Les principaux personnages
- Clarimonde, la "morte amoureuse"
- Romuald, un jeune prêtre amoureux fou de Clarimonde,
qui en est tout aussi follement amoureuse
- L'abbé Sérapion, qui soupçonne ce qui
se passe et "délivrera"
Romuald de son obsessif amour
Le type de vampire qu'est
Clarimonde
- Elle incarne la séduction de la femme fatale, d'une
telle extraordinaire beauté que l'on est subjugué au
premier de ses regards. Ce qui fait dire au héros qu' "il suffit
d'une minute pour vous faire perdre l'éternité"! (p.65)
En cela, elle est du même type vampirique que la Carmilla de
Sheridan Le Fanu et la fiancée de Corinthe de Goethe. Par
contre, c'est une vampire réellement amoureuse, ce qui change
bien des choses...
- Elle est blonde, aux yeux "vert de mer d'une vivacité
et d'un éclat insoutenables" (p. 41); "ses yeux
étaient un poème dont chaque regard formait un chant." (p.
43).
- Elle a un maintien tout ce qu'il y a de plus finement
aristocratique, royal, même.
- Elle a une voix "argentine et veloutée à la
fois" (p.56)
- Elle a la peau froide comme celle d'un serpent, mais dont
l'empreinte est "brûlante comme la marque d'un fer rouge" (p.
44)
- C'est comme si toutes les femmes se retrouvaient en elle, en
une seule et même personne: "Avoir Clarimonde, c'était
avoir vingt maîtresses, c'était avoir toutes les femmes
tant elle était mobile, changeante et dissemblable
d'elle-même, un vrai caméléon! Elle vous faisait
commettre avec elle l'infidélité que vous eussiez commise
avec d'autres, en prenant complètement le caractère,
l'allure et le genre de beauté de la femme qui paraissait vous
plaire." (p.60)
- Elle s'appelle Clarimonde: assez étonnant
pour une "femme de la nuit" que de porter un tel
prénom, qui signifie "la clarté du monde"!!
L'histoire
C'est Romuald, âgé maintenant de 66 ans, qui est le
narrateur et qui raconte sa propre histoire,
répondant ainsi à une demande qu'on lui a faite:
"Avez-vous déjà aimé?" - Oh! Que si! Il a
vécu, pendant trois ans, un amour extrêmement violent,
"insensé et furieux", trois ans pendant lesquels, dit-il, il fut
"le jouet d'une illusion singulière et diabolique" (p.39)
et
"victime d'une fascination inexplicable" (p. 40).
Le jour même de son ordination - il a 24 ans à ce
moment-là et n'a connu du monde que le séminaire - , lui
apparaît Clarimonde. Alors qu'il était si sûr
de sa vocation, le voici tout à coup extrêmement
troublé, et sa seule vue provoque en lui une véritable
transformation: "Ce fut comme si des écailles me tombaient des
prunelles. J'éprouvai la sensation d'un aveugle qui recouvrerait
subitement la vue." (p.40)
Mais il dit "oui" tout en
voulant dire
"non" pour son ordination. - Malheureuse Clarimonde, déjà
amoureuse, qui voit son amour "volé" par nul autre que Dieu en
personne! Juste avant qu'il ne sorte de l'église, une main prend
la sienne, et c'est celle de Clarimonde. Et un peu plus tard, un page
lui remet un petit portefeuille dans lequel est écrit:
"Clarimonde, au palais Concini". Romuald n'a plus alors qu'un seul
désir, la revoir. Les premiers jours de sa prêtrise sont
infernaux. Son supérieur, l'abbé Sérapion, le met
en garde contre "les suggestions du diable" et lui conseille ceci:
"Faites-vous une cuirasse de prières, un bouclier de
mortifications, et combattez vaillamment l'ennemi; vous le vaincrez.
L'épreuve est nécessaire à la vertu et l'on sort
plus fin de la coupelle. Ne vous effrayez ni ne vous découragez;
les âmes les mieux gardées et les plus affermies ont eu de
ces moments. Priez, jeûnez, méditez, et le mauvais esprit
se retirera." (p.46)
Or, voici qu'on lui donne une cure, assez loin de la ville où il
se trouve, ainsi que Clarimonde. Juste au sortir de la ville, il
distingue nettement un château et s'informe. Sérapion lui
répond: "C'est l'ancien palais que le prince Concini a
donné à la courtisane Clarimonde; il s'y passe
d'épouvantables choses." (p.47)
Un an se passe, pendant lequel la pensée de Clarimonde
l'obsède toujours et sans répit. Une nuit, il est
appelé au chevet d'une mourante. Après une course
échevelée à cheval, il arrive dans un
château, mais trop tard, la femme est déjà
morte... et c'est, bien sûr, Clarimonde elle-même.
Réaction de Romuald, en prière au pied du lit:
"Je me mis à réciter les psaumes avec une grande
ferveur, remerciant Dieu qu'il eût mis la tombe entre
l'idée de cette femme et moi, pour que je pusse ajouter à
mes prières son nom désormais sanctifié." (p.51)
Finalement, il ose regarder le corps et constate que c'est bien
Clarimonde, morte, ou plongée dans un profond sommeil? Quoi
qu'il en soit, dans cet état, elle était plus
séduisante que jamais. Se penchant sur son visage, il pleure et
des larmes tombent sur les joues de la morte et, avant de partir, il
éprouve le désir fulgurant de déposer sur ses
lèvres un baiser d'adieu, dès lequel, comme la Belle au
Bois Dormant, Clarimonde se réveille.
"Ah! c'est toi, Romuald, dit-elle d'une voix languissante et
douce comme les dernières vibrations d'une harpe; que fais-tu
donc? Je t'ai attendu si longtemps, que je suis morte; mais maintenant
nous sommes fiancés, je pourrai te voir et aller chez toi.
Adieu, Romuald, adieu! je t'aime; c'est tout ce que je voulais te dire,
et je te rends la vie que tu as rappelée sur moi une minute avec
ton baiser; à bientôt." (p.53)
La revoici à l'état de morte et Romuald s'évanouit
sur elle... A son réveil, il est au presbytère,
dans son lit. Cela faisait trois jours qu'il était inconscient.
L'abbé Sérapion vient le voir, et lance, tout à
coup:
"La grande courtisane Clarimonde est morte dernièrement,
à la suite d'une orgie qui a duré huit jours et huit
nuits. Ç'a été quelque chose d'infernalement
splendide. On a renouvelé là les abominations des festins
de Balthazar et de Cléopâtre. Dans quel siècle
vivons-nous, bon Dieu! Les convives étaient servis par des
esclaves basanés parlant un langage inconnu, et qui m'ont tout
l'air de vrais démons; la livrée du moindre d'entre eux
eût pu servir d'habit de gala à un empereur. Il a couru de
tout temps sur cette Clarimonde de bien étranges histoires, et
tous ses amants ont fini d'une manière misérable ou
violente. On a dit que c'était une goule, un vampire femelle;
mais je crois que c'était Belzébuth en personne." (p.55)
Voyant le trouble de Romuald à cette annonce, il l'avertit de
faire bien attention et précise que, à ce qu'on dit, ce
n'est pas la première fois que cette Clarimonde meurt, et
insinue qu'il pourrait bien s'agir de Satan en personne...
Tout se passe bien jusqu'à ce qu'une nuit, Clarimonde lui
apparaisse, vêtue du suaire de lin transparent dont il l'avait
vue recouverte, au château. Son corps est d'une blancheur
mortuaire, ses beaux yeux verts ont perdu leur éclat et ses
lèvres sont devenues d'un rose très pâle.
"Je me suis bien fait attendre, mon cher Romuald, et tu as
dû croire que je t'avais oublié. Mais je viens de bien
loin, et d'un endroit d'où personne n'est encore revenu: il n'y
a ni lune ni soleil au pays d'où j'arrive; ce n'est que de
l'espace et de l'ombre; ni chemin, ni sentier; point de terre pour le
pied, point d'air pour l'aile; et pourtant me voici, car l'amour est
plus fort que la mort, et il finira par la vaincre. Ah! que de faces
mornes et de choses terribles j'ai vues dans mon voyage! Que de peine
mon âme, rentrée dans ce monde par la puissance de la
volonté, a eue pour retrouver son corps et s'y
réinstaller! Que d'efforts il m'a fallu faire avant de lever la
dalle dont on m'avait couverte! Tiens! le dedans de mes pauvres mains
en est tout meurtri. Baise-les pour les guérir, cher amour!"
(p.56)
"Je t'aimais bien longtemps avant de t'avoir vu, mon cher Romuald, et
je te cherchais partout. Tu étais mon rêve, et je t'ai
aperçu dans l'église au fatal moment; j'ai dit tout de
suite: "C'est lui!" Je te jetai un regard où je mis tout l'amour
que j'avais eu, que j'avais et que je devais avoir pour toi; un regard
à damner un cardinal, à faire agenouiller un roi à
mes pieds devant toute sa cour. Tu restas impassible et tu me
préféras ton Dieu. Ah! que je suis jalouse de Dieu, que
tu as aimé et que tu aimes encore plus que moi! Malheureuse,
malheureuse que je suis! je n'aurai jamais ton coeur à moi toute
seule, moi que tu as ressuscitée d'un baiser, Clarimonde la
morte, qui force à cause de toi les portes du tombeau et qui
vient te consacrer une vie qu'elle n'a reprise que pour te rendre
heureux !" (p.57)
Le lendemain soir, elle revient le chercher. Elle est "non pas,
comme la première fois, pâle dans son pâle suaire et
les violettes de la mort sur les joues, mais gaie, leste et pimpante,
avec un superbe habit de voyage en velours vert orné de ganses
d'or et retroussé sur le côté pour laisser voir une
jupe de satin". (p.58)
Elle le vêt de somptueux
habits, et l'habit faisant le moine, le voilà transformé
en quelqu'un d'autre! Et les voici, tous deux, filant à vive
allure vers... Venise, où il est il signor Romualdo, l'amant en
titre de Clarimonde, et mène une vie de luxe et de
débauche, tout en lui restant fidèle, et elle à
lui. Mais Clarimonde se met à dépérir: son teint
pâlit de jour en jour, et elle devient de plus en plus
froide et blanche. Mais voilà que...
"Un matin, j'étais assis auprès de son lit, et je
déjeunais sur une petite table pour ne la pas quitter d'une
minute. En coupant un fruit, je me fis par hasard au doigt une entaille
assez profonde. Le sang partit aussitôt en filets pourpres, et
quelques gouttes rejaillirent sur Clarimonde. Ses yeux
s'éclairèrent, sa physionomie prit une expression de joie
féroce et sauvage que je ne lui avais jamais vue. Elle sauta
à bas du lit avec une agilité animale, une agilité
de singe ou de chat, et se précipita sur ma blessure qu'elle se
mit à sucer avec un air d'indicible volupté. Elle avalait
le sang par petites gorgées, lentement et précieusement,
comme un gourmet qui savoure un vin de Xérès ou de
Syracuse; elle clignait les yeux à demi, et la pupille de ses
prunelles vertes était devenue oblongue au lieu de ronde. De
temps à autre elle s'interrompait pour me baiser la main, puis
elle recommençait à presser de ses lèvres les
lèvres de la plaie pour en faire sortir encore quelques gouttes
rouges. Quand elle vit que le sang ne venait plus, elle se releva
l'oeil humide et brillant, plus rose qu'une aurore de mai, la figure
pleine, la main tiède et moite, enfin plus belle que jamais et
dans un état parfait de santé.- "Je ne mourrai pas! je ne
mourrai pas! dit-elle à moitié folle de joie et en se
pendant à mon cou; je pourrai t'aimer encore longtemps. Ma vie
est dans la tienne, et tout ce qui est moi vient de toi. Quelques
gouttes de ton riche et noble sang, plus précieux et plus
efficace que tous les élixirs du monde, m'ont rendu
l'existence." (p.61-62))
C'est là que Romuald se rend compte que Clarimonde est bel
et bien une
vampire, mais il ne peut s'empêcher de l'aimer et d'entretenir sa
vie
factice. Pendant le jour, cependant, le prêtre qu'il est a de
plus en
plus de scrupules, jusqu'à tenter de ne pas s'endormir, mais en
vain.
L'abbé Sérapion décide alors d'utiliser les grands
moyens pour en finir:
"Pour vous débarrasser de cette obsession, il n'y a qu'un
moyen, et, quoiqu'il soit extrême, il le faut employer: aux
grands maux les grands remèdes. Je sais où Clarimonde a
été enterrée; il faut que nous la
déterrions et que vous voyiez dans quel état pitoyable
est l'objet de votre amour; vous ne serez plus tenté de perdre
votre âme pour un cadavre immonde dévoré des vers
et près de tomber en poudre; cela vous fera assurément
rentrer en vous-même." (p.63)
A bout de forces, fatigué de mener cette double vie, Romuald
accepte:
l'un des deux hommes qu'il est doit mourir. Au cimetière, ils
trouvent
le tombeau, et Sérapion se met à l'oeuvre pour
dégager le cercueil.
Dedans, Clarimonde, "pâle comme un marbre, les mains jointes; son
blanc
suaire ne faisait qu'un seul pli de sa tête à ses pieds.
Une petite
goutte rouge brillait comme une rose au coin de sa bouche
décolorée" (p. 64-65).
C'est l'eau
bénite qui aura raison de Clarimonde la vampire:
"Et il aspergea d'eau bénite le corps et le cercueil sur lequel
il traça la forme d'une croix avec son goupillon. La pauvre
Clarimonde n'eut pas été plus tôt touchée
par la sainte rosée que son beau corps tomba en
poussière; ce ne fut plus qu'un mélange affreusement
informe de cendres et d'os à demi calcinés." (p,65)
La nuit suivante, Clarimonde lui apparaît pour une
dernière fois, lui disant: "Malheureux! malheureux!
qu'as-tu fait? Pourquoi as-tu écouté ce prêtre
imbécile? n'étais-tu pas heureux? et que t'avais-je fait,
pour violer ma pauvre tombe et mettre à nu les misères de
mon néant? Toute communication entre nos âmes et nos corps
est rompue désormais. Adieu, tu me regretteras." (p.65)
* * *
Commentaires
- Vampirisme et religion
Ce qui fait le charme particulier de ce récit, c'est le fait que
le héros soit un prêtre, et de la plus
pure innocence que l'on puisse imaginer (toute sa vie, depuis sa tendre
enfance, il n'a désiré qu'une seule chose: devenir
prêtre). C'est donc l'illustration des
tentations sensuelles, érotiques et sexuelles qui peuvent
s'emparer d'un religieux et le posséder comme s'il était
sous l'emprise d'un démon ou de Satan en personne. Clarimonde,
c'est la beauté, la jeunesse, la vie, l'amour et la
liberté. La prêtrise, c'est le tombeau, la mort,
l'état de mort-vivant! En ce sens,
Gautier rejoint ici l'idée même que Goethe
développa dans sa "Fiancée de Corinthe". Mais laissons
l'auteur parler des deux vies.
"Être prêtre!
c'est-à-dire chaste, ne pas aimer, ne distinguer ni le sexe ni
l'âge, se détourner de toute beauté, se crever les
yeux, ramper sous l'ombre glaciale d'un cloître ou d'une
église, ne voir que des mourants, veiller auprès de
cadavres inconnus et porter soi-même son deuil sur sa soutane
noire, de sorte que l'on peut faire de votre habit un drap pour votre
cercueil! - Et je sentais la vie monter en moi comme un lac
intérieur qui s'enfle et qui déborde; mon sang battait
avec force dans mes artères; ma jeunesse, si longtemps
comprimée, éclatait tout d'un coup comme l'aloès
qui met cent ans à fleurir et qui éclôt avec un
coup de tonnerre. " (p.45)
Et encore (admirez le style!):
"Ah! si je n'eusse pas
été prêtre, j'aurais pu la voir tous les jours;
j'aurais été son amant, son époux, me disais-je
dans mon aveuglement; au lieu d'être enveloppé dans mon
triste suaire, j'aurais des habits de soie et de velours, des
chaînes d'or, une épée et des plumes comme les
beaux jeunes cavaliers. Mes cheveux, au lieu d'être
déshonorés par une large tonsure, se joueraient autour de
mon cou en boucles ondoyantes. J'aurais une belle moustache
cirée, je serais un vaillant. Mais une heure passée
devant un autel, quelques paroles à peine articulées, me
retranchaient à tout jamais du nombre des vivants, et j'avais
scellé moi-même la pierre de mon tombeau, j'avais
poussé de ma main le verrou de ma prison!" (p. 45)
- Vampirisme et amour:
l'amour plus fort que la mort
L'amour plus fort que la mort. Tel pourrait fort bien être
le thème central de ce récit. D'abord, Romuald
lui-même parle de lui et de Clarimonde comme de deux âmes
sympatiquement liées, qui ressentent le moindre sentiment qui
s'agite dans celle de l'autre. "Je t'ai attendu si longtemps que je
suis morte", lui dit-elle. (p.53)
- "Me voici, car l'amour est plus fort quee la mort, et il finira par la
vaincre", lui dit-il. (p.56) - "Malheureuse,
malheureuse que je suis! Je
n'aurai jamais ton coeur à moi toute seule, moi que tu as
ressuscitée d'un baiser, Clarimonde la morte, qui force à
cause de toi les portes du tombeau et qui vient te consacrer une vie
qu'elle n'a reprise que pour te rendre heureux!" (p. 57)
Clarimonde est morte, et c'est lui qui lui redonne vie. Lorsqu'il est
appelé à son chevet pour les derniers sacrements, il se
dit: "J'aurais voulu pouvoir ramasser ma vie en un morceau pour la lui
donner et souffler sur sa dépouille glacée la flamme qui
me dévorait." (p.53)
Autre thème fort possible, c'est le mourir d'amour. Aller
jusqu'à sacrifier sa vie pour l'autre. Vivre l'un par l'autre,
l'un dans l'autre, dans et par l'autre. On le voit bien lorsque
Clarimonde, si amoureuse qu'elle ne peut plus s'approcher de quiconque
autre que son amant, dépérit à vue d'oeil: elle
est en train, littéralement, de mourir d'amour! Quant à
Romuald, il est prêt à lui donner tout son sang pour
qu'elle vive.
- Quand un vampire tombe amoureux
Quand un vampire tombe amoureux, réellement amoureux, quelque
chose le retient. Ainsi,
Clarimonde met un certain temps avant la première "prise de
sang", qui s'effectue, d'ailleurs, un peu par hasard, suite à
une blessure
que Romuald s'est faite au doigt. Depuis sa rencontre avec lui, elle
refuse le contact de tout autre homme, comme si leur amour était
le premier et le dernier, de sorte qu'elle perd la santé de jour
en jour. Elle
pâlit à vue d'oeil et devient de plus en plus froide,
presque aussi blanche et aussi morte qu'à sa
"présumée" mort au château. Elle
dépérit. (C'est le cas
de le dire, elle est littéralement en train de mourir d'amour!!)
Et c'est d'une admirable manière, marque d'amour en soi, qu'elle
prélève
le précieux sang dont elle a tant besoin: d'abord, elle verse de
la poudre dans la coupe de vin de son amant, qu'elle lui prépare
après
le repas. Elle le pique ensuite au bras avec une épingle d'or
qu'elle retire de ses cheveux, ne prenant chaque fois que ce qu'il faut
pour ne pas laisser s'éteindre sa propre vie. Après
l'absorption de quelques gouttes, ne voulant surtout pas épuiser
son amant, elle entoure le bras de ce dernier d'une petite bandelette,
après
avoir frotté la plaie d'un onguent qui la cicatrise
instantanément! Et elle dit:
"Une goutte, rien qu'une petite goutte rouge, un rubis au bout de
mon aiguille!... Puisque tu m'aimes encore, il ne faut pas que je
meure... Ah! pauvre amour! Ton beau sang d'une couleur pourpre si
éclatante, je vais le boire. Dors, mon seul bien; dors, mon
dieu, mon enfant; je ne te ferai pas de mal, je ne prendrai de ta vie
que ce qu'il faudra pour ne pas laisser éteindre la mienne. Si
je ne t'aimais pas tant, je pourrais me résoudre à avoir
d'autres amants dont je tarirais les veines; mais depuis que je te
connais, j'ai tout le monde en horreur... Ah! le beau bras! comme il
est rond! comme il est blanc! Je n'oserai jamais piquer cette jolie
veine bleue." Et, tout en disant cela, elle pleurait, et je
sentais pleuvoir ses larmes sur mon bras qu'elle tenait entre ses
mains. Enfin elle se décida, me fit une petite piqûre avec
son aiguille et se mit à pomper le sang qui en coulait.
Quoiqu'elle en eût bu à peine quelques gouttes, la crainte
de m'épuiser la prenant, elle m'entoura avec soin le bras d'une
petite bandelette après avoir frotté la plaie d'un
onguent qui la cicatrisa sur-le-champ. " (p. 62-63)
- Quuand vous devenez en amour
avec un
vampire
Quelques mots pour cerner la nature de cet amour: séduction
totale et subite, coup de foudre absolument foudroyant et
indestructible, ravissement, séduction, subjugation, possession.
Romuald parle d'un amour qui, au premier regard, s'enracine
indestructiblement. "Cet amour né tout à l'heure
s'était indestructiblement enraciné; je ne songeai
même pas à essayer de l'arracher, tant je sentais que
c'était là chose impossible. Cette femme s'était
complètement emparée de moi, un seul regard avait suffi
pour me changer; elle m'avait soufflé sa volonté; je ne
vivais plus dans moi, mais dans elle et par elle." (p. 44)
Et "je
sentais la vie monter en
moi comme un lac intérieur qui s'enfle et qui déborde."
(p.45)
Quant à lui, comme bien des victimes ensorcelées par un
vampire, il s'exclame: "Malgré cette certitude (qu'elle
est un vampire), je ne pouvais m'empêcher d'aimer
Clarimonde, et je lui aurais volontiers donné tout le sang dont
elle avait besoin pour soutenir son existence factice" et: "Je me
serais ouvert le bras moi-même et je lui aurais dit: 'Bois! et
que mon amour s'infiltre dans ton corps avec mon sang!" (p.63)
Histoires de vampire: la
confusion entre le rêve et la réalité
Cette confusion se retrouve dans bien des histoires de vampire. Tout se
passe la nuit, bien entendu, et tout se passe comme dans un rêve,
aussi. En ce
qui concerne Romuald, prêtre de son état, il vit une
double vie, l'une diurne et l'autre nocturne, tout à fait
différentes l'une de l'autre, voire même tout à
fait opposées. "Le jour, j'étais un prêtre du
Seigneur, chaste, occupé de la prière et des choses
saintes; la nuit, dès que j'avais fermé les yeux, je
devenais un jeune seigneur, fin connaisseur en femmes, en chiens et en
chevaux, jouant aux dés, buvant et blasphémant; et
lorsqu'au lever de l'aube je me réveillais, il me semblait au
contraire que je m'endormais et que je rêvais que j'étais
prêtre." (p.39) - "A dater de cette nuit, ma nature s'est en
quelque sorte dédoublée, et il y eut en moi deux hommes
dont l'un ne connaissait pas l'autre. Tantôt je me croyais un
prêtre qui rêvait chaque soir qu'il était
gentilhomme, tantôt un gentilhomme qui rêvait qu'il
était prêtre. Je ne pouvais plus distinguer le songe de la
veille, et je ne savais pas où commençait la
réalité et où finissait l'illusion. Le jeune
seigneur fat et libertin se raillait du prêtre, le prêtre
détestait les dissolutions du jeune seigneur. Deux spirales
enchevêtrées l'une dans l'autre et confondues sans se
toucher jamais représentent très bien cette vie
bicéphale qui fut la mienne." (p.59-60)
Après sa première nuit avec elle,
c'est comme si sa nature s'était dédoublée: il y
avait désormais deux hommes en lui, dont l'un ne connaissait pas
l'autre, sans compter la confusion entre la veille et le sommeil, la
réalité et l'illusion, tant ce qu'il vivait la nuit avec
Clarimonde semblait réel.
Le texte
intégral
de la nouvelle sur abu. cnam