Histoire d'une battante : hommage au combat de Lalla Fadhma n'Soumer
12/03/2004 | 16h58
Entre l'�crit officiel et ce qui est racont� par des femmes, quelques
diff�rences peuvent rendre une belle
histoire humaine et sensible ...
Fadhma N'Summer est l'h�ro�ne de la
r�sistance � l'occupation de la Haute Kabylie par les arm�es du
Mar�chal Randon, au cours des ann�es 1850 � 1857.
Lalla Fadhma N Soumer est originaire du village d'Ouerja.
N�e vers 1830, elle est, d'apr�s la tradition orale, d'une grande
beaut�. De souche maraboutique, sa
libert� est restreinte. A cette �poque, le bigotisme ambiant ne
favorise certainement pas les expressions
de la s�duction et les enthousiasmes juv�niles.
Tr�s t�t, on veut la marier ... Se pr�sentent � elle plusieurs
pr�tendants. Elle n'en accepte aucun. Prise
pour folle ou poss�d�e, on l'enferme dans un r�duit,certains disent,
une semaine, d'autres plus! A sa
sortie du "placard", elle est m�tamorphos�e, d'aucuns diront trauma !
En fait, Dieu lui a r�v�l� sa foi, son
esprit est ailleurs. Sa famille ne se rend pas compte imm�diatement du
changement intervenu en elle et lui
serine : "marie-toi, marie-toi !" C'est sous la pression familiale
qu'elle �pouse son
cousin. Comme seule arme de d�fense, elle d�cide de ne pas consommer
le mariage. Apr�s 30 jours, la
belle-famille et le mari, exc�d�s, la ram�ne � ses parents.
Le village la met en quarantaine ainsi que sa famille. C'est � cette
�poque qu'on assiste � une deuxi�me
m�tamorphose per�ue par certains comme une aggravation de son �tat.
Prise pour folle, on la laisse tranquille. La journ�e,elle d�cide
d'arpenter la montagne et ne revient qu'au
couch� du soleil. Elle d�couvre la "grotte du Macchab�e", ainsi nomm�e
par les Fran�ais, parce qu'on
y a d�couvert un squelette momifi�.
Apr�s quelques temps, elle �tonne tout le monde en annon�ant sa
d�cision de rejoindre son fr�re
(marabout) exer�ant ses talents de cheikh au village de
Soumer. Son fr�re accepte sa pr�sence et
elle reste dans son ombre, tout en se mettant � �tudier le Coran et
l'astrologie ..L'ayant accept�e, les habitants du village s'habituent
� ses "excentricit�s", lui vouant m�me un certain respect. Ils
appr�cient son
intelligence et remarquent le talent, �quivalent � celui de son fr�re,
en ce qui concerne les
pr�dictions, la r�solution des litiges et la capacit� d'attirer de
favorables augures.
Mais la nuit, elle r�ve, elle hallucine ...
Un jour, elle se confie � son fr�re et, peu de temps apr�s, elle
convoque les villageois sur l'agora et
leur annonce : "chaque nuit, je vois des hordes farouches qui viennent
nous exterminer et nous
asservir. Nous devons nous pr�parer � la guerre !". Prenant ses dires
tr�s au s�rieux, des �missaires
parcourent alors toute la Kabylie pour mobiliser les hommes contre
l'envahisseur fran�ais qui s'annonce.
On dit que c'est un jour de 1852 que Lalla Fadhma N'Soumer a re�u
cette r�v�lation. 1830 : les Fran�ais
d�barquent � 15 kilom�tres � l'ouest d'Alger.
Il leur faudra attendre 1846 pour atteindre et conqu�rir Tizi Ouzou
dont la prise leur garantit
l'acc�s � la Kabylie maritime et au massif du
Djurdjura. Les troupes fran�aises sont command�es par
le Mar�chal Randon, futur ennemi de Lalla Fadhma. La tactique
fran�aise est de livrer bataille, affaiblir
les Kabyles, verrouiller les acc�s pour n'occuper le terrain avec des
garnisons que des mois plus tard. Le
Mar�chal Randon tente de corrompre une tribu. Il leur demande de
laisser passer ses troupes contre
r�tribution et promesse de non agression. Le comit� des sages lui
r�pond : "nous restons sourds aux
paroles de trahison". Depuis, cette tribu porte le surnom de
I�azzougen ou "les sourds".
Les Fran�ais d�cident alors de remettre � plus tard leur attaque et
pacifie la r�gion de Tizi Ouzou. Mais
en 1854, ils reviennent � la charge...A la m�me �poque appara�t
l'homme � la mule, un genre de "moine-combattant". Sa mule annon�ait
l'approche de l'ennemi en tapant furieusement des sabots. Il rencontre
Lalla Fadhma � Azazga et on dit qu'ils
tomb�rent amoureux.
Une romantique histoire aurait pu na�tre, entre une Maraboute et
un pr�dicateur si Lalla Fadhma avait �t�
divorc�e ... Un nombre incalculable d'intercesseurs tentent de faire
entendre raison au mari rancunier de
Lla Fatma, mais rien n'y fait ! Le Mar�chal Randon, toujours
d�termin�, va lancer son
offensive en juin 1854. Il arrive � battre les troupes de Lalla Fadhma
et occupe Azazga. Elle se r�fugie dans
la haute montagne, avec l'homme � la mule ...
Il s'en suit un s�rie de batailles finalement gagn�es par les Fran�ais
mais, fid�les � leur tactique, ils
retirent leurs troupes : Icheridden, Larbaa Nath
Irathen et plus tard, Fort National.
Juillet 1854, c'est la bataille des Ait Khlef,
la cl� du passage vers la tribu des "Ait-menguelet",
qui ont vaillamment combattu mais se sont fait tanner comme les autres
...
Lalla Fadhma se retire toujours plus dans la montagne (vers
Iferhounen et Illilten).
Elle se retrouve, en fait, pr�s de son village d'origine. A ses
c�t�s,toujours le moine. La guerre continue.
Le lieu choisi pour la prochaine rencontre avec les Fran�ais s'appelle
Tachkirt et la bataille aura lieu
en juillet 1854. Cette fois, les Kabyles arrivent � contenir l'ennemi
et � lui infliger ce qu'on peut
appeler une d�faite. Le Mar�chal se replie sur Tizi Ouzou avec ses
troupes et, ce coin de la montagne ne
reverra les Francais que deux ans plus tard pour une revanche. Pour le
Mar�chal Randon, la prochaine
attaque, doit �tre le coup de gr�ce ! Et le 24 mai 1854 c'est un corps
exp�ditionnaire, dot� en
artillerie lourde et d�termin�, qui s'�branle de Tizi Ouzou.
Le 25, la bourgade de l'Arbaa n' Ath Irathen est prise. Elle est
renomm�e Fort Napol�on en l'honneur de
l'Empereur puis Fort National au moment de la Troisi�me R�publique.
C'est � 15 kilom�tres de l�, � Icherriden que se scellera l'avenir de
la Kabylie : le lieu de la
bataille finale.L'amoureux de Lalla Fadhma y participera puis
s'exilera en Syrie.
Le combat a lieu dans les derniers jours de mai 1857,une belle
boucherie et la d�b�cle pour les Kabyles.
C'est l'heure du d�couragement, beaucoup de paysans-soldats kabyles se
d�mobilisent et retournent
dans leur foyer. Lalla Fadhma, elle aussi, voit son ardeur
vaciller.Elle trouve refuge dans un village du nom de
Takhlidjt Ath Assou o� elle tente un moment
de se faire oublier.Mais les Fran�ais ont pay� des espions pour savoir
o� elle se trouve et la faire, soit enlever, soit assassiner. Le
Mar�chal Randon sait que la troupe de Lalla Fadhma est d�courag�e,
d�mobilis�e, que la population est fatigu�e par la guerre et qu'elle
souffre de faim. Il fait une offre de reddition � Lla Fatma N'Soumer.
L'histoire, ici, emprunte deux chemins : il est vrai que le Mar�chal
envoie le capitaine Ferchaux, charg� d'approcher Lla Fatma.
Certains disent qu'elle s'est rendue � cet �missaire. D'autres qu'en
s'approchant par surprise du village de
Takhlijdt, o� il ne reste gu�re que des
femmes et des enfants, le Capitaine a pu enlever Lalla Fadhma et la
livrer au Mar�chal Randon.
Il n'en reste pas moins que c'est en cet �t� 1857 que Lalla Fadhma se
retrouve face au Mar�chal dans sa
tente et qu'il s'�crie �voil� donc la Jeanne d'Arc du Djurdjura�.
Lalla Fadhma est confi�e � la garde d'un
Bachagha, notable alli� des Fran�ais. Elle vivra dans une zaouia:
confr�rie maraboutique, recluse, dans la
r�gion de Tizi Ouzou. Elle mourra 6 ans plus tard � l'�ge de 33 ans.
Les Fran�ais exig�rent des Kabyles
l'�quivalent de 30 millions de franc or de tribut de guerre. Ce qui
n'est pas rien pour une population
somme toute pauvre. Les hommes furent exil�s � Cayenne, Madagascar et
en Nouvelle Cal�donie ou il
reste encore des descendants de ces Kabyles.
Par Mohand Ferratus
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