A   C   A    O   H
Tiddukla Tadelsant Tamazight di Ottawa - Hull
Association Culturelle Amazighe � Ottawa-Hull
 Amazigh Cultural Association in Ottawa - Hull
  tidukla tadelsant tamazigt Di utawua hul

Les conditions de production de la n�o-litt�rature kabyle

http://www.lematin.ma/journal/article.asp?id=natio&ida=53457     21.10.2005

Avant d'aborder des �tudes th�matiques ou d'entamer des analyses litt�raires du roman, de la nouvelle ou de la po�sie kabyle �crite, il semble n�cessaire de d�crire les conditions d'existence de cette n�o-litt�rature.

Cette contribution rel�vera donc plus de l'histoire litt�raire et de la sociologie litt�raire. Le r�le assign� � cette derni�re est celui que donne R. Escarpit dans �Sociologie de la litt�rature� (1958) � : � La sociologie litt�raire doit respecter la sp�cificit� du fait litt�raire.

Bonne affaire pour l'homme de m�tier, elle doit aussi �tre une bonne affaire pour le lecteur en aidant la science - historique ou critique - dans les t�ches qui lui sont propres. Ces pr�occupations restent indirectement les siennes : son r�le est seulement de les concevoir � l'�chelle de la soci�t� �.

Par conditions d'existence, nous entendons toutes les conditions et situations par lesquelles passe l'�uvre de l'�crivain ou du po�te depuis sa mise en forme scripturale par l'auteur jusqu'� son accueil par le public. C'est des conditions de production, de distribution et de consommation qu'il sera donc question dans cette �tude. Mais il nous a sembl� n�cessaire de revenir sur la connaissance et la ma�trise de l'�criture.

Car comment un auteur peut-il aligner des lettres sur du papier s'il n'a jamais appris � �crire, sa langue �tant non �crite pendant des si�cles ? Et dans quelles conditions un �crivain kabyle a-t-il �crit (et �crit) en kabyle ?

A la suite de M.Bakhtine, on admet que trois conditions sont n�cessaires pour devenir �crivain : la comp�tence linguistique, la comp�tence litt�raire et la motivation sociale
De la comp�tence linguistique.
Les Berb�res poss�dent depuis au moins 25 si�cles une �criture, le libyque dont la forme la plus connue sous le nom de tifinagh est encore en usage chez les Touaregs. Mais son usage est essentiellement d'ordre symbolique (st�les honorifiques, fun�raires...) et il semble que l'usage du tifinagh a connu une extinction vers le V� s. apr�s J.C. pour ce qui concerne la partie septentrionale de l'Afrique du Nord. L'essentiel de la po�sie conserv�e depuis le XV� s. au moins, �tait de production orale soumise donc aux al�as que conna�t toute litt�rature orale de part le monde � savoir, la perte totale ou partielle de pi�ces qui la composent, �ternelles modifications � travers le temps...

Pour ce qui concerne la Kabylie, ce n'est qu'apr�s la conqu�te fran�aise que le kabyle fut transcrit en caract�res latins par les militaires, les missionnaires religieux et puis par les linguistes. Les premi�res �lites kabyles (constitu�es essentiellement d'instituteurs) apprirent cette �criture et l'utilis�rent � leur tour pour dire le monde.

Certes, ce n'est pas seulement le fait d'�tre instruit qui permet de devenir �crivain ou po�te. D'ailleurs, une bonne partie des �crivains kabyles sont des autodidactes. Mais cela ne signifie nullement absence de rapports entre l'apprentissage de l'�criture et l'�cole. S. Chaker (1992 : 8) notait qu'"il faut donc attendre la p�riode coloniale et la tr�s forte influence de l'Ecole et de la culture fran�aise pour que naisse une v�ritable production litt�raire �crite en langue berb�re". Cette influence de l'Ecole est tr�s variable car les rares �crivains qui y ont eu acc�s ont produit leur litt�rature en fran�ais, il s'agit essentiellement de M. Mammeri, M.F�raoun, J.Amrouche... D'autres ont pr�f�r� �crire partiellement en berb�re : M. Mammeri, S. Boulifa, M. Lechani... ou totalement : cas de B�la�d A�t Ali. Certains �crivains ont appris � �crire en dehors de l'institution scolaire, par des apprentissages individuels. Toutefois, on remarque l'existence d'un lien entretenu avec les savoirs livresque et scolaire dans les propos tenus par ces auteurs dans leurs interviews, t�moignages divers... mais aussi � travers les textes produits. Le rapport qu'entretient l'enseignement et l'�criture peut �tre ais�ment �tabli dans le cas de la litt�rature kabyle �crite.

C'est la pr�sence r�currente de l'absence de l'acc�s au savoir que prodigue l'�cole qu'il faut tenter d'expliquer. Une recherche reste � faire dans ce domaine et celle-ci permettra s�rement de saisir o� finit l'oralit� et o� commence l'�criture dans la litt�rature kabyle. L'exemple de l'�uvre de B�la�d A�t Ali est en ce sens tr�s �difiant car elle permet de poser d�s la fin des ann�es 40, deux questions :
1)- Comment un �crivain peut-il r�-�crire une histoire transmise oralement depuis des g�n�rations (il s'agit de celle d'un saint : Ccix Hmed Wali) et l'ins�rer comme r�cit intradi�g�tique dans son roman, le premier du genre, Lwali n wedrar ?
2)- Comment �crire en kabyle ? Faut-il reproduire r�cits et po�sies tels qu'ils �taient dits depuis des si�cles ? Ou alors faut-il alors modifier et travailler les textes en profondeur jusqu'� ce qu'ils soient diff�rents de ce qu'ils �taient en litt�rature orale ? Si oui, quel r�le l'enseignement joue-t-il ?

De la comp�tence litt�raire :

Dans le cas kabyle, la comp�tence litt�raire est g�n�ralement acquise en dehors de l'enseignement du kabyle. L'enseignement qui devait contribuer � sa formation et � sa consolidation est quasiment inexistant. La scolarisation s'�tait fa�te en langue fran�aise jusqu'� l'ind�pendance, puis en arabe mais aussi en fran�ais jusqu'� pr�sent. Ce n'est qu'au cours de l'ann�e 1995/96, que des cours de berb�re ont eu officiellement lieu dans l'�cole alg�rienne. Si l'enseignement g�n�ralis� du berb�re avait exist� en Kabylie pendant la p�riode coloniale, certains �crivains kabyles n'auraient-ils pas �crit et publi� leurs oeuvres en berb�re ? Si cet enseignement avait exist� apr�s l'ind�pendance, n'y aurait-il pas une litt�rature alg�rienne de langue berb�re � c�t� des litt�ratures de langues arabe et fran�aise ?

Quelques arguments militent en faveur d'une r�ponse positive. De nombreux auteurs ont suivi les rares cours de berb�re qui ont exist� depuis au moins 1891, ann�e ou fut cr�� le Brevet de langue kabyle. C'�tait le cas de Sa�d Boulifa, professeur de kabyle. Pour peu que l'on ne se limite pas aux fins p�dagogiques pour lesquelles il �tait �labor�, le Cours de 2� ann�e peut �tre la premi�re �uvre en prose �crite en kabyle. Lechani dont la po�sie vient d'�tre �dit� avec une bonne partie de ses �tudes sur la langue et la litt�rature sous le titre Ecrits berb�res, est lui aussi dipl�m� de berb�re en 1912. Brahim Zellal l'auteur du roman du chacal est lui aussi dipl�m� de berb�re de l'Universit� d'Alger.
D'autres auteurs tels A. Mezdad, S. Sadi... ont suivi les cours que donnait M. Mammeri � l'Universit� d'Alger jusqu'� ce que ces derniers ne soient interdits en 1973.

Quelques auteurs ont appris uniquement comment �crire le kabyle en caract�res latins c'est � dire l'alphabet et n'ont suivi aucun cours de kabyle c'est le cas de Mezyan u Muh (de son vrai nom Gherram Hocine). Et c'�tait le cas de B�la�d A�t Ali qui a pourtant poursuivi sa scolarit� en fran�ais jusqu'au brevet mais qui n'a �crit en kabyle que lorsque les deux P�res J.-M. Dallet et J. Lanfry, responsables du Fichier de Documentation Berb�re, lui ont demand� de leur �crire des histoires et des contes pour le FDB, occasion o� il apprit la transcription utilis�e jusqu'alors. Le romancier Amar u Hemza, ouvrier immigr� en France, a appris � �crire en kabyle en dehors de l'institution scolaire.

C'est �galement le cas de prosateurs tels Djafer Chibani et Ahmed Berkouk.
Hamane Abdellah a cr�� un alphabet personnel � base des lettres arabes pour �crire non seulement ses traductions des versets coraniques ou des po�mes de Baudelaire mais aussi ses nombreux r�cits et pi�ces de th��tre.

Toutefois, la comp�tence linguistique (et � fortiori litt�raire) ne se r�duit pas � la capacit� de noter et/ou de transcrire la langue. Elle exige aussi l'acquisition d'un niveau de langue, d'un registre de la koin� litt�raire qui, pour cette g�n�ration d'�crivains, est pass� par l'oralit�. Ce passage a, d'ailleurs, plusieurs incidences sur l'�crit.

La comp�tence litt�raire se remarque aussi dans la ma�trise des �uvres de la litt�rature kabyle orale par la plupart des �crivains. Parfois, l'influence des pr�d�cesseurs, par exemple Si Muhend pour ce qui est de la po�sie, est telle que l'on arrive difficilement � discerner l'appartenance de certains neuvains. De nombreux po�tes (Si Lhusin, Mezyan u Muh...) ont fait du neuvain presque l'unique structure formelle en po�sie kabyle.

Cette influence est malheureusement inconsciente. Pour ce qui est de la prose, la comp�tence litt�raire passe aussi par la ma�trise des techniques du conte traditionnel. Si on prend le cas de B�la�d, on remarque qu'il a avant tout r�utilis� le conte comme premier terrain d'essai avec de courtes introductions de description avant d'�crire des r�cits inspir�s directement de sa vie quotidienne (Afenjal n lqehwa, Lexdubegga...).

Toutefois, la litt�rature fran�aise (et universelle traduite en fran�ais) a beaucoup contribu� � forger cette comp�tence surtout chez les romanciers des ann�es 80 et 90

Conscience identitaire et id�ologie :
Dans le cas du kabyle (et du berb�re en g�n�ral), la conscience identitaire a constitu� une �motivation sociale' pour cette g�n�ration d'�crivains.

Il est ind�niable que la conscience identitaire berb�re a jou� un r�le d�terminant chez la plupart des auteurs kabyles de ce si�cle. D�j�, les po�tes du XVIII� et XIX� si�cles (de Yusef u Qasi � Si Muhend) ne se reconnaissent que comme kabyles. La Kabylie �tait ind�pendante de tout pouvoir ext�rieur, au moins depuis la fin du XIV� s. et ce jusqu'� la conqu�te d�finitive (1857) et surtout apr�s l'�crasement de l'insurrection de 1871.

La naissance d'une conscience nationale alg�rienne au XX� s. n'a pas r�duit pour autant la conscience identitaire kabyle, ni m�me la conscience d'appartenance r�gionale. Le vocable tamurt n Leqbayel ne se r�duit pas � une r�gion rep�r�e sur une carte mais renvoie � une langue, une culture qui sont v�cue comme diff�rentes de celles des autres (Arabes, Turcs et Fran�ais).

L'exclusion des r�f�rences � la berb�rit� dans toutes ses dimensions linguistiques, culturelles et historiques dans le discours nationaliste et dans les textes fondateurs de l'Etat-Nation alg�rien n'a fait que renforcer la conscience identitaire berb�re.

Cette derni�re se caract�rise par le sentiment d'appartenance � une m�me communaut� linguistique, certes fragment�e mais ayant des r�f�rences culturelles et historiques communes. Cette identit� ne se veut pas seulement r�gionale (kabyle) ou nationale (alg�rien) mais transnationale c'est � dire nord africaine car partag�e avec les autres communaut�s berb�rophones qui s'en r�clament (Chleuhs, Rifains, Touaregs, Nefoussis...).

Si cette conscience identitaire se retrouve affirm�e chez les militants politiques (A.Imache, O.Benna�...), nous la retrouvons aussi chez les �crivains et po�tes des ann�es post�rieures � l'ind�pendance et m�me chez les po�tes nationalistes tels Yidir A�t Amrane, l'auteur du chant Ekker a mmi-s umazigh (1945). Elle n'est pas de reste chez les �crivains kabyles de langue fran�aise les plus classiques : M. F�raoun, M. Mammeri, J. Amrouche... Et appara�t m�me sous des formes subtiles dans l'�uvre de T. Djaout alors qu'elle est plus clairement assum�e dans les �crits de N. Fares. Certes leurs �uvres ne sont pas r�ductibles � cette seule r�f�rence id�ologique, mais elle demeure n�anmoins importante et m�me centrale dans La Travers�e de M. Mammeri, par exemple. Chez Taos Amrouche qui a publi� tous ses romans en fran�ais, cette r�f�rence se manifeste sous la forme d'un texte autant pol�mique que politique : Que fait-on pour la langue berb�re ?, publi� une premi�re fois dans Le Monde en 1956, avant d'�tre repris dans Documents nord-africains en 1957.

La berb�rit� comme r�f�rence id�ologique des auteurs se retrouve inscrite dans de nombreuses �uvres po�tiques surtout � partir des ann�es 1970. Mais elle est plus pr�pond�rante dans le roman. Elle y est cit�e explicitement dans six des huit romans publi�s jusqu'ici sans compter qu'elle l'est aussi dans la nouvelle Lwali n wedrar de B�la�d At Ali.

D. Abrous (1989) a d�j� mis en �vidence cette conscience identitaire dans les productions romanesques kabyles. La r�currence de cette conscience chez les �crivains et po�tes kabyles quelle que soit leur langue d'expression (kabyle ou fran�ais) est, par ailleurs, un des crit�res d'existence d'un espace litt�raire kabyle sp�cifique telle que d�fini par D. Merolla dans Espace litt�raire kabyle (1996).

 

L'histoire de la constitution de ce dernier et l'analyse des courants qui le traversent restent � faire. Mais il demeure n�anmoins comme la seule d�nomination permettant de consacrer la litt�rature �crite par les Kabyles loin des appellations sp�culatives ou portant de fortes charges id�ologiques que ce soit nationaliste, linguistique... Car apr�s avoir �t� pris dans un ensemble nomm� litt�rature alg�rienne de langue et/ou d'expressions : fran�aise, berb�re... n'a-t-on pas vu Adonis la classer comme litt�rature arabe d'expression berb�re ?

home.gif (5688 bytes)

Hosted by www.Geocities.ws

1