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Tiddukla Tadelsant Tamazight di Ottawa - Hull
Association Culturelle Amazighe � Ottawa-Hull
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Entretien avec le chanteur et musicien Idir
��tre universel ouvre les portes !�
Entretien r�alis� par Tahar HOUCHI

http://www.liberte-algerie.com/edit.php?id=32669

Idir, l�artiste connu  et reconnu, nous parle de ses d�buts dans  la musique.

Libert� : Comment  et  dans  quel contexte �tes-vous arriv� sur la sc�ne musicale ?
Idir : � d�faut de lyc�e en Kabylie, j��tais oblig� de venir jusqu�� Alger pour suivre mes cours. Je me sentais d�j� exil� dans mon propre pays tant que je me suis retrouv� dans un univers qui n��tait pas le mien. Une fois, pour anecdote, j�ai d� me bagarrer � cause de l�incompr�hension linguistique. On se tenait par les colles avec un jeune qui me lan�ait : �Nahi yadak !� (enl�ve tes mains !). Je ne comprenais pas ce qu�il me disait tant que je ne connaissais pas l�arabe. Le temps que mon cousin me fasse la traduction en kabyle, le jeune m�avait d�j� donn� un coup de t�te sur mon cr�ne. Je vous laisse imaginer ma col�re� J�ai v�cu dans le paradoxe. L�euphorie de l�ind�pendance drainait des ic�nes de la libert� des peuples tels que Fidel Castro et Che Guevara � Alger, devenue pour l�occasion la mecque des peuples opprim�s, alors que ma langue et ma culture, le tamazight, se retrouvaient opprim�es. On nous demandait de nous identifier aux peuples qui luttent pour leur libert� alors qu�on nous ordonnait, aussi paradoxal que cela puisse para�tre, de taire notre propre identit� et de c�der notre libert�. C�est un peu ce contexte qui m�a forg� et pouss�, ainsi que les jeunes de ma g�n�ration, � m�affirmer, notamment dans le domaine artistique. Moi, j��tais quelque peu pouss� � chanter alors que les autres se sont exprim�s dans d�autres domaines.

Beaucoup pensent que vous �tes dipl�m� de quelque grande �cole musicale. O� avez-vous vraiment appris � �gratter� la guitare et � jouer la fl�te que vous affectionnez tant ?
Au village. � l��poque, tous les jeunes de mon �ge aidaient la famille en devenant occasionnellement, apr�s l��cole, berger. Tandis que les b�tes broutaient l�herbe, on passait notre temps � prot�ger nos troupeaux des chacals, nombreux dans la r�gion, et � s�initier � des instruments que nous fabriquons nous-m�mes. Des fl�tes avec des roseaux, des tambours avec des peaux d�animaux et des guitares avec des jerricans d�essence en plastique. (Fou rire !). Je me souviens avoir confectionn� une guitare avec un jerrican qui porte la marque de son fabricant BP� et des fils en nylon !

Qu�en est-il de la po�sie ?
Je n��cris pas beaucoup. J�ai la chance d�avoir une grand-m�re chez qui je puise mes po�mes qu�elle a appris, elle-m�me, de la bouche de sa m�re. Ce savoir est transmis par voie orale d�une g�n�ration � une autre. Ma grand-m�re nous gratifiait avec des veill�es d�hiver autour de la chemin�e. C�est cette magie que j�exprime notamment dans la chanson Avava Inouva que tout le monde conna�t.

En fait, qui est l�auteur de cette mythique chanson ?
La musique a �t� compos�e par moi et le texte par Ben Mohamed Hammadouche. Avava Inouva est le titre d�un conte que les vieilles racontent avec une musicalit� propre. J�ai compos� une autre musique avant de sugg�rer � Ben Mohamed de composer un texte qui puisse aller avec. Il a fait deux couplets tout en gardant le refrain du conte, � savoir le dialogue entre la fille et son p�re. La chanson est n�e, en somme, de ma vie, de celle de Ben Mohamed et de celle des n�tres. Je m��tonne toujours, par ailleurs, de son succ�s. Certains vieux me prenaient m�me pour un sage aupr�s de qui on vient demander des conseils !

Avez-vous une explication � cela ?
Je crois que ce succ�s est d� au fait qu�elle rappelle, aux vieux, l�ancien temps et donne, aux jeunes d�chir�s entre l�Orient et l�Occident, des rep�res authentiques. Durant plusieurs ann�es, les gens avaient honte de s�afficher Kabyles � Alger. Tout ce qui �tait kabyle �tait connot�, en plus de la r�pression politique, p�jorativement. Avec cet �lan moderniste, m�me ceux qui se prenaient pour des �Arabes� avaient commenc� � se chercher des origines kabyles. Il y a eu vraiment une transformation des mentalit�s en profondeur. C�est vous dire la force et le pouvoir de la musique. Avant le changement, ce contexte de n�gation avait certainement pes� lourdement sur vous.

Comment l�avez-vous v�cu ?
Oui. J�ai beaucoup souffert de cette hantise qui entoure mes origines, m�me si je n�ai jamais eu vraiment honte de cela. Je me souviens des jeunes qui venaient chanter, en groupe, sur les places alg�roises, des chansons des Beatles, des Rolling Stones. Mais, nous, lyc�ens kabyles, on ne connaissait pas autre chose que les chansons de Lounis A�t Menguellet. Mes amis m�incitaient � prendre la guitare, mais sit�t que je la prenais, un autre venait me la reprendre sous pr�texte que ce que j�avais � chanter n�avait pas de valeur. Vous ne pouvez pas imaginer l�humiliation, surtout devant les filles, qu�on nous faisait vivre ! Tout cela a �t� refoul� jusqu�� ce que l�heure de la revanche sonne.

Justement, avant les honneurs, � l�universit�, l�humiliation a continu� et la r�pression politique a redoubl� de f�rocit�. Quel souvenir en gardez-vous ?
Tr�s difficiles �taient ces moments. Nous avions � l��poque un seul parti, un seul gouvernement, un seul peuple, un seul journal et un seul pr�sident. Tout �tait tranquille. En dehors de cela, on n�existait pas.
Le pouvoir avait les moyens de faire dispara�tre incognito tous les t�m�raires. Mes probl�mes ont commenc� le jour o� je passais dans une �mission � la Cha�ne II, radio d�expression kabyle, anim�e par Mohamed Guerfi, Boukahlfa et Abdelkader, quand j�ai chant� une chanson patriotique Mugragh tamurt umazigh (j�ai regard� le pays berb�re !).
Apr�s les f�licitations des animateurs, � la fin de la chanson que j�avais chant�e en direct, j�avais eu droit � la visite de deux jeunes hommes en costard noir, dont un Kabyle qui me demandait des explications sur la chanson avant de me donner des le�ons du genre : �Tu parles des Berb�res et de Jugurtha� Tu ne sais pas que l�histoire de l�Alg�rie a chang� ! Mieux vaut que tu ne chantes plus !� Ce jour-l�, j�ai eu vraiment peur car ils �taient impressionnants ! Peu � peu, j�ai compris que la chanson peut �tre une arme redoutable.

Votre m�re a mis du temps � conna�tre le vrai Idir�
En effet, comme vous le savez, j�ai d� remplacer Nouara au pied lev�, � qui j�ai compos� Rsed rsed ayides (viens, viens sommeil !). Je n�ai pas d�clin� mon identit�. J�ai d� m�inventer sur le champ Idir car je ne voulais pas que cela se sache tant que l�artiste est associ�, � ce moment-l�, chez les Kabyles, � la honte, � la d�bauche et � la perversit�. Une fois � la maison, ma m�re m�a demand� si je connaissais le jeune qu�elle avait entendu chanter si bien � la radio. Vu que ma r�ponse a �t� affirmative, m�me si elle �tait aussi �vasive, elle me demandait incessamment de le ramener manger avec nous �tant donn� qu�il est dans le m�me lyc�e que moi � Alger. Et moi, je rigolais int�rieurement en me le r�p�tant silencieusement : �Si tu savais que tous les soirs, il est avec toi !� (Rires). Ce man�ge a dur� neuf mois. Incroyable �tait son m�contentement le jour o� elle apprit qu�Idir est son fils.
Le poids de la soci�t� est tellement pesant que les gens vivent en fonction de ce que pensent les voisins d�eux. �Tu as vendu ta voix et d�voil� les secrets de la famille !� m�a-t-elle dit. En r�alit�, elle avait surtout peur de voir son fils s��loigner du chemin menant aux professions prestigieuses tels que la m�decine, la pharmacie, l�ing�niorat. Le m�tier d�artiste, pour elle, est abstrait. Elle est rest�e inqui�te jusqu�au jour o� elle a vu mes dipl�mes. Depuis, elle ne cesse de demander : �� quand le nouvel album ?� (Rires).

Quand et pourquoi avez-vous quitt� l�Alg�rie ?
Je n�ai pas non plus choisi. Apr�s mon bac, j�ai lou� une chambre � la cit� universitaire o� le gardien est venu m�informer qu�un Fran�ais me cherchait. C��tait le repr�sentant de la maison EMI, Path� Marconi, qui venait me proposer un contrat pour faire un disque. J�ai sign� un contrat de 7 ans.
Une fois en France, le 8 septembre 1976, j�ai d�couvert tout un m�tier. Je me suis retrouv� � faire des promotions radiophoniques, des galas promotionnels� Au d�but, je partais souvent au pays, mais les contraintes du m�tier ont fait de moi un immigr� � l�instar de milliers de mes fr�res.

Idir est rest� silencieux tr�s longtemps avant de revenir avec un album en 1993. Pourquoi ce long silence ?
En 1976, j�ai fait mon premier 33 tours. En 1979, j�ai fait un autre : Ayarach negh. Depuis, je me suis tu car je n�avais rien � dire. C�est vrai que pour quelqu�un qui veut faire carri�re, un disque au moins tous les deux ans est n�cessaire. Mais moi je ne parle que lorsque j�ai quelque chose � dire. Par contre, je n�ai jamais cess� de tourner et faire des choses vari�es. J�ai d� m�introduire dans une bo�te italienne, chapeaut�e par Ennio Morriconne, sp�cialis�e dans les musiques de films, qui fait appel, parfois, � moi pour cr�er des ambiances maghr�bines ou pour donner des conseils. Et puis, j�ai profit� pour passer mon doctorat. En 1993, j�ai fait Chasseurs de lumi�res qui fait allusion aux artistes, intellectuels et journalistes assassin�s en Alg�rie et ensuite Identit�s.

Apr�s 3 ans de contestation citoyenne en Kabylie, quelle analyse faites-vous de la situation actuelle dans la r�gion ?
Les informations qui nous parviennent de la Kabylie sont d�solantes et tristes. Le pouvoir a massacr� la r�gion et les luttes fratricides s�appr�tent � l�achever. Cela fait vraiment de la peine. Les uns sont manipul�s et les autres se sont vendus. Il faut que tout le monde comprenne qu�une Alg�rie forte passe par une Kabylie forte laquelle passe, � son tour, par une fraternit� forte. Si on n�arrive pas � faire cela, c�est que le pouvoir nous conna�t bien et sait dealer avec nous. Frantz Fanon disait : �Si un peuple est colonis�, c�est qu�il est colonisable.�

Est-ce que les nouvelles productions de la chanson kabyle vous satisfont ?
Je ne les �coute pas. L�art est la victoire lente et progressive du profane sur le sacr� au sens large du terme. L�art donne des coups de butoir aux normes sociales et religieuses pour enclencher une dynamique de progr�s. Il doit �tre aussi divertissant. Les chanteurs kabyles font beaucoup d�efforts, mais ils restent loin de la chanson universelle. Le conformisme et l�imitation pr�dominent.
La force des anciens textes r�side dans la sinc�rit� qui manque � la chanson d�aujourd�hui. J�ai beaucoup travaill� pour rehausser le niveau, notamment en quittant la maison EMI-Path� Marconi pour cr�er avec un ami l��dition Azwaw, qui a lanc� plusieurs chanteurs, dont Matoub Loun�s, paix � son �me, et Hamidouche.
Mais, j�ai vu que je ne pouvais pas aller plus loin tant que cela cr�ait une forme de ghetto�sation. C�est pour cette raison que j�ai quitt� Azwaw en 1982. Je prends � t�moins tous les chanteurs kabyles qui m�ont sollicit� et � qui je n�ai jamais refus� mon aide.

Vous avez initi� une tendance moderniste d�s les ann�es 1970. Une fois de plus, vous avez choisi la voix de la modernit�, notamment en vous ouvrant aux musiques du monde. N��tes-vous pas en train de surfer sur la vague de la mode ?
Nous sommes � une �poque o� les cultures se m�langent. Moi, cela m�a apport�  la reconnaissance de l�autre. Tant qu�on ne reconna�t pas les autres, ces derniers ne vont pas nous reconna�tre.
Quand des gens c�l�bres viennent vous dire : �On vous aime et on veut chanter avec vous en kabyle�, il y a de quoi sauter de joie. Cela ouvre les portes de l�universel � la culture berb�re. Pour moi, tout minoritaire que je suis, je suis en mesure de transmettre des sensations et des choses et faire aimer cela � des gens qui ne parlent pas ma langue et ne savent m�me pas o� est situ�e, peut �tre, ma r�gion.
C�est extraordinaire ! De plus, le fait qu�eux viennent faire cela avec moi, c�est une sorte de reconnaissance directe de ma culture et de ma langue que les gens les plus proches de moi s�ent�tent � nier. En dehors de la qualit� des chansons, politiquement et sociologiquement, cela est un grand acquis pour nous. �tre universel, ouvre les portes !

Avec votre guitare, vous pr�chez en quelque sorte la conscience et vous grossissez les rangs des d�fenseurs de l�identit� berb�re�
C�est le pouvoir de la musique. Au Maroc, j�avais eu devant moi plus de 25 mille spectateurs, assis derri�re le prince h�ritier, qui montraient des pancartes de Matoub, de Ferhat en criant : �Ulac smah ulac!�, �Nous ne sommes pas des Arabes ! R�visez l�histoire !� En Tunisie �galement, j�ai eu des milliers de Libyens venus avec des pancartes repr�sentant des ic�nes de la culture berb�re. Juste pour vous donner une id�e de l�impact de la chanson et le b�n�fice de s�ouvrir aux autres.

Avez-vous v�cu des tentatives de manipulation ?
Quand j�ai chant� en Belgique, il y avait Ahmed Zaoui qui, apr�s ses f�licitations, m�a demand� de chanter sur l�islam ! J�ai r�pondu que je ne connais pas la religion et que je n�ai pas envie de m�immiscer entre le Cr�ateur et ses cr�atures. J�ai �galement ajout� qu�il y avait beaucoup de chanteurs qui le faisaient si bien, � l��poque. Il me r�pondit qu�ils ne l�int�ressaient pas tant que leurs discours est aussi politiques qu��ph�m�res.
Ce jour-l�, j�ai eu peur. Je me suis rendu compte qu�on s�int�ressait � moi bizarrement. Et puis, du bled, des proches m�expliquaient gentiment de ne pas leur rendre visite. Aussi, quand j�ai refus� de participer � l�Ann�e de l�Alg�rie en France, pour des raisons personnelles, on a d� me coller beaucoup de choses.
Les uns me pr�sentaient comme un farouche opposant pendant que les autres comme un chaud partisan !
M�me la presse fran�aise m�avait pr�sent� comme un partisan de Benflis avec qui je me suis pr�tendument entretenu durant 3 quarts d�heure alors que je ne l�ai jamais rencontr� dans ma vie. J�ai d� faire une mise au point � la t�l�vision et dire que je ne suis pas contre, mais je ne participe pas pour des raisons personnelles.

Cela fait longtemps que vous n�avez pas chant� en Alg�rie. Pourquoi ?
Ceux qui voulaient faire des choses au pays �taient du pouvoir et je n�avais pas confiance en eux. Je ne les d�teste point tant que j�ai des amis au sein de ce m�me pouvoir. Toutefois, je n�ai pas envie d��tre manipul� ou de servir une quelconque cause autre que la mienne se r�sumant � la justice sociale, � l��quit� et � la reconnaissance des gens au sens large du terme. � chaque fois, il y a des emp�chements.

T. H.

 

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