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Ch�rif
Kheddam
Le retour gagnant du
maestro
http://www.elwatan.com/2005-10-24/2005-10-24-28726
Ch�rif Kheddam, Da Ch�rif pour les intimes,
traverse les modes avec une insolente sant�. Son �uvre est intemporelle.
Et l�auteur refuse tout narcissisme.
Portrait d�un artiste passionn� et passionnant
L�homme a des yeux rieurs et complices.
C�est un homme d�une grande simplicit� qui vient nous ouvrir la porte de
son immeuble, pas loin de Paris. On est loin du tape-�-l��il des stars
capricieuses. Ch�rif Kheddam est un maestro, pas une vedette �ph�m�re.
Tout respire en lui un savoir-faire solide, qui se moque des modes et de
l�air du temps. A 78 ans en janvier prochain, malgr� quelques petits
tracas de sant�, Da Ch�rif n�a rien d�un grabataire. Au contraire. Son
verbe est s�r, pos�, pertinent. Il impressionne par son d�tachement et sa
modestie. Da Ch�rif doute, comme seule la sagesse l�impose. Il a toujours
v�cu loin du milieu artistique. � Toute ma vie, j�ai v�cu hors du monde
artistique. Je ne peux pas vivre dans ce milieu o� des gens sans grand
talent se consid�rent toujours en haut de l�affiche. Il faut replacer les
choses dans leur contexte. Nous, artistes kabyles, devons avoir le succ�s
modeste. Nous chantons pour un peuple peu nombreux. � Si on lui rappelle
que sa musique a d�pass� depuis longtemps les fronti�res de la Kabylie et
m�me de l�Afrique du Nord, ses morceaux sont jou�s en Turquie par exemple,
il balaie �a tr�s vite. � L�universel commence chez soi. Nous ne devons
pas oublier que nous sommes un petit peuple. La modestie doit �tre notre
fil conducteur. � Et le g�nie est dans la simplicit�. � Je n�aime pas la
flatterie �, tranche-t-il.
A lemri, le miroir
Sur les murs de son salon, des tableaux. Et
une nouvelle acquisition. Un peintre vient de lui offrir un tableau
inspir� de sa chanson mythique A lemri, le miroir. On y voit une fille
devant son miroir en arri�re-fond en train de se peigner les cheveux. Da
Ch�rif gratte le luth. Quel est le sens de Lemri ? Cette chanson a
travers� le temps avec une insolente jeunesse. Intemporelle. � Je ne veux
pas donner des cl�s pour cette chanson. A chacun de lui donner sa propre
signification. Par contre, je reconnais qu�elle est myst�rieuse �,
explique-t-il d�un air espi�gle. Un succ�s qui ne s�est jamais d�menti. � Cette
chanson est symbolique. Elle a une forte charge �motionnelle. Elle a
plusieurs niveaux de lecture. � La chanson a �t� enregistr�e en 1963 par
l�orchestre symphonique de Paris, une premi�re � l��poque. L�ancien OS,
ouvrier sp�cialis�, presque analphab�te, a vu son �uvre jou�e par de
nombreux orchestres symphoniques. � En ce moment, Nachid Brada� est en
train de faire des r�p�titions � Alger et de jouer mes partitions. Je l�ai
connu il y a tr�s longtemps. Il �tait soliste � l�orchestre symphonique
national. Il y a des gens tr�s capables en Alg�rie. � Et il sait de quoi
il parle. Il a travaill� � la Radio t�l�vision alg�rienne (RTA) pendant 24
ans.
Le passeur de savoir
A l�ind�pendance, la cha�ne de radio en
langue kabyle manque cruellement de production. La Cha�ne I et III
pouvaient s�appuyer sur des productions �trang�res, orientales pour la
premi�re et occidentales pour l�autre. � Nous, nous n�avions rien. On
devait sauver notre patrimoine, trouver un moyen pour que la cha�ne ne
disparaisse pas. L�id�e �tait donc d�enrichir la discoth�que et de
d�couvrir de jeunes talents pour remplacer notre g�n�ration. � Da Ch�rif
se d�couvre de nouvelles fonctions, vocations. On ne mesurera jamais assez
le travail titanesque abattu par celui qui a sauv� la discographie berb�re
avant de la propulser vers la modernit�. A partir de 1964, il sera
documentaliste, archiviste, discoth�caire et - surtout - d�nicheur de
talents. Gr�ce � son �mission � Les chanteurs de demain �, la chanson
kabyle prend un nouvel envol. La chanson post ind�pendance doit �norm�ment
au travail de fourmi du g�nie qui a d�laiss� sa cr�ation pour se consacrer
� celles des autres. De 1964 � 1975, il a compos� des albums pour de
nombreux nouveaux artistes qu�il a d�couverts et contribu� � faire
conna�tre.
Star Academy
La plupart des auteurs-interpr�tes sont
pass�s entre ses mains dans � Les chanteurs de demain �, ou alors
compl�tement form�s par ses soins. Da Ch�rif dispensait des cours
gratuitement trois fois par semaine dans une salle des P�res Blancs, rue
Horace Vernet � Alger. A�t Menguellet, Nouara, Idir, Ferhat, Malika
Doumrane, Karima, Zahra... �taient ses �l�ves avant de s�envoler de leurs
propres ailes avec des succ�s diff�rents. Ils se r�clament tous �tre ses
enfants. En p�re spirituel, il ne renie personne ni ne cite le nom d�un
enfant pr�f�r�. Il sourit et �lude la question. Pourtant, on sent que
Nouara, avec sa voix cristalline, reste l��lue. Sa muse. Pygmalion a fait
son deuil public. Pas s�r. � Quand les jeunes arrivaient � la radio, je
les �coutais avec beaucoup d�attention, puis je donnais mon avis. Je ne
suis ni un juge et encore moins Dieu. Il m�est arriv� de refroidir
l�enthousiaste de pas mal de personnes, car je pensais qu�ils n��taient
pas fait pour ce m�tier. Et avant que vous ne posiez la question, oui, il
m�est s�rement arriv� de me tromper. � Toujours aussi respectueux des
autres, il refusera durant tout l�entretien de citer un nom. � Ce n�est
pas important. � Pour les 50 ans de sa carri�re, ses � enfants � ont
d�cid� de se rendre � Alger pour son concert � la coupole. Qui sera l� ?
Le t�l�phone sonne. Il n�arr�tera pas de sonner durant tout l�apr�s-midi.
Comme si elle avait entendu la question, Karima l�appelle pour lui
confirmer sa pr�sence. Lounis A�t Menguellet, celui qui revendique le plus
cette paternit� depuis des ann�es, aurait d�j� pris sa r�servation. � Il y
aura du monde en effet. Des retrouvailles et de nouvelles connaissances.
Je ne peux pas dire qui sera l� pr�cis�ment. Des amis, des anciens... �
Son regard p�tille d�intelligence. Il s�impatiente. � Une grande
surprise �, finit-il par l�cher. On devine, on t�te, on questionne... � Je
n�en dirai pas plus. � � Da Ch�rif, confirmez-nous la pr�sence de Nouara. �
Silence complice.
La loi de la relativit�
Retour � sa carri�re. Sa travers�e du
d�sert au niveau cr�atif prend fin en 1975. Elle aura dur� 15 ans. Quinze
ann�es � former les autres, � chercher et � trouver le talent chez les
autres. � Je dois mon retour � Tahar Boudjelli. C�est gr�ce � lui que j�ai
repris le chemin de la cr�ation. Je croyais ma carri�re finie. Il a su me
convaincre. Le public �tait toujours l�, mais j��tais trop investi �
composer pour les autres et � alimenter la discoth�que kabyle pour penser
� ma carri�re. � Retour gagnant apr�s une longue p�riode de dispersion. � Ch�rif
Kheddam n�a jamais jou� � la vedette, ni cherch� la c�l�brit�, ni �t�
attir� par les m�dias. Le milieu artistique m�me lui est peu familier, il
ne s�y aventure que lorsqu�il a besoin de musiciens. Durant son s�jour en
France, il a plus v�cu en milieu ouvrier que parmi la nouvelle chanson
kabyle, il a toujours refus� de s�en instaurer parrain, ma�tre ou cacique.
S�il est un ind�niable pr�curseur, il demeure un chanteur en �volution et
en devenir. C�est pourquoi, nous pensons que l�actuel effacement ne
saurait �tre une retraite, mais plut�t un simple repli pour prendre un
nouvel �lan. Celui qui a �t� l�enfant remuant de la chanson kabyle ne
saurait se retirer sur la pointe des pieds �, �crit, si justement, Tahar
Djaout en 1993. L�avenir lui a donn� raison. L�ann�e 2005 le verra se
produire � la coupole � Alger et au Z�nith � Paris. C�est aussi un
mill�sime r�ussi pour son nouvel album. D�abord peu disert sur son �uvre,
il finira par nous faire d�couvrir deux titres nouveaux : L�ghorva
thajdhit (le nouvel exil) et (ce sera le titre phare de l�album) Rouh
yazman (ainsi va la vie, traduction approximative). � C�est ma vie. Cet
album refl�te ma vie. Il parle de la vieillesse, des maux de la soci�t� et
de l�exil forc�. Et, ironie du destin, moi qui ai quitt� la France en
1963, je m�y suis exil� � nouveau � cause de mes probl�mes de sant�.
Concernant la musique, on me reconna�t d�s les premi�res notes. Il y a
diff�rentes rythmiques mais je suis rest� fid�le � mon style. � Da Ch�rif
a d�couvert les quarts de temps en 1958. La touche personnelle du
compositeur, qui allie le classique occidental et les influences
orientales, notamment Abdelwahab, comme un ADN. Son empreinte musicale est
d�finitivement originale. Intemporelle, suave, acad�mique et rebelle.
Riche. Atypique. � Da Ch�rif a de l�avance sur son temps. Il a �t� le
premier � utiliser des tempos latinos dans les ann�es 1960. Aujourd�hui,
�a revient � la mode. Sa chanson Sbah lkir (bonjour) �crite en 1959 avait
une avance de 40 ans. Il �tait temps que l�Alg�rie reconnaisse son talent,
ce que la musique alg�rienne lui doit. Da Ch�rif est aujourd�hui un g�ant
de la musique contemporaine du Maghreb. Il a cr�� un style musical qui
associe le traditionnel, le classique et le moderne. A Lemri est une �uvre
intemporelle, elle tient de la mythologie grecque et du mysticisme �,
explique son ami et producteur Tahar Boudjelli.
� Je suis M�diterran�en et
Ma musique est m�diterran�enne �
� Je suis M�diterran�en et ma musique est
m�diterran�enne, turque, grecque, italienne, alg�rienne... Je pars de ma
sp�cificit� pour toucher l�universel. Seule l�authenticit� peut donner
tout son sens � une �uvre, musicale ou autre �, diagnostique le
compositeur. L�ancien �l�ve de la zaou�a de Boudjelil (Petite Kabylie),
d�sert�e d�s l��ge de 14 ans pour aller travailler, s�est battu toute sa
vie : contre son propre camp, les artistes kabyles qui se satisfaisaient
de chansonnettes avant son arriv�e, de la soci�t� qui voyait d�barquer un
artiste r�volutionnaire et qui pla�ait la barre tr�s haut, alors qu�elle
n��tait pas pr�par�e � une musique si �labor�e, puis contre le
colonialisme et enfin le parti unique. Ses compositions �taient scrut�es �
la loupe par les services de censure, aussi bien par la France d�avant
l�ind�pendance que par l�Alg�rie ind�pendante. Les colons y cherchaient
une incitation au nationalisme et le parti unique une expression � s�paratiste �.
Le maestro s�est moqu� des deux censures, en utilisant les m�taphores puis,
apr�s l�ind�pendance, en �vitant de faire du militantisme tapageur.
Avant-gardiste dans la discr�tion. En 1961, il a, dans un rare plaidoyer
pour l��mancipation de la femme, chose insens�e � l��poque, compos� Lehjab
etharit (Pourquoi voiler la femme libre ?). Et c�est le fruit de son
travail qui est aujourd�hui r�colt� par tous les autres artistes. Grands
et petits. Consciemment ou non.
Biographie en 7 dates
1927 :
Naissance � Taddert Boumessaoud (A�n El Hammam, ex-Michelet)
1948 :
Exil en France jusqu�en 1963. Il y compose ses premi�res chansons et
apprend le solf�ge.
1963 :
Composition d�A Lemri, sa chanson phare, enregistr�e � l�ORTF. Et date de
son retour en Alg�rie.
1964-1975 :
Animateur, producteur de l��mission � Les chanteurs de demain �. Il
d�niche de nombreux talents tels Idir, A�t Menguellet, Ferhat, Nouara,
Karima...
1975 :
Retour � la composition et au chant
1995 :
Retour en France
2005 :
Il f�te ses 50 ans de carri�re et sort deux CD et un DVD. A 78 ans, il
s�attaque � la Coupole et au Z�nith.
R�mi Yacine
Rencontre avec le grand compositeur
Ch�rif Kheddam
�Je me suis content� de m�inspirer de tout ce qu�il
y a de beau dans la musique�
http://www.depechedekabylie.com/read.php?id=11263&ed=MTAzNA==
27 oct 2005
Le talent de Ch�rif Kheddam n�a d��gal que sa
simplicit� et sa gentillesse. Au cours de l�entretien qu�il a bien voulu
nous accorder en exclusivit�, dans sa demeure �, Bouzar�ah, on a � maintes
reprises oubli� qu�on avait en face de nous le plus grand compositeur de
la musique kabyle, tellement l�homme est empreint d�une modestie et d�une
courtoisie d�concertantes. A la D�p�che de Kabylie, il ouvre son c�ur et
revient sur les plus belles ann�es de sa vie d�artiste, o� se m�lent
perfectionnisme, �clectisme, esprit rebelle et visions avant-gardistes �
Ecoutons-le�
La D�p�che de Kabylie : Tout d�abord qu�est ce
qui a motiv� Ch�rif Kheddam � se lancer dans la musique ?
ll
Ch�rif Kheddam : J�aime la musique, mais je n�ai
jamais pens� �pouser une carri�re artistique un jour. Au d�but je faisais
de la musique pour mon propre plaisir. Quand j��tais dans Thamaamarth (�cole
coranique) � Boudjelil, mes camarades ont remarqu� que j�avais une belle
voix. Cela remonte � la derni�re Guerre mondiale. On suivait une
discipline tr�s stricte : se r�veiller � 4 h du matin pour r�citer le
Coran. Pour des gosses de 12-13 ans ce n��tait pas du tout �vident�
Justement, racontez-nous un peu votre passage
dans cette zaou�a. C��tait votre p�re qui vous y a envoy� ?
ll Effectivement.
Mon p�re �tait un khouni. Lui et ses pairs allaient rendre visite ziarath
au Cheikh de l��cole coranique de Boudjelil. Mon p�re �tait assoiff�
d�instruction. En France, il logeait avec quelqu�un de qui il a eu un peu
d�instruction. J�en garde d�ailleurs, comme souvenirs certains de ses
�crits. Il s�est dit : moi je n�ai pas eu la chance de m�instruire, je
ferai en sorte que mon fils acc�de au savoir. Il est rentr� de France
juste avant le d�but de la seconde Guerre mondiale. Il m�a donc envoy� �
Boudjelil. Moi je n�avais pas le choix � 12 ans. A l��poque, nous
aspirions � devenir ma�tre d��cole pour gagner un peu d�argent. Par la
suite, le destin en a d�cid� autrement. En grandissant, d�autres voies me
sont apparues. Je me suis rendu � Alger, j�avais commenc� � travailler. Je
me suis m�me int�ress� � la politique avec le PPA, � l��poque de Messali
El Hadj. De l� j�ai regagn� ensuite la France. De nature curieuse et avide
de savoir, j�ai commenc� en France � porter mon int�r�t sur tout : th��tre,
musique�Je commen�ais m�me � fr�quenter l�op�ra, car j�aime tout ce qui
est musique. Vous imaginez un peu la situation : un simple fellah �migr�
pour gagner sa cro�te, mangeant du pot au feu, se retrouver � l�op�ra !
Apr�s j�ai fait la connaissance de quelques musiciens tunisiens, marocains
et alg�riens. C�est l� o� on a eu l�id�e de former une petite troupe �
Saint-Denis, on faisait la tourn�e des caf�s. On gagnait ainsi un peu
d�argent. Arrive alors la guerre d�Alg�rie, et tous nos projets tombent �
l�eau. La troupe s�est dispers�e, les uns sont morts et les autres sont
partis chacun de son c�t�. Et je me suis donc retrouv� � continuer seul�
Est-il vrai que vous aviez fait un passage au conservatoire de
Paris ?
ll Non, je n�ai
jamais fait le conservatoire de Paris. J�ai en revanche pris des cours de
musique chez des enseignants priv�s. J�ai commenc� chez une dame. Elle
�tait plus jeune que moi. Elle s�est dit : �Qu�est ce qu�il est venu faire
ici celui l� � son �ge ?!� Il est vrai qu�� 28 ans il est un peu tard pour
commencer le solf�ge. J�ai re�u ensuite l�enseignement d�un professeur de
musique connu : Fernand Lamy. Un grand professeur responsable des
conservatoires de France. Il avait 84 ans. Avec moi il avait consenti de
grands efforts, il lui est m�me arriv� de dormir sur le piano ! Ma
d�marche �tait aussi motiv�e par le souci de prot�ger mes compositions.
Car pour ce faire, il fallait les transcrire en partitions avant de les
d�poser � l���quivalent� en France de notre ONDA. Je ne voulais aucunement
faire appel � quelqu�un pour �crire mes �uvres.
Quels sont les musiciens et chanteurs qui vous ont inspir� et
donn� envie de faire ce m�tier ?
ll Il n�y a personne en
particulier. J�aimais tout ce qui �tait beau et bien �labor�. J��coutais
de tout. Pourvu que �a soit bien fait. Aussi bien du classique italien,
europ�en, de la musique arabe, fran�aise ou kabyle. Dans la chanson kabyle,
la star de l��poque �tait Slimane Azem. On s�accrochait donc � lui. Je me
souviens que j�ai achet� sa premi�re �uvre Oufigh Azrem deguouvrid (j�ai
trouv� un serpent sur la route), sur un disque vinyle 78 tours. Les go�ts
�videmment �voluent et se raffinent. J�aime tout ce qui est beau. M�me
dans la vari�t� il y a des choses bien faites. Cependant, je reconnais que
j�avais un penchant prononc� pour le classique. J��coutais les
compositeurs russes comme Tcha�kovski, autrichiens et allemands : Mozart,
Beethoven et autres. Avec la troupe qu�on a form�, on s�amusait vraiment �
jouer de la musique. On s�est dit que si on arrivait � faire plaisir � nos
compatriotes autant qu�on se faisait plaisir, ce serait d�j� pas mal. A
l��poque, il n� y avait rien pour distraire les �migr�s alg�riens
travaillant en France. Ils avaient en charge tous les travaux p�nibles et
ingrats dans les fonderies, les nettoyages�Moi-m�me j�ai travaill� dans
une fonderie de 1947 jusqu�� 1952. Figurez-vous que nous faisions car�me
aux mois de juillet-ao�t avec des chaleurs insoutenables et une rupture du
jeune � 10 h du soir ! J�en garde m�me une trace : un morceau de fonte est
tomb� sur mon orteil, encore bleu aujourd�hui�
Comment l�id�e vous est-elle venue d�introduire le quart de temps
dans la musique kabyle ?
ll J�ai toujours
aim� le quart de temps. A l��poque, la plupart des chanteurs kabyles ne
savaient m�me pas ce que voulait dire quart de temps. Je l�ai d�couvert
sur un luth. J��coutais la musique orientale, et j�y d�celais quelque
chose de particulier. La musique occidentale est bas�e sur deux modes
musicaux principaux : le mineur et le majeur. Elle varie selon des nuances
propres � elle. Mais la musique arabe est caract�ris�e entre autres par
le quart de temps. C�est comme �a donc que j�ai d�cid� de l�introduire
dans la musique kabyle.
On dit que vous avez utilis� des tempos latinos dans vos
compositions au cours des ann�es 1960, notamment dans un de vos titres,
Svah El Khir ?
ll Effectivement,
sur ce titre et celui de Lahdjav T-harith. A l��poque, la musique latine
�tait � la mode. Il y avait le cha-cha-cha, le tango. C��tait bien avant
les ann�es soixante. Comme je l�ai dit, j�aime tout ce qui est beau et
nouveau. Je ne fais jamais de distinction entre les genres musicaux, tous
se valent pourvu qu�ils soient beaux. Je n�ai jamais dit que j��tais
original. Je me contente de m�inspirer de ce qu�il y a et de tout ce que
j�aime. Si quelque chose me trotte dans la t�te je le concr�tise.
J�acquiers un savoir pour l�exploiter. Chose qui m�a ouvert des horizons.
Je faisais de l�oriental, du classique et autres. D�ailleurs, beaucoup
m�ont class� dans des genres diff�rents. De toute fa�on moi je parle
kabyle, je fais de la musique kabyle et j�essaie de l�enrichir du mieux
que je peux. Cela est valable aussi pour les textes. Alors, qu�on dise que
je m�inspire des Italiens, des Russes, m�est compl�tement �gal.
Dites-nous avec quels artistes internationaux vous avez travaill� ?
ll J�ai collabor� avec des
musiciens. Le c�l�bre chanteur fran�ais Jean Ferrat, je l�ai rencontr� ici
� Hassi Messaoud il y a trente ans. A l��poque je travaillais � la RTA.
J�en ai crois� beaucoup d�autres aussi tel Charles Aznavour, dans des
concerts. Pour les musiciens, j�ai travaill� avec pratiquement tout le
monde : Juifs, Chinois, Italiens�
Quelques noms�
ll Je ne pense pas que ce
soit des gens connus. Les musiciens sont des personnes discr�tes. Ils sont
de bons artistes, et c�est suffisant. Ceux qui peuvent devenir c�l�bres ce
sont soit les violonistes, soit les pianistes, qui se lancent dans des
carri�res solos et �cument les salles de spectacles � travers le monde�
Vous �coutez beaucoup de musiciens classiques ?
ll Oui �norm�ment. Du
Wagner, du Tcha�kovski, du Mozart, du Beethoven. Je suis avide d�explorer
les nouvelles choses. J�ai essay� d�appr�cier et d�assimiler ce que je
d�couvrais. Les ma�tres du classique, je les aimais d�j� avant de
commencer dans la musique�
Un en particulier ?
ll Je n�ai pas de pr�f�rence
pour l�un ou pour l�autre. Il y a tellement de belles m�lodies. Beethoven
avec sa Cinqui�me symphonie, Mozart avec la Petite musique de nuit,
Tcha�kovski et son Lac de cygnes. J�aime aussi beaucoup les compositeurs
italiens�
Parlez-nous de votre luth. Cet instrument ne vous quitte plus
depuis plus de 40 ans...
ll J�ai d�couvert
au d�but la douceur du son du luth. Le son du luth �tait oppos� � celui du
banjo, qui est agressif. J�ai achet� en 1957 un vieux luth qui date de
1915 ! Je l�ai acquis pour la somme de 400 DA. Une v�ritable pi�ce de
mus�e. Fort malheureusement, des voleurs se sont introduits chez moi
pendant mon absence, ils ont tout cass� m�me mon vieux luth ! Actuellement
il est en pi�tre �tat. Et puis � cause de ma maladie (Ch�rif Kheddam fait
des h�modialyses trois fois par semaine, ndlr), je ne peux plus jouer, car
il me serre le bras et emp�che le sang de circuler normalement. Il me
reste encore le piano. Mais je tiens � souligner que je ne suis pas un
excellent luthiste comme beaucoup le pr�tendent.
Une particularit�s de vos �uvres est la place pr�pond�rante que
vous accordez � la femme dans vos textes. Un fait in�dit � l��poque�
ll J�ai eu des reproches
pour cela � l��poque. L�obscurantisme �tait l�, il ne vient pas de na�tre,
il est na�t il y a longtemps. J�avais essuy� des critiques et des
r�flexions �manant de mon producteur de l��poque, Path� Marconi. Pour lui,
ce n��tait pas quelque chose qui allait marcher. J�ai accept� ses
r�flexions du genre : �Tu te prends pour Beethoven�, �qui veux-tu qu�il
�coute Beethoven�, �tes fr�res font du 20 � l�heure toi tu veux faire du
120�. Moi je lui est oppos� mon ent�tement : �tu acceptes ou pas, c�est
comme �a !�. J��tais jeune et bouillonnant d��nergie. Je n��tais pas
�pargn� aussi du c�t� de mes compatriotes : �tu va te faire fusiller�,
�qui accepterait d��couter �a ?�. Ce � quoi je r�pliquais toujours : �j�avais
envie de le faire je l�ai fait�. Et puis si les Alg�riens voulaient
avancer, qu�ils le fassent, sinon qu�ils restent � leur place. Il a fallu
30 ans au directeur artistique pour la m�diterran�e et le Moyen-Orient de
Path� Marconi pour qu�il se rende compte que j�avais raison.
Dites-nous un peu plus sur votre nouvel album...
ll Tout d�abord je dirais
qu�il y a un DVD du concert anniversaire de mes 40 ans de carri�re, en
1996 au Palais des congr�s � Paris, qui est d�j� en cassette vid�o, qui va
sortir bient�t. Il a b�n�fici� de meilleures qualit�s sonores et vid�o que
sur la cassette VHS. Ce travail je le dois � mon ami de longue date, Tahar
Boudjeli, qui a consenti des efforts hercul�ens pour produire mes �uvres.
Il ne le fait pas uniquement pour moi, mais aussi pour notre culture. Il
ne prend pas en charge d�autres artistes. Il n�a aucune notori�t� dans le
milieu artistique. Il ne s�occupe que de moi. C�est lui aussi qui s�occupe
quasiment de tout, plus que les autres partenaires, des pr�paratifs du
concert du 31 octobre. Je ne sais d�ailleurs pas comment je pourrais le
remercier. Pour le nouvel album, il faut savoir qu�il comprends de
nouveaux titres, une dizaine ou plus peut-�tre. Toutes mes �uvres ont �t�
r�cup�r�es dans les archives en version originale et mises en albums sous
forme de compilations qui seront mises sur le march� au fur et � mesure.
Cela a �t� possible gr�ce � Tahar qui a pu r�cup�rer toutes les archives,
qui, je le signale, pourraient dispara�tre compl�tement.
Parlez-nous de la collaboration avec Karima sur son dernier
album...
ll On a termin�
l�enregistrement de cet album. Il est actuellement en phase de production.
Il sortira d�abord en Alg�rie, puis en France.
Peut-on savoir combien de temps vous prend la composition d�une
musique et l��criture d�une chanson ?
ll Cela d�pend des
chansons, des id�es que je pourrais avoir. Je vais vous dire quelque chose
qui vous donnera une id�e sur la question. En 1965, j��tais dans un bus
bond� de monde. Il m�est venu en t�te une expression kabyle connue. L�id�e
d�en faire le titre d�une chanson me traverse l�esprit depuis ce temps l�.
Mais c�est seulement en 1982 que la chanson a vu le jour. Vous voyez donc
que rien n�est bien pr�cis. Tout est spontan�. Parfois je commence des
�uvres que je laisse de c�t� pendant longtemps avant d�y revenir. Je fais
beaucoup de recherche concernant notamment les modes musicaux et autres
techniques avant de me lancer dans l��laboration d�une composition.
Vos chansons les plus difficiles � composer ?
ll Il y a Lemri (le miroir),
Ich Ezzeman (vivre son �poque) par exemple. Ce sont des compositions que
je qualifierais d�os�es pour l��poque, en mati�re de m�lodies. M�me
l�orchestre avait des difficult�s � les jouer. Le grand musicien Missoum a
m�me dit une fois : �D�o� vient ce ph�nom�ne pour faire de pareilles
compositions ?�. Je me souviens que les musiciens avec lesquels je
travaillais me disaient : �Pourquoi tu nous compliques les choses.
Pourquoi tu nous fatigues comme �a ?�. Ils n�avaient pas l�habitude de
jouer des choses de ce genre. A ce propos, je suis persuad� que si je n�ai
pas accompli un tel travail de recherche et d��laboration je ne serais pas
l� aujourd�hui�
Ce qui fait plaisir, c�est que je sois �cout� par la nouvelle g�n�ration.
M�me si pour la majorit�, les textes profonds, et les m�lodies �compliqu�es�
sont inaccessibles� Ce sont les intellectuels qui font le plus gros de mon
public. Et je dirais aussi que c�est gr�ce aux �tudiants que mes �uvres
continuent � plaire et � �tre appr�ci�es�
Propos recueillis par Elias Ben
Ch�rif Kheddam � Libert�
�Je suis heureux de
retrouver mon public�
Entretien r�alis� par A. ouali
http://www.liberte-algerie.com/edit.php?id=46546
pr�s une longue �clipse due � la fois � des raisons de sant� mais
aussi � la situation dramatique qu�a connue le pays, Ch�rif Kheddam, le
cardinal de la chanson kabyle, est de retour. Un retour pour
c�l�brer ses cinquante ans de chansons. Pour comm�morer aussi
l�anniversaire de la R�volution. Ce sera le
31 octobre � la coupole du 5-Juillet, o� d�autres vedettes de la chanson
kabyle viendront conjuguer leurs voix dans une composition collective qui
sera un hymne de gratitude et d�admiration pour le parcours de cet artiste
qui a bien voulu se confier � �Libert�.
Libert� : Pour commencer cet entretien, un mot sur
votre �tat de sant� pour rassurer votre large public...
Ch�rif Kheddam : Cela fait d�j� des ann�es que je suis sous
h�modialyse : quatre heures par jour, trois fois par semaine. Cela prend
beaucoup de temps et apr�s chaque s�ance, on devient une v�ritable loque.
C�est un s�rieux handicap, mais juste apr�s je me rattrape en me mettant
devant mon piano, en faisant des compositions.
Apr�s une longue absence de la sc�ne artistique
alg�rienne, vous d�cidez finalement de revenir. Pourquoi ce retour et
pourquoi maintenant ?
Pendant que j��tais � la radio (Cha�ne II), je me suis occup� des
jeunes talents, j�ai fait �galement beaucoup de compositions pour Nouara
et pour d�autres aussi. Quand je suis tomb� malade, j�ai essay� de rester
en contact avec le milieu artistique, tout en suivant des soins � Beni
Messous. Mais en raison de l��tat de d�liquescence de l�h�pital, o� il ne
restait plus que des murs, j�ai pris la d�cision de partir en France pour
une meilleure prise en charge. J�ai la chance d��tre d�clar� � la S�curit�
sociale fran�aise. Je me suis dit que le jour o� les h�pitaux de notre
pays auront les moyens de nous offrir de meilleures prestations, je
reviendrai. Mais, en parall�le � mon traitement, je m�occupais de musique
qui est pour moi un passe-temps qui att�nue le poids de l�exil. une autre
raison de continuer � exister.
Vous ne m�avez pas encore donn� la raison de votre
come-back�
Les responsables culturels du pays m�ont r�guli�rement adress� des
invitations pour me produire au pays. Pour des raisons de sant�, je n�ai
pu r�pondre � ces invitations.
Mais je ne pouvais refuser ind�finiment et je me suis dit, cette fois-ci,
quel que soit mon �tat de sant�, je dois r�pondre pr�sent.
Nous croyons savoir que ce retour co�ncide avec un
double anniversaire, celui de vos 50 ans de carri�re et le 51e de la
R�volution.
Effectivement, je suis revenu pour f�ter ces deux �v�nements, �
savoir mes cinquante ans de chanson et l�anniversaire de notre R�volution
qui est tr�s pr�sente dans mon �uvre.
Est-ce que vous avez commenc� les r�p�titions et
dans quelles conditions elles se d�roulent ?
Oui, sauf qu�elles se d�roulent dans des conditions difficiles. Je
suis oblig� de faire des d�placements de chez moi (Beni Messous) pour me
rendre � l�institut de musique qui se trouve en plein centre d�Alger. Ces
d�placements me fatiguent �norm�ment. Mais une fois sur place et gr�ce �
la flamme artistique qui br�le toujours en moi, je reprends vite.
Quel sera le programme de la soir�e du 31 ? Est-ce
vrai qu�il y aura de grosses pointures de la chanson kabyle pour chanter
avec vous ?
Les invit�s viendront pour me rendre hommage, je les en remercie.
Ils ont la latitude de pr�senter au public ce qu�ils veulent. �videmment,
tout cela dans le cadre d�un programme d�fini et limit� dans le temps. Je
peux vous dire qu�il y aura avec nous Nouara qui a beaucoup travaill� avec
moi, Lounis A�t Menguellet, Karima, une jeune fille de Tizi Ouzou qui n�a
jamais chant� mais dont on m�a dit beaucoup de bien, une autre jeune fille
venue de Paris qui s�appelle Mila et il y aura �galement une chorale.
Ferhat, pour sa part, m�a appel� mercredi dernier pour s�excuser.
En dehors de ce spectacle, est-ce que vous avez des
projets de nouveaux produits ?
Il y a deux albums qui seront bient�t sur le march�. Le premier,
c�est le mien, le deuxi�me est celui de Karima. Ils sont en voie de
finalisation. Un enregistrement avec de grands moyens au niveau de
l�orchestration et des techniques vocales. j�ai aussi un deuxi�me projet,
celui de reprendre mes vieilles chansons pour les rendre disponibles et
permettre � ceux qui les r�clament de les trouver avec un son num�rique.
La sortie est pr�vue dans six mois.
Vous allez c�l�brer cinquante ans de chanson, quel
regard portez-vous aujourd�hui sur votre parcours, sur votre apport � la
chanson kabyle ?
Cinquante ans, c�est � la fois beaucoup et peu. Quand il m�arrive
d�y penser, c�est comme si c��tait hier, mais en m�me temps, un quart de
si�cle dans la vie d�un artiste c�est consid�rable. Ma fiert� personnelle,
ma consolation, c�est cette contribution modeste � l�enrichissement du
patrimoine national. C�est la seule richesse de l�artiste alg�rien qui
continue � vivre modestement et simplement.
Remontons au d�but de votre carri�re, comment
�tes-vous venu � la chanson, sachant qu�� l��poque �tre chanteur �tait
presque un tabou en Kabylie ?
C�est toute une histoire, ma venue � la chanson. J�ai commenc� dans
une zaou�a de Boumsaoud (son village natal) par la psalmodie du Coran. Les
gens venaient pour nous �couter. C��tait pour moi l�occasion de faire
valoir mes capacit�s vocales � c�t� de celles des autres. Et petit �
petit, je me suis retrouv� dans la chanson. Cependant, mon p�re, qui �tait
�migr�, en rentrant de France, voulait faire de moi un enseignant, car �
l��poque l�enseignement �tait quelque chose de socialement valorisant.
Mais en arrivant en France, j�ai eu d�autres id�es et une autre autre
fa�on de voir le monde et les choses. � partir de l�, j�ai pris une autre
direction que celle vers laquelle mon p�re me destinait.
Quelle est la premi�re chanson que vous avez
enregistr� et en quelle ann�e ?
Ma premi�re chanson est Ayelis n�tmourthiw (fille de mon pays) ; je l�ai
enregistr� en juillet 1955.
Da Ch�rif, vous �tes de ceux qui ont essay� de
sortir la chanson kabyle de son ghetto en essayant de l�int�grer dans une
matrice universelle, comme vous l�aviez soulign� lors de votre conf�rence
de presse. Y �tes-vous parvenu ?
Effectivement, j�ai essay� de sortir la chanson kabyle de son ghetto,
comme vous le dites. J�ai fait ce que j�ai pu et j�esp�re que les autres
g�n�rations continueront. On ne doit pas se contenter d��couter, d�imiter
les autres, on doit nous aussi cr�er et innover. c�est comme cela qu�on
s�inscrit dans l�universalit�. Il faut qu�on sorte de notre folklore, qui
est certes utile, mais juste pour servir de base � une recherche d�autres
horizons, d�autres dimensions.
Dans le m�me ordre d�id�es, comment trouvez-vous
aujourd�hui la chanson kabyle ?
Je trouve, personnellement, qu�elle marque aujourd�hui le pas, compar�e �
d�autres couleurs musicales du pays. Cela est d�, � mon sens, au fait que
nos artistes ne cherchent pas � approfondir leurs connaissances pour avoir
des notions de base. Il faut qu�ils sortent de la r�p�tition, de la
redondance, du ronron. Les progr�s techniques sont tels qu�aujourd�hui il
n�y a aucune excuse. Celui qui veut apprendre a tous les moyens qu�il faut,
c�est une question de volont� et d�ambition. Il existe des conservatoires
et des professeurs particuliers. C�est ainsi qu�on peut avoir des bases
sur lesquelles on peut b�tir par la suite.
La chanson kabyle est l��uvre de g�n�rations
successives. actuellement, y a-t-il une figure qui sort du lot pour �tre
la figure embl�matique de la g�n�ration actuelle ?
Il existe des jeunes, c�est indiscutable. Mais ces jeunes ont besoin
d��tre soutenus et aid�s pour avancer. Les responsables culturels du pays
doivent porter plus d�int�r�ts � ces jeunes en les encourageant pour
qu�ils puissent cr�er quelque chose.
Quels sont les artistes qui vous ont marqu�, qui ont
une empreinte dans votre �uvre, votre vision artistique ?
Pour �tre honn�te avec vous, j�ai appris par mes propres moyens,
mon propre argent et mon propre travail. Tous les professionnels que j�ai
c�toy�s ne m�ont rien donn� gratuitement. Avec Mohamed Djamoussi, entre
autres, puisque vous m�en parlez, j�ai appris � jouer du luth, un
instrument que j�adore particuli�rement. J�ai cherch�, donc, � comprendre
ses modes pour pouvoir dire, ensuite, j�ai compos� telle partition sur tel
mode. Quand on c�toie les musiciens de la troupe de Djamoussi ou Missoum,
on apprend le langage musical.
Dans vos chansons, la Kabylie est directement ou
sous forme m�taphorique tr�s pr�sente, quel regard portez-vous aujourd�hui
� cette r�gion qui vous a vu na�tre ?
La Kabylie de notre �poque n�est plus celle d�aujourd�hui. De notre
temps, quand quelqu�un sort la nuit, il n�y a pas de lumi�re. Derni�rement,
j�y suis all� en passant par Chelladen, Tizit, Soumeur, Iferhoun�ne, tout
scintillait d�une lumi�re �clatante. Mais la lumi�re ne suffit pas, car la
vraie lumi�re doit �tre dans la t�te des gens. Nous sommes aujourd�hui �
l��re de la mondialisation o� la plan�te n�est plus qu�un village, d�o�
notre devoir de chercher � comprendre les autres, � les �couter, � se
mettre � leur niveau.
Est-ce que vous avez des contacts avec d�autres
chanteurs, comme Taleb Rabah, Kamal Hammadi, Akli Yahiaten� ?
On se voit, mais rarement, parce qu�on n�a pas toujours le temps.
De plus, nous sommes un peu fatigu�s. Derni�rement, j�ai d�n� avec
Yahiaten � la suite du prix qui nous a �t� d�cern�s en Afrique du Sud. Je
rencontre aussi de jeunes artistes, hommes et femmes qui viennent me voir,
me consulter.
Un dernier mot pour conclure cet entretien�
Mon dernier mot, je l�adresse � la nouvelle g�n�ration, car on a
beau vivre longtemps, il viendra ce jour o� on doit partir. Cette nouvelle
g�n�ration a le devoir de prendre la rel�ve, mais une rel�ve scientifique
pour que la chanson kabyle sorte de l�oralit� et de la m�morisation pour
�tre quelque chose qui s��crit. Il faut que ces jeunes s�impr�gnent de
connaissances musicales pour comprendre ce qu�ils font. A. ouali
Ch�rif Kheddam lundi soir � la coupole
du 5-juillet
Magistral
!
Par A. Ouali
Face � un public nombreux, heureux de le retrouver apr�s une longue
absence, le Ma�tre a ex�cut� magistralement ses plus grandes chansons. A�t
Menguellet, Nouara, Karima, et d�autres artistes avaient repris, en
premi�re partie, quelques-uns de ses succ�s.
La Coupole du
5-Juillet a �t� lundi le temple d�un immense rendez-vous artistique. Un
moment de pur bonheur. Le temps d�une soir�e magique d�di�e � Ch�rif
Kheddam, le ma�tre de la chanson kabyle qui a f�t� ses 50 ans de carri�re.
Il a enregistr� sa premi�re chanson Yellis n�tmourthiw chez Path� Marconi
en septembre 1950. Les trav�es de la salle, relook�e pour l�occasion, et
une bonne partie de l�aire de jeu sont remplies de monde. Autant de
personnes qui ont, juste apr�s la rupture du je�ne, pris le chemin de la
cit� olympique. Passe pour l�embouteillage, les nerfs en boule ;
l�essentiel pour ce public est d��tre au rendez-vous avec le Ma�tre (avec
un grand M). Un public � cheval sur trois g�n�rations, mais avec une
dominante de nostalgiques quadras. � l�image de Hamid, chirurgien dentiste,
qui voue un culte � celui �qui a form� mon oreille, qui a berc� mon
enfance, qui m�a appris � regarder la Kabylie avec les yeux de Chim�ne�.
Des invit�s de marque aussi, dont Abdelmalek Sellal, Khalida Toumi, qui y
est pour beaucoup dans cet hommage, Lamine B�chichi, Issad Rebrab.
Vingt-deux heures : le spectacle peut enfin commencer. L�orchestre
symphonique, sous la houlette du maestro Brada� Nachid, prend place sur la
sc�ne rev�tue d�un tissu bleu-nuit. Quelques mots d�hommage de l�animateur
pour dire � l�assistance la place de Ch�rif Kheddam, son apport artistique,
ses efforts � donner � la chanson kabyle, sa place dans la mouvance
universelle. En arri�re-plan d�filent sur un �cran g�ant qui surplombe la
sc�ne les paysages pittoresques de la Kabylie, les images d�une vieille
vid�o de l�artiste prises lors d�un hommage qui lui �tait rendu par les
habitants de son village natal, Boumessaoud. Le ballet de l�ONCI, dirig�
par Sahra Khmida, donne le ton avec une chor�graphie au rythme de
T�sghanigh thamourtiw, un vieux tube de Ch�rif Kheddam. Place aux �jeunes
voix�, trois jeunes filles, Kenza, Mila et Malika, qui ont interpr�t� des
textes du ma�tre, parce qu�il voit en elles des graines de stars qu�il
veut aider � mettre le pied � l��trier pour assurer la rel�ve, souligne
l�animateur. En chantant A tha kemichth b�wakal, un texte d�di� au travail
de la terre chant� dans les ann�es soixante-dix par Nouara, Malika a donn�
la mesure de ses capacit�s vocales qui la destinent � une grande carri�re.
Si elle est prise en charge. Arrive ensuite le tour de chant de Taleb
Tayeb et Brahim Tayeb.
Ce dernier, apr�s un l�ger pr�lude au luth, se met au diapason de
l�orchestre pour interpr�ter Sin Iberdan (Deux chemins). S�ach�ve ainsi la
premi�re partie du programme sur ces voix de demain, qui promettent un
avenir et une rel�ve pour la chanson kabyle, aujourd�hui � la recherche de
nouveaux rep�res.
NOUARA,
LA DIVA
L�animateur, qui n�a pas tari d��loges � l��gard de ces jeunes qui
venaient de quitter la sc�ne, annonce avec enthousiasme l�entr�e sur sc�ne
de Nouara. La salle se l�ve dans un m�me �lan de communion pour applaudir
� tout rompre la grande diva. �Elle n�a pas chant� en public depuis 1984�,
s��meut un animateur de la radio Cha�ne II. Pudique, elle adresse des
sourires et des gestes de la main � l�assistance qui lui fait une standing
ovation. Le poids des ans et celui des vicissitudes de la vie n�ont pas
affect� sa voix cristalline qui donne aux paroles de la puissance, de la
suggestion. �mue par tant de gratitude de la part d�un public qui ne l�a
pas oubli�e, Nouara part alors de son chant A kwassigh ami azizen (je te
conseille mon fils ch�ri), une le�on de fid�lit� aux racines pour les
jeunes.
Petite transition avant d�encha�ner sur Oussan ighdigran (les jours qu�il
nous reste). Elle termine son passage sous un tonnerre d�applaudissements.
L�assistance se l�ve. La diva s�appr�te � quitter la salle, mais le public
la r�clame. Les animateurs la supplient gentiment ; elle revient, s�avance
jusqu�au bord de la sc�ne et fait plusieurs r�v�rences avant de se retirer
dans sa loge. Le passage de Nouara est incontestablement un moment fort de
cette soir�e riche en �motions. � peine remis de son �choc�, le public est
convi� � red�couvrir la toujours sulfureuse Karima. Pas pour son tube
embl�matique Assa nezha, mais pour donner la primeur au public de son
prochain produit, une composition de Ch�rif Kheddam.
LOUNIS,
Le CISELEUR DE M�TAPHORES
Le clou de cette deuxi�me partie du programme est sans conteste Lounis A�t
Menguellet. La seule annonce, par l�animateur, de Ighil B�wamas, le
village du �ciseleur de m�taphores�, a mis la salle en d�lire. Toujours
avec son allure un peu nonchalante, il descend les escaliers des loges
pour saluer le public qui le lui rend en mille. Comme d�habitude avec sa
guitare, un pied pos� sur la chaise, Lounis se retrouve ce soir dans une
situation in�dite de quelqu�un qui ne sait pas quoi faire avec ses mains.
Da Ch�rif vaut bien cette petite entorse. D�ailleurs, il ne tarde pas �
trouver vite la parade en empoignant d�une main le micro et posant l�autre
sur son oreille gauche pour avoir le retour d��cho. Et il chante �Koul wa
aken ihhssev lahssavis� (chacun ses comptes). Il encha�ne juste apr�s sur
Bgayet thelha (B�ja�a est belle), que la salle reprend en ch�ur. Son tour
de chant achev�, Lounis se h�te de remonter vers sa loge, mais la salle le
r�clame de nouveau ; il revient pour la saluer. Rencontr� � la fin du
spectacle, pris d�assaut par les chasseurs d�autographes, il pense
humblement avoir �mal chant�. La deuxi�me partie du programme s�ach�ve
par une nouvelle exhibition du ballet de l�ONCI avec une autre
chor�graphie, sur un air de Ch�rif Kheddam.
DA
CH�RIF, MAGISTRAL
� minuit pile poil, l�animateur annonce enfin l�arriv�e de �Da Ch�rif�.
Applaudissements, youyous qui fusent et la salle s�enflamme. Son entr�e
est l�objet d�une mise en sc�ne minutieusement travaill�e. Comme pour
donner plus de solennit� et de gravit� � l��v�nement. Habill� d�un costume
gris-cendre, le ma�tre descend les escaliers ; � sa droite Malika Domrane
et � sa gauche Ben Turki, le directeur du CCI, les deux lui tenant les
mains en signe de d�f�rence. Devant et derri�re lui des enfants d�ployant
les embl�mes vert, blanc, rouge. Apr�s avoir salu� le public, il se tourne
vers Brada� Nachi, le maestro, pour lui faire une r�v�rence artistique.
�C�est la premi�re fois que je chante avec un orchestre symphonique
alg�rien, digne de la grandeur de l�Alg�rie�, se r�jouit-il. Et de
proc�der au dernier r�glage avec l�orchestre avant d�entamer son r�cital.
Avec cette voix chaude et vigoureuse qui a chant� pendant cinquante ans la
femme, la beaut�, l��migration, l�Alg�rie. Tant�t debout, tant�t assis, le
ma�tre tient en haleine la salle.
Cette ambiance qu�il n�a pas connue depuis des ann�es le transcende et lui
donne la p�che. Un grand nombre de ses chansons qui ont fait sa l�gende
sont alors revisit�es. Au grand bonheur des nostalgiques, qui voient
d�filer en filigrane leur enfance, cette Kabylie qui n�existe plus que
dans les chansons. Le spectacle dure ainsi deux heures, si vite pass�es
tant la communion �tait parfaite de part et d�autre de la sc�ne. Touche
finale de cette soir�e en r� majeur, un inssiraf de Hassan Abassi, en
guise de Bqaw ala khir. �Je suis particuli�rement �mu par cette double
f�te, qui est la f�te de toute l�Alg�rie�, dit-il en remerciant les
responsables du minist�re de la Culture et de l�ONCI. Et � peine a-t-il
fini ses propos que la sc�ne est prise d�assaut par nombre de figures de
la chanson kabyle pour le f�liciter. Dans le d�sordre, Mouloud Habib,
Hassan Abassi, Kamel Hammadi, Djamila, Mohamed Hilmi et d�autres encore.
Ils sont venus, ils sont tous l�, ce lundi, pour lui rendre hommage. Un
hommage � la hauteur de l�immense l�artiste. De l�homme tout court.
A. O.
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