Référence: "Les cent ans de Dracula", une anthologie
présentée par Barbara Sadoul, Librio 1997, p. 66
à 82
Les principaux personnages
- Le narrateur
- Holger, un ami en visite à sa résidence
d'été, en Italie
- Alario, le père d'Angelo
- Angelo
- Cristina
- Antonio, l'intendant de la tour
Le type de vampire qu'est
Cristina
- Vivante, c'était une belle jeune fille, mais sauvage,
genre gitane, qui vivait d'expédients en rendant divers petits
services ça et là. "Les lèvres écarlates,
les yeux d'un noir profond, sa constitution évoquait celle d'un
lévrier." (p.71)
- A l'état de vampire, elle apparaît surtout
comme une forme féminine transparente, vaporeuse, mais aussi
comme un être vivant, dont les principales
caractéristiques étaient ses lèvres
écarlates ("qui ressemblaient à une blessure ouverte" (p.77)),
son visage couleur d'ivoire, deux petites dents aigues que
dévoilait son sourire, et des yeux aussi brillants qu'avides.
Quant à ses joues, elles "n'avaient rien de livide, comme celles
des cadavres, mais, en revanche, présentaient cette pâleur
des affamés", tout comme ses yeux qui manifestaient une faim
insupportable. (p.77)
- Cristina semble amoureuse, elle aussi, comme la Clarimonde
de Théophile Gautier, mais si elle est bel et bien amoureuse
d'Angelo, elle ne le manifeste pas du tout de la même
manière: elle se nourrit vraiment de lui, avec avidité,
ne lui laissant de sang que ce qu'il faut pour qu'il ait le temps de se
régénérer, pendant le jour, jusqu'à la nuit
prochaine, mais on sent bien que si on ne la détruit pas, Angelo
mourra, vidé complètement de son sang.
- C'est une enjôleuse, qui prononce des mots si beaux
qu'on ne peut être que séduit, et lui céder.
- Sa manière de boire le sang est la même que
l'on voit dans les films de vampire: elle mord dans le cou ou,
plutôt, sur la gorge, et se repaît avidement. La
différence, en ce qui la concerne, c'est qu'elle accompagne
cette morsure de paroles et de gestes tendres.
- Avec la même victime (ici Angelo), elle devient de
plus en plus avide et de plus en plus assoiffée, donc lui retire
de plus en plus de sang d'une nuit à l'autre.
L'histoire
Cela se passe en Italie, sur la côte ouest de la Calabre, dans un
endroit assez désertique et peu habité. Fait à
noter, l'auteur précise que ce serait dans cette région
que, selon des légendes locales, serait né Judas
Iscariote. (Voir ma page sur le film "Dracula 2000".) Le
narrateur et son invité Holger dînent sur la terrasse et
sont concentrés sur un point précis devant eux: un
monticule, ressemblant fort à une tombe, au-dessus duquel semble
se trouver un cadavre étendu. Holger décide d'aller voir
de plus près. Il n'y voit absolument rien mais a vécu une
étrange sensation lorsqu'il en est parti, celle de quelqu'un
qui, derrière lui, le regarde et veut qu'il se retourne. Mais il
résiste, à grand peine. A son retour, il raconte son
expérience, que le narrateur lui-même a déjà
vécue, d'ailleurs, lorsqu'il est allé, un jour,
près de ce monticule. Il raconte alors l'histoire qui circule
sur ce monticule et le phénomène étrange du
cadavre qu'on y voit de loin.
Un certain Alario, ayant vécu en Amérique du sud et y
ayant fait fortune en vendant de fausses pierres précieuses, est
revenu au pays et y a fait construire une maison, dans laquelle il
cachait son trésor. Il a engagé deux maçons, des
voyous, et, avant la fin de la construction, il a été
atteint d'une forte fièvre. On avait envoyé Cristina
chercher un médecin dans un village voisin, mais Alario est mort
avant. En apprenant, de la bouche du prêtre, qu'il était
mort, tout le monde s'est sauvé (peur de la mort), et pendant la
vingtaine de minutes qui se sont écoulées avant leur
retour, les deux maçons ont volé le trésor,
caché sous le lit, et sont allés l'enterrer sur la
colline. Cependant, Cristina les as supris, ils l'ont tuée et
enterrée avec le trésor.
Quant au fils d'Alario, Angelo, il s'est retrouvé dans la
misère et la mendicité. Il avait, cependant, un petit
lopin de terre qu'il cultivait tant bien que mal, attendant le jour
où il finirait par le perdre, faute de pouvoir payer les taxes.
Il était donc malheureux, mélancolique et morose.
Lorsqu'il revenait chez lui, il s'arrêtait quelque part, et
sentait la présence de Cristina. Même sans la voir, il
savait que c'était elle et comment elle était. Un soir,
il ne put résister et la regarda dans les yeux. Il sut alors
qu'elle l'aimait et qu'il était désormais prisonnier de
cet amour. Lorsqu'il se réveilla le lendemain matin, il
était très faible, et le coeur battant très
lentement. Il ne voulait plus retourner là-bas, mais
c'était plus fort que lui, l'attirance pour "ce rêve de
terreur et de délices" (p.78) était
irrésistible, plus forte que sa volonté, et les
prières ardentes n'y pouvaient rien.
C'est Antonio, aidé du prêtre du village, qui viendra
à bout de la vampire Cristina et sauvera d'une mort certaine, et
imminente, le pauvre Angelo. Celui-ci, ayant recouvré sa
fortune, partit en Amérique du Sud. Quant à Cristina, on
ne peut que croire, dit le narrateur, qu'elle est bien morte...
L'amour plus fort que la mort
J'ai traité de ce point dans mes commentaires sur "La morte
amoureuse" de Théophile Gautier. Romuald était prêt
à donner tout son sang pour que vive Clarimonde. Pour Angelo,
c'est la même chose. "A l'aube glacée, il se retrouva
étendu sur le tertre, à moitié mort, certain et
incertain, vidé de son sang et, pourtant, étrangement
désireux de donner davantage à ces lèvres de
rubis. /.../ Elle le tenait, à présent; il ne pouvait
plus lui échapper. Au contraire, chaque nuit, il allait la
rejoindre, afin qu'elle le vidât de sa dernière goutte de
sang." (p.79) Angelo ne parlait plus à
personne, mais tout le monde parlait de lui en étant convaincu
qu'il se consumait d'amour
pour la riche jeune fille que, du temps du vivant de son père,
il devait épouser. Clarimonde se mourait d'amour pour son beau
Romuald. Angelo, lui, se consume d'amour pour sa belle Cristina... -
Ah! L'amour! L'amour! L'amour! Dévorant chez le type vampirique,
et consumant chez le type "vampirisé"!
La confusion entre le rêve
et la réalité
Ici aussi, on n'échappe pas à ce qui semble être
une caractéristique de ce genre littéraire. Angelo ne
sait pas déterminer s'il rêve ou s'il est
éveillé. "Angelo prononça à haute voix:
Cristina! Le mot à peine prononcé, toute la
volonté du jeune homme se dissipa, la réalité
s'envola, le rêve s'empara de lui, une deuxième fois, et
l'entraîna à toute allure, sans détour, comme un
homme qui marche dans son sommeil, plus bas, plus bas, dans
l'étroit sentier." (p.78)
L'importance du regard
Peut-être l'aurez-vous notée, et il vaut la peine de s'y
arrêter. On prête souvent aux vampires un pouvoir
d'hypnotisme. On pourrait, alors, se demander si Crawford ne l'aurait
pas intégré à sa nouvelle. En effet, Cristina
exerce tout son pouvoir d'attirance en faisant se retourner vers elle
celui qu'elle convoite. Le narrateur, ainsi que son ami Holger, ont su
y résister, mais pas Angelo. Et c'est précisément
lorsque celui-ci consent à la regarder dans les yeux qu'il tombe
complètement en son pouvoir.
Les yeux sont le miroir de l'âme, dit-on, et c'est vrai. En plus,
ils ont un énorme pouvoir de séduction, lorsqu'ils sont
expressifs, qu'ils expriment, justement, l'état d'âme, les
émotions, les sentiments. C'est peut-être davantage cela
que Crawford a voulu évoquer.
D'un autre côté, on dit aussi qu'un vampire ne peut
pénétrer dans la demeure de quelqu'un sans y être
invité (ce fait est clairement indiqué dans le Nosferatu de Murnau), ou qu'il ne
peut rien faire sans le consentement de sa victime. Le pouvoir
d'hypnotisme du comte Dracula, dans les films mettant en vedette
Christopher Lee dans le rôle-titre, est, si je me rappelle bien,
sa façon d'obtenir ce consentement, mais c'est un moyen bien peu
honorable, avouons-le! La belle Cristina, elle, doit faire beaucoup
plus d'efforts pour qu'on lui cède: il faut qu'on la regarde
dans les yeux, et elle sait qu'une fois cela fait, tout est acquis, son
regard témoignera non seulement de sa beauté physique,
mais aussi de celle de son âme. Et c'est corps et âme que
se vivra l'amour.... vampirique.
Texte intégral (anglais) de la nouvelle ici