhocine et Aït Menguellet. En tous cas, sans que cela soit un code explicite, nos chanteurs et poètes ont bien joué ce rôle, ce qui les a poussés, particulièrement pour certains d’entre eux, à puiser puissamment dans le substrat de la culture orale kabyle et dans le patrimoine universel de l’humanité pour exprimer la soif de liberté, la volonté de casser les chaînes de la sujétion et l’idéal de réhabiliter la justice et les valeurs humaines de solidarité et de fraternité. Après les événements du Printemps berbère, les voix se multiplièrent pour revivifier l’esprit de la lutte fût-ce par une certaine autocritique par rapport à des attitudes ou à des comportements qui auraient été jugés maladroits ou inconvenants venant des opprimés eux-mêmes. En période de reflux et, sans doute, de désenchantement aussi, ce genre de jugements est souvent de mise. ‘’Tivratine’’ d’Aït Menguellet, toute une série de chansons de Matoub (‘’Ula d Benbella as iqqar nekk d Amazigh’’,…) et des textes de nouveaux chanteurs exprimèrent, au début des années 1980, des formes de ‘’désillusions’’ ou de déceptions suite à l’action ‘’inaboutie’’ de la révolte d’avril 80. Cependant, la réflexion deviendra plus sereine, le jugement plus mûr et les ambitions mieux cernées.  Malgré les esquisses d’une politisation ‘’organique’’ future du mouvement berbère visibles dès 1985 (Ligue des Droits de l’homme, Association des Enfants de chouhadas), la plupart des chanteurs kabyles continueront à assurer leur mission première de ‘’diseurs’’ de verbe en situant la lutte pour l’identité et la cultures amazighes dans le grand combat pour l’instauration des libertés et de la démocratie. Aït Menguellet et Matoub, malgré la différence de leurs styles, ont continué à incarner la chanson kabyle en lutte pour l’identité et la liberté et ce, jusqu’aux moments les plus noirs de l’histoire de l’Algérie indépendante, c’est-à-dire la décennie de terrorisme. Ils n’étaient pas seuls, bien sûr. D’autres chanteurs ont émergé et une grande partie d’entre eux ont fait jouer à la chanson le rôle de vecteur de la conscience identitaire comme l’ont fait les pionniers au début des années 1970. L’innovation se trouve surtout au niveau de la musique, des arrangements et des mélodies. Dans les limites de l’esquisse que nous avons donnée ici du rôle de la chanson kabyle dans la lutte identitaire amazigh, nous ne pouvons aborder les détails du sujet qui devraient nous conduire vers d’autres investigations sur la forme et la structuration  des messages, les échos enregistrés au niveau du public ou de la population et le parcours ou l’évolution de chacun des acteurs cités par rapport à la thématique traitée. L’on peut dire, néanmoins, que la chanson kabyle a constitué l’ ‘’instance intellectuelle’’ du mouvement de revendication identitaire en Kabylie. Elle ne s’est pas contentée d’accompagner les mouvements de contestation. Elle a plutôt servi de vivier, de tremplin et de source intellectuelle de la révolte.

A. N. M.

Les évènements du Printemps noir ou la citoyenneté en construction

Des sacrifices et des acquis

http://www.depechedekabylie.com/read.php?id=20022&ed=MTE3OQ==

La contestation citoyenne en Kabylie, relayée par les événements du Printemps noir de 2001, a le mérite de mettre en avant une question aussi importante que lancinante : le rôle des mouvements de masse dans la dynamique sociale et la réalité socio- économique de la région de Kabylie.
Politiquement, les origines de ce soulèvement restent énigmatiques et entourées des non-dits. La seule raison qu’on s’autorise à "avouer" est celle visant à déstabiliser le président de la République, consacré par les urnes deux ans plus tôt, dans sa lancée vers la réalisation de son ambitieux programme de relance économique.
A  part cela, les événements de Kabylie étaient plus douloureux et plus meurtriers que n’importe quel autre soulèvement populaire de l’Algérie post-indépendante : 126 jeunes assassinés par un corps de sécurité républicaine, les gendarmes en l’occurrence, durant la période de 2001/2003, des milliers de blessés et des centaines d’handicapés à vie.   

La contestation kabyle, ou à la recherche de la citoyenneté
Comme pour les événements de 1980, où l’Etat à anéanti toute forme d’entreprenariat privé en Grande Kabylie, la période de 2001/2004 a été aussi marquée par une inertie quasi totale de toutes les activités économiques, sociales, politiques et culturelles.
La répression sanglante des manifestants en Kabylie durant trois ans(2001,2002 et 2003), a donné lieu à l’émergence d’une structure, dont le mode de fonctionnement est puisé du système ancestral de la gouvernance locale, les Archs en l’occurrence. Alors que l’essence du soulèvement a induit une mise en perspective les réalités sociales, économiques, culturelles et politiques de la région, l’apparition des acteurs, ayant formé la structure chargée de contenir la foule, a fini par remettre en cause l’efficacité et l’utilité des partis politiques, acquis pourtant au prix des sacrifices des enfants d’octobre 1988.
"Les réactions des partis politiques les plus ancrés dans les régions kabyles n’ont pas pu se transformer en action politique relayant valablement ce qui prend la forme d’un véritable soulèvement… le FFS et le RCD, étaient en fait paralysés par l’ampleur et l’imprévisibilité du mouvement", écrit le sociologue Mohamed Brahim Salhi dans son exposé : "Le local en contestation, citoyenneté en construction. Le cas de la Kabylie".
Cinq ans après le début de la contestation et deux ans après l’arrêt des hostilités entre les jeunes protestataires et le pouvoir central, les délégués des Archs ont engagé le processus du dialogue avec le chef du gouvernement depuis janvier 2004 en vue de satisfaire les revendications sociales, politiques, culturelles et identitaires contenus dans la plate forme d’El Kseur, ces mêmes partis peinent à retrouver leur aura d’antan. L’illustration est venue des résultats des élections municipales partielles du 24 novembre dernier, où seulement 30% des Kabyles de Tizi Ouzou et 34% de Bejaia se sont rendus aux urnes.
Le recours à une organisation ancestrale pour gérer une crise à la dimension de celle d’avril et mai 2001, devrait être interprété, selon les sociologues, comme étant un besoin de changement du mode d’organisation sociale. Il est vrai que dans le feu de l’action et l’urgence qui s’y sont imposés, les citoyens, en manque d’idées peut-être, ont opté pour un mode aussi ancien mais qui demeure efficace en temps et en espace. Les villages de Kabylie continuent d’exercer ce modèle de "gouvernance" comme base incontestable du maillon formant les institutions consultatives de la République.
Le message était perçu différemment par la  société civile nationale et locale. Mais ce qui est apparu au fil des quatre années ayant suivi avril 2001 est que les Kabyles ont manifesté un besoin de changement. C’était, estiment les sociologues, l’expression d’un peuple qui veut construire sa citoyenneté. Et c’était le début d’une autre ère sociale en Algérie en général et en Kabylie en particulier.
 Ainsi, il n’est aucunement difficile de déduire de ces années de contestation citoyenne et de la conduite, en somme imprévisible, des délégués du Mouvement citoyen, que la société kabyle se démarque du modèle centralisé de la gouvernance et remis en cause le système politique existant. Ce qui impose, de fait, un autre regard sur le besoin de la société civile de figurer, non en tant qu’entité à qui on impose des idées et autres projets, mais en sa qualité d’acteur à part entière dans la gestion de son quotidien.  
L’adhésion massive des populations de Kabylie dans l’entreprise des Archs au lendemain de leur structuration, renseigne amplement sur ce besoin longtemps réprimé par le pouvoir central via des restrictions culturelles, économiques, mais surtout en fermant les canaux d’expression libre. "L’autocratie intellectuelle" érigée en appareils politiques ayant connu leur période faste au lendemain de leur création, et qui étaient loin des pulsions et  nécessités réelles des citoyens, a fini par démontrer son incapacité de poser d’alternative et mener les débats autour des projets de société censés être nouveaux et créateurs d’idées et d’initiatives modernes.
Pour M. Salhi, le recours à la structure des Archs "accentue une situation de vacuité politique et neutralise toute possibilité d’alternative pour le prolongement d’un débat sur "le vivre ensemble", dans la diversité. Et ce, avec un retour critique sur les modes d’organisation de la société et de participation aux affaires publiques à partir de lieux locaux et dans la proximité”.

 Une dangereuse récession économique 
Les événements d’avril 2001 ont eu, par ailleurs, des répercussions économiques très dangereuses sur le processus du développement de la Kabylie. Durant au moins trois ans, la machine économique, productrice, commerciale et de service a failli être réduite au plus bas niveau de la courbe.
Au moment où la région enregistre le plus haut taux de chômage à l’échelle nationale (un tiers de la population locale à Tizi-ouzou contre 30% dans l’ensemble du pays) et un sous-emploi de 75% de la population active, des opérateurs privés qui s’y sont à peine installés, délocalisent leurs entités économiques vers des cieux moins agités qu’en Kabylie.
Déjà embourbés par une fiscalité agressive et des lenteurs bureaucratiques pour s’y installer, ces créateurs de PME ont trouvé durant ces événements l’argument qui manquait pour délocaliser leurs projets et " remettre " des centaines de travailleurs au bras des agences d’emploi.
Un phénomène qui était, non sans aggraver le climat social déjà délétère et précaire engendré par la crise économique de 1985, la compression des effectifs dans les entreprises publiques qui croulaient sous des dettes extravagantes en 1997 en sus de la non-attractivité d’investisseurs que connaît la région depuis toujours.
Si le soulèvement du printemps 2001 a contribué d’une façon directe au changement des mœurs politiques, il n’en demeure pas moins que les répercussions socio-économiques sont des plus dramatiques dans la mesure où la région était devenue, non seulement incapable de créer des richesses propres, accentué par le désinvestissement, mais elle devait également faire face au poids aggravant de chômage.
L’ensemble des projets dits de grande envergure, à l’image des infrastructures publiques de base, a été figé au stade de maquettes. Deux lectures étaient alors véhiculées par l’opinion publique : l’une qui dit que l’inertie de ces projets est due à la politique de l’Etat qui cherchait à immobiliser toutes les initiatives du développement pour étouffer la protestation citoyenne, l’autre qui  s’autorise l’idée de l’isolement totale de la région sur tous les plans. Quant aux détenteurs de capitaux et de projets d’investissement, le climat d’instabilité politique que connaît la Kabylie n’est pas du tout propice à l’investissement.
Les échanges commerciaux n’ont pas échappé, non plus, aux conséquences de la protestation citoyenne de Kabylie. Il est vrai que les volumes d’échanges sont réduits aux simples opérations de l’écoulement de marchandise par des petits grossistes, - sans toutefois réussir à avoir l’envergure de grands distributeurs -, et des détaillants  achetant les différents produits de consommation des autres régions du pays. Ces mêmes activités ont subit des effets néfastes poussant certains à baisser rideau. Sans omettre, bien évidemment, le cumul des dettes fiscales qu’ils doivent au Trésor public ayant contraint des dizaines, si ce n’est des centaines de commerçants, soit à fermer boutique soit à délocaliser leurs activités. 
Cette situation est restée pendante jusqu’en décembre 2005 avant que les pouvoirs publics ne décident l’effacement des dettes fiscales pour certains commerçants et l’allégement d’impôts pour les autres. C’était le résultat de consultations marathoniennes entamées avec les délégués des Archs dés la signature de l’accord cadre avec Ouyahia, en sa qualité de chef du gouvernement et interlocuteur direct du Mouvement citoyen dans le processus du dialogue, avec les représentants des administrations intervenants dans le commerce et la fiscalité.

M.A.Temmar

Le 20 Avril 1980 vu par les jeunes générations

“Qu’en reste-t-il ?”

http://www.depechedekabylie.com/read.php?id=20023&ed=MTE3OQ==

Ils sont anonymes, jeunes, et surtout Kabyles. On les a choisis ainsi exprès. Dans la rue, au pif. On a voulu un peu sonder, au hasard, quelques unes de ces voix qui font celle de la masse juvénile plutôt dans le vent d’autres quêtes.

On ne s’attendait pas à de véritables conférences, encore moins à des communications plus au moins appuyées sur cet évènement sur lequel tout le monde n’est pas forcement initié. Quand bien même, cette date devrait constituer un véritable pont de leur histoire, celle de leurs aïeux, et de leurs progénitures. Ce n’est malheureusement pas souvent le cas. Ont-ils tort ? Sont-ils à blâmer ? Ont-ils le droit de tout charger sur un système qui a tout fait pour réduire ce combat à une insignifiante commémoration festive dépossédée de sa substance ? Peut-être. Mais Matoub avait pourtant tout prédit : "Arrach n’themagnine fechlene, wigi idyetenkarene…" Pas tous heureusement ! La majorité en est consciente mais…
 
Khali Aziz, 30 ans, commerçant
"Il n’y a plus la confiance et la fraternité d’avant"
"Le 20 Avril, c’est un anniversaire qu’on hérite des anciens. Nous étions petits à l’époque des évènements mais on essaye toujours de suivre ce chemin. A l’époque j’avais six ans, je me rappelle quand même de quelques images des policiers qui venaient jusqu’à notre quartier, au 5-Juillet, il y avait les CRS  pourchassant les gens qui manifestaient. Ils ripostaient, il y avait des affrontements. J’étais jeune, mais j’ai cherché à savoir pourquoi toutes ces batailles. J’ai posé des questions à la maison, et on m’avait expliqué que l’armée avait pénétré dans l’université, des étudiants ont été tabassés, d’autres ont été arrêtés, j’ai même un membre de ma famille qui avait été embarqué. Voilà en gros, depuis, c’est resté un évènement, un anniversaire qu’on fête chaque année, c’est tout. Car ça a changé avec les années, ce n’est plus comme avant. Parce que maintenant, chacun suit ses intérêts, ce n’est plus comme avant, on n’a plus confiance en personne. C’est malheureux mais on a plus tendance au souci de la poche qu’à celui du cœur, du nif, de nos racines".
 
Bourima Kamel, 26 ans, licencié en anglais, et maître d’hôtel
“On danse sur…notre dos !”
"Je suis né justement en 1980, donc je ne pouvais vivre l’évènement ni savoir de quoi ça retournait à ce moment-là. Ce n’est que plus tard, lorsque j’ai eu mon bac, et l’occasion d’accéder à l’université en 2000, que j’ai eu à découvrir un peu ce milieu d’où a démarré la contestation. Auparavant, du temps du lycée, j’entendais parler du printemps berbère, mais pour moi ce n’était pas plus qu’une journée de grève… On disait que c’était suite à une interdiction d’une conférence de Mammeri mais sans plus. J’étais par exemple loin de savoir qu’il était quasiment interdit de parler Tamazight à la faculté d’Alger. Même mon père ne m’en avait pas parlé dans le temps. Peut-être que c’était à cause des atrocités des évènements, peut-être qu’il me voyait assez jeune pour m’expliquer ces choses-là, lui, qui est un enseignant plutôt psychopédagogue. Il appréhendait peut-être un choc pour moi. Aujourd’hui, je réalise qu’on a cassé si j’ose dire, une petite dictature qui nous était imposé à l’époque. Le 20 Avril c’est le grand éclatement de la cause berbère.
C’est son jour de naissance, elle existait certes avant, mais elle a connu le grand essor à partir de cette date-là, elle a pris de l’ampleur sur la scène publique. L’évènement a beaucoup contribué aussi dans le soulèvement populaire de 88 qui nous a permis d’aspirer à la démocratie même limitée d’aujourd’hui. Maintenant, pour ce qui est advenu de cette référence, la situation n’est à mon avis pas réjouissante. Dans notre village à Iheddaden à Mâatka, par exemple, je crois qu’ils ont prévu un Disc Jockey pour danser, c’est malheureux. Quel message voulez-vous que les jeunes en tirent alors… L’évènement a, vraiment, besoin d’être, plus au moins, ressuscité de manière plus intellectuelle avec la tenue de conférences débat, des communications… L’élite et les institutions comme l’école doivent absolument penser à faire passer le message en dehors de la parade folklorique. A défaut, on se retrouve à organiser des galas, à danser sur…nos dos. C’est gros la triste réalité".

 Djerah Nouredine, 23 ans, 2e année juriste
“Les choses ont changé”
"Je ne sais pas si je peux vraiment parler de cette date du 20 Avril 1980. A l’époque je n’étais même pas encore né. Les premiers souvenirs qui me remontent à l’esprit c’est qu’à l’époque, jeune, à chaque fois que la date revenait, il y’avait des fêtes un peu partout, alors on y allait en groupe pour se défouler sans vraiment se rendre compte de l’importance de l’évènement. On était encore loin de réaliser ce que cela signifait, on était petits. Maintenant qu’on est adulte, on mesure mieux la portée de cette date. Ca nous fait penser à Mouloud Mammeri, on essaye de revivre ou plutôt imaginer les années 80 dans un contexte plus sérieux même si on ne peut prétendre avoir la vraie passion vécue par ceux-là même qui ont été à l’origine de l’évènement. A partir de là, on saisit mieux la portée de cette coutume à célébrer cette date historique. Mais pour dire est-ce que le cap a été maintenu ou pas, une chose est néanmoins sûre, on n’y va pas avec le même rythme. Les choses ont changé. C’est comme si aujourd’hui on se retrouve avec à chacun son 20 Avril". 
 
N’Aït Abderahmane Ahmed, 31 ans, disquaire
“Le 20 Avril s’effrite avec les MCB”
"Le 20 Avril, c’est le Printemps berbère. Je n’ai pas connaissance des détails, comment tout cela s’est passé mais j’ai appris qu’en 1980, il y’a eu de violentes manifestations entre les Kabyles et les policiers. ça a commencé à l’université, puis la violence s’est propagée pour atteindre plusieurs localités de la wilaya de Tizi-ouzou, et même au-delà, je pense. Il y’a eu beaucoup de blessés, des arrestations. C’était pour Tamazight. Mais au vu de ce qu’on nous a raconté après coup, et comment se sont présentées les choses de nos jours, le 20 Avril a perdu de son charme, depuis au moins les trois dernières années. Y’a rien de concret qui soit entretenu. Tamazight à la télévision, ce n’est qu’un leur. Les MCB se sont multipliés pour mieux s’effriter dans la nature, et le 20 Avril avec… Franchement qui peut mobiliser aujourd’hui la Kabylie ? Personne ! Je crois que le dernier espoir est parti avec la disparition de Matoub. C’était la seule école qui aurait pu transmettre le message qu’il faut aux nouvelles générations".

Louiza Koudache, 34 ans
"La routine tue la passion"
"Disons-le tout de suite, le 20 Avril, c’est les évènements de 1980. Donc c’est déjà un repère. J’avais neuf ans à l’époque, et je ne savais pas ce qui se passait réellement alors. Car les informations étaient plus pour les adultes mais j’ai quand même quelques souvenirs : J’habite à Aït Toudert à Ouacif et je me rappelle quand même qu’à ce moment-là, il y’avait mon frère qui était étudiant, nous ramenait à la maison la cassette de Aït Menguelet, "A El Moussiw". Il me disait qu’à l’université, il leur était interdit de l’écouter. Même à la maison, je me rappelle qu’on l’allumait à voix basse… Mais la grande découverte de  l’évènement ce fut pour moi à mon admission au CEM, et au lycée Ousmaïl Kaci. J’ai en mémoire les réunions de comité qu’on tenait en cachette. On collait des tracts dans les toilettes pour dire que le 20 Avril on fera grève. Mais je ne pense pas que l’on fait encore ça. L’ambiance d’antan n’est plus celle d’aujourd’hui, ça a diminué, il n’y a plus la même passion, je pense que la routine a fini par avoir raison de l’engouement. Peut-être je ne sais pas si les gens se contentent de ce à quoi ils sont parvenus, peut-être que la relève n’est pas encore mûre pour reprendre ce qu’elle a à reprendre…je ne sais pas. Mais c’est évident qu’il y a un ralentissement. Avant, la marche ou le gala de Oued Aissi étaient des repères pour tous. Sur scène, il n’y avait que les leaders, c’est plus qu’un gala. Ca avait une autre portée. On les sentait engagés. Rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Pour ce qui est de demain, je pense que malgré tout, cette date restera, elle gardera sa symbolique. Mais sa prise en charge dépend de ceux qui la prendront en main".  

Propos recueillis
par Djaffar Chilab.

 

Il y a 26 ans, le Printemps berbère

Messages d’Avril

Dans un réflexe de lucidité, la Kabylie s’emploie à se réapproprier les repères de sa mémoire militante. Une mémoire façonnée par des générations de militants qui ont eu le génie d’inventer le combat pacifique à une époque où la répression politique était une constante du pouvoir. Avril 1980, ce n’est pas seulement une revendication identitaire, puisqu’il avait donné naissance à l’acte fondateur du combat démocratique public. C’est également un projet politique. Les artisans du Printemps berbère avaient su, en effet, coupler la revendication culturelle aux libertés démocratiques. C’est pourquoi le mouvement revendicatif et de protestation avait pris de l’épaisseur avec une adhésion populaire sans faille. Et pour cause, la grève générale du 16 avril 1980, massivement suivie alors par toute la population, ne pouvait que rassurer une jeune élite d’après-guerre qui a su traduire les préoccupations de la région en alternative politique fiable. La générosité de ces militants issus de la génération d’après-guerre n’avait d’égale que la répression du régime du parti unique. L’arrestation le 20 avril 1980 des militants Saïd Sadi, Mouloud Lounaouci, Mustapha Bacha, Saïd Khelil, Djamel Zenati (ils étaient en tout 24 détenus) avait suscité un large mouvement de solidarité populaire. Cet élan de solidarité et la mobilisation continue des citoyens ont abouti à la libération, le 26 juin 1980, des 24 animateurs du MCB (Mouvement culturel berbère). Les geôles du pouvoir de Chadli n’ont pas anéanti la détermination et la conviction des détenus à continuer le combat pour tamazight et les libertés démocratiques. Mais quel bilan peut-on faire, après ce long cheminement de l’Histoire ? Si d’un point de vue purement revendicatif, l’objectif stratégique, l’officialisation de la langue amazigh notamment, n’est toujours pas atteint, en dépit de certaines avancées, il reste que sur le plan des luttes politiques, la génération d’Avril 1980 (“Arrac n’80”, pour paraphraser Matoub) a ouvert de larges horizons pour la perspective démocratique nationale. C’est l’héritage légué par les pionniers du mouvement national que les artisans d’Avril 80 ont pu transformer en alternative politique crédible, avant de passer le témoin à la génération d’aujourd’hui, celle formatée aux standards universels. Et cette jeunesse, notamment les étudiants qui sont un élément structurant de la dynamique revendicative positive, s’emploie à continuer le combat de ses aînés. La marche de ce jeudi organisée à l’initiative du MCB et de la communauté estudiantine en est un exemple concret de la reprise du flambeau des “anciens” par une jeunesse qui a échappé aux chants des sirènes du pouvoir. C’est là l’un des messages de Tafsut imazighen, dont l’anniversaire, aujourd’hui, constitue une halte pour toute militance de la région pour restaurer les valeurs d’Avril 80 et réhabiliter, par le débat public prospectif, l’action politique en Kabylie, qui commence à renouer avec les repères qui ont fondé son combat depuis des générations.

Yahia Arkat

 

              home.gif (5688 bytes)                  

Hosted by www.Geocities.ws

1