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Tiddukla Tadelsant Tamazight di Ottawa - Hull
Association Culturelle Amazighe � Ottawa-Hull
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TAHAR DJAOUT

http://www.limag.refer.org/Textes/Manuref/Djaout.htm

Tahar Djaout est n� le 11 janvier 1954 � Azzeffoun, en Kabylie maritime. Il passe son enfance et son adolescence � la Casbah d'Alger. Il fait des �tudes en math�matiques (Licence � l' Universit� d'Alger, 1977) et en sciences de l' information et de la communication (D.E.A. � l' Universit� de Paris II, 1985). Journaliste professionnel depuis janvier 1976, il est actuellement chroniqueur - �ditorialiste � l' hebdomadaire Alg�rie-Actualit� o� il �tait en 1983 -1984 responsable de la rubrique culturelle. Depuis 1976, Tahar Djaout prend part d'une mani�re continue aux d�bats politiques, linguistiques et culturels de l' Alg�rie.

LA PO�SIE

C'est avec la po�sie que Tahar Djaout entre dans la litt�rature. D�s 1975, un recueil de po�mes, Solstice barbel� est publi� au Canada, puis c'est L' Arche � vau-l' eau � Paris en 1978, Insulaire & Cie (1980) et L' Oiseau min�ral (1982) � Alger et enfin P�rennes � para�tre prochainement.

Po�te insoumis, adversaire de toutes les entraves Tahar Djaout utilise le langage avec bonheur pour fustiger tout pouvoir castrateur. Mais � ces textes ironiques, sarcastiques qui accusent l' ordre social devant lequel ni le po�te ni son �criture ne plient, se m�lent des textes pleins de tendresse et de sensualit�.

Certains po�mes disent la recherche de soi - volontiers tourn�e vers l' enfance, vers la terre - mais ils disent aussi le cri, l' errance solitaire du po�te et ses espoirs.

Espoir      
embrayeurs des nu�es       
Po�tes     
et le Temple des Clart�s     
b�ti de vos vert�bres           
donnera-t-il enfin  
le Pain que nous cherchons ?           
     (L' Arche � vau-l' eau p.11).

Parfois, l' aventure po�tique s' arr�te sur le verbe, comme ce po�me d�di� � N. Far�s

Verbe      
R�inventer � tout moment  
le sens d'une aura passag�re           
(...)            
Et je b�gaie           
MOI L' APHONE    
un semblant de protestation              
contre le cercueil pr�matur�              
gros de mes syllabes r�trogrades    
(...)            
Avec mes mots INCULTES
ma rage � ruiner la syntaxe               
et mes doigts nus face au Langage 
TERRORISER LE VERBE  
       (Solstice barbel� p.19).

Certains po�mes parlent l' amour et privil�gient l' espace marin, comme ce petit texte tendre et flamboyant,

Viens       
Viens       
nous allumerons un feu � l' or�e des vagues
pour attirer les go�lands     
       (Solstice barbel�p.38).

D'autres travaillent les contrastes pour dire ici encore l' amour et le d�sir.

L' ombre Traqu�e 
Soleil protub�rant 
comme une ocelle de midi.               
(...)            
Le soleil frappe     
justesse des traits 
cri des arbres harponn�s.  
Tu es cach�e l�, quelque part,          
devan�ant les raids de l' astre,          
devan�ant sa main silencieuse        
qui porte l' incendie dans les feuilles.              
ah, surprendre l' ombre bifurqu�e,  
surprendre ta peau d�nud�e,            
fusion de feux et de gels.

Ici, c'est en cinq verbes terribles que le travestissement de l' Histoire par l' Histoire officielle est d�voil�.

Histoire    
r�gler la parade des squelettes        
refaire les dates � sa guise.               
retoucher les biographies. 
effacer le pr�c�dent.            
le patriotisme est un m�tier.              
      (P�rennes).

*

D�j� tr�s pr�sente dans les po�mes et donc tr�s condens�e dans les fulgurances qu'exige la forme courte po�tique, l' �criture rebelle et r�calcitrante de Tahar Djaout d�veloppe ses strat�gies dans des textes plus longs : nouvelles et romans r�v�lent une entreprise de d�construction syst�matique des st�r�otypes scripturaux et de tous les tabous sociaux que ces premiers induisent et reproduisent.

Bien �videmment cette d�construction s' effectue � la faveur d'une forme �minemment po�tique dans laquelle les figures analogiques (m�taphores et comparaisons) nous font p�n�trer - par les th�mes r�currents de l' enfance, de la m�moire et de l' amn�sie, de la communication charnelle avec la terre - une nature fr�missante d'odeurs et de volupt� : territoires � reconqu�rir o� la nature prend la place de Dieu, o� l' �criture po�tique de l' imaginaire prend le pas sur les discours politiques de la repr�sentation et sur son vassal, le r�alisme.

LES NOUVELLES: Les Rets de l' oiseleur (1984).

Le recueil de nouvelles - 13 en tout - offre des textes �mouvants, dr�les, fantastiques dans lesquels l' auteur, jouant sur une alternance subtile entre �l�ments po�tiques et �l�ments d�not�s tisse avec habilet� ses rets d'�crivain r�tif au sens av�r� du signe.

Certaines de ces nouvelles sont en apparence toutes simples. Le gu�pier par exemple conte l' errance joyeuse de l' enfance � la campagne. De tr�s belles pages impr�gn�es d'une nature lourde de sensualit�.

Nous rev�nmes vers la plaine. Durant notre marche, la t�te me tournait de joie.La s�ve pesante des figuiers et des lauriers aux feuilles am�res coula bient�t en moi.J'�tais oppress� par un poids si lourd de beaut�. Je m'assis � l' ombre opaque et cl�mente d'un figuier et me pris � �couter les m�mes bruits de la terre. Un bourdonnement confus (quel insecte l' engendrait ?) fait de musiques superpos�es m'emp�chait de concentrer mon ou�e. Bient�t mon corps lui-m�me ne fut qu'un immense champ jonch� de chaume et de fleurs fan�es. Je laissais les couleurs m'envahir. (p.77).

Mais, Le gu�pier est aussi l' histoire de cet oiseau captiv�, enferm� "dans un silence obstin�" puis lib�r� par le narrateur. En parall�le � ce r�cit, se dessine celui de la rentr�e scolaire. Berger pendant l' �t�, �colier d�s la rentr�e, le narrateur signale � travers l' image de l' oiseau, celle de l' air, mati�re de la libert�, et enfin celle de l' �criture: "Tayeb et moi suiv�mes tr�s haut le vol des gu�piers. Le ciel tout � coup vacillant et l' �criture stridente de leurs cris entrecrois�s."(p.76). D�s lors cette perc�e de l' �criture traversant le paysage devient une piste � suivre car toutes les "images" vont converger vers une mise en abyme de l' �criture : l' �criture scolaire cod�e par une �cole qui, au nom du r�alisme, contraint et estropie.

Le reporter est une nouvelle particuli�rement int�ressante : long t�tonnement de reportage sur une ville en T (africaine ?) le texte ne cesse de changer de facture, proc�de par �nigmes, enchev�trements, inach�vements, digressions... En fait il s' agit d'un "reportage" sur l' �criture au cours duquel tous les st�r�otypes de l' �criture r�aliste et de la vision exotique seront mis � mort. C'est seulement au terme de ce travail de d�construction qu'un texte terrifiant surgit : la sc�ne d'un repas en famille � la fin duquel le rituel familial se transforme en rituel cannibale, signalant la pulsion de d�voration qui anime les corps sociaux comme le geste d'�criture. "Celui qui termine son morceau de viande le premier pourra s' attaquer � celui du voisin (...) Le plus jeune des enfants - 5 ans - se d�menait aux prises avec un morceau cartilagineux (...)" (p.40-41). C'est en fait le retardataire qui est � son tour d�vor�. "Quand les huit personnes se retir�rent une � une du recoin de table devenu inutile un petit corps d�chiquet� lard� de coups de couteau et d�vor� � moiti� formait un amas difforme..." Le reportage sur les anthropophages est-il enfin �crit ? "Mais qu'est-ce que la n�crophagie � c�t� des h�catombes de l' Anahnac, de S�tif, de Madagascar et de May La�, pense-t-il, ce qui est horrible ce n'est pas de manger les hommes morts, c'est de tuer les vivants) (...)"

Toujours dans son questionnement sur l' �criture li� au questionnement sur les comportements sociaux et les grandes questions de l' humanit� et toujours dans un �lan particuli�rement po�tique Tahar Djaout joue aussi avec les textes litt�raires pr�existants qu'il imite, transforme, pervertit ou contredit : savoureux pastiches; par exemple celui de Canicule dans lequel on reconna�tra sans difficult� l' �criture camusienne de L' Etranger concentr�e ici dans ses th�mes. L' �pisode du meurtre de l' Arabe, le proc�s qui s' ensuivit et la phrase de Meursault : "C'est � cause du soleil" :

Je fermai mes yeux irrit�s, mais il restait toujours cette image d'une boule de feu surnageant dans un brasero en mouvement. J'aurais d� apporter d'Alger mes lunettes de soleil....(p.144).

ou encore le d�but de L' Etranger :

Je me rappelle le lendemain du jour o� mourut ma m�re. Je n'�tais pas triste. Je ne pensais � rien. Je mangeais des dattes. Je ne pensais pas. Juste une machine qui partageait chaque datte en deux et qui la fourrait dans une bouche. Je ne me demandais pas s' il existe une condition humaine. Pour moi, la condition humaine consistait � manger des dattes sans penser � rien. (p.149).

Dans "Le dormeur" et "Le train de l' esp�rance", La M�tamorphose de Kafka se trouve m�tamorphos�e par le personnage Blarass enroul� dans son r�ve. "Il ne tarda pas � �tre pourvu en effet d'une belle carapace annel�e de cloporte". Nous retrouvons entre autres po�tes, Rimbaud, dans "Royaume" o� "les bateaux" objets d'insomnie du narrateur "boivent � la source de leurs r�ves (...) et reviennent ivres."

Ce n'est pas un hasard si, enfin, la derni�re nouvelle donne son titre au recueil. "Les Rets de l' oiseleur, d�s la premi�re ligne font �clater le mot, pris au pi�ge de l' espace de l' �criture: "...Ciel/  une c�sure emprisonne la mer tass�e � l' horizon (...)"(p.167).

Le recueil prend fin pour mieux se continuer sur cette image m�taphorique de l' enfant qui arrache les oiseaux traqu�s aux grilles de l' oiseleur; un oiseleur impuissant face aux bateaux des r�ves, � la po�sie:

L' enfant sans prendre son �lan, enjamba les arbres qui bordaient la rivi�re et se mit � cueillir comme des marguerites, les barques de p�che qu'il d�pouillait soigneusement de leurs voiles avant de les mettre dans sa poche.(p.173).

LES ROMANS

L' Expropri� (1981) [1] n'est ni un roman ni un po�me. Ce serait plut�t un texte qui aurait d�cid� de jouer la contradiction entre l' un et l' autre. L' univers en est chaotique et son agencement appara�t comme un agglom�rat de discours h�t�rog�nes et de lieux glissant les uns sur les autres. Les premi�res pages nous informent par la voix du narrateur, qu'il s' agirait d'un voyage dans un "train-assises". Les inculp�s seraient jug�s durant le voyage et descendraient du train selon le lieu assign� par le verdict. Cependant, l' espace d�ploy� par le voyage ne marque jamais les �tapes d'un itin�raire. C'est d'ailleurs dans un espace intemporel que se d�roule ce voyage dont on ne parle plus beaucoup au fil des pages. La fl�che de Z�non reste suspendue au-dessus du train...

Comme toujours dans les �crits de Djaout, le d�j�-dit se trouve subverti : le texte est �maill� "d'expressions fig�es" (maximes, proverbes, �nonc�s religieux) d�tourn�es. Parfois les figements se trouvent parasit�s dans "une pratique d'hygi�ne" de l' usage de la langue :

A deux... nous avions form� un dr�le de trio  
Il prit son courage � trois mains        
Une paire de chaussettes � un �ne trijambiste            
Je ne peux pas jouer triple jeu.

A d'autres moments les expressions fig�es soient travesties, accusant un comique tendancieux portant essentiellement sur la parole imm�moriale de l' autorit� religieuse. Par exemple :

Mon proph�te - expert- comptable.  
Il s' en essuie les mains et les testicules.       
Sexedieu.               
Sacr� nom de diable.          
Un verset bien plac�.          
Que Dieu refuse son �me. 
Les dieux - trompent - la mis�re

Dans ces cas, la pratique critique semble bien d�passer le jeu salutaire de "nettoyage" de la langue pour entrer dans une entreprise contestataire. Il s' agit en fait pour le po�te, l' �crivain, de construire des assertions oppos�es, n�gation de l' �nonc� de l' autre, r�agissant � des assertions pr�sent�es comme �vidents ou objectivement vraies.

Ainsi, tous "les discours de la v�rit�", politiques, religieux, historiques sont-ils pris � partie par le narrateur. Ici, interrog� par "Le Missionnaire" le narrateur s' insurge contre le discours "unaire" qui a toujours raison.

Mais le Missionnaire musela tous les judas donnant sur le monde le Missionnaire relent outrecuidant de tous les opiums distill�s � la lumi�re des encensoirs m'obligea � m'agenouiller et � orienter mes lunettes vers la lumi�re aveuglante de Sa V�rit� (...) Monsieur le Missionnaire je suis de l' AUTRE RACE celle des hommes qui portent jusqu'au tr�fonds de leurs neurones des mill�naires de soleil (p.43).

R�agissant � tous les discours de la v�rit�, le narrateur s' interrogeant sur son histoire (de quoi est-il accus� ?) interpelle aussi l' Histoire. El Mokrani, l' Emir Abdelkader, la Kahena, se trouvent �voqu�s dans une �criture fortement questionneuse qui brise tout discours �pique:

Ne reste de (et sur) Ali Amoqrane (= ?) Mohand Ath Moqrane - El Moqrani qu'un po�me �quivoque qu'une vieille femme(sa descendante ?) aux pieds gerc�s et aux cheveux cendr�s portait parfois comme un brandon �teint de foyer en foyer. Une �pop�e passive qui jouxtait la r�alit� sans jamais r�ussir � s' y int�grer.(p.11).

La recherche des origines, la revendication d'une culture berb�re, l' usurpation historique ne s' �laborent pas sur une gloire et une valeur pass�es :

Ici             
� l' ombre de la     
Kahena, seule iconoclaste de notre histoire  
je dis mon anti-manifeste   
et rends hommage � M.K. E. qui le premier   
d�cida de jeter son sang aux latrines              
et de faire peau neuve (p.71).

La reconnaissance de la Kahena n'est pas celle d'une h�ro�ne mythique collective (r�f�rence � l' authenticit� signal�e par le "sang") mais celle d'un personnage � ne pas sacraliser. On reconna�t ici toute la d�marche iconoclaste de Djaout qui nie irr�m�diablement tout discours fig� et d�joue la strat�gie du discours monologique.

Outre cette recherche sur l' Histoire - l' amn�sie du narrateur pervertissant le lieu du savoir constitu� par la m�moire collective, y installe une r�flexion neuve qui du m�me coup devient probl�matique. Des sc�nes tout � fait fantastiques animent cet ouvrage : dispute entre le BON DIEU et le MAUVAIS DIEU, ou encore "l'outrageant" comportement d'"une vieille folle qui d�versait une bord�e d'injures (...) et qui d�faisait les discours de persuasion des notables (...)"(p.79).

Mais au-del� de tout ce travail de d�construction s' �laborent des espaces-vertige, territoires de l' enfance qui peu � peu envahissent tout le texte. Passages souvent non ponctu�s dans lesquels le narrateur tisse des rapports privil�gi�s avec la mer, avec la nature - ses partenaires amoureuses - tous ces passages rel�vent d'une �criture �motionnelle et �rotique. Investissement pulsionnel, il y a dans tous ces passages une sorte de battement de vie, et le paysage comme l' �criture m�taphorique qui le fait exister semble �tre soumis � la m�me onde du d�sir, dans une rythmique qui engage le corps et produit toute la sensualit� de ces pages:

Et l' enfant enfonc� dans l' herbe jusqu'aux aisselles s' emparait de la prairie(...) et bient�t un tremblement se communiquait � toute la plaine l' enfant se sentait tout-�-coup secou� d'un long frisson et tremblait au rythme de la for�t (...) la prairie le culbutait (...) implacable dans son amour elle entourait l' enfant de ses herbes calines (...) elle inventait des danses en cimaise et des tremblements in�dits dans toute la Contr�e des C�mes amour et goinfreries se m�laient dans ces �bats de la prairie (...) quelques buissons pudiques refusaient avec force v�ll�it�s les attouchements de la nuit ( p.123).

La r�verie �rotique s' ach�ve �veillant la sexualit� du jeune narrateur. Le corps de femme de la prairie se concr�tise dans celui de la trayeuse :

Ce qui l' attirait vraiment dans l' enclos c'�tait la grande trayeuse corps fustig� de biais par le soleil matinal le corps comme un ruissellement de s�guia se baissant puis se relevant dans un mouvement gr�cieux et d�cha�n� de copulation (...) le corps pliait dans une cassure de mousseline (...) le regard de l' enfant s' y attardait rondeur en cimaise puis long fr�missement comme croupe de pouliche pourfendue et saignante (...) (p.130).

Dans ce rythme sans entrave,s' insinue une sorte de violence - mise � nu des instincts sexuels - et de provocation du corps devenu onde et tourbillon. L' irruption du refoul� et du d�sir r�prim� se d�clare contre toute la tradition lyrique de bon ton. Les th�mes du plaisir et de la mort, de la folie et de la menace f�minine, de l' amour et du d�go�t, de l' �rotisme et du sacrifice marquent une rupture fondamentale et une revendication de la subjectivit�.

Le probl�me du refoul� n'est-il pas le m�me, qu'il s' agisse de l' �criture, de sexe, de l' histoire individuelle ou de l' Histoire ?

Les Chercheurs d'os (1984) est un roman d'allure lin�aire qui s' appuie sur un fait historique : la qu�te des ossements des combattants de la guerre de lib�ration tomb�s un peu partout sur le territoire national. Le lecteur suit les p�r�grinations d'un adolescent - il s' agit de retrouver les "restes" de son fr�re - d'un vieux parent et d'un �ne. Sur le plan de la structure romanesque, ce roman rompt donc absolument avec L' Expropri�. Cependant qu'on ne s' y trompe pas : m�me si le discours para�t "pacifique "et homog�ne, il est en fait dialogique et conflictuel. En effet la lecture "facile" de l' ouvrage est trompeuse car l' ironie et l' humour traversent une na�vet� insistante qui devient tr�s vite suspecte. En effet le choix du narrateur - un adolescent qui n'a jamais quitt� son village - int�gre un regard neuf, �tonn�, interrogateur et critique.

- Da Rabah, � quoi donc serviront tous ces papiers que les citoyens pourchassent avec �pret� ? 
- L' avenir, mon enfant est une immense papeterie o� chaque calepin et chaque dossier vaudront cent fois leur pesant d'or. Malheur � qui ne figurera pas sur le bon registre ! (p.39).

Mais cette situation initiatique permet de mettre en place une sorte "d'orchestre de voix" sociales que le texte s' emploie � faire surgir dans les discours cod�s - religieux, politiques, de l' arm�e - et qu'il s' amuse � confronter les uns aux autres, � les faire se contredire. Ainsi par exemple, un paysan rencontr� en cours de route d�clare � Da Rabah et au jeune narrateur tous deux �trangers � ce village: "Comment des �trangers ! On peut encore �tre un �tranger dans le pays revenu � la religion de Dieu et aux mains des croyants !" (p.123).

Discours politico-religieux tout � fait st�r�otyp� - sorte de matrice - dont l' �cho d�form� quelques pages plus loin contredit ce "produit fini" inapte � assumer les ph�nom�nes sociaux. Le m�me personnage s' �crie :

Je me console d'avoir perdu un fils, mais je n'accepte pas de le perdre pour rien. Il faut que je prenne ma part des biens de ce monde pour que mon fils ne se morfonde pas dans cet au-del� auquel il ne croyait pas. Ils ne me font pas peur, ces messieurs croulant sous les galons qui veulent tout prendre pour eux...(p.128).

D'autres strat�gies narratives sont mises en oeuvre pour d�noncer cette qu�te "sacr�e" qui devient au fil des pages une sorte de course au tr�sor qui, si elle aboutit, permettra de percevoir une pension : ainsi le titre, "Les chercheurs d'os"-qui exhibe ostensiblement le paradigme " les chercheurs d'os"- prolif�re-t-il et se transforme-t-il pour devenir au fil des pages "Les convois chercheurs de squelettes", "Les voleurs d'os". Jeu sur les mots, couplages syntaxiques et lexicaux, juxtaposition des contraires, l' expression "un amas d'os � conviction" renvoie � "pi�ce � conviction" pour devenir "un pr�cieux butin", "les os de mon fr�re attendent comme un tr�sor", "les os s' entrechoquent comme des pi�ces de monnaie"...

De m�me, les m�taphores li�es au soleil mortif�re qui poursuit les prospecteurs et ponctue la marche travaillent tout le texte et recouvrent la strat�gie contaminante de l' �criture pour dire que finalement ce voyage est vou� � la n�gation de la vie. Le roman se cl�t sur cet amer constat:

Combien de morts, au fait, rentreront demain au village ? Je suis certain que le plus mort d'entre nous n'est pas le squelette de mon fr�re qui cliquette dans le sac avec une all�gresse non feinte. L' �ne, constant dans ses efforts et ses braiements, est peut-�tre le seul �tre que notre convoi ram�ne.(p.155).

Le voyage s' est effectu� sur un parcours circulaire : d�part du village, retour au village et ce voyage cyclique �tablit une statique du mouvement qui rejoint la statique des discours de l' Histoire, une histoire qui tourne en rond, ou mieux qui tourne � vide. C'est donc ici un mouvement tournoyant que le texte reproduit et qui est bien celui de la mort, celui des chercheurs d'os.

De fa�on fort heureuse, la deuxi�me partie, au centre du roman �claire, dans des m�taphores toujours chatoyantes et �blouissantes, tout l' ouvrage. Une fois encore les territoires de l' enfance aliment�s par les r�ves du grand fr�re et les escapades du narrateur enfant qui nous entra�nent vers des glissades affectives faites de fra�cheur vers un temps o� le monde se donne comme spectacle imm�diat et possession sans r�serve. De tr�s belles pages :

C'est vrai que mon fr�re avait dix ans de plus que moi, mais jamais auparavant il n'avait fait montre de cette assurance protectrice et de cette maturit�. Il parlait et les for�ts, les oiseaux, les oliviers, la violence, le sang et le pardon prenaient � mes yeux d'autres contours et une autre densit�. Je comprenais en l' �coutant, qu'on pouvait �tre tout � la fois nu et riche, adroit et humble, fort et g�n�reux(...) (p.105).

L' Invention du d�sert (1987) est encore un ouvrage qui d�fie la cat�gorisation des genres - Roman, L' Invention du d�sert est aussi un long po�me.

Au d�part une commande �ditoriale : le narrateur se trouve charg� d'�crire un �pisode de l' Islam m�di�val. Il choisira le proph�te Ibn Toumert, th�ologien intransigeant, pr�cheur rigide, f�roce et exalt�, combattant forcen� de la foi dont nous suivrons les errances. Puis, de fa�on assez inattendue, Ibn Toumert se trouvera catapult� dans le Paris du XX�me si�cle...

En plein Champs-Elys�es, parmi les touristes nordiques et japonais, Ibn Toumert prom�ne sa hargne d�vote que le soleil de juillet rallume chaque fois qu'elle s' assoupit. Il est �bloui et multipli�, il est des milliers � la fois. Il descend � foul�es nerveuses l' avenue large comme une hamada et se retrouve tout-�-coup face � la Maison du Danemark. Femmes blondes d�nud�es, offertes au d�sir telles des proies. La morale du monde s' est liqu�fi�e. (...) Quelle rutilance de couleurs, d'horreurs et de tentations ! que de femmes lach�es sur le monde comme des tigresses alt�r�es de sang et de scandale ! Comment les peuples peuvent-ils vivre en paix avec une telle dynamite dans la rue ? Le b�ton noueux d'olivier aura beau s' abattre et meurtrir, comme au temps de Beja�a la Hammadite d�liquescente, il n'arrivera jamais � redresser cette civilisation du p�ch�.

Histoire impossible � �crire. Le narrateur finit par prendre cong� des Almoravides et nous entra�ne vers d'autres espaces : ceux de la m�moire, de l' espace fascinant des sables - souvenir de ses voyages en Orient - des r�ves et enfin le r�cit s' enlise dans d'�blouissantes pages sur l' enfance, territoire de pr�dilection, lieu o� le langage se donne le spectacle de sa propre f�te:

Parfois l' aube m'�cart�le, fait trembler mon coeur comme une proie. Je suis le peuplier assailli(...). Je suis l' oiseau t�t lev�. Dans l' odeur �nervante du caf� et des bruits vermif�res des b�tes aux noms impr�cis que la nuit seule autorise. Je suis comme une b�te tapie, � la fois attir�e par l' ombre et terroris�e par ses spectres. Quelques fant�mes du songe me suivent encore. Quelques �merveillements aussi. Puis la lumi�re nomme les choses, efface leurs noirs contours effrayants, assure la franchise des ossatures. L' oiseau cesse d'�tre une voix, une insistance d�chirante. Le jour lui redonne sa gr�ce, ses attributs d'acrobate. L' oiseau r�cup�re le ciel, le signe d'un chant, victorieux. Il se s�pare aussi de moi, efface mes d�sirs d'essor, me restitue � mes laideurs et mes infirmit�s. (p.128-129).

Les Vigiles (1991) est un roman qui s' organise autour d'un personnage - professeur et inventeur d'un m�tier � tisser d'un nouveau genre - pour dire de fa�on plus d�clar�e que pr�c�demment la soci�t� alg�rienne d'aujourd'hui.

"A petits pas" Tahar Djaout - nous faisant suivre les nombreuses d�marches et tracasseries subies par Mahfoud Lemdjad pour faire breveter son invention - ext�nue et mine, d'une �criture "tranquille" et corrosive l' appareil administratif bureaucratique :

Vous venez perturber notre paysage familier d'hommes qui qu�tent des pensions de guerre, des fonds de commerce, des licences de taxi, des lots de terrain, des mat�riaux de construction; qui usent toute leur �nergie � traquer des produits introuvables comme le beurre, les ananas, les l�gumes secs ou les pneus. Comment voulez-vous, je vous le demande, que je classe votre invention dans cet univers oesophagique ? (p.42).

Tout occup�s � contenir une population qui d�ferle devant les nombreux guichets de la mairie, � r�gler des affaires louches de l' appareil politique, les agents sont aussi les vigiles qui suspectent l' inventeur "D'avoir lib�r� cette terre leur conf�re-t-il le droit de tant peser sur elle, de confisquer aussi bien ses richesses que son avenir ?"(p.111). Ces r�flexions sont celles du bouc �missaire Menouar Ziad qui devra endosser l' erreur commise � l' �gard de Mahfoud Lemdjad (finalement prim� � l' �tranger pour son invention). De beaux passages, dans cet ouvrage, qui renvoient � des �pisodes pass�s de Menouar : flash-back pleins de po�sie, aventures simples d'un paysan amoureux de la campagne et, de sa terre odorante, alternent avec les discours-fossiles officiels, tel cet article journalistique, reprise exemplaire des clich�s �cul�s de la langue de bois:

A la suite des manifestations provoqu�es par des groupuscules d'�tudiants, le Secr�tariat national de l' Union g�n�rale des travailleurs a tenu une r�union mardi. Il a analys� la situation politique actuelle marqu�e par un climat de troubles dus � certains �l�ments tendancieux oeuvrant pour les int�r�ts de l' imp�rialisme, de la r�action et de leurs valets, et proclamant des slogans allant � l' encontre de la marche et la continuit� de la R�volution. Apr�s les cuisants �checs que lui ont fait subir les masses populaires fondamentales de la R�volution, la r�action n'a pas cess� de multiplier les manoeuvres et de lancer des d�fis � ces masses qui ont remport� tant de victoires et r�alis� d'importants acquis dans les domaines industriel, agricole et culturel. En r�apparaissant aujourd'hui sur la sc�ne des �v�nements par de nouvelles m�thodes, la r�action a choisi cette fois-ci comme bouclier le patrimoine populaire national principe clairement �nonc� dans la Charte nationale et pour la sauvegarde et la pr�servation duquel les masses populaires oeuvrent.

Tahar Djaout, �crivain de la nouvelle g�n�ration, propose des textes construits sur une collision de mots et de formes qui ont l' avantage d'orienter la lecture vers des modes de pens�e en perp�tuelle questionnement, agitatrice et rebelle. Cette �laboration critique repose sur une motivation purement esth�tique et propose un monde en �tat de rupture pour dire que ce n'est que sur la discontinuit� que les conflits peuvent se d�velopper, marquant ainsi la poursuite insistante de la question de l' �crivain: celle de l' �criture entendue comme trajet conflictuel.

Janine FEVE-CARAGUEL


(Extrait de � La litt�rature maghr�bine de langue fran�aise �, Ouvrage collectif, sous la direction de Charles BONN, Naget KHADDA & Abdallah MDARHRI-ALAOUI, Paris, EDICEF-AUPELF, 1996).

Tous droits r�serv�s : EDICEF/AUPELF

 

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