Car la vie est dans le sang
(For the Blood is the Life)
(vers 1880)

de


Francis Marion Crawford


Présentation de Thérèse-Isabelle Saulnier

Référence: "Les cent ans de Dracula", une anthologie présentée par  Barbara Sadoul, Librio 1997, p. 66 à 82



Les principaux personnages


Le type de vampire qu'est Cristina


L'histoire

Cela se passe en Italie, sur la côte ouest de la Calabre, dans un endroit assez désertique et peu habité. Fait à noter, l'auteur précise que ce serait dans cette région que, selon des légendes locales, serait né Judas Iscariote. (Voir ma page sur le film "Dracula 2000".)  Le narrateur et son invité Holger dînent sur la terrasse et sont concentrés sur un point précis devant eux: un monticule, ressemblant fort à une tombe, au-dessus duquel semble se trouver un cadavre étendu. Holger décide d'aller voir de plus près. Il n'y voit absolument rien mais a vécu une étrange sensation lorsqu'il en est parti, celle de quelqu'un qui, derrière lui, le regarde et veut qu'il se retourne. Mais il résiste, à grand peine. A son retour, il raconte son expérience, que le narrateur lui-même a déjà vécue, d'ailleurs, lorsqu'il est allé, un jour, près de ce monticule. Il raconte alors l'histoire qui circule sur ce monticule et le phénomène étrange du cadavre qu'on y voit de loin.

Un certain Alario, ayant vécu en Amérique du sud et y ayant fait fortune en vendant de fausses pierres précieuses, est revenu au pays et y a fait construire une maison, dans laquelle il cachait son trésor. Il a engagé deux maçons, des voyous, et, avant la fin de la construction, il a été atteint d'une forte fièvre. On avait envoyé Cristina chercher un médecin dans un village voisin, mais Alario est mort avant. En apprenant, de la bouche du prêtre, qu'il était mort, tout le monde s'est sauvé (peur de la mort), et pendant la vingtaine de minutes qui se sont écoulées avant leur retour, les deux maçons ont volé le trésor, caché sous le lit, et sont allés l'enterrer sur la colline. Cependant, Cristina les as supris, ils l'ont tuée et enterrée avec le trésor.

Quant au fils d'Alario, Angelo, il s'est retrouvé dans la misère et la mendicité. Il avait, cependant, un petit lopin de terre qu'il cultivait tant bien que mal, attendant le jour où il finirait par le perdre, faute de pouvoir payer les taxes. Il était donc malheureux, mélancolique et morose. Lorsqu'il revenait chez lui, il s'arrêtait quelque part, et sentait la présence de Cristina. Même sans la voir, il savait que c'était elle et comment elle était. Un soir, il ne put résister et la regarda dans les yeux. Il sut alors qu'elle l'aimait et qu'il était désormais prisonnier de cet amour. Lorsqu'il se réveilla le lendemain matin, il était très faible, et le coeur battant très lentement.  Il ne voulait plus retourner là-bas, mais c'était plus fort que lui, l'attirance pour "ce rêve de terreur et de délices" (p.78) était irrésistible, plus forte que sa volonté, et les prières ardentes n'y pouvaient rien.

C'est Antonio, aidé du prêtre du village, qui viendra à bout de la vampire Cristina et sauvera d'une mort certaine, et imminente, le pauvre Angelo. Celui-ci, ayant recouvré sa fortune, partit en Amérique du Sud. Quant à Cristina, on ne peut que croire, dit le narrateur, qu'elle est bien morte...


L'amour plus fort que la mort

J'ai traité de ce point dans mes commentaires sur "La morte amoureuse" de Théophile Gautier. Romuald était prêt à donner tout son sang pour que vive Clarimonde. Pour Angelo, c'est la même chose. "A l'aube glacée, il se retrouva étendu sur le tertre, à moitié mort, certain et incertain, vidé de son sang et, pourtant, étrangement désireux de donner davantage à ces lèvres de rubis. /.../ Elle le tenait, à présent; il ne pouvait plus lui échapper. Au contraire, chaque nuit, il allait la rejoindre, afin qu'elle le vidât de sa dernière goutte de sang." (p.79) Angelo ne parlait plus à personne, mais tout le monde parlait de lui en étant convaincu qu'il se consumait d'amour pour la riche jeune fille que, du temps du vivant de son père, il devait épouser. Clarimonde se mourait d'amour pour son beau Romuald. Angelo, lui, se consume d'amour pour sa belle Cristina... - Ah! L'amour! L'amour! L'amour! Dévorant chez le type vampirique, et consumant chez le type "vampirisé"!


La confusion entre le rêve et la réalité

Ici aussi, on n'échappe pas à ce qui semble être une caractéristique de ce genre littéraire. Angelo ne sait pas déterminer s'il rêve ou s'il est éveillé. "Angelo prononça à haute voix: Cristina! Le mot à peine prononcé, toute la volonté du jeune homme se dissipa, la réalité s'envola, le rêve s'empara de lui, une deuxième fois, et l'entraîna à toute allure, sans détour, comme un homme qui marche dans son sommeil, plus bas, plus bas, dans l'étroit sentier." (p.78)


L'importance du regard

Peut-être l'aurez-vous notée, et il vaut la peine de s'y arrêter. On prête souvent aux vampires un pouvoir d'hypnotisme. On pourrait, alors, se demander si Crawford ne l'aurait pas intégré à sa nouvelle. En effet, Cristina exerce tout son pouvoir d'attirance en faisant se retourner vers elle celui qu'elle convoite. Le narrateur, ainsi que son ami Holger, ont su y résister, mais pas Angelo. Et c'est précisément lorsque celui-ci consent à la regarder dans les yeux qu'il tombe complètement en son pouvoir.

Les yeux sont le miroir de l'âme, dit-on, et c'est vrai. En plus, ils ont un énorme pouvoir de séduction, lorsqu'ils sont expressifs, qu'ils expriment, justement, l'état d'âme, les émotions, les sentiments. C'est peut-être davantage cela que Crawford a voulu évoquer.

D'un autre côté, on dit aussi qu'un vampire ne peut pénétrer dans la demeure de quelqu'un sans y être invité (ce fait est clairement indiqué dans le Nosferatu de Murnau), ou qu'il ne peut rien faire sans le consentement de sa victime. Le pouvoir d'hypnotisme du comte Dracula, dans les films mettant en vedette Christopher Lee dans le rôle-titre, est, si je me rappelle bien, sa façon d'obtenir ce consentement, mais c'est un moyen bien peu honorable, avouons-le! La belle Cristina, elle, doit faire beaucoup plus d'efforts pour qu'on lui cède: il faut qu'on la regarde dans les yeux, et elle sait qu'une fois cela fait, tout est acquis, son regard témoignera non seulement de sa beauté physique, mais aussi de celle de son âme. Et c'est corps et âme que se vivra l'amour.... vampirique.


Texte intégral (anglais) de la nouvelle ici





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