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ARTICLE - Novembre 1999

 

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Traduction juridique

Lettre écrite par Olivier Kaiser suite à l'article de Frédéric Houbert sur les spécificités de la traduction juridique (juillet 1999).

Je suis juriste dans une multinationale (Exxon), actuellement basé à Bruxelles. Marié à une traductrice diplômée de l'ESIT (Cynthia Kaiser, T91), frère d'une interprète de conférences, fils d'une professeur de langues, je ne suis jamais bien loin d'une linguiste, et je suis moi-même très intéressé par tous les aspects de la traduction! Je dois bien avouer que je n'ai jamais suivi de formation de traducteur ni d'interprète (j'ai tout de même une maîtrise d'anglais), mais mon travail me met quotidiennement en contact avec des contrats en anglais et en français, et je suis parfois amené à en traduire d'une langue vers l'autre.

Toute cette longue introduction pour vous dire que j'ai beaucoup apprécié le dossier spécial traduction juridique du dernier Bulletin de l'AAEESIT, et plus particulièrement votre intéressant article, Monsieur Houbert.

Comme juriste rime souvent avec puriste, d'autant plus si le juriste en question est un peu linguiste, je n'ai pas pu m'empêcher toutefois de relever quelques erreurs, et j'ai pensé que mon avis pourrait vous intéresser, que vous ayez effectué la traduction vous-même ou non. Les traducteurs se plaignent en effet souvent, à juste titre, de ne pas obtenir suffisamment de "feedback" de leurs clients.

Toutes les erreurs que j'ai relevées sont dans l'exemple de la page 11, tiré d'un contrat concernant une acquisition d'entreprise.

Tout d'abord, traduire "execution of an agreement" par "exécution d'un contrat" relève d'un grave contresens: "execution" signifie ici simplement, en anglais américain notamment, "signature". En français, exécuter un contrat signifie exécuter les obligations y contenues. Autrement dit, le traducteur a fait passer la date de référence mentionnée, de la date de signature du contrat à la date à laquelle le contrat est pour ainsi dire terminé, exécuté, ce qui peut représenter une différence de plusieurs mois, voire parfois plusieurs années! Je reconnais que de nombreux dictionnaires juridiques bilingues ne font pas la différence non plus, mais ce n'est qu'une preuve de plus des limites de ces instruments. Malheureusement, seule la pratique du droit avec des juristes américains (ou au moins la possibilité de leur poser des questions de terminologie) permet de ne pas faire ce genre d'erreurs.

Dans le même ordre d'idée, il est également inexact de traduire "to enter into an agreement" par "signer un contrat": cette fois, l'erreur est moindre, puisque "enter into" peut effectivement signifier "signer", mais le terme anglais a souvent un sens plus large. En effet, "signer" implique nécessairement l'existence d'un contrat écrit, alors que "enter into" n'y est pas limité, d'autant plus lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le complément est clairement plus large qu'un contrat écrit, puisque le texte source ajoute à "agreement" (qui peut aussi bien être écrit qu'oral) le terme "understanding", qui a le plus souvent le sens d'accord verbal. Il fallait donc traduire "... enter into any agreement or understanding" par "... conclure de contrat ou d'accord", puisque conclure a la même double connotation écrit/oral.

Une autre erreur, beaucoup plus pardonnable puisque même certains juristes ignorent la différence, est de traduire "business days" par "jours ouvrables". Le Grand Robert indique, correctement, que "la semaine comporte six jours ouvrables et cinq jours ouvrés", puisqu'en effet le samedi est un jour ouvrable (voir aussi le Petit Larousse Illustré à "ouvrable") mais en général, en tout cas dans l'administration et l'industrie, non ouvré c'est-à-dire non travaillé. En anglais, "business days" signifie les cinq jours de lundi à vendredi (hors jours fériés ou chômés), et devrait donc être traduit par "ouvré". Certains juristes préfèrent en fait définir, dans le contrat lui-même, ce que les parties entendent par "ouvrable" ou "ouvré", pour pallier ce genre d'ambiguïtés.

Enfin, la traduction de ce petit passage juridique, plutôt habile au demeurant, est incomplète, ce qui est évidemment un problème pour un contrat! En effet, dans le texte source, les employés, fondés de pouvoir et autres mandataires, doivent non seulement s'abstenir d'acheter, vendre, prêter ou emprunter les titres, mais aussi, comme le Vendeur et l'Acheteur, de conclure tout contrat ou accord dans ce sens. Cette dernière obligation ne figure pas dans le texte français.

Une toute dernière remarque: vous avez parfaitement identifié une erreur (importante) dans le texte source, indiquant que l'on "attend une répétition de "will not" après "ensure that their employees..." (pour être plus précis, ce sont les mots "do not" qui font défaut juste après "Letter of Intent,", mais là n'est pas le problème). Malgré cette erreur dans le texte source, le traducteur a pourtant traduit ce qu'il pensait, à juste titre selon moi, être l'intention des auteurs du texte. A moins que le traducteur n'ait été présent lors de la négociation du contrat en anglais, ou qu'il n'ait pu confirmer cette intention auprès des auteurs, c'est une forme de faute professionnelle selon moi pour un traducteur de "corriger" un texte juridique. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à le dire, puisque c'est justement là la conclusion de votre excellent article! Mais bon, comme quelqu'un l'a dit avant moi, le droit de se contredire devrait faire partie des droits de l'homme!

Je vous remercie à nouveau pour cet article, le dossier spécial et, plus généralement, la qualité du Bulletin des Anciens, en espérant avoir pu apporter mon humble contribution à ladite qualité.

Sincères salutations,

Olivier Kaiser

© Copyright 1999 - Association des Anciens Elèves de l'Ecole Supérieure d'Interprètes et de Traducteurs de l'Université de Paris - Tous droits réservés.

 

 


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